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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 10
ARRÊT DU 19 JUIN 2023
(n° , 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/07803 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B3DSF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Avril 2017 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2013069024
APPELANTE
SARL [O]
Ayant son siége social
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 390 080 547
Prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Nicolas PINTO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1408
INTIMEE
SASU EFR FRANCE nouvellement dénommée EG RETAIL
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
N° SIRET : 439 793 811
Prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Représentée par Me COLLIN Océane substituant Me Lin NIN de la SELARL DUCLOS, THORNE, MOLLET-VIEVILLE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0075
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 27 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Edouard LOOS,Président
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Edouard LOOS, Président dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Edouard LOOS, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
Le 17 septembre 1999, la société BP France se substituant à la société Mobil Oil, a conclu avec la société [O] créée par madame et monsieur [O] un contrat portant sur l’exploitation d’une station-service à Gif-sur-yvette (91).
En septembre 2010, la société BP France a informé la société [O] du transfert de la convention à la société EFR France.
A la suite de négociations infructueuses pour modifier le contrat liant la société EFR France à la société [O], la société EFR France a résilié le 7 juin 2013 avec effet au 11 décembre 2013 le contrat du 17 septembre 1999.
Par acte d’huissier de justice en date du 6 novembre 2013, la société [O] a fait assigner la société EFR France devant le tribunal de commerce de Paris afin de la voir condamner au paiement de diverses sommes en réparation du préjudice subi.
* * *
Vu le jugement rendu le 03 avril 2017 par le tribunal de commerce de Paris qui a statué comme suit :
– Dit que les renonciations aux dispositions des articles 1999 et 2000 mentionnés au contrat de location-gérance sont régulières et font la loi des parties ;
– Déboute la Sarl [O] de ses demandes visant les pertes sur mandat ;
– Déboute la Sarl [O] de ses demandes visant l’article L 442-6 I 5° du code de commerce ;
– Condamne la Sasu EFR France, nouvelle dénomination de la Sasu Delek France, à payer à la société [O] la somme de 94 781,80 euros au titre de la prime de fin de contrat, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du présent jugement avec anatocisme ;
– Condamne la Sasu EFR France à restituer la somme de 15 336 euros au titre de la garantie reçue, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du présent jugement avec anatocisme ;
– Condamne la société [O] à payer à la Sasu EFR France la somme de 13 496,52 euros au titre de l’apurement des comptes, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du présent jugement avec anatocisme ;
– Ordonne la compensation judiciaire entre ces condamnations
– Dit qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif
– Ordonne l’exécution provisoire ;
– Condamne la Sasu EFR France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 153,96 euros dont 25,22 euros de TVA.
Vu l’appel déclaré le 11 avril 2017 par la société [O],
Vu l’arrêt prononcé le rendu le 03 février 2020 par la cour d’appel de Paris qui a infirmé le jugement déféré, ordonné une expertise afin d’apprécier le principe et le montant des déficits d’exploitation invoqués par l’appelante pendant les périodes considérées et sursis à statuer sur toutes les demandes,
Vu le rapport d’expertise en date du 09 mai 2022.
Vu les dernières conclusions signifiées le 10 janvier 2023 par la société [O],
Vu les dernières conclusions signifiées le 23 février 2023 par la société EG Retail (France) ,
La société [O] demande à la cour de statuer comme suit :
Vu les articles 1131, 1999 et 2000 du code civil ; Vu l’article L 442-6 I ‘ 5° du code de commerce ; Vu les Accords Interprofessionnels du Pétrole ;
– Juger la Sarl [O] recevable en ses demandes.
– Juger que EG Retail (anciennement dénommée EFR France) ne peut se prévaloir d’une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée d’une obligation essentielle contenue à l’article 3 du préambule des AIP, qu’elle a de surcroît délibérément violé.
– Juger que la société EG Retail ne peut pas mettre à la charge de la Sarl [O] les pertes du mandat dont cette dernière n’avait pas la maîtrise.
En conséquence,
– Juger que EG Retail ne peut pas se prévaloir de la clause de renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil.
