29 mai 2019
Cour d’appel de Paris
RG n°
18/09534
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 3 – Chambre 1
ARRÊT DU 29 MAI 2019
(n° , 14 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/09534 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5VXP
Décisions déférées à la Cour :
Arrêt du 11 Avril 2018 – Cour de cassation – Arrêt n°427 F-D
Arrêt du 01 Mars 2017 – Cour d’Appel de PARIS – RG n° 15/21375
Jugement du 01 Septembre 2015 – Tribunal de grande instance de PARIS – RG n°14/07795
APPELANTE
Madame [D] [H] [E]
née le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1] ([Localité 1])
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Stéphane FERTIER de l’AARPI JRF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075
ayant pour avocat plaidant Me Marie-Hélène ISERN-REAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D994
INTIMES
Monsieur [Z] [R]
né le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 1] ([Localité 1])
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté et ayant pour avocat plaidant Me Claire DES BOSCS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0642
Monsieur [O] [R]
né le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 1] ([Localité 1])
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
ayant pour avocat plaidant Me Katy BONIXE, avocat au barreau de PARIS, toque :E2021
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 20 Mars 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Dorothée DARD, Président
Mme Madeleine HUBERTY, Conseiller
Mme Catherine GONZALEZ, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Madeleine HUBERTY dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Dorothée DARD, Président et par Mme Emilie POMPON, Greffier
PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE
[M] [R], né le [Date naissance 4] 1909, est décédé le [Date décès 1] 1991. Il a laissé pour lui succéder:
– [L] [U], son épouse survivante, avec laquelle il était marié, depuis 1935, sous le régime de la communauté réduite aux acquêts et qui était bénéficiaire d’une donation entre époux de la quotité disponible. En 1992, [L] [U] a opté pour la totalité en usufruit.
Leurs enfants communs :
– [Z] [R],
– [R] [R],
– et [O] [R]
A la fin des années 1970, [M] [R] était affecté par des soucis de santé, en particulier la maladie de Parkinson. Par jugement du tribunal d’instance de PARIS 7ème, en date du 8 septembre 1990, il a été placé sous tutelle.
Le 25 avril 1997, un testament olographe de [M] [R], daté du 19 août 1979 a été retrouvé et déposé par [R] [R] au rang des minutes de Maîtres [J] et [K], notaires à [Localité 4]. Selon ce testament, le défunt léguait à sa fille [R] ‘ à titre de préciput et hors part…le quart de tous les biens mobiliers et immobiliers sans exception que je laisserai à mon décès et qui composeront ma succession. Pour n’en jouir qu’après le décès de mon épouse…à qui je lègue l’usufruit de tous mes biens avec dispense de fournir caution et de faire état’.
En raison de la découverte de ce testament, un acte de notoriété rectificatif a été établi le 29 avril 1997.
Le 20 décembre 1996, un appartement dépendant de la succession, sis [Adresse 4], a été vendu pour régler les droits de succession et le solde du prix a été partagé entre les héritiers selon les droits résultant du testament du 19 août 1979.
Selon actes d’huissier en date des 30 janvier et 13 février 2003, Monsieur [Z] [R] a assigné [L] [U], [R] [R] et [O] [R] devant le tribunal de grande instance de PARIS, aux fins de voir ordonner la liquidation et le partage de la communauté des époux [R] et, préalablement, prononcer la nullité du testament olographe du 19 août 1979.
Sur la demande de ses fils, [L] [U] veuve [R] a été placée sous curatelle par jugement du tribunal d’instance de PARIS 7ème en date du 29 janvier 2005, puis sous tutelle par jugement en date du 16 juin 2006.
Par acte d’huissier en date du 15 novembre 2006, Monsieur [Z] [R] a appelé le tuteur de [L] [U] à intervenir dans l’instance.
[L] [U] est décédée le [Date décès 2] 2010 en laissant pour lui succéder ses trois enfants.
Selon un testament olographe en date du 8 décembre 2004, elle a institué sa fille [R], légataire universelle. Ce testament a été contesté par les fils de la défunte, selon une procédure distincte.
[R] [R] est décédée le [Date décès 3] 2012 sans héritier réservataire. Elle a institué Madame [D] [E] légataire universelle, laquelle a été envoyée en possession le 18 juin 2012 et est intervenue volontairement à l’instance.
Par jugement rendu le 29 octobre 2013, le tribunal de grande instance de PARIS a notamment déclaré recevable l’action engagée par Monsieur [Z] [R] et ordonné l’ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de [M] [R], en tenant compte des partages partiels déjà intervenus. Préalablement à ces opérations, une expertise en écriture a été ordonnée et confiée à Madame [Q] [H], afin de déterminer si le testament daté du 19 août 1979 et attribué à [M] [R] ‘avait été entièrement daté et signé par le défunt et, plus particulièrement, déterminer si la date apposée est bien de la main du défunt et est contemporaine ou non de la rédaction du corps du testament’.
Madame [D] [E] a interjeté appel de ce jugement, mais, seulement, en ce qu’il a déclaré irrecevable sa demande de fixation de la valeur de sa part dépendant de la pharmacie ayant appartenu à [L] [R], au motif qu’elle serait prescrite.
