Télétravail : 3 mars 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00026

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Télétravail : 3 mars 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00026
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3 mars 2023
Cour d’appel d’Angers
RG n°
21/00026

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00026 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EYDN.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 14 Décembre 2020, enregistrée sous le n° F19/00671

ARRÊT DU 03 Mars 2023

APPELANTE :

Madame [I] [D]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Séverine LE ROUX-COULON de la SCP LEXMAUGES AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS

INTIMEE :

S.A.S. TS DISTRIBUTION

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me Nicolas BEDON de la SELARL DELAGE BEDON LAURIEN HAMON, avocat postulant au barreau d’ANGERS et par Me Nicolas PINTO, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Décembre 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 03 Mars 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société TS Distribution emploie six salariés et applique la convention collective du commerce de gros / import-export de France métropolitaine.

Par contrat de travail à durée indéterminée du 1er octobre 2014, Mme [I] [D] a été engagée par la société TS Distribution en qualité de modéliste-patronnière, statut employé, niveau E8. Elle percevait en son dernier état un salaire moyen mensuel de 3 033,91 euros brut pour une durée de 35 heures hebdomadaires.

Par courrier du 29 mai 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement pour motif économique prévu le 11 juin 2019.

Le 11 juin 2019, la société TS Distribution lui a remis un courrier en main propre lui transmettant les documents nécessaires au contrat de sécurisation professionnelle et invoquant les motifs de son licenciement. Mme [D] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et le contrat de travail a été rompu le 2 juillet 2019.

Par requête reçue le 18 novembre 2019, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers aux fins de contester le bien fondé de son licenciement et demander le paiement des indemnités afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’une indemnité d’occupation de son domicile à des fins professionnelles pour la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2018, de frais professionnels liés à la situation de télétravail pour la même période, outre une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En défense, la société TS Distribution a soulevé in limine litis l’irrecevabilité de toute demande en paiement d’indemnité d’occupation ou de frais antérieurs au 18 novembre 2017, et sur le fond a sollicité le débouté de Mme [D], outre sa condamnation au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 14 décembre 2020, le conseil de prud’hommes d’Angers a :

– condamné la société TS Distribution à verser à Mme [I] [D] la somme de 644,03 euros au titre de l’indemnité d’occupation de son habitation et au titre des frais professionnels, compte tenu de la prescription biennale ;

– dit que le licenciement de Mme [I] [D] repose sur une cause réelle et sérieuse pour un motif économique, en conséquence l’a déboutée de cette demande ;

– condamné la société TS Distribution à verser à Mme [I] [D] la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– mis les dépens à la charge de la société TS Distribution ;

– débouté la société TS Distribution de ses demandes reconventionnelles.

Pour statuer en ce sens, le conseil de prud’hommes a retenu en premier lieu que Mme [D] exerçait son emploi à son domicile situé à Cholet (49) et non au siège de la société situé à [Localité 4] (93), et que la prescription biennale de l’article L.1471-1 du code du travail était applicable à ses demandes d’indemnité d’occupation et de frais professionnels. En second lieu, il a considéré que, malgré l’absence de mention d’éléments économiques précis dans la lettre de licenciement, les éléments comptables produits par la société TS Distribution attestaient de la réalité de difficultés économiques.

Mme [D] a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 8 janvier 2021, son appel portant sur l’ensemble des dispositions lui faisant grief, énoncées dans sa déclaration.

La société TS Distribution a constitué avocat le 4 mars 2021.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 novembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du conseiller rapporteur du 13 décembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [D], dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 3 septembre 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

– infirmer le jugement dont les dispositions ont :

– condamné la société TS Distribution à lui verser la somme de 644,03 euros au titre de l’indemnité d’occupation de son habitation et au titre des frais professionnels, compte tenu de la prescription biennale ;

– dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse pour un motif économique, en conséquence l’ont déboutée de cette demande ;

Statuant de nouveau :

– juger que l’action en paiement de l’indemnité d’occupation et des frais annexes liés à la situation de télétravail pour la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2018, n’est pas prescrite ;

– en conséquence, condamner la société TS Distribution à lui payer les sommes suivantes :

– 2 955,78 euros net au titre de l’indemnité d’occupation pour la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2018 ;

– 2 432,64 euros net au titre des frais annexes liés à la situation de télétravail pour la période du 1er octobre 2014 au 31 mars 2018 ;

– juger que la lettre de rupture du 11 juin 2019 n’est pas motivée et qu’en conséquence la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse ;

– en conséquence, condamner la société TS Distribution à lui payer les sommes suivantes :

– 9 100 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 6 067,82 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 606,78 euros brut au titre des congés payés sur l’indemnité compensatrice de préavis ;

– condamner la société TS Distribution à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel.