Et à titre principal :
– Condamner EG Retail à verser à la Sarl [O] les sommes suivantes :
* 58 660 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2007 au 30 novembre 2008 ;
* 53 216 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2008 au 30 novembre 2009 ;
* 49 531 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2009 au 30 novembre 2010 ;
* 49 946 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2010 au 30 novembre 2011 ;
* 56 553 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2012 au 30 novembre 2013 ;
augmentées des intérêts légaux avec capitalisation conformément à l’article 1154 du code civil à compter du 15 juillet 2013 (Pièces n°12 et 13), date de la réception par EG Retail de la mise en demeure, pour les pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2011 et à compter du 18 mars 2016 pour le dernier exercice (date de mise en état correspondant à la signification des conclusions récapitulatives chiffrant la demande au titre de l’exercice 2012/2013).
A titre subsidiaire et si par impossible, la cour devait entériner le pourcentage de 66% d’imputation de la masse salariale au mandat :
– Condamner EG Retail à payer à la Sarl [O] les sommes figurant en page 43 du rapport d’expertise, soit :
* 51 037 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2007 au 30 novembre 2008 ;
* 45 386 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2008 au 30 novembre 2009 ;
* 42 031 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2009 au 30 novembre 2010 ;
* 42 034 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2010 au 30 novembre 2011 ;
* 48 108 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l’exercice allant du 1er décembre 2012 au 30 novembre 2013 ;
augmentées des intérêts légaux avec capitalisation conformément à l’article 1154 du code civil à compter du 15 juillet 2013 (Pièces n°12 et 13), date de la réception par EG Retail de la mise en demeure, pour les pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2011 et à compter du 18 mars 2016 pour le dernier exercice (date de mise en état correspondant à la signification des conclusions récapitulatives chiffrant la demande au titre de l’exercice 2012/2013)
En tout état de cause :
– Débouter la société EG Retail de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
– Condamner la société EG Retail à verser à la Sarl [O] la somme de 240 514,50 euros au titre du non-respect de ses obligations et de la rupture des relations contractuelles sans préavis tenant compte de la durée des relations établies.
– Condamner la société EG Retail à payer à la Sarl [O] la somme de 94 781,80 euros à titre de sa prime de fin de contrat.
– Condamner la société EG Retail de restituer à la Sarl [O] la caution espèce de 15 336 euros, augmentée des intérêts dus jusqu’à paiement complet.
– Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l’article 1154 du code civil à compter de la demande.
– Condamner la société EG Retail à verser à la Sarl [O] la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel dont les frais d’expertise.
La société EG Retail (France) demande à la cour de statuer comme suit :
Déclarer recevable et bien fondée la société EG Retail en ses présentes écritures, fins et
conclusions,
Sur la prescription,
Vu l’article L 110-4 I du code de commerce ;
– Juger que toute demande de plus de cinq ans, soit antérieure au 6 novembre 2008, est prescrite.
– Confirmer de ce chef le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 2017.
– Constater qu’aucune demande au titre de l’exercice 2012 n’est formulée dans l’assignation du 6 novembre 2013.
– Juger que toute demande au titre de son exercice 2012 est prescrite.
– Déclarer irrecevable la Sarl [O] à solliciter une quelconque demande au titre de ses exercices 2007, 2008 et 2012.
