COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 09 Mars 2023
N° RG 21/00797 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GVSL
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de THONON LES BAINS en date du 04 Mars 2021, RG 2019J02503
Appelant
M. [H] [Z]
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]
Représenté par la SELARL FRANCINA AVOCATS, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
Intimée
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE, dont le siège social est sis [Adresse 4] – prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL RIMONDI ALONSO HUISSOUD CAROULLE PIETTRE, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 10 janvier 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
A la suite d’une offre émise le 26 décembre 2012 et acceptée le 10 janvier 2013, la société crédit agricole mutuel des Savoie accordait à la société Anthomea ayant pour gérant M. [C] [R], un contrat global de trésorerie sous la forme d’une ouverture de crédit en compte courant d’un montant maximum de 80 000 euros moyennant un taux d’intérêt annuel variable à l’origine de 4,90 % majoré de 1,70 %, soit un taux initial de 6.60 % l’an. M. [C] [R] garantissait la dette en tant que caution solidaire.
A la suite de la cession des parts sociales, M. [H] [Z] devenait le nouveau gérant de la société Anthomea et, par avenant au contrat de prêt en date 31 octobre 2013, la banque octroyait à M. [C] [R] la main levée de son engagement de caution, ce dernier étant repris par M. [H] [Z] dans la limite de la somme de 80 000 euros.
Le 1er juillet 2016, une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société Anthomea était ouverte devant le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains. Par courrier recommandé du 3 août 2016, la société crédit agricole mutuel des Savoie déclarait sa créance entre les mains du mandataire judiciaire pour un montant de 80 120,92 euros au titre du crédit de trésorerie. Cette somme était admise au passif de la société Anthomea outre intérêts postérieurs.
Le 20 avril 2017, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains a prononcé la liquidation judiciaire de la société Anthomea.
Le 10 septembre 2018, le liquidateur judiciaire de la société Anthomea, a indiqué à la société crédit agricole mutuel des Savoie que sa créance était irrécouvrable dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire.
Par courrier du 3 mai 2019, la société crédit agricole mutuel des Savoie a mis en demeure M. [H] [Z] de régler sous quinzaine les sommes dues en vertu de son engagement de caution.
Aucun versement n’a été réalisé par Monsieur [Z].
Par acte du 2 août 2019, la société crédit agricole mutuel des Savoie a alors assigné Monsieur [H] [Z] en paiement.
Par décision du 4 mars 2021, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains a :
– jugé la demande de la société crédit agricole mutuel des Savoie recevable et bien fondée,
– condamné M. [H] [Z] à payer au crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 80 000 euros outre intérêts au taux légal courus et à courir du 21 mai 2019 jusqu’à parfait paiement, au titre de son engagement de caution,
– prononcé la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,
– dit que M. [Z] [H] pourra s’acquitter de son engagement par 24 versements mensuels égaux et consécutifs,
– dit que le premier versement devait avoir lieu dans les 10 jours de signification de la présente décision et que, faute pour lui de payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes restant dues deviendrait immédiatement exigible de plein droit,
– dit qu’il n’y a pas lieu à l’article 700 du code de procédure civile,
– dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire,
– condamné M. [H] [Z] aux entiers dépens.
Par déclaration du 12 avril 2021, M. [H] [Z] a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 juillet 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [H] [Z] demande à la cour de :
– déclarer son appel recevable et bien fondé,
– infirmer la décision rendue le 4 mars 2021 par le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains, en ce qu’il :
– a jugé la demande de la société crédit agricole mutuel des Savoie recevable et bien fondée,
– l’a condamné à payer à la société crédit agricole mutuel des Savoie la somme de 80 000 euros outre intérêts au taux légal courus et à courir du 21 mai 2019 jusqu’à parfait paiement, au titre de son engagement de caution,
– a prononcé la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,
– l’a débouté de sa demande liée à l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamné aux entiers dépens.
