Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom
(*) Vos données sont traitées conformément à notre Déclaration de Protection des Données Vous disposez d’un droit de rectification, de limitation du traitement, d’opposition et de portabilité.

Filmer la propriété de ses voisins : un trouble manifestement illicite

Filmer la propriété de ses voisins : un trouble manifestement illicite

conseil juridique IP World

Constitue un trouble manifestement illicite le fait de filmer l’intérieur de la propriété et donc l’intimité de son ou ses voisins.

Aux termes de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite visé par ce texte s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Il doit être actuel au moment où le juge des référés statue et la cour d’appel, saisie de la décision rendue par ce dernier, doit apprécier sa réalité au jour où il a statué.

L’article 9 alinéa 1 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Par ailleurs, si l’article 544 du même code confère le droit de jouir, de la manière la plus absolue, des choses dont on est propriétaire, leur usage ne peut s’exercer en contrariété des lois et règlement ni être source, pour la propriété d’autrui, bénéficiant des mêmes prérogatives, d’un dommage excédant les inconvénients normaux de voisinage.

 


 

15 juin 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
22/05561

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 15 JUIN 2023

N° 2023/ 422

Rôle N° RG 22/05561 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJHK2

S.A.R.L. [X] FRERES

C/

[K] [B]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Yasmina SANSOE

Me Patrick GIOVANNANGELI

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de DRAGUIGNAN en date du 16 Mars 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/06770.

APPELANTE

S.A.R.L. [X] FRERES

Prise en la personne de son gérant en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 7]

représentée par Me Yasmina SANSOE, avocat au barreau de GRASSE

INTIME

Monsieur [K] [B]

né le 23 février 1962 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Patrick GIOVANNANGELI de l’AARPI GIOVANNANGELI COLAS, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 09 mai 2023 en audience publique devant la cour composée de :

M. Gilles PACAUD, Président rapporteur

Mme Angélique NETO, Conseillère

Madame Myriam GINOUX, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [K] [B] est propriétaire, sur la commune de [Localité 6], d’une propriété cadastrée section K numéro[Cadastre 3]4 sur laquelle sont édifiés une maison à usage d’habitation et des locaux commerciaux.

La société civile immobilière (SCI) La Lombardie est propriétaire d’une parcelle voisine, cadastrée section K numéro [Cadastre 2], sur laquelle ont été édifiés des locaux commerciaux donnés à bail à la société à responsabilité limitée (SARL) [X] Frères.

Lui reprochant d’avoir installé sur son fonds des caméras de surveillance filmant sa propriété, M. [B], a, par acte d’huissier en date du 15 octobre 2021, fait assigner la SCI La Lombardie devant le président du tribunal judiciaire de Draguignan, statuant en référé, aux fins, au principal, de l’entendre condamner, sous astreinte, à les réorienter.

La SARL [X] Frères est intervenue volontairement à l’instance.

Par ordonnance contradictoire en date du 16 mars 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan a :

– mis hors de cause la SCI La Lombardie ;

– reçu l’intervention volontaire de la SARL [X] Frères ;

– ordonné à la SARL [X] Frères de réorienter les caméras de vidéo-surveillance qu’elle a installées sur la façade de la SCI La Lombardie Immobilier de sorte que la propriété de M. [B] ne soit plus visible à l’image et d’en justifier à M. [K] [B] dans le délai de deux semaines à compter de la signification de son ordonnance, sous astreinte de 15 euros par jour de retard pendant un délai de deux mois, passé lequel il pourrait être procédé à la liquidation de l’astreinte provisoire et au prononcé éventuel d’une nouvelle astreinte ;

– condamné la SARL [X] Frères à payer à titre provisionnel à M. [K] [B] la somme de 500 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral ;

– condamné la SARL [X] Frères à payer à titre provisionnel à M. [K] [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il a notamment considéré que, même si la SARL [X] Frères a versé aux débats un procès-verbal de constat d’huissier attestant qu’un cache noir masque toutes les zones se trouvant sur la propriété de M. [B], ledit cache est géré par ordinateur, sans qu’il soit possible de déterminer qui a des droits sur ce logiciel, de sorte qu’il ne saurait suffire à garantir le respect de la vie privée du requérant.

Selon déclaration reçue au greffe le 13 avril 2022, la SARL [X] Frères a interjeté appel de cette décision, l’appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 23 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu’elle réforme l’ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :

– dise n’y avoir lieu à référé ;

– renvoie M. [K] [B] à se pourvoir ainsi qu’il en avisera ;

– déboute M. [K] [B] de l’intégralité de ses demandes comme se heurtant à des contestations sérieuses faisant obstacle à la compétence du juge des référés ;

– condamne M. [K] [B] au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris le coût du constat d’huissier dressé par Maître [T] le 25 mars 2022.

Par première et dernières conclusions transmises le 5 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [K] [B] sollicite de la cour qu’elle :

– dise et juge que l’orientation des caméras de vidéo-surveillance installées par la SARL [X] Frères sur les locaux de la SCI La Lombardie Immobilier permettent une vue directe sur sa propriété ;

– dise et juge qu’il subit un trouble manifestement illicite ;

– confirme en conséquence l’ordonnance entreprise en l’ensemble de ses dispositions ;

– déboute la SARL [X] Frères de ses demandes ;

– condamne la SARL [X] Frères à lui payer une indemnité d’un montant de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamne la SARL [X] Frères aux entiers dépens.

Par courrier en date du 11 avril 2023, le conseil de la SARL [X] Frères a sollicité de la cour que, par application des dispositions de l’article 905-2 du code de procédure civile, elle déclare d’office irrecevables les conclusions de M. [B] transmises par RPVA le 5 avril 2023.

L’instruction de l’affaire a été close par ordonnance en date du 12 avril 2023.

Par soit-transmis en date du 22 mai la cour a informé les conseils des parties qu’elle entendait soulever d’office la question de la recevabilité, en regard des dispositions de l’article 905-2 du code de procédure civile, des conclusions transmises et notifiées par M. [B] le 5 avril 2023. Elle leur a donc imparti un délai, expirant le 26 mai suivant à minuit, pour lui faire parvenir leurs éventuelles observations par le truchement d’une note en délibéré.

Par courrier en date du 26 mai 2023, parvenu à la cour le 2 juin suivant, le conseil de la SARL [X] Frères a renvoyé la cour à son courrier du 11 avril précédent.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des conclusions de l’intimé

Aux termes de l’article 905-2 alinéa 2 du code de procédure civile, l’intimé dispose, à peine d’irrecebabilité relevée d’office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d’un délai d’un mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant un appel incident ou un appel provoqué.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la SARL [X] Frères a transmis son premier jeu de conclusions le 20 juin 2022 soit dans le mois de l’avis de fixation notifié le 20 mai précédent. Le conseil de M. [B], quoique constitué le 23 mai 2022, n’a répliqué que le 5 avril 2023 et donc bien au-delà du délai d’un mois qui lui était imparti par l’article précité.

Ses conclusions doivent dès lors être déclarées d’office irrecevables.

Sur le trouble manifestement illicite

Par application de l’article 954 alinéa 6 du code de procédure civile la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs. Ainsi, la cour qui n’est pas saisie des conclusions de l’intimé, déclarées irrecevables, doit, pour statuer sur l’appel, examiner les motifs de l’ordonnance entreprise ayant accueuilli ses prétentions en première instance.

L’article 906 dernier alinéa du code de procédure civile dispose par ailleurs que les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions déclarées irrecevables sont elles-mêmes irrecevables. Les pièces communiquées par M. [B] et incluses dans la dossier de plaidoirie de son avocat, Maître [Z], seront donc écartées des débats.

Aux termes de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite visé par ce texte s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Il doit être actuel au moment où le juge des référés statue et la cour d’appel, saisie de la décision rendue par ce dernier, doit apprécier sa réalité au jour où il a statué.

L’article 9 alinéa 1 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Par ailleurs, si l’article 544 du même code confère le droit de jouir, de la manière la plus absolue, des choses dont on est propriétaire, leur usage ne peut s’exercer en contrariété des lois et règlement ni être source, pour la propriété d’autrui, bénéficiant des mêmes prérogatives, d’un dommage excédant les inconvénients normaux de voisinage.

Dès lors, par conjugaison de ces textes, constitue un trouble manifestement illicite le fait de filmer l’intérieur de la propriété et donc l’intimité de son ou ses voisins.

En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats qu’entre le 27 juillet 2019 et 11 décembre 2020, M. [I] [X], gérant de la SARL [X] Frères, son frère [G] et Mme [N] [O], sa concubine, ont déposé, auprès de la brigade de gendarmerie de [Localité 5], de multiples plaintes pour des dégradations commises sur l’interphone, un panneau publicitaire, les boîtes aux lettres, les murs, le compteur électrique, un robinet, une colonne d’alimentation en eau, des dalles de couronnement de clôture et la façade du bâtiment de leur entreprise, sise sur la parcelle cadastrée section K numéro [Cadastre 2], située en face de la propriété de M. [B]. Ils ont également, selon leurs dires, été victimes de menaces de mort avec armes de la part de ce dernier et ont dû faire, à au moins une reprise, appel à la gendarmerie pour dégager l’accès à leur fonds obstrué par une pelleteuse intentionnellement positionnée par ce voisin.

C’est dans ce contexte particulièrement tendu et inquiétant qu’ils ont fait installer des caméras de vidéo surveillance destinées, notamment, à identifier le ou les auteurs de ces dégradations.

Ce dispositif s’est avéré efficace puisqu’il a permis d’imputer des faits de dégradations de boîtes aux lettres, commis dans la nuit du 1er au 2 décembre 2019, a une silhouette sortie du domicile de M. [B]. Au demeurant, il s’infère d’une lettre du conseil de ce dernier, en date 26 janvier 2021, que c’est à l’occasion d’une audition par les gendarmes de la brigade de [Localité 5], dans le cadre d’une affaire de rixe distincte, que l’intimé a découvert que ces cameras filmaient l’intérieur de sa propriété.

Il résulte néanmoins du procès-verbal de constat dressé le 22 octobre 2021, soit 7 jours après l’assignation introductive d’instance, par Maître [C] [T], huissier de justice, que ce dispositif d’enregistrement d’images a été pourvu d’un logiciel masquant l’intégralité de la propriété de M. [B]. Par ailleurs la société Sud Digital Sécurité a attesté, le 8 février 2023, qu’elle seule pouvait modifier ou retirer ces caches informatiques.

Il s’induit dès lors de ces pièces que le trouble manifestement illicite invoqué par M. [B], qui s’analyse comme l’action de filmer sa propriété, avait cessé au moment où le premier juge a statué. Ce dernier ne pouvait motiver sa décision sur l’existence d’un dommage imminent, né de la volonté putative, insuffisamment établie au dossier, de la SARL [X] Frères de faire enlever les caches masquant la propriété de M. [B]. Au demeurant, il n’est nullement avéré qu’informée des développements procéduraux de cette affaire, pour laquelle elle a attesté, et des risques d’être considérée comme complice par fourniture de moyens d’une violation de la vie privée, la société Sud Digital Sécurité accepterait de le faire.

Dès lors le trouble manifestement illicite ayant cessé au moment où le premier a statué et l’existence d’un dommage imminent n’étant pas caractérisée, autrement que par de simples conjectures, l’ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu’elle a ordonné, sous astreinte, à la SARL [X] Frères de réorienter ses caméras de vidéo-surveillance qu’elle a installées sur la façade de la SCI La Lombardie Immobilier, de sorte que la propriété de M. [B] ne soit plus visible à l’image, et d’en justifier à M. [K] [B] dans le délai de deux semaines à compter de sa signification.

Sur la demande de provision

Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable … le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence … peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

L’absence de constestation sérieuse implique l’évidence de la solution qu’appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant, laquelle n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

En l’espèce, aucun trouble manifestement illicite n’ayant été caractérisé, M. [B] ne peut qu’être débouté de sa demande de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice moral.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient d’infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a condamné la SARL [X] Frères à payer, à titre provisionnel, à M. [K] [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l’intimée les frais non compris dans les dépens, qu’elle a exposés pour sa défense en première instance et appel. Il lui sera donc alloué une somme de 2 000 euros.

M. [K] [B] supportera en outre les dépens de première instance et d’appel, lesquels n’incluront pas le coût du procès-verbal de constat d’huissier du 22 octobre 2021 puisque ce dernier ne s’analyse pas comme des frais afférents aux instances, actes et procédure d’exécution au sens des dispositions de l’article 695 du code de procédure civile mais relève du régime des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare irrecevables les conclusions transmises et notifiées par M. [B] le 5 avril 2023 ;

Ecarte des débats les pièces produites au soutien desdites conclusions ;

Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation sous astreine de la SARL [X] Frères à réorienter ses caméras de vidéo-surveillance installées sur la façade de l’immeuble de la SCI La Lombardie Immobilier, de sorte que la propriété de M. [B] ne soit plus visible à l’image, et d’en justifier à ce dernier ;

Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice moral de M. [K] [B] ;

Condamne M. [K] [B] à payer à la SARL [X] Frères la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [K] [B] aux dépens de première instance et d’appel qui n’intègreront pas le coût du procès-verbal de constat dressé, le 22 octobre 2021, par Maître [C] [T], huissier de justice.

La greffière Le président

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x