Madame [H] a déposé son rapport le 28 avril 2014 avec les conclusions suivantes :
‘Concernant le testament daté du 19 août 1979…
.il a été entièrement écrit avec un stylo à bille à encre bleue et aucune falsification ou différenciation d’encre n’a pu être mise en évidence, notamment au niveau de la date, par ailleurs il est impossible techniquement de dater l’encre du texte et donc de la date;
. il a été entièrement écrit et daté par [M] [R],
. [L] [R] et [R] [R] n’ont pas écrit la date,
. la signature semble émaner de [M] [R], mais seul l’examen en comparaison de davantage de spécimens de sa signature permettra d’émettre un avis péremptoire;
. il est impossible de déterminer à quelle date précise ont été écrites les différentes mentions et notamment si la date apposée est contemporaine ou non de la rédaction du corps du testament;
. le corps du testament et la date pourraient avoir été écrits en 1975/1976;
. aucun avis ne peut être émis concernant la date supposée du 19/8/1979 puisqu’aucun écrit de comparaison n’a été produit pour cette période;
. la signature pourrait émaner de 1976, 1977, 1979 mais pas de 1983;
. les écrits de comparaison de [L] [R] sont homogènes notamment le testament daté du 17 août 1978 et la lettre du 28 août 2002 et nous notons que l’écriture de [L] [R] ne s’est pas modifiée entre 1979 et 2003’.
Dans son jugement rendu le 1er septembre 2015, le tribunal de grande instance de PARIS a statué en ces termes :
– Dit recevable l’action en nullité du testament présentée par les consorts [R];
– Prononce la nullité du testament olographe attribué à [M] [R] en date du 19 août 1979;
– Rejette la demande des consorts [R] sur le fondement du recel successoral,
– Rejette l’ensemble des demandes de dommages intérêts présentées par Madame [D] [E];
– Condamne Madame [D] [E] à payer respectivement à [O] [R] et [Z] [R] les sommes respectives de 2000€ et 1000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile;
– Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision;
– Condamne Madame [D] [E] aux dépens.
Madame [D] [E] a interjeté appel de ce jugement.
Dans son arrêt infirmatif rendu le 1er mars 2017, la cour d’appel de PARIS a statué en ces termes :
– Rejette les fins de non recevoir soulevées par Madame [E];
– Infirme le jugement en ce qu’il a prononcé la nullité du testament olographe attribué à [M] [R] et daté du 19 août 1979, condamné Madame [E] aux dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile à payer à Monsieur [O] [R] la somme de 2000€ et à Monsieur [Z] [R] celle de 1000€;
Statuant à nouveau de ces chefs;
– Dit que le testament en date du 19 août 1979 de [M] [R] est valable;
– Rejette les demandes de dommages intérêts de Madame [E];
– Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile;
– Condamne in solidum Messieurs [Z] et [O] [E] aux dépens de première instance et d’appel avec distraction.
Monsieur [Z] [R] et Monsieur [O] [R] ont formé chacun un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Par arrêt en date du 11 avril 2018, la Cour de Cassation a cassé l’arrêt infirmatif de la cour d’appel de PARIS en toutes ses dispositions.
Les motifs de cassation sont les suivants :
‘Attendu que pour rejeter la demande de nullité du testament l’arrêt retient qu’il résulte des rapports des experts judiciaires que le testament a été écrit en entier, daté et signé de la main du testateur et qu’aucun des éléments médicaux produits ne permet de dire, qu’en août 1979, [M] [R] était insane, ni qu’il était dans l’incapacité physique d’écrire,
Qu’en se déterminant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si la rédaction du testament à la date indiquée du 19 août 1979 était compatible avec l’état physique et mental de [M] [R] constaté par ses proches dès 1978 et en 1979, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision;
Attendu que pour rejeter la demande formée au titre du recel successoral, l’arrêt retient qu’en l’absence de preuve des éléments constitutifs du recel, cette demande est dépourvue de tout fondement;
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les circonstances dans lesquelles le testament de [M] [R] avait été rédigé puis invoqué par son bénéficiaire et d’autres testaments rédigés au nom de sa mère avaient été découverts au domicile de [R] [R] lors de son décès, n’étaient pas de nature à établir une stratégie dissimulée de captation d’héritage constitutive d’un recel successoral, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Par déclaration en date du 11 mai 2018, Madame [D] [E] a saisi la cour pour qu’il soit statué sur son appel.
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Par conclusions régularisées le 7 novembre 2018, Madame [D] [E] formule les prétentions suivantes :
– Infirmer le jugement en date du 1er septembre 2015;
– Dire et juger que [L] [R] n’a pas falsifié le testament de son mari;
– Dire et juger que [R] [R] n’a pas falsifié le testament de son père;
– Dire et juger que le testament, écrit de la seule main de [M] [R] n’est entaché d’aucune fraude;
– Dire et juger que Messieurs [Z] et [O] [R] ont exécuté le testament à trois reprises sans en soulever la nullité pour insanité d’esprit de [M] [R];
– Dire et juger qu’aucun élément ne permet de contester la date du 19 août 1979 portée sur le testament qui a donc date certaine;
– Dire et juger que l’insanité d’esprit au moment de la rédaction du testament n’est pas démontrée;
– Dire et juger que le testament du 19 août 1979 est parfaitement valable comme entièrement écrit daté et signé de la main de [M] [R];
– Dire et juger que, ni les circonstances dans lesquelles le testament de [M] [R] a été rédigé puis invoqué par son bénéficiaire, ni l’existence d’autres testaments rédigés au nom de [L] [R] découverts au domicile de [R] [R], lors de son décès, ne sont de nature à établir une stratégie dissimulée de captation d’héritage constitutive d’un recel successoral de la part de [R] [R];
– Dire et juger Madame [E] recevable et bien fondée à solliciter l’indemnisation du préjudice subi par elle du fait du comportement de Messieurs [R], constitutif d’un abus de procédure, de violences psychologiques et morales, de frais matériels sur le fondement de l’article 1240 du code civil;
– Constater le lien entre le comportement fautif de Messieurs [R] et le préjudice subi, toutes causes confondues;
– Condamner Messieurs [Z] et [O] [R] à payer in solidum à Madame [E] la somme de 100 000€ en indemnisation de ses préjudices;
– Condamner in solidum Messieurs [R] à lui payer une somme de 15 000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile;
– Infirmer le jugement du 1er septembre 2015 en ce qu’il a condamné Madame [E] à payer respectivement les sommes de 2000€ et 1000€ à Monsieur [O] [R] et à Monsieur [Z] [R];
– Condamner Messieurs [R] à rembourser ces sommes avec intérêts au taux légal depuis le jour du paiement, soit depuis le 11 septembre 2015;
– Les condamner aux entiers dépens avec distraction.
