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7 février 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/03730
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4HA
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 07 FEVRIER 2023
N° RG 22/03730
N° Portalis DBV3-V-B7G-VHRR
AFFAIRE :
S.E.L.A.R.L. PHARMACIE DU PONT NEUF
C/
S.E.L.A.R.L. MMJ
….
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Mai 2022 par le TJ de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 22/00014
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Olivier CABON
Me Philippe HOUILLON
Me Julien SEMERIA
MP
TJ PONTOISE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.E.L.A.R.L. PHARMACIE DU PONT NEUF
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentant : Me Olivier CABON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 218
Représentant : Me Eric THIEBAUT , Plaidant, avocat au barreau de NEVERS
APPELANTE
****************
S.E.L.A.R.L. MMJ représentée par Me [M] [C] pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SELARL PHARMACIE DU PONT NEUF
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentant : Me Philippe HOUILLON de la SCP PETIT MARCOT HOUILLON, , avocat au barreau du VAL D’OISE, vestiaire : 100
S.A. LE CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Julien SEMERIA de la SELARL 9 JANVIER, avocat au barreau du VAL D’OISE, vestiaire : 211
LE PROCUREUR GENERAL
POLE ECOFI – COUR D’APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 3]
[Localité 6]
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 Janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, et Madame Delphine BONNET, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l’avis du 12/12/2023 a été transmis le même jour au greffe par la voie électronique.
La SA Le Crédit industriel et commercial (le CIC) est le créancier de la Selarl Pharmacie du pont neuf qui, par jugement du 17 décembre 2021 du tribunal judiciaire de Pontoise, a notamment été condamnée à lui payer, au titre du solde du prêt consenti le 8 janvier 2016 pour financer l’acquisition de son fonds de commerce d’officine de pharmacie, la somme de 278 623 euros outre les intérêts au taux contractuel de 2,60%.
Par jugement réputé contradictoire assorti de l’exécution provisoire du 24 mai 2022, le tribunal judiciaire de Pontoise, saisi par le CIC en ouverture de la liquidation judiciaire de la société Pharmacie du pont neuf, a :
– ‘prononcé’ la liquidation judiciaire de la société Pharmacie du pont neuf et fixé la date de cessation des paiements au 26 avril 2022 ;
– désigné en qualité de liquidateur judiciaire maître [M] [C], membre de la Selarl MMJ ;
– ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Par déclarations des 3 et 10 juin 2022, la société Pharmacie du pont neuf a interjeté appel du jugement en intimant dans la première déclaration uniquement le CIC et le ministère public puis dans la seconde, également la Selarl MMJ, ès qualités.
Les procédures ont été jointes par ordonnance du 23 juin 2022.
Par ordonnance d’incident contradictoire du 5 octobre 2022, le magistrat délégué a :
– rejeté la demande de nullité de l’appel interjeté le 3 juin 2022 ;
– rejeté la fin de non-recevoir relative à l’appel interjeté le 10 juin 2022 ;
– déclaré l’appel de la société Pharmacie du pont neuf recevable ;
– rejeté les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné le CIC aux dépens du présent incident.
Par ordonnance de référé en date du 20 octobre 2022, l’exécution provisoire du jugement a été arrêtée, les demandes respectives des parties formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile étant rejetées et celles-ci conservant chacune la charge des dépens exposés.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 5 janvier 2023, la société Pharmacie du pont neuf demande à la cour de :
– débouter le CIC ainsi que la Selarl MMJ ès qualités de l’ensemble de leurs demandes ;
– infirmer et annuler le jugement ayant ordonné sa liquidation judiciaire en toutes ses dispositions ;
– ordonner son redressement judiciaire ;
– statuer ce que de droit sur les dépens ;
– condamner le CIC et la Selarl MMJ chacun au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Le CIC, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 28 décembre 2022, demande à la cour de :
– débouter la Selarl pharmarcie du Pont Neuf de l’ensemble de ses demandes ;
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour estimerait devoir en prononcer la nullité,
– ouvrir la liquididation judicaire de la société La Pharmacie du pont neuf avec toutes suites et conséquences de droit, désignant les organes de la procédure et fixant la date de cessation des paiements au 21 décembre 2021 ;
– condamner la société La Pharmacie du pont neuf à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société La Pharmacie du pont neuf aux dépens.