Mme [D] fait valoir que dès son embauche, la société TS Distribution lui a demandé de travailler depuis son domicile à [Localité 3], ce jusqu’au 31 mars 2018, alors qu’elle était établie à [Localité 4], puis à [Localité 5] depuis 1er janvier 2017. Puis à compter du 1er avril 2018, son employeur a pris en location et mis à sa disposition un espace de travail à [Localité 3]. Elle soutient que l’indemnité d’occupation de son domicile à des fins professionnelles et les frais annexes sont soumis à la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil dans la mesure où cette occupation constituait une immixtion dans sa vie privée et n’entrait pas dans l’économie générale du contrat, de sorte que c’est à tort que le conseil de prud’hommes a appliqué la prescription biennale de l’article L.1471-1 du code du travail. Elle affirme ensuite que jusqu’à la rupture du contrat de travail, elle ignorait son droit à réclamer une indemnité d’occupation et les frais annexes dont, selon elle, elle apporte la justification.

Elle prétend ensuite que la cause économique n’est pas évoquée dans la lettre de licenciement ce qui rend la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse. Elle conteste enfin la réalité du motif économique, arguant de ce que la société TS Distribution ne communique aucune donnée chiffrée datant de l’époque de la rupture du contrat de travail.

*

Par conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 24 juin 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la société TS Distribution demande à la cour de :

In limine litis,

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit et jugé irrecevable toute demande en paiement d’indemnité d’occupation ou de frais antérieurs au 18 novembre 2017 ;

– en conséquence, déclarer Mme [D] irrecevable en ses demandes pécuniaires pour la période antérieure au 18 novembre 2017 ;

Sur le fond,

A titre principal,

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement de Mme [I] [D] repose sur une cause réelle et sérieuse pour un motif économique, et en conséquence l’a déboutée de cette demande ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a retenu le principe d’une indemnité d’occupation et l’a condamnée à verser à Mme [I] [D] la somme de 644,03 euros au titre de l’indemnité d’occupation de son habitation et au titre des frais professionnels ;

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes reconventionnelles et l’a condamnée à verser à Mme [I] [D] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau :

– dire et juger que Mme [D] ne rapporte pas la preuve que les sommes réclamées à titre d’indemnité d’occupation ou de frais auraient été exposées à sa demande ;

– débouter Mme [D] de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

– dire et juger que Mme [D] ne rapporte pas la preuve du quantum des sommes réclamées à titre d’indemnité d’occupation ou de frais ;

– dire et juger que Mme [D] ne rapporte pas la preuve des préjudices qu’elle allègue ;

En conséquence,

– débouter Mme [D] de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre très subsidiaire,

– si par impossible la cour devait estimer le motif économique insuffisamment motivé, ramener les dommages et intérêts à un mois de salaire ;

En tout état de cause,

– débouter Mme [D] de ses demandes en paiement d’indemnité d’occupation et de remboursement de frais ;

– condamner Mme [D] à lui payer la somme de 1800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La société TS Distribution fait valoir liminairement qu’en vertu de l’article L.1471-1 du code du travail, les demandes de Mme [D] relatives aux indemnités d’occupation et aux frais professionnels ne peuvent remonter au-delà de deux années à compter de la saisine du conseil des prud’hommes, soit à une période antérieure au 18 novembre 2017. Elle affirme qu’en tout état de cause, Mme [D] avait connaissance de ses droits et se refusait à demander une compensation financière qu’elle n’a formulée, sur incitation de son mari, que postérieurement à son licenciement. Sur le fond, elle conteste lui avoir demandé de travailler à son domicile et n’a fait qu’acquiescer à sa demande pour convenance personnelle alors qu’elle pouvait travailler au siège de la société dont les locaux étaient suffisamment grands pour l’accueillir. Enfin, elle considère que le quantum des demandes est fantaisiste au regard des charges dont elle demande le remboursement et qui ne découlent pas de son travail.

Elle fait observer ensuite que Mme [D] ne conteste pas le motif économique du licenciement dont elle avait conscience du fait de la raréfaction du travail qui lui était confié, ce qui lui a permis de travailler pour le Greta dès 2018, puis pour l’entreprise à qui elle sous-louait un bureau pour elle. Elle ajoute que la salariée se place exclusivement sur le plan formel alors qu’elle n’a pas usé de son droit de demander des précisions et ne peut dès lors se prévaloir d’une insuffisance de motivation de la lettre du 11 juin 2019. Elle entend démontrer par des documents comptables de la décroissance progressive de l’activité de création de patrons depuis 2016 jusqu’à sa complète disparition en 2019 en raison de la crise sévissant depuis des années dans le domaine du textile. Elle indique avoir dû réorienter son activité vers l’import/export de pièces automobiles pour faire face à ses difficultés et éviter le dépôt de bilan.

MOTIVATION

Sur l’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles et les frais annexes

1. Sur la prescription

A titre liminaire, la société TS Distribution se prévaut de la prescription biennale prévue par l’article L.1471-1 du code du travail relatif aux actions portant sur l’exécution du contrat de travail.

Mme [D] lui oppose la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil relatif aux actions