Sur la renonciation à l’indemnisation des pertes du mandat,
Vu l’article 1103 du code civil ; Vu l’article 146 du code de procédure civile ;
– Juger que les renonciations aux articles 1999 et 2000 ne sont pas en contradiction avec les AIP ;
– Juger que la Sarl [O] a renoncé régulièrement et successivement à l’application des articles 1999 et 2000 du code civil par la conclusion du contrat de location-gérance le 16 novembre 1999 puis par le protocole transactionnel du 16 décembre 2004 et par protocole du 19 mars 2013 ;
En conséquence,
– Confirmer le jugement du tribunal de commerce du 3 avril 2017 en ce qu’il a jugé que les renonciations aux dispositions des articles 1999 et 2000 mentionnées au contrat de location-gérance et stipulées transactionnellement sont régulières et font la loi des parties ;
– Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Sarl [O] de l’ensemble de ses demandes en paiement au titre des pertes de mandat et intérêts relatifs pour les exercices 2008 à 2011 et 2013 ;
Sur les pertes du mandat
Vu l’article 1103 du code civil ; Vu l’article 146 du code de procédure civile ;
– Juger que les demandes d’indemnisation des pertes présentées par la Sarl [O] au titre des exercices 2007, 2008 et 2012 sont prescrites ;
– Juger que la renonciation à toutes actions et instances pour l’exercice 2012 qui a été stipulée dans le Protocole transactionnel du 19 mars 2013 rend irrecevable la Sarl [O] à toute réclamation indemnitaire pour l’exercice 2012 ;
– Juger que la Sarl [O] ne justifie pas de pertes issues exclusivement d’éléments dont EG Retail aurait conservé la maitrise ;
– Juger que la Sarl [O] n’affirme pas et ne démontre encore moins avoir été victime d’une quelconque discrimination par rapport à d’autres membres du réseau quant à la fixation des prix ;
– Juger que la Sarl [O] n’affirme pas non plus et ne démontre encore moins que les prix fixés par EG Retail seraient anormalement supérieurs au prix du marché ;
– Juger que les AIP ne mettent nullement à la charge une obligation de combler les pertes d’exploitation éventuelles du pompiste ;
– Juger qu’aux termes des AIP, il y a seulement lieu d’examiner à tout moment la situation d’un pompiste qui estimerait ne pas dégager un résultat d’exploitation positif.
En conséquence,
– Débouter la Sarl [O] de l’ensemble de ses demandes en paiement au titre des pertes de mandat et intérêts relatifs pour les exercices 2007 à 2013.
Si la cour devait juger qu’EG Retail doit indemniser la Sarl [O] de ses pertes,
– Juger que les demandes d’indemnisation des pertes présentées par la Sarl [O] au titre des exercices 2007, 2008 et 2012 sont prescrites ;
– Juger que la renonciation à toutes actions et instances pour l’exercice 2012 qui a été stipulée dans le Protocole transactionnel du 19 mars 2013 interdit à la Sarl [O] d’élever toutes réclamations indemnitaires pour l’exercice 2012 ;
– Juger que le fonds de commerce de station-service donné en location-gérance à la Sarl [O] est unique et indivisible ;
– Juger que l’économie du contrat doit s’apprécier dans son ensemble sans ventilation entre les activités carburant des activités dites annexes ;
– Juger que la ventilation des pertes en fonction des activités de la Sarl [O] est contraire tant à l’économie du contrat de location-gérance qu’à la lettre de l’article 2000 du code civil ;
– Juger que la ventilation des pertes en fonction des activités de la Sarl [O] n’est pas conforme aux règles comptables ;
– Juger que seul le total du solde déficitaire cumulé des résultats nets non prescrits doit être pris en compte pour apprécier les pertes du mandataire ;
En conséquence,
– Limiter le montant alloué au titre de l’indemnisation des pertes du mandataire au total du solde déficitaire cumulé des résultats nets sur les exercices 2009, 2010, 2011 et 2013 (soit ‘ 28 190 euros).
Si la cour devait juger nul le protocole transactionnel du 19 mars 2013,
– Déduire la somme versée de 13 000 euros par EG Retail à la Sarl [O] au titre du protocole transactionnel du 19 mars 2013 du total des soldes déficitaires cumulés sur les résultats nets 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013 pour fixer le montant des pertes du mandataire.
Sur la rupture des relations commerciales
Vu l’article 1103 du code civil ; Vu l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce ;
– Constater que le préavis contractuel est fixé à 3 mois
– Constater que le préavis effectif exécuté a été d’une durée de 6 mois,
– Juger que le préavis de résiliation exécuté était suffisant,
En conséquence,
– Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Sarl [O] de sa demande d’indemnisation au titre de la rupture des relations commerciales,
Si la cour devait juger insuffisant le préavis,
Vu l’article 1103 du code civil ; Vu l’article L.442-6-I-5° du Code de commerce ;
– Constater que la marge commerciale pour activités annexes est de 34 490 euros en 2012 ;
– Juger que l’indemnité allouée à la Sarl [O] au titre de la rupture brutale ne doit pas intégrer les économies de frais fixes réalisées par la Sarl [O] après la rupture du contrat avec EG Retail ;
En conséquence,
– Déduire la somme de 133 887 euros au titre des frais fixes économisés de l’indemnisation annuelle allouée à la Sarl [O].