La Selarl MMJ, ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 27 décembre 2022, demande à la cour de :
– débouter la société Pharmacie du pont neuf de son appel, l’y disant mal fondée ;
En conséquence,
– confirmer purement et simplement le jugement ;
Subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour estimerait devoir prononcer la nullité du jugement,
– ouvrir la liquidation judiciaire de la société Pharmacie du pont neuf avec toutes suites et conséquences de droit, désigner les organes de la procédure et fixer la date de cessation des paiements au 21 décembre 2021 ;
– condamner la société Pharmacie du pont neuf à lui verser sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 2 000 euros qui sera employée en frais privilégiés de la liquidation ;
– condamner la société Pharmacie du pont neuf aux entiers dépens également employés en frais privilégiés de la liquidation.
Dans son avis notifié par RPVA le 12 décembre 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer en tous points le jugement, sauf à ce que l’appelante, non comparante devant les premiers juges, démontre, par la production d’un compte prévisionnel de trésorerie sur quatre mois certifié par son expert-comptable, soit qu’un redressement judiciaire serait envisageable, soit qu’elle n’est pas en état de cessation de paiements au jour de 1’audience devant la cour, ce qui justifierait une décision de ‘n’y à lieu’.
A l’audience, le ministère public a indiqué s’en rapporter à la décision de la cour sur la demande d’annulation du jugement, tout en relevant que ce n’est pas parce que le tribunal n’a rien indiqué que l’information n’a pas été donnée au Conseil régional dès lors qu’un renvoi avait été ordonné pour l’aviser.
Il observe au fond que le redressement n’apparaît pas envisageable dans la mesure où la société n’a pas repris d’activité deuis plus d’un an.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la demande d’annulation du jugement :
La société Pharmacie du pont neuf, après avoir rappelé les dispositions de l’article L.621-1 alinea 2 du code de commerce dont elle souligne qu’elles sont d’ordre public et que leur inobservation constitue une irrégularité de fond entraînant la nullité du jugement d’ouverture, fait valoir que l’assignation en liquidation judiciaire délivrée par le CIC ne respecte pas la formalité substantielle et obligatoire tenant à la mise en cause de l’ordre professionnel dont relève le débiteur et qu’aucune régularisation n’en est intervenue postérieurement à la lecture du jugement qui n’en fait pas mention de sorte que la cour prononcera la nullité du jugement.
Elle observe que si le conseil du CIC, dans le courrier produit en appel, a informé l’Ordre des pharmaciens de l’audience, il ne s’agit pas d’une convocation régulière par assignation ou, à tout le moins, d’une lettre ‘RAR’ du greffe de la juridiction.
Le CIC soutient en revanche que l’appelante fait une interprétation erronée des textes et fait valoir qu’en première instance, par l’intermédiaire de son conseil, il a appelé en la cause le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens d’Ile de France en prévision de l’audience selon courrier recommandé dont celui-ci a accusé réception sans pour autant comparaître, de sorte que les dispositions de l’article L. 621-2 du code de commerce ont bien été respectées.
Si la cour devait prononcer l’annulation du jugement, il observe qu’en application de l’article R.640-2 du même code, elle conserverait la faculté d’ouvrir elle-même la liquidation judiciaire.
Le liquidateur judiciaire s’associe à cette dernière observation en ajoutant que si la cour prononce l’annulation du jugement dont appel, suivant en cela la décision de référé rendue par le président délégué, elle reste néanmoins saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel.
En application de l’alinéa 2 de l’article L.621-1 du code de commerce et lorsque le débiteur exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, le tribunal statue sur l’ouverture de la procédure, après avoir entendu ou dûment appelé l’ordre professionnel ou l’autorité compétente dont, le cas échéant, il relève.
Ce texte relatif à la sauvegarde est applicable à la procédure de liquidation judiciaire par renvoi de l’article L.641-1du même code ; il n’impose pas que l’ordre professionnel dont relève le débiteur soit assigné.