Madame [D] [E] fait valoir que :
‘ l’expertise de Madame [H] a permis de démontrer qu’il n’y avait pas eu de fraude de [L] [R] ou de [R] [R], lors de la rédaction du testament du 17 août 1979.
‘ le début d’une maladie de Parkinson n’est pas suffisant pour démontrer que [M] [R] n’aurait pas disposé des capacités intellectuelles nécessaires à la rédaction du testament. Aucune évaluation de son état cognitif n’a été effectuée en 1979. Jusqu’à l’été 1978, il est établi que le défunt se rendait encore à la pharmacie pour y apporter son aide et y faire de menus travaux comptables. La carte d’électeur du défunt révèle qu’il a participé aux élections de 1979 et 1981. La volonté du défunt doit être prise en compte et elle est confortée par le fait que son épouse avait elle-même, deux jours avant, établi un testament comportant les mêmes dispositions.
‘ il ne peut pas y avoir recel, dès lors que le testament est valable. C’est en raison des manoeuvres des frères [R], déployées dès l’année 1991, que [R] [R] a dû fournir à sa mère l’assistance matérielle et financière, qui lui était nécessaire. Elle avait les moyens financiers de lui apporter cette aide. C’est à cause des pressions exercées sur elle par Monsieur [O] [R], que [L] [R] a fini par reconnaître qu’elle avait falsifié le testament de son mari, alors que l’expertise graphologique a démontré le contraire. Il n’y a eu aucune manoeuvre de [R] [R] qui a, au contraire, protégé sa mère pour sauvegarder le patrimoine familial. Les correspondances de [L] [R] révèlent les relations destructrices, qui étaient entretenues avec ses fils. Ce sont eux qui avaient une relation d’emprise sur leur mère. La seule faute de [R] [R] a consisté à tenter de réparer les erreurs de gestion commises par la générosité illimitée de ses parents envers ses frères. Ses parents ont eu à coeur de réparer cette injustice sans se faire d’illusions sur ce qui l’attendait. Le seul acte de liberté de [R] [R] a été son testament, quand elle a compris que ses efforts avaient été vains.
‘ le comportement de [Z] et [O] [R] est fautif et générateur d’un préjudice qui a porté atteinte à la vie privée, à la liberté et à la dignité de [L] et [R] [R]. Ce préjudice doit être indemnisé à hauteur d’une somme de 100 000€.
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Dans ses conclusions régularisées le 1er mars 2019, Monsieur [O] [R] forme les prétentions suivantes :
– Le déclarer recevable et bien fondé en toutes ses demandes fins et prétentions;
– Prendre acte de ce que Madame [D] [E] ne conteste plus la recevabilité de l’action de Monsieur [O] [R];
– Débouter Madame [D] [E] de l’ensemble de ses demandes, la déclarer irrecevable en ses demandes nouvelles et mal fondée pour le tout;
– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [O] [R] de sa demande de condamnation de Madame [E] au titre du recel de succession;
Statuant de nouveau;
– Déclarer recevable et bien fondé Monsieur [O] [R] en son appel incident;
– Constater le recel de succession de la part de [R] [R], en ce qu’elle a entendu se prévaloir d’un testament qu’elle savait faux, pour rompre l’égalité du partage entre les héritiers et a oeuvré pour capter toute la succession [R] ([M] et [L]) à son profit;
En conséquence,
– Déchoir Madame [D] [E] de ses droits de légataire universel dans la succession de [M] [R];
– Condamner Madame [D] [E] au paiement de la somme de 10 000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens avec distraction.
Monsieur [O] [R] fait valoir que :
‘ ce sont des événements postérieurs à la découverte du testament de [M] [R], qui l’ont conduit à remettre en cause la validité de ce testament. En 2003, il s’est aperçu avec son frère que sa mère avait procédé à des actes de disposition importants qu’elle ne parvenait pas à expliquer. Elle devait faire face à des difficultés financières, alors que son patrimoine et ses revenus auraient dû la mettre à l’abri de ce type de préoccupations. Ils ont également découvert que des reconnaissances de dette avaient été établies au profit de [R] [R] et que leur mère avait consenti à celle-ci une donation portant sur la nue propriété d’un immeuble entier, sis [Adresse 2]. Après l’été 2002, [R] [R] s’est, en outre, employée à isoler [R] [R] de ses deux fils. Il est en fait apparu que c’est [R] [R], qui était à l’origine des problèmes financiers de sa mère et qu’elle a usé de manoeuvres pour détourner tout le patrimoine à son profit.
‘ à la date supposée du testament, [M] [R] était dans l’impossibilité physique et intellectuelle de le rédiger et de le signer. De nombreux témoins attestent des troubles moteurs et cognitifs du défunt dès l’année 1972. Il est, par ailleurs, établi que, dès l’année 1978, la maladie de Parkinson, dont il souffrait, avait un effet très invalidant. Il n’écrivait plus en 1979, ce qui explique que l’expert n’ait pas disposé d’éléments de comparaison pour cette année là, et ce qui démontre que la date du testament est inexacte. L’existence d’une carte électorale établie en 1979 ne prouve pas qu’il ait lui même été voter. L’analyse graphologique du testament révèle ‘des maladresses et altérations…qui s’observent chez les personnes âgées, dont l’état de santé est dégradé’, ce qui est concordant avec les attestations médicales.
‘ il existe un doute sur l’auteur de la signature en l’absence d’éléments de comparaison.
‘ les prétentions indemnitaires énoncées par Madame [E] sont irrecevables comme nouvelles en cause d’appel.
‘ [R] [R] est l’auteur de manoeuvres dont l’unique objectif était de s’accaparer tout le patrimoine de ses parents à son seul profit et au détriment de ses frères. C’est en connaissance de cause qu’elle a produit le testament attribué à son père en sachant qu’il était faux. Elle a, d’autre part, fait croire à sa mère à un état de dépendance financière par rapport à elle, ce qui est confirmé par les expertises graphologique, comptable et médicale, qui ont été mises en oeuvre. Le testament de [L] [R] en date du 8 décembre 2004 a été annulé par le tribunal de grande instance de PARIS qui a, en outre, retenu l’existence d’un recel commis par sa fille. Il s’est agi d’un véritable processus de captation d’héritage.
Dans ses conclusions régularisées le [Date décès 2] 2019, Monsieur [Z] [R] formule les prétentions suivantes :
– Constater la recevabilité et le bien fondé de l’action qu’il a engagée;
– Dire recevable l’action en nullité présentée par les consorts [R];
– Débouter Madame [D] [E] venant aux droits de [R] [R] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions;
– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [Z] [R] de sa demande de condamnation de Madame [D] [E] en recel successoral;
Statuant à nouveau;
– Déclarer recevable et bien fondé Monsieur [Z] [R] en son appel incident;
– Constater que le testament dont s’agit ne peut pas être daté;
– Constater le recel de succession de la part de Madame [D] [E] venant aux droits de [R] [R];
– Prononcer la nullité du testament olographe se présentant comme rédigé et daté du 19 août 1979 par [M] [R] au profit de [R] [R];
En conséquence;
– Dire et juger que le testament olographe attribué à [M] [R] et daté du 19 août 1979 est nul et de nul effet;
– Déchoir Madame [D] [E] de ses droits de légataire universel dans la succession de [M] [R];
– Dire et juger que la dévolution successorale de [M] [R] suivra les règles de la dévolution ab intestat;
– Condamner Madame [D] [E] venant aux droits de [R] [R] à payer une somme de 5000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile; – La condamner aux entiers dépens avec distraction.
Monsieur [Z] [R] fait valoir que :
‘ le testament du 19 août 1979 doit être annulé, tant pour des raisons intrinsèques à l’acte lui-même, que pour des raisons extrinsèques. L’analyse graphologique révèle une nette dégradation de l’écriture de son auteur qui concrétise une altération de ses facultés cognitives. La date du testament est fausse, car [M] [R] n’écrivait plus depuis 1976. Aucun document de comparaison n’a pu être produit pour l’année 1979. Les termes techniques employés par le testament démontrent que son auteur n’a pas pu les rédiger de sa propre initiative. D’autre part, les éléments médicaux produits montrent que [M] [R] souffrait d’une détérioration intellectuelle avérée en 1979 à la suite d’accidents vasculaires cérébraux répétés. Les attestations émanant de l’entourage de [M] [R] montrent que, dès 1975, il n’avait plus toutes ses facultés d’entendement et qu’il était dans un état de dépendance.
‘ les pièces produites par l’appelante et tirées d’une procédure pénale ouverte en 2005 pour abus de faiblesse concernant [L] [R] sont dépourvues de toute portée parce qu’à cette époque toutes les manoeuvres de [R] [R] n’avaient pas encore été mises à jour.
‘ le fait de donner la quotité disponible à [R] [R], comme mentionné dans le testament du 19 août 1979, n’avait aucun effet sur les droits de succession, contrairement à ce qui est soutenu par Madame [E]. La taxation d’office était justifiée, parce que la déclaration de succession n’avait pas été déposée dans les délais. [R] [R] cherchait, en réalité, à s’accaparer le maximum de liquidités lors de la vente d’un appartement dépendant de la succession. [L] [R] ignorait l’existence du testament du 19 août 1979 et les parents [R] n’avaient jamais envisagé d’avantager leur fille dans leur succession. [L] [R] n’a demandé que l’application des dispositions qu’elle connaissait, qui étaient issues de la donation au dernier vivant des époux, régularisée en 1967.
‘ les manoeuvres constitutives de recel peuvent résulter de toutes circonstances et être établies par tous moyens. En l’occurrence, il est démontré que [R] [R] a profité de l’altération des facultés mentales de ses parents pour capter leur héritage au détriment de ses deux frères. Elle a ainsi oeuvré dans le plus grand secret pour détourner les liquidités de la pharmacie exploitée par [L] [R] pour convaincre sa mère qu’elle avait besoin de son aide financière. Elle s’est employée à soustraire sa mère à toute mesure de protection judiciaire. Plusieurs testaments de [L] [R] ont été retrouvés au domicile de [R] [R] à la suite du décès de celle-ci démontrant son avidité patrimoniale. Elle a fait croire à sa mère qu’elle agissait pour conserver le patrimoine dans la famille malgré les inquiétudes exprimées par [L] [R] à ce sujet.
‘ les prétentions indemnitaires de Madame [E] ne sont ni justifiées dans leur principe ni justifiées dans leur quantum.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le mercredi 20 mars 2019.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,
Sur la demande de nullité du testament de [M] [R], daté du 19 août 1979
Il est constant, qu’à la suite du décès de [M] [R], survenu le [Date décès 1] 1991, un acte de notoriété a été dressé le 29 octobre 1991 (pièce 3 [O] [R]) ayant désigné ses héritiers comme étant son épouse survivante et ses trois enfants majeurs. Cet acte fait référence à une donation au dernier vivant régularisée 4 juillet 1967 entre les époux et au fait que le fichier central des dispositions des dernières volontés ne fait état d’aucune inscription émanant du défunt (pièce 2 [O] [R]).
Par acte en date du 25 avril 1997, Maître [B] [K], notaire à [Localité 4], a constaté le dépôt d’un testament olographe rédigé par [M] [R], le 19 août 1979, à [Localité 4] (pièce 12 [O] [R]), qui lui a été remis par Madame [R] [R].
Selon ce testament, [M] [R], a pris les dispositions suivantes :
‘Ceci est mon testament.
Je soussigné [R] [M] Pharmacien
demeurant à [Adresse 5] fait mon testament comme suit
Je lègue à titre de préciput et hors part à ma fille [R] le quart de tous les biens mobiliers et immobiliers sans exception que je laisserai à mon décès et qui constitueront ma succession pour n’en jouir qu’après le décès de mon épouse Madame [L] [U] à qui je lègue l’usufruit de tous mes biens avec dispense de fournir caution et de faire état
Ceci est mon testament daté et signé de ma main à [Localité 4] le 19 août 1979’.
Il résulte du rapport d’expertise de Madame [H], déposé le 28 avril 2014, que ce testament a été entièrement écrit et daté par [M] [R] (pièce 43 page 50 appelante). L’expert énonce, cependant, une double réserve, d’une part, sur la signature et, d’autre part, sur l’époque de rédaction du corps du testament. Ces deux réserves sont justifiées par le fait que peu de spécimens de signatures ont été présentés et par l’absence totale d’écritures de comparaison pour l’année 1979.
La simple lecture du testament permet de relever des anomalies graphiques, que l’expert définit comme une instabilité de la ligne de base, des saccades et des spasmes, des retouches et des confusions de lettres. Madame [H] précise que les altérations observées sont compatibles avec l’existence de troubles physiques et cognitifs.
Par application de l’article 970 du code civil, le testament olographe n’est valable que s’il a été écrit en entier, daté et signé de la main du testateur. Au regard des conclusions du rapport d’expertise graphologique, la validité du testament du 19 août 1979 n’est donc formellement mise en cause, qu’au regard de l’authenticité de la signature et de l’exactitude de la date . Ainsi qu’il est rappelé dans le jugement, la seule fausseté de la date équivaut à son absence et entraîne la nullité du testament.
L’absence complète d’éléments de comparaison de l’écriture de [M] [R] pour l’année 1979 constitue un élément objectif, qui ne met pas en cause le fait que le testament a bien été rédigé par le défunt, mais qui jette un doute sur le fait qu’il ait pu écrire le testament au cours de l’année 1979. Cette situation (absence de tous autres écrits que le testament en 1979) doit donc être interprétée au regard des éléments médicaux et de la vie du défunt à cette époque.
Dans ses conclusions (page 12) Madame [D] [E] admet que le testament a été rédigé, alors que [M] [R] souffrait d’une maladie dégénérative depuis 1975, mais elle soutient, qu’en 1979, il n’était pas grabataire, ni ses facultés intellectuelles profondément altérées, ce qui lui permettait, selon elle, de procéder, en pleine connaissance de cause, à la rédaction d’un testament.
Elle n’explique cependant pas les circonstances, qui ont pu conduire [M] [R], ancien pharmacien, à employer les termes juridiques très spécifiques, qui sont visés dans son testament, rédigé hors la présence d’un notaire.
Selon un document établi le 20 octobre 1985 par le Docteur [X] (pièce 12 [O] [R]), spécialiste en neurologie, la maladie de [M] [R] a commencé par un premier AVC en 1974, qui a récidivé dans les années suivantes (1978 environ) avec dégradation progressive des fonctions intellectuelles et perte d’autonomie. La fiche médicale de sortie, rédigée le 9 octobre 1985 (pièce 13 [O] [R]), fait état d’un patient hospitalisé pour une pneumopathie droite ayant souffert de fausses routes répétées trois jours avant l’admission. Le patient est décrit comme confiné au lit, depuis plusieurs années, du fait d’un état neurologique précaire. Il est précisé que les antécédents sont dominés par des accidents vasculaires cérébraux à répétition. Selon une correspondance médicale du 19 mars 1986 adressée au Docteur [V] à l’hôpital [Établissement 1] (pièce 14 [O] [R]), il est rappelé que [M] [R] a été affecté par de l’hypertension artérielle et par des accidents vasculaires cérébraux successifs et que le scanner cérébral pratiqué a révélé une ‘très importante atrophie cortico-sous corticale ….et de nombreuses lacunes dans les deux hémisphères…’.
Dans un certificat dressé le 28 janvier 2014 (pièce 100 [O] [R]), le Professeur [X] confirme son écrit du 20 octobre 1985, en ce que l’état neurologique détérioré de [M] [R], constaté en 1985, était dû à la fois à des accidents vasculaires cérébraux multiples et à un syndrome parkinsonien. Il précise que le processus de dégradation ‘évoluait de manière évidente depuis plus d’une dizaine d’années…Dans ce contexte, il est irréaliste de penser que ce patient ait pu avoir en 1979 un usage suffisant de la main droite pour lui permettre d’avoir une écriture normale. Il en était de même de ses fonctions intellectuelles qui ne pouvaient être considérées comme normales en 1979’.
Dans un certificat en date du 27 janvier 2014 (pièce 99 [O] [R]), le docteur [A] [S] indique qu’il a vu régulièrement [M] [R] jusqu’en 1975 et, qu’à cette époque, celui-ci ‘présentait déjà un ralentissement psychomoteur avec des troubles de la marche et de l’idéation, une rigidité musculaire, des troubles de l’élocution et des difficultés d’écriture certainement en rapport avec un syndrome parkinsonien’.
Dans un rapport d’analyse du dossier médical de [M] [R], rédigé le 17 août 2012 (pièce 95 [O] [R]), le Docteur [A] neurologue – expert, se refuse à donner un avis catégorique sur la gravité de l’état de [M] [R] en 1979. Il émet, cependant, l’opinion, qu’au vu de état grabataire avancé évoqué en 1981 ‘l’intéressé ne pouvait avoir des fonctions cognitives normales deux ans auparavant’.