Sur l’appel incident sur la prime de fin de contrat et le dépôt de garantie en espèces,
Vu l’article 1103 du code civil ; Vu les articles 1347 et 1348 du code civil ;
– Constater que la Sarl [O] est débitrice à l’encontre de EG Retail de 13 496,52 euros au titre de la situation de fin de gérance,
– Constater que EG Retail bénéfice d’un dépôt de garantie en espèces de 15 336,37 euros ;
– Constater que EG Retail a versé à la Sarl [O] les intérêts légaux courus depuis la date de constitution du dépôt de garantie,
En conséquence,
– Juger que la Sarl [O] a commis une faute grave en ne restituant pas les sommes dues à la société EG Retail à l’issue du préavis,
-Infirmer le jugement en ce qu’il a condamné :
La société EG Retail à verser 94 781,80 euros au titre de la prime de fin de contrat,
La société EG Retail à restituer le dépôt de garantie,
– Débouter la société [O] de ses demandes, fins et conclusions.
– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la Sarl [O] à payer 13 496,52 euros à EG Retail en principal assortie des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la date du jugement,
– Confirmer, en tant que de besoin, le jugement en ce qu’il a ordonné la compensation des créances et dettes réciproques,
– Ordonner la restitution par la Sarl [O] des sommes versées par EG Retail dans le cadre de l’exécution provisoire prononcée par jugement du 3 avril 2017.
En tout état de cause,
– Condamner la Sarl [O] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner la Sarl [O] aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
A) Sur la résiliation du contrat
a) Sur la prescription
La société [O] soutient que la prescription n’est pas acquise aux motifs que les résultats comptables de l’exercice 2007-2008 n’ont pu être connus que courant 2009, période non couverte par la prescription. La connaissance du caractère déficitaire de l’exercice à titre prévisionnel ne permet pas de connaitre le montant réel du déficit. Concernant, l’exercice 2011-2012, aucune demande n’est formulée.
La société EG Retail soutient, au visa de l’article L 110-4 du code de commerce et de la loi du 17 juin 2008, que l’action est prescrite aux motifs qu’aucune demande pour des faits ou actes juridiques antérieurs au 6 novembre 2008 ne peut être formulée et donc au terme de l’exercice comptable 2007, soit le 30 novembre 2008, la prescription est acquise. Dès lors que la requérante recevait mensuellement ses résultats comptables, elle avait connaissance du caractère déficitaire de l’exercice. L’arrêt des comptes sociaux au 30 novembre 2008 est sans incidence. Elle soutient également, au visa de l’article 482 du code de procédure civile, que la cour de céans n’est pas liée par l’arrêt avant dire droit du 3 février 2020.
Ceci étant exposé, le point de départ de la prescription de 5 années prévue à l’aticle 2224 du code civil se situe au jour de la connaissance du dommage .
La société appelante est bien fondée à soutenir n’avoir eu connaissance que postérieurement à sa clôture du caractère déficitaire de l’exercice portant sur la période du 1er/12/2007 au 30/11/2008. La demande présentée à ce titre n’est pas prescrite puisque l’assignation délivrée le 6 novembre 2013 est intervenue dans un délai inférieur à 5 années suivant la connaissance du caractère déficitaire de l’exercice clos le 30 novembre 2013.
Aucune demande n’étant formée concernant l’exercice comptable 2011/2012, le moyen relatif à la prescription de cette partie de la demande n’a pas à être examiné.
b) Sur la renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil
La société [O] soutient que la renonciation n’est pas valable aux motifs que c’est le mandant qui fixe les modalités de l’activité ”carburants” dont les prix à la pompe. De surcroit, la renonciation stipulée est contraire aux dispositions du préambule des accords interprofessionnels et les termes de cette renonciation sont incompréhensibles pour les non-juristes. L’intimée ne peut se prévaloir, sans être de mauvaise foi, d’une quelconque faute contractuelle de sa part puisqu’elle n’a pas rehaussé le montant des commissions ou tout au moins, équilibré le mandat carburant.