Il est constant à la lecture des notes d’audience du tribunal et comme les parties l’ont confirmé à l’audience sur question de la cour, qu’au premier appel de l’affaire, celle-ci a été renvoyée pour mise en cause de l’Ordre des pharmaciens à l’audience du 17 mai 2022.
Si le jugement dont appel ne porte aucune mention relative à la mise en cause du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens qui ne figure pas dans le chapeau du jugement, il ressort toutefois de la note d’audience du 17 mai 2022, transmise à la cour avec le dossier du tribunal, que le conseil du CIC a fait état d’une ‘LRAR’ adressée le ’22/04′ au Conseil de l’Ordre des pharmaciens mais sans aucun retour de ce dernier.
Le CIC verse aux débats la lettre recommandée datée du 22 avril 2022 et son avis de réception marqué du tampon de son destinataire le 26 avril 2022, par laquelle il a informé le Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens d’Ile de France d’une part de l’assignation en liquidation judiciaire devant le tribunal judiciaire de Pontoise délivrée à l’encontre de la société Pharmacie du pont neuf et d’autre part du renvoi effectué le 19 avril 2022 et de la date, de l’heure et du lieu précis à laquelle l’affaire se tiendrait le 17 mai 2022 à 9 heures 30 au tribunal judiciaire de Pontoise ‘chambre du conseil (salle 7)’ avec mention de l’adresse postale du tribunal, ce courrier précisant également que ‘s’agissant de la liquidation judiciaire d’une officine de pharmacie, profession réglementée, la mise en cause de l’Ordre est requise et justifie l’envoi de la présente par pli recommandé AR’.
Ce courrier démontre que le Conseil de l’Ordre a été dûment appelé, au sens de l’article précité, à l’audience à laquelle la liquidation judiciaire de l’appelante a été évoquée, même si le tribunal, par une omission malheureuse, ne l’a pas mentionné dans le chapeau du jugement et dans l’exposé de la procédure qui y figure, peu important enfin que la convocation n’émane pas du greffe du tribunal.
Il n’y a pas lieu par conséquent à annulation du jugement.
Sur l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire :
Après avoir rappelé les dispositions des articles R.640-2 et L.631-1 du code de commerce et l’important réaménagement urbain du quartier dans lequel est située la pharmacie, l’appelante explique qu’il est à l’origine d’une désertification avec une perte conséquente de clientèle et de chiffre d’affaires sans qu’aucune indemnité ne lui ait été versée ; elle fait valoir qu’il existe de sérieux moyens de redressement de son activité et sollicite le bénéfice d’un redressement judiciaire, au regard de ces circonstances exceptionnelles dont elle est victime et qui relèvent de la force majeure et de la spécificité de son activité, observant que la fermeture temporaire d’une pharmacie n’entraîne pas la ruine du fonds et que le redressement doit être examiné au moment où la cour statue.
Elle expose que son dirigeant, pharmacien qui a été très affecté par la situation de l’officine et dans l’incapacité physique de travailler de novembre 2021 à mars 2022, a multiplié les recherches de solutions pour sauver sa pharmacie qu’il exploite depuis 2005, d’abord à titre individuel puis en société depuis 2016 ; qu’ainsi :
– il a obtenu de l’ARS l’autorisation de transférer son activité dans de nouveaux locaux dans un centre commercial en cours de construction, ce transfert permettant la création de cinq emplois ;
– elle est titulaire d’un nouveau bail commercial à des conditions très favorables et qu’un accord est en négociation avec le bailleur pour l’obtention de locaux provisoires pour débuter l’activité au plus tôt, précisant dans ses écritures que les locaux, objet du bail, seront livrés fin 2023 ;
– elle a établi des prévisionnels dont le dernier, daté du 20 décembre 2022, est certifié par son expert-comptable et justifie que dès la reprise de son activité elle pourra faire face à ses charges et à l’apurement du passif actuel de la pharmacie qui y est détaillé ;
– elle doit obtenir une indemnisation de son bailleur, la SCI [R], qui est en discussion pour la vente des murs où elle se situe actuellement, précisant qu’elle n’est plus en mesure de payer son loyer depuis novembre 2020 mais que la SCI n’a pas résilié le bail qui est maintenu à titre gracieux ; elle évoque des pourparlers en cours avec des promoteurs immobiliers après la rétractation de l’un d’eux, précisant qu’un mandat de vente a été donné en juin 2022 ;
– M. [R] a mis en vente sa maison personnelle.
Elle soutient que la liquidation judiciaire aurait pour conséquence l’annulation du bail actuel, l’aggravation de son passif, la perte du nouveau bail et ‘ne serait pas dans l’intérêt général’.
Elle ajoute, en réponse aux conclusions des intimés et à leurs arguments ‘superficiels et non étayés’, qu’à ce jour, le projet d’ouverture se situe non pas à plus de 18 mois mais, au plus tard, à 12 mois et que la période d’observation permettra la réduction de ce délai puisque des solutions de locaux provisoires sont envisagées avec le bailleur et éventuellement la recherche de toute autre solution de restructuration, telle une cession ou une association, permettant de sauvegarder l’officine dont l’activité est d’utilité publique.
Le CIC, qui souligne qu’il détient une créance certaine, liquide et exigible à l’égard de l’appelante en application du jugement du 17 décembre 2021 ayant acquis l’autorité de la chose jugée, expose que l’appelante n’exerce plus aucune activité depuis plusieurs mois, comme l’huissier qui a délivré l’assignation en liquidation judiciaire le 22 mars 2022 l’a en effet constaté. Il relève que d’après ce qu’indique l’appelante, le transfert de son activité n’interviendrait pas au mieux avant la fin de l’année 2023, que celle-ci ne verse aux débats aucun bilan permettant d’analyser son actif et son passif, que son passif est important, que son gérant, en arrêt de travail, est au surplus en incapacité d’exercer ses fonctions de pharmacien et ne les exerce plus depuis plus de deux ans et demi, que les mandats de vente qui ne sont pas datés sont manifestement produits pour les besoins de la cause et que les prévisionnels ne sont guère probants dès lors qu’ils ne s’appuient que sur des hypothèses de sorte qu’aucune perspective de redressement n’est objectivement envisageable.
Le liquidateur judiciaire, relevant que c’est l’appelante elle-même qui précise qu’il faudrait attendre la fin 2023 pour qu’elle puisse transférer son activité dans de nouveaux locaux situés dans un autre quartier, fait valoir qu’à la date de l’appel, les prétendues perspectives de redressement de l’appelante ne pouvaient aboutir que dix-huit mois plus tard, ce qui est en contradiction avec la durée maximale prévue pour la période d’observation en matière de redressement judiciaire ; il fait également état de la durée depuis laquelle l’appelante n’a plus d’activité, de l’incapacité physique de son dirigeant pour exercer ses fonctions, de l’état de cessation des paiements depuis un long délai de la société appelante qui est dans l’incapacité de payer la créance du CIC tandis que d’après le rapport qu’il a établi, le passif privilégié augmenté du passif chirographaire représente une somme totale de 361 306,84 euros qu’il ne peut être question de laisser s’accroître pendant une durée aussi longue que celle projetée par l’appelante alors qu’il n’existe aucune perspective tangible de redressement depuis de nombreux mois ; que de plus M. [R] fait manifestement entrave au déroulement de la procédure collective, ce qui est suffisammment grave pour être sanctionné à ce titre et que son absence de collaboration n’est pas compatible avec la réformation du jugement. Il ajoute également que l’appelante ne dit pas comment elle financera les travaux d’aménagement de ces éventuels nouveaux locaux, qu’un bilan de l’exploitation ne pourra pas être effectué avant au mieux un délai de six mois après le commencement de l’activité, que l’actif susceptible d’être réalisé peut parfaitement l’être dans le cadre d’une liquidation judiciaire, ce qui éviterait d’augmenter le passif dans le cadre d’une période d’observation, qu’enfin, rien n’empêchait l’appelante de réclamer une indemnisation aux collectivités qui lui auraient causé le préjudice dont elle fait état en lien avec le réaménagement urbain dont elle indique avoir été victime.
La société Pharmacie du pont neuf ne conteste pas être en état de cessation des paiements de sorte qu’il appartient uniquement à la cour d’apprécier si le redressement judiciaire de la société est ou non manifestement impossible au regard des textes d’ordre public applicables.
Aux termes du dernier alinéa de l’article L. 631-1 du code de commerce, la procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l’issue de la période d’observation d’une durée de six mois pouvant être renouvelée une fois pour la même durée et exceptionnellement prolongée, à la demande du ministère public, par décision spécialement motivée du tribunal pour une durée maximale de six mois, conformément à l’article L.631-7 du même code.
Selon l’article L.640-1 du même code, il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l’article L 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
Il n’est pas discuté que les locaux que la société Pharmacie du pont neuf a indiqué louer à la SCI [R], situés [Adresse 2], ne sont plus exploités depuis que M. [R], dirigeant des deux sociétés, est en arrêt de travail, l’appelante précisant que le personnel a été licencié mais que le bail n’est toutefois pas résilié.
Si les intimés n’ont pas davantage contesté les explications de l’appelante sur l’important réaménagement urbain qui a affecté le quartier où son dirigeant a exploité son officine de pharmacie depuis 2005, à titre individuel avant la création de la société appelante en 2016, et dont il est précisé que ‘surtout à compter de 2018-2019’il a conduit, suite à la désertification du quartier, à une baisse conséquente de clientèle et de chiffre d’affaires, il appartient à la cour d’apprécier la situation de l’appelante au jour où elle statue.
Il ressort des éléments versés aux débats que :
– M. [R] a été en arrêt de travail à compter non pas de novembre 2021 mais à compter du 12 novembre 2020, celui-ci communiquant son arrêt initial et des avis de prolongation jusqu’au 15 janvier 2022 ; un document destiné à l’assureur du CIC, daté du 25 mai 2022, confirme que comme précisé dans les écritures de l’appelante, les arrêts de travail pour maladie de son dirigeant ont été prolongés jusqu’au 20 mars 2022 ;
– l’ ARS, par décision du 24 mars 2022, a autorisé M. [R] à transférer ‘l’officine de pharmacie dont il est titulaire [Adresse 2] vers le [Adresse 9] au sein de la même commune’ ;
– la société Pharmacie du pont neuf a conclu le 4 novembre 2019 un bail commercial en état futur d’achèvement sous conditions suspensives portant sur un local commercial d’une surface d’environ 295 m² situés [Adresse 9], ce bail étant conclu pour une durée de dix ans commençant à courir à compter de la livraison du bâtiment au preneur, étant précisé par l’appelante dans ses écritures que ces locaux ‘seront livrés fin 2023’ ;
– le ‘plan de financement et compte de résultat prévisionnel’ le plus récent, visé le 20 décembre 2022 par une société d’expertise comptable, mentionne un chiffre d’affaires de 1 500 000 euros dès la première année, en progression de 33 % et de 25 % les années suivantes et un stock de départ de 165 000 euros ; il envisage notamment l’emploi de trois salariés pour un total de salaires annuels outre les charges de 180 000 euros la première année ainsi que le paiement d’un salaire et de charges pour le gérant à hauteur de 66 000 euros la première année et le règlement du passif évalué à 445 000 en quatre années par l’affectation de la totalité du résultat annuel à ce règlement ;
– le passif déclaré selon la liste des créances communiquée par le liquidateur judiciaire et hors passif prévisionnel, s’élevait au 17 juin 2022 à 281 387,87 euros à titre privilégié et 39 005,20 euros à titre chirographaire ;
– d’après le rapport du liquidateur judiciaire daté du 20 juin 2022, M. [R] a déclaré ne plus avoir de stock de médicaments hormis des produits périmés.
Il n’est cependant pas fourni de précision sur la méthode d’évaluation du chiffre d’affaires prévisionnel et il n’a été communiqué, ni à la cour, ni au liquidateur judiciaire, qui note dans son rapport que ni le dirigeant ni la société débitrice n’ont répondu aux convocations fixées, d’éléments comptables permettant d’apprécier le montant de ce chiffre d’affaires par rapport à celui réalisé par l’appelante jusqu’en novembre 2020 ou à tout le moins jusqu’en 2018 et 2019, eu égard aux difficultés qu’elle a rencontrées à partir de cette date.
En outre, la mise en oeuvre de ce prévisionnel suppose que la pharmacie dispose de locaux où une activité viable puisse être exploitée.
Or, alors que la pharmacie est fermée depuis plus de deux ans, l’appelante n’alléguant pas que l’officine aurait été de nouveau ouverte entre la fin de l’arrêt de maladie de son dirigeant et l’ouverture de la liquidation judiciaire et alors que son activité ne peut plus être exploitée dans ses anciens locaux, il ressort de ses propres explications qu’elle ne peut pas disposer avant la fin de l’année 2023 des locaux pour lesquels elle a signé le bail précité.
Au jour de l’audience et bien que ce bail ait été signé depuis le 4 novembre 2019 et l’appel diligenté à l’encontre du jugement de liquidation judiciaire depuis plus de six mois, il n’a pu être produit à la cour
d’éléments sur les locaux provisoires dans lesquels la société appelante prétend pouvoir débuter son activité dans un délai compatible avec la durée de toute période d’observation préalable à l’établissement éventuel d’un plan de redressement.
Surtout, il n’est pas précisé comment pourraient être financés tant le coût de cette installation même provisoire et des médicaments et autres produits nécessaires à la reconstitution d’un stock minimal dont l’appelante ne dispose plus, que l’existence d’une trésorerie indispensable au paiement des charges courantes et des salariés dont l’embauche est envisagée, sachant que depuis 2020, l’appelante ne rembourse ni les mensualités de l’emprunt financé par le CIC ni le loyer dû à la SCI dirigée par M. [R].
En effet, l’appelante qui évoque en page 9 de ses conclusions, à propos de son projet de prévisionnel de juin 2022, ‘une association actuellement en pourparlers avancés’ n’en justifie pas, pas plus qu’elle ne démontre pouvoir disposer rapidement de fonds disponibles ; le promoteur qui a conclu le 24 juillet 2020 une promesse unilatérale de vente avec la société [R] s’est rétracté de sa promesse le 23 février 2022 en invoquant la non réalisation d’une condition suspensive prévue à la promesse ; l’appelante ne prouve ni le règlement de l’indemnité forfaitaire d’immobilisation dont elle affirme, sans l’établir au demeurant, qu’elle lui serait due par ce promoteur ni l’avancement des pourparlers invoqués sur la vente à un autre promoteur du bien immobilier situé dans cette zone en réaménagement alors que les éléments qu’elle communique à cet égard datent du 23 novembre 2018 et du 16 février 2022, la seule signature d’un mandat de vente daté du 2 juin 2022 étant insuffisante pour le démontrer.
Enfin, si l’appelante indique aussi que son dirigeant a mis en vente la maison où il réside, il n’est cependant communiqué qu’un seul mandat de vente, de surcroît non daté.
Dans ces circonstances, le redressement de la société Pharmacie du pont neuf dont il n’est pas établi qu’elle dispose de fonds lui permettant de financer sa période d’observation sans aggraver l’état de son endettement, est manifestement impossible ; il convient par conséquent de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf à préciser qu’il convient d’ouvrir et non de prononcer la liquidation judiciaire, étant observé que la date de cessation des paiements fixée par le tribunal ne fait l’objet d’aucune discussion à titre principal.
La situation respective des parties et les circonstances dans lesquelles la société Pharmacie du pont neut a été amenée à cesser son activité ne justifient pas en équité de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Déboute la société Pharmacie du pont neuf de sa demande d’annulation du jugement ;
Confirme le jugement du 24 mai 2022 en toutes ses dispositions, sauf à préciser qu’il convient d’ouvrir et non de prononcer la liquidation judiciaire de la société Pharmacie du pont neuf ;
Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens de la procédure d’appel seront recouvrés en frais privilégiés de la procédure collective.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,