statuant à nouveau,
à titre principal,
– dire et juger que le cautionnement solidaire consenti le 31 octobre 2013 à hauteur de 80 000 euros est manifestement disproportionné par rapport à ses revenus et charges au jour de la souscription dudit engagement, notamment en tenant en compte de son endettement,
– dire et juger que la société crédit agricole mutuel des Savoie n’a pas respecté son obligation de vérification de la proportion devant exister entre d’un côté, l’engagement de caution qu’elle lui a fait souscrire et de l’autre, son patrimoine et ses capacités de remboursement,
– dire et juger que le crédit agricole mutuel des Savoie a manqué à son devoir de proportion, à son obligation d’information, de conseil, de loyauté et de mise en garde à son égard,
– dire et juger que la société crédit agricole mutuel des Savoie ne peut se prévaloir de son cautionnement pour le compte de la société Anthomea,
– condamner la société crédit agricole mutuel des Savoie à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice en raison des manquements du prêteur,
à titre subsidiaire,
– réduire la somme due à 80 000 euros,
– lui octroyer un délai de 24 mois pour les sommes dues, conformément aux dispositions de l’article 1244-1 du code civil, devenu article 1343-5 du code civil,
en tout état de cause,
– débouter la société crédit agricole mutuel des Savoie de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société crédit agricole mutuel des Savoie à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même aux entiers dépens de premier instance et d’appel dont distraction au profit de maître Francina sur son affirmation de droits.
En réplique, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société crédit agricole des Savoie demande à la cour de :
– dire et juger M. [H] [Z] mal fondé en son appel,
– confirmer la décision entreprise, excepté en ce qu’elle a dit que M. [H] [Z] pourra s’acquitter de son engagement par 24 versements mensuels égaux et consécutifs,
statuant à nouveau,
– débouter M. [H] [Z] de sa demande de délais de grâce,
y ajoutant,
– condamner M. [H] [Z] à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [H] [Z] aux entiers frais et dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la proportionnalité de l’engagement de caution
Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.
Conformément aux articles 2288 et suivants du même code, celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même. Le cautionnement ne se présume point. Il doit être exprès et on ne peut l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
L’article L.313-10 du code de la consommation, en vigueur au jour de la signature de l’acte de caution litigieux dispose toutefois qu’un établissement de crédit, un établissement de monnaie électronique, un établissement de paiement ou un organisme mentionné au 5 de l’article L. 511-6 du code monétaire et financier ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement d’une opération de crédit relevant des chapitres Ier ou II du présent titre, conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
L’appréciation de la disproportion se fait donc à la date de la conclusion du contrat de cautionnement, à charge pour la caution de démontrer son existence. Dans l’affirmative, le créancier peut toutefois démontrer que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l’engagement au jour de l’appel en garantie. A défaut, l’acte de cautionnement s’avère inopposable.
Cette disposition est mobilisable par toutes les cautions personnes physiques, qu’elles soient ou non averties.
Pour apprécier factuellement la disproportion, il convient de prendre en considération la situation patrimoniale de la caution dans sa globalité. Sont donc non seulement pris en compte les revenus et les biens propres de la caution mais également tous les éléments du patrimoine susceptibles d’être saisis. Viennent en déduction des actifs ainsi identifiés l’ensemble des prêts et des engagements souscrits par la caution à l’exception de ceux qui auraient été pris postérieurement à la souscription de la garantie litigieuse.
En l’absence d’anomalies apparentes, la fiche déclarative de patrimoine renseignée par la caution au moment de la souscription de l’engagement lui est opposable, conformément à l’article 1104 du code civil, sans que la banque ait à vérifier l’exactitude des éléments financiers déclarés.
En l’espèce, la banque produit une fiche de patrimoine renseignée par M. [H] [Z] et datée du 10 octobre 2013 faisant état de :
– deux crédits en cours (prêt personnel souscrit auprès de la banque postale et prêt immobilier souscrit auprès du CIC pour un total de 72 312,40 euros de capital restant dû représentant 7 119,28 euros de charges annuelles ; les prêts sont notés comme se terminant respectivement en 2015 et 2033 ;
– un cautionnement déjà donné à hauteur de 90 000 euros en faveur du Crédit immobilier ;
– un patrimoine de 127 500 euros (maison de 122 500 dont 90 000 de capital restant dû, deux terrains d’une valeur actuelle de 2 500 euros chacun pour un capital restant dû de 3 250 euros) ;
– des revenus annuels de 23 400 euros ;
– des charges annuelles de 1 200 euros (impôts).