La société EG Retail soutient que la renonciation est valable aux motifs que le contrat d’adhésion exclut l’application des articles 1999 et 2000 du code civil. Les dispositions des articles précités ne sont pas d’ordre public et sont supplétives. La renonciation expresse, explicite et contractuelle est donc légale et valable. Les Accords interprofessionnels ne mettent pas à la charge du mandant une obligation de combler les pertes d’exploitation éventuelles du locataire-gérant. L’engagement d’étudier les comptes constitue la contrepartie de la renonciation du mandataire. Ce dernier ne peut rechercher sa responsabilité afin d’être indemnisé au titre des pertes essuyées à l’occasion de l’exécution du mandat dès lors qu’il a été imprudent en commettant une faute de gestion constituée par la poursuite d’une exploitation qu’il savait déficitaire.
Ceci étant exposé, L’article 1999 du code civil dispose que :
‘Le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour
l’exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu’il en a été promis.
S’il n’y a aucune faute imputable au mandataire, le mandant ne peut se dispenser de faire ces
remboursements et paiement, lors même que l’affaire n’aurait pas réussi, ni faire réduire le
montant des frais et avances sous le prétexte qu’ils pouvaient être moindres’.
L’article 2000 du code civil dispose que ‘ Le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable’.
Si le contrat initial conclu le 14 décembre 1992 entre la société Mobil Oil
Française et la société [O] et le contrat suivant conclu entre les mêmes parties le 27 octobre 1994 stipulent que la rémunération du gérant sera forfaitaire et si le protocole transactionnel conclu le 19 mars 2013 entre la société Pobudeski et la société Delek comporte pour la période considérée (du 01/12/2011 au 30/11/2012) renonciation à réclamer les sommes dues en application des articles 1999 et 2000 du code civil cette renonciation n’est pas valable dans la mesure où elle porte sur l’activité ‘carburants’ pour laquelle la société intimée fixait le prix de vente de carburants, les modalités précises de reversement de ce prix et les horaires d’ouverture de la station, conservant ainsi de façon incontestable la maîtrise de cette activité représentant une part importante de l’activité globale de la station . Cette renonciation serait également contraire au préambule des accords interprofessionnels (AIP).
Il doit également être relevé qu’il résulte de termes mêmes des contrats conclus entre les parties que les comptes de l’activité ‘carburants’ ne sont pas fongibles avec ceux de l’activité ‘produits autres que les carburants / activités commerciales de diversification’ de telle sorte
que les appelants sont fondés à invoquer les déficits de la seule activité ‘carburants’, peu
important l’absence de discrimination entre les autres membres du réseau.
c) Sur la ventilation des comptes par activités
La société [O] soutient que la ventilation entre l’activité sous mandat et les activités annexes est fondée au motif qu’il est contractuellement institué un double régime juridique selon l’activité principale et celles qui sont annexes. Ces dernières n’ont pas vocation à combler l’insuffisance des commissions destinées à couvrir les charges du mandat. L’individualisation des pertes du seul mandat de vente de carburants est un préalable à l’indemnisation de l’exploitant de station-service.
La société EG Retail soutient en revanche, au visa de l’article 1134 du code civil, que la ventilation entre l’activité sous mandat et les activités annexes est infondée au motif que le fonds de commerce est indivisible. Il ressort des termes du contrat en cause que les parties ont expressément convenu que les activités de vente de carburants et d’articles annexes étaient indivisibles. Sans être remise en cause par le mandat, l’unicité des activités du fonds de commerce résulte de l’imbrication et de l’interdépendance de celles-ci, des accords interprofessionnels de 1994 et du plan comptable général, notamment l’obligation de fournir une comptabilité qui reflète l’image réelle de la société.
Ceci étant exposé, il convient de procéder à la ventilation dans la mesure où la partie du fond de commerce relative au carburant est exploitée sous l’entière maîtrise du mandant qui décide de la fixation des prix, des horaires d’ouverture de la station, des modalités de livraisons, des quantités, du stockage, des moyens de paiement et des modalités de reversement de la recette . Ainsi que ci-dessus jugé, la société [O] n’a pas renoncé aux pertes du mandat, dont elle n’avait pas la maîtrise.
Ces pertes n’ont pas à être compensées avec les profits réalisés dans la gestion indépendante de la partie commerciale du fonds de commerce exploitée hors mandat.
d) Sur les sommes dues
Sans nécessité de reprendre dans le détail tous les éléments développés dans le rapport d’expertise, il convient d’arbitrer la prise en compte de la redevance pétrolière soit par rapport à la surface occupée par les activités respectives (approche n°1) soit en prenant pour référence le chiffre d’affaires du distributeur (approhe n°2). La cour estime que l’approche n°2 basée sur le rapport entre les encaissements carburants du distributeur et le chiffre d’affaires généré par les activités annexes restitue mieux la réalité comptable par une approche économique alors que la répartition par surfaces occupées est plus arbitraire , certaines surfaces pouvant indifféremment être affectées à l’une ou l’autre activité .
Dans ces conditions, la clé de répartition sera chiffrée à 87 % au titre de la redevance pétrolière.
Au vu du rapport d’expertise que la cour entend homologuer, les sommes suivantes seront allouées à la société [O] au titre de ses pertes de mandat (outre les intérêts selon des modalités chiffrées dans le dispostif) :
Exercice décembre 2007/30 novembre 2008 : 54 891 euros
Exercice décembre 2008/30 novembre 2009 : 51 037 euros
Exercice décembre 2009/30 novembre 2010 : 45 386 euros
Exercice décembre 2010/30 novembre 2011 : 42 031 euros
Exercice décembre 2012/30 novembre 2013: 48 108 euros
B) Sur les autres demandes
a) Sur la rupture du contrat
La société [O] soutient, au visa de l’article L 442-6 I ‘ 5° du code de commerce, que la rupture du contrat est abusive et brutale aux motifs qu’elle est consécutive aux demandes de remboursement des pertes du mandat et de révision des conditions d’exploitation, et que la durée de préavis contractuellement prévue n’est pas proportionnelle à la durée des relations contractuelles. En l’espèce, les relations étaient établies, soit depuis 21 ans avec Mobil Oil, soit depuis 13 ans avec BP France. Le préjudice résultant de cette rupture abusive et brutale est constitué par la privation soudaine des ressources financières pour subvenir aux besoins des gérants. Ces derniers n’ont pas droit à l’allocation de retour à l’emploi et ne peuvent faire valoir leur droit à la retraite. En conséquence, il est demandé une indemnisation à hauteur de 240 514,50 euros distincte de celle liée au remboursement des pertes du mandat.
La société EG Retail soutient, au visa des articles 1134 du code civil et L 442-6-I-5° du code de commerce, que la rupture du contrat n’est ni abusive ni brutale aux motifs qu’elle a respecté le délai de préavis stipulé conformément aux accords interprofessionnels. La requérante ne démontre pas en quoi un préavis de six mois lui aurait permis d’organiser sa reconversion et en quoi il y aurait une situation de dépendance économique. De surcroit, le montant sollicité à titre d’indemnisation d’un éventuel préjudice n’est pas fondé.
Ceci étant exposé, il résulte des dispositions de l’article L442-1 II du code de commerce que:
‘Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.(…)
Dans la présente espèce le contrat de gérance conclu le 17 septembre 1999 entre la société BP France aux droits de laquelle se trouve la société EG Retail et la société Pobudelski a prévu en son article 4 un délai de préavis de 3 mois. Ce délai est conforme au protocole relatif à l’exploitation en location -gérance d’un fonds de commerce de station-service de société pétrolière qui prévoit en son article 3.1 que , pour un contrat à durée indéterminée, le délai de préavis ‘ne devra pas être inférieur à trois mois’.
Dans la présente espèce, par courrier daté du 7 juin 2013 la société Delek France , venant à cette date aux droits de la société BP France, a informé la société [O] de la dénonciation du contrat de location gérance avec prise d’effet au 11 décembre 2013 à minuit.
Compte tenu de la durée des relations commerciales avec la société BP France remontant à 1999 soit 14 années avant leur résiliation et de ce que la société [O] ne justifie ni de la brutalité de la rupture qui a fait suite à des négociations non abouties ni en quoi ce délai aurait été insuffisant pour lui permettre d’organiser sa reconversion, la cour estime que le délai de 6 mois, supérieur de 3 mois à celui du préavis, est suffisant et exclusif d’une rupture brurale de relation commerciale établie au sens de l’article L442-1 II du code de commerce précité .
Cette demande doit être rejetée .
b) Sur la prime de fin de contrat et le dépôt de garantie
La société [O] soutient que la prime de fin de contrat est due aux motifs que le rejet des prélèvements est la conséquence de l’insuffisance des commissions et du défaut d’apurement des comptes par la requérante. Elle considère que si le montant du compte entre les parties indiqué par l’expert est nul, c’est en raison de l’exécution du jugement déféré. Elle soutient également qu’un droit de rétention doit lui être alloué dans l’attente de l’apurement des comptes. La société appelante sollicite la confirmation du jugement qui a condamné l’intimée à lui restituer le dépôt de garantie.
La société EG Retail soutient que la prime de fin de contrat n’est pas due conformément aux accords interprofessionnels aux motifs que l’intimée n’a pas respecté ses obligations dès lors qu’elle a refusé de lui restituer les recettes de l’activité de carburant. Les prélèvements n’ont pas été effectués pour défaut de provision de l’intimée. Elle soutient également, au visa de l’article 1347-1 du code civil, qu’il n’y a pas lieu en l’espèce à procéder par compensation et que l’intimée doit lui restituer la somme perçue au titre de la prime de fin de contrat.La société EG Retail s’oppose à la restitution du dépôt de garantie.
Ceci étant exposé, par de justes motifs que la cour adopte, les premiers juges ont dressé comme suit les comptes entre les parties :
Compte débiteur en fin d’exercice de la société [O] : 13 062,91 euros
Solde débiteur sur apurement des comptes : 433,61 euros
Soit : 13 496,52 euros
Dépot de garantie : 15 336,37 euros
Prime de fin de contrat : 94 781, 80 euros :
Le jugement doit être confirmé en ce qu’il a condamné la société EFR devenue EG retail à verser à la société [O] les sommes de 94 781, 80 euros et de 15 336 euros et en ce qu’il a condamné la société [O] à verser à la société EFR devenue EG retail la somme 13 496, 52 euros outre les inétrêts, capitalisation et compensation.
L’expert judiciaire a examiné ces comptes et ne les a pas remis en cause.
Le jugement doit être confirmé de ce chef .
Une indemnité doit être allouée à la société appelante sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
VU le rapport d’expertise ;
DIT les demandes non prescrites ;
INFIRME le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société [O] de ses demandes au titre de la perte de mandats ;
Statuant de nouveu de ce chef :
CONDAMNE la société EG Retail à verser à la société [O] les sommes suivantes :
* 54 891 euros au titre des pertes du mandat pour l’exercice allant du 1er décembre 2007 au 30 novembre 2008 ;
* 51 037 euros au titre des pertes du mandat pour l’exercice allant du 1er décembre 2008 au 30 novembre 2009 ;
* 45 386 euros au titre des pertes du mandat pour l’exercice allant du 1er décembre 2009 au 30 novembre 2010 ;
* 42 031 euros au titre des pertes du mandat pour l’exercice allant du 1er décembre 2010 au 30 novembre 2011 ;
* 48 108 euros au titre des pertes du mandat pour l’exercice allant du 1er décembre 2012 au 30 novembre 2013 ;
augmentées des intérêts légaux avec capitalisation conformément à l’article 1343-2 du code civil à compter du 15 juillet 2013, pour les pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2011 et à compter du 18 mars 2016 pour le dernier exercice ;
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus ;
CONDAMNE la société EG Retail aux dépens qui comprendront les frais d’expertise ;
CONDAMNE la société EG Retail à verser à la société [O] a somme de 12 000 euros sur le fondement sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ E.LOOS