Ainsi qu’il est souligné par Madame [D] [E], ces éléments médicaux ne constituent pas une évaluation de l’état cognitif de [M] [R] en 1979 et les héritiers n’ont, d’ailleurs, pas évoqué une insanité d’esprit de leur père, lorsque le testament a été découvert en 1997.
Ces éléments établissent, cependant, de façon concordante et circonstanciée, que l’état de santé, tant physique que mental de [M] [R], s’est détérioré de façon inexorable et progressive depuis l’année 1974, ce qui pose directement la question de son aptitude, tant physique, qu’intellectuelle, à avoir rédigé le testament, au cours de l’année 1979.
Or, dans un courrier en date du mois d’août 1980 (pièce 22 [O] [R]), [R] [R] indique que sa récente nomination dans le nord en qualité de professeur ne poserait aucune difficulté ‘si ma situation de famille n’était pas aussi dramatique. Mon père, très sévèrement handicapé a dû abandonner sa pharmacie et son état nécessite une présence constante de jour comme de nuit. Ma mère qui était son assistante ne peut donc plus donner à son travail qu’une partie de son temps et je suis moi-même dans l’obligation de partager avec elle les soins qu’exige notre malade….’. Les difficultés induites par cette situation ont été réitérées dans des courriers de [R] [R] et sa mère [L] [R], rédigés en 1981 (pièces 37,38,39 et 40 [O] [R]). Dans un certificat en date du 27 novembre 1986 (pièce 91 [O] [R]), le Docteur [K] intervient au soutien de la demande de mutation de [R] [R] en indiquant que la sclérose vasculaire cérébrale affectant son père ‘l’a rendu grabataire depuis de nombreuses années….’. Dans un certificat en date du 15 juin 2003 (pièce 10 J. [R]) établi alors pour Monsieur [O] [R], ce même médecin indique qu’il n’a pas conservé d’archives mais qu’il se souvient que [M] [R] souffrait d’une maladie de Parkinson ‘déjà fort invalidante en 1978’.
L’état grabataire de [M] [R], évoqué explicitement par sa fille [R] dès l’été 1980, est conforté par plusieurs attestations, qui ont été établies par des personnes ayant connu la famille [R] à la fin des années 1970. Monsieur [G] [F] indique, qu’au cours de l’été 1978, il a vu [M] [R] à son domicile dans un fauteuil roulant et nécessitant des soins constants (pièce 7 [O] [R]). Monsieur [X] [Z], retraité, indique qu’il connaissait [L] [R] comme voisine dans la commune de [Localité 5] ([Localité 5]) et qu’il lui avait rendu visite à plusieurs reprises à [Localité 1]. Il dit avoir vu [M] [R], à la fin des années 1970 ou au tout début des années 80, alors qu’il ‘était physiquement très dépendant et son état cérébral manifestement très dégradé, dans l’impossibilité même de tenir une conversation’ (pièce 8 [O] [R]). Madame [Y] [Y] indique qu’elle a connu la famille [R] parce qu’elle a fait ses études de médecine dans le même groupe d’étudiants que Monsieur [O] [R]. Au début de l’année 1980, elle a vu à son domicile [M] [R], qui ne l’a pas reconnue (alors qu’il l’avait vue plusieurs fois pendant ses études) et il n’a pas été possible d’avoir une conversation ‘vraiment suivie’. Elle précise qu’elle peut parfaitement dater son souvenir, parce qu’elle était alors enceinte de son deuxième enfant (pièce 96 [O] [R]). Monsieur [A] [P], cousin germain de [M] [R], rapporte qu’il s’est rendu plusieurs fois au domicile de celui-ci en 1979 et qu’il était toujours dans son fauteuil et ne pouvait manger seul (pièce 97 J. [R]). Madame [U] [I] (pièce 98 J.[R]) indique qu’elle a commencé à travailler comme préparatrice pour la pharmacie, en septembre 1977. A cette époque, [M] [R] venait parfois à la pharmacie au bras d’une personne ‘il avait des difficultés pour marcher, il parlait à peine. Après quelques mois ses visites se sont arrêtées. A la fin des vacances de l’été 1978, mon mari et moi-même sommes allés à l’aéroport pour chercher Monsieur [R] [M], accompagné de son fils [O], qui venaient de [Localité 4]. Monsieur [R] se trouvait dans une chaise roulante, il avait un regard tout à fait absent. Nous n’avons pas pu échanger même quelques paroles avec lui. Depuis, je n’ai plus vu Monsieur [R] [M]. J’avais des nouvelles de son état qui empirait par Madame [R]. Je suis restée dans son service 28 ans’.
Si Madame [D] [E] est fondée à relever que l’avis du Docteur [A], neurologue expert, consulté par les intimés en 2012 (pièce 95 J. [R]), ne permet pas de retenir, de façon certaine, que [M] [R] était gravement affecté par des troubles cognitifs en 1979, il ressort néanmoins de ce certificat que l’intéressé souffrait d’un handicap moteur majeur en 1978, du fait de sa pathologie parkinsonienne, ce qui est conforté, tant par les certificats médicaux produits, attestant de l’existence de difficultés pour la marche et l’écriture, dès 1975 (notamment pièce 99 J.[R]), que par l’ensemble des attestations émanant de personnes ayant connu [M] [R] à la fin des années 1970 et début 1980, ce qui intègre ses proches ([R] [R] et [L] [R]), qui évoquent la nécessité de soins constants, de jour comme de nuit, dès l’été 1980. Il est ainsi suffisamment démontré que, dès l’année 1979, [M] [R] avait perdu son autonomie physique du fait de l’évolution de la double pathologie, dont il souffrait (hypertension artérielle et maladie de Parkinson).
Pour ce qui concerne les facultés intellectuelles de [M] [R] en 1979, l’ensemble des données médicales évoquées ne font état que de probabilité ou de très forte vraisemblance d’une atteinte de ces facultés, compte tenu de la gravité des atteintes cérébrales constatées en 1985, quelques années plus tard. Ces données, qui ne constituent donc pas une certitude médicale, doivent, en conséquence, être appréciées par rapport à des éléments plus concrets émanant de l’entourage, qui sont susceptibles de les compléter ou les éclairer. En l’occurrence, l’absence de reconnaissance de personnes rencontrées dans un temps relativement récent (quelques années), le regard absent et l’impossibilité d’avoir une conversation suivie constituent autant d’éléments concrets et concordants, qui démontrent suffisamment que [M] [R] était non seulement handicapé physiquement, mais que ses facultés cognitives étaient également gravement altérées, ce qui avait un impact direct sur ses possibilités de communication avec les tiers.
L’existence de ce double handicap physique et mental explique qu’aucun document rédigé par [M] [R] n’a pu être retrouvé pour l’année 1979. Cette situation de handicap exclut que [M] [R] ait pu physiquement rédiger le testament en 1979, même si l’écriture du testament porte déjà trace d’altérations du graphisme. L’hypothèse émise par l’expert graphologue selon laquelle le corps du testament aurait pu être écrit en 1975 ou 1976 doit donc être retenue. Les facultés intellectuelles de [M] [R] au cours de l’été 1979 excluent, en outre, qu’il ait pu apprécier, seul à [Localité 4], le sens et la portée de l’expression ‘par préciput et hors part’.
Les tampons figurant sur la carte d’électeur de [M] [R] en 1979 et 1981 ne prouvent aucunement que ses facultés physique et mentale lui auraient permis d’aller voter seul à ces dates. Ils le prouvent, d’autant moins, qu’à la même époque, [R] [R] sollicitait, sur le plan professionnel, son rapprochement de la région parisienne pour pouvoir s’occuper de son père ‘sévèrement handicapé et ayant besoin de soins constants’. Il est, d’autre part, toujours possible de voter par procuration.
Les dates et paraphes de [M] [R] figurant sur trois facturettes de pharmacie en avril et juin 1978 (pièce 88 appelante) ne sont pas de nature à démontrer que l’intéressé aurait eu la capacité physique et intellectuelle de rédiger le testament plus d’une année plus tard, étant rappelé qu’aucun document rédigé par lui n’a pu être retrouvé pour l’année 1979.
De même, le testament qui aurait été rédigé à la même époque par [L] [R] (le 17 août 1979) ne prouve pas que [M] [R] aurait eu effectivement la volonté de faire bénéficier sa fille de la quotité disponible parce que son épouse aurait eu le même souhait. Il est, en effet, constant que lors de l’ouverture de la succession de [M] [R], son épouse survivante disposant alors de toutes ses capacités, ne s’est jamais étonnée de l’absence de mise en oeuvre d’une quelconque disposition testamentaire au profit de sa fille [R], avant la production du testament en litige, par sa fille, en 1997.
Les expertises graphologiques mises en oeuvre au cours de l’année 2009 (pièce 44 appelante) dans le cadre d’une procédure pénale pour abus de faiblesse, ayant conclu à la validité du testament, ne sont pas de nature à écarter les éléments ci-dessus évoqués. En premier lieu, ces expertises ne sont fondées que sur des spécimens d’écritures antérieurs à 1975. Surtout, ce n’est pas l’expertise de Madame [H], qui justifie que le testament soit tenu pour irrégulier. C’est le rapprochement entre les difficultés mises en exergue par cette expertise (anomalies graphiques, réserves sur la signature et la date, absence de documents de comparaison pour l’année 1979) et les éléments multiples médicaux et non médicaux, ci-dessus évoqués, qui conduisent à retenir que le défunt n’avait, ni les facultés physiques, ni les facultés intellectuelles lui permettant de rédiger ce testament au cours de l’été 1979.
La date figurant sur le testament ne peut donc pas être sa date véritable.
Le jugement rendu le 1er septembre 2015 par le tribunal de grande instance de PARIS ayant prononcé la nullité du testament du 19 août 1979 doit donc être confirmé sur ce point.
Sur la demande de recel successoral
Selon l’article 792 du code civil, applicable à la succession de [M] [R], décédé le [Date décès 1] 1991 ‘ les héritiers qui auraient diverti ou recélé des effets d’une succession sont déchus de la faculté d’y renoncer : ils demeurent héritiers purs et simples nonobstant leur renonciation sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés’.
En l’occurrence, s’il y a recel, il ne peut porter que sur le legs de la quotité disponible (25% de l’actif successoral), qui devait bénéficier à [R] [R], lequel legs a été contesté au travers de la demande de nullité du testament du 19 août 1979, étant précisé, qu’en l’absence de testament, cette quotité disponible avait vocation à être partagée entre les trois enfants du défunt.
L’existence d’un recel implique de rapporter la preuve de faits matériels, qui manifestent l’intention de l’héritier de porter atteinte à l’égalité du partage, peu important la nature des moyens mis en oeuvre.
Le fait de se prévaloir d’un faux testament, c’est à dire d’un testament que l’on sait vicié par les conditions ayant présidé à sa rédaction, caractérise, tant l’élément matériel, que l’élément intentionnel du recel. Il est établi que [R] [R] vivait à proximité immédiate de ses parents jusqu’à l’été 1980 (date de sa nomination dans le nord en qualité de professeur de lettres). Il s’en déduit qu’elle ne pouvait ignorer le processus de dégradation des facultés, tant physiques, que mentales de son père, nettement engagé depuis l’année 1975 et qui s’est notamment concrétisé par la cessation des visites de [M] [R] à sa pharmacie, depuis l’été 1978. Pour souligner qu’elle devait participer aux soins constants dus à son père, elle a, d’ailleurs, indiqué, en août 1980, que celui-ci était ‘sévèrement handicapé’, sans que ce terme puisse lui être reproché, puisque les documents déjà évoqués, produits par les consorts [R], montrent que la description ainsi effectuée correspondait ou était très proche de la réalité.
Ne pouvant ignorer l’état de son père à la date figurant sur le testament, ce qui mettait directement en cause la possibilité même de rédaction et de compréhension du testament à cette date, c’est donc sciemment que [R] [R] a récupéré et produit ce testament en avril 1997, pour accroître sa part dans l’héritage, au détriment de ses deux frères, alors qu’elle connaissait la fausseté de ce testament, qui n’avait pu être rédigé en connaissance de cause par son père, à [Localité 4], à la date figurant sur le document.
Le dépôt de ce testament, modifiant les droits de [R] [R], est intervenu moins de six mois après la vente, en décembre 1996, pour le prix de 1 535 000F (soit 234009€) d’un bien immobilier, sis [Adresse 4], dépendant de la succession de [M] [R], aux fins de régler les droits de succession, qui n’avaient toujours pas été apurés depuis le décès de [M] [R]. Aucun élément ne permet d’accréditer la thèse de l’appelante (conclusions page 6), selon laquelle c’est [L] [R] qui aurait invité sa fille [R] à faire état du testament, afin qu’elle prenne en charge une part plus importante des droits de succession , étant souligné que ces droits, hors pénalités, s’élevaient pour chaque héritier (descendant) à 298 296F, selon le projet qui avait été établi par Maître [J] notaire à [Localité 4], selon courrier en date du 19 mars 1997 (pièce 34 J.C [R]). Tous les droits étaient calculés au taux de 20%, l’assiette des taux inférieurs étant épuisée.
Par ailleurs, l’existence de plusieurs brouillons de testaments découverts au domicile de [R] [R], après son décès ([Date décès 3] 2012) mettent directement en cause les circonstances de rédaction du dernier testament de sa mère (décédée le [Date décès 2] 2010), dont elle s’est prévalue, qui aurait été rédigé le 8 décembre 2004. C’est en raison de la découverte de ces brouillons ou essais de testaments, situation doublée d’un contexte de facultés amoindries de la testatrice, que le testament, qui aurait été rédigé par sa mère en faveur de [R] [R], selon des modalités similaires à celles prévues dans le testament de [M] [R], a été annulé par jugement rendu par le tribunal de grande instance de PARIS en date du 26 octobre 2018 (pièce 109J.[R]). Ces circonstances, même survenues de nombreuses années après le décès de [M] [R], ne peuvent que conforter le contexte frauduleux ayant présidé à la rédaction du testament du 19 août 1979, puis à la production de ce testament, en 1997, par [R] [R].
Ces éléments sont suffisants pour caractériser le recel qui est imputé à [R] [R] dans le cadre de la succession de son père [M] [R], sans qu’il y ait lieu d’examiner, ni les causes du déséquilibre de la situation financière de [L] [R] après le décès de son époux, ni les relations financières et autres entretenues entre [L] [R] et sa fille, d’une part, et ses deux fils, d’autre part. Il sera simplement noté que l’abondance des manuscrits apparemment rédigés par [L] [R] en faveur ou contre les uns ou les autres de ses héritiers (pièces 90 à 96 appelante – pièces 47 à 83 [O] [R]) ne fait que mettre en évidence l’absence totale de documents rédigés par [M] [R], qui auraient rendu crédible le souhait de celui-ci de favoriser sa fille [R].
Madame [D] [E], en sa qualité de légataire universelle de [R] [R] doit donc être déchue de ses droits dans la succession de [M] [R] à hauteur du recel commis du fait de l’utilisation du faux testament du 19 août 1979.
Le jugement doit donc être infirmé de ce chef.
Sur les prétentions indemnitaires de Madame [D] [E]
Madame [D] [E] invoque un double préjudice, en ce que les frères [R] ont procédé à un véritable harcèlement judiciaire contre leur soeur et mère et que leurs agissements portent atteinte à la mémoire de [R] [R]. Elle demande à ce titre une somme de 100 000€.
Dans la mesure où Madame [D] [E] succombe en ses prétentions, puisque le testament invoqué en son temps par [R] [R] est annulé et dans la mesure où des faits de recel successoral sont reconnus, qui sont imputables à [R] [R], ses prétentions indemnitaires ne peuvent qu’être rejetées puisqu’aucune faute ne peut être caractérisée à l’encontre de Messieurs [O] et [Z] [R], lesquels étaient fondés à agir pour préserver leurs droits, peu important le cadre familial de leurs actions.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a rejeté l’ensemble des prétentions indemnitaires énoncées par Madame [D] [E]
Sur les prétentions accessoires
Il est équitable de condamner Madame [D] [E] à payer à Messieurs [O] et [Z] [R] une somme de 5000€ chacun, en cause d’appel, par application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Vu le jugement du tribunal de grande instance de PARIS en date du 1er septembre 2015,
Vu l’arrêt infirmatif du 1er mars 2017,
Vu l’arrêt de cassation du 11 avril 2018 ;
CONFIRME le jugement du 1er septembre 2015 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a écarté le recel successoral ;
Statuant à nouveau de ce chef;
DIT que [R] [R] a commis un recel successoral en se prévalant du testament du 19 août 1979 ;
DIT que Madame [D] [E], en sa qualité de légataire universelle de [R] [R] est déchue de tout droit sur la quotité disponible de la succession de [M] [R] ;
CONDAMNE Madame [D] [E] à payer à Messieurs [O] et [Z] [R] une somme de 5000€ chacun par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Madame [D] [E] aux dépens, incluant le coût de l’expertise de Madame [H] avec distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU (conseil de Monsieur [O] [R]) et de Maître Claire des BOSCS (conseil de Monsieur [Z] [R]) conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,