Il convient de noter que le patrimoine immobilier est celui d’une SCI dont M. [H] [Z] est titulaire de 49,75 % des parts. Il verse une pièce montrant que la maison était évaluée en janvier 2013 entre 245 000 et 255 000 euros (pièce n°2). Il explique ainsi la valeur indiquée dans sa fiche de patrimoine (245 000 / 2 = 122 500). Le même raisonnement s’applique quant à la valeur des terrains dont il n’a retenu que la moitié. Il en va encore de même pour le passif lié à ces biens et retenue, contrairement à ce que soutient la banque, à hauteur de la moitié soit 90 000 euros pour la maison et 3 250 euros pour les terrains.
M. [H] [Z], qui se prévaut d’autres engagements de caution à hauteur de 397 000 euros souscrits auprès de la banque populaire, ne rapporte pas la preuve de ce que ces engagements, non mentionnés dans la fiche de patrimoine, auraient été portés à la connaissance de la société crédit agricole mutuel des Savoie.
Il en résulte que la fiche de patrimoine fait apparaître pour M. [H] [Z] un actif patrimonial de 34 250 euros avec un engagement de caution à hauteur de 90 000 euros, et un prêt personnel à hauteur de 2 312,40 euros au moment où il s’engage pour un nouveau cautionnement de 80 000 euros. Même en tenant compte des revenus déclarés dans la fiche de patrimoine (23 400 euros ans soit 1 950 euros par mois sans prendre en compte les charges) force est de constater que ce nouvel engagement était manifestement disproportionné par rapport aux capacités financières de M. [H] [Z].
Pour sa part, la société crédit agricole mutuel des Savoie ne verse aucun élément au débat de nature à démontrer que le patrimoine de la caution est suffisant pour honorer l’engagement au jour de l’appel en garantie.
En conséquence, il convient de dire que le cautionnement litigieux est inopposable à M. [H] [Z]. En conséquence, le jugement déféré sera infirmé et la société crédit agricole mutuel des Savoie sera débouté de ses demandes.
Sur la responsabilité de la banque
M. [H] [Z] précise que le crédit agricole mutuel des Savoie a manqué à son devoir d’information, de conseil et de mise en garde. Il sollicite ainsi une indemnisation à hauteur de 5 000 euros.
La cour rappelle que la banque n’est pas tenue à un devoir de conseil, sauf à s’immiscer dans les affaires de son client. Elle ne le serait que s’il était rapporté que le conseil était expressément demandé par le client dans le cadre des rapports contractuels.
En ce qui concerne les manquements invoqués au devoir de mise en garde et d’information, à les supposer établis, il ne sauraient entraîner une indemnisation que dans la mesure où ils ont causé un préjudice. Or en l’espèce, M. [H] [Z] se contente d’affirmer qu’il a souffert un préjudice sans en apporter les éléments. En outre, il convient de noter que, dans la mesure où il a été jugé que son engagement de caution litigieux était inopposable, aucun préjudice matériel ou financier ne saurait être caractérisé.
En conséquence, M. [H] [Z] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société crédit agricole mutuel des Savoie qui succombe sera tenue aux dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de maître Florent Francina par application de l’article 699 du code de procédure civile. La société crédit agricole mutuel des Savoie sera corrélativement déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile comme n’en remplissant pas les conditions d’octroi.
Il n’est pas inéquitable de faire supporter par le crédit agricole mutuel des Savoie partie des frais irrépétibles exposés par M. [H] [Z] en première instance et en appel. La société crédit agricole mutuel des Savoie sera condamnée à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toute ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute la société crédit agricole mutuel des Savoie de l’ensemble de ses demandes,
Déboute M. [H] [Z] de sa demande de dommages et intérêts,
Condamne la société crédit agricole mutuel des Savoie aux dépens de première instance et d’appel, maître Florent Francina étant autorisé à recouvrer directement auprès d’elle ceux dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision,
Condamne la société crédit agricole mutuel des Savoie à payer à M. [H] [Z] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 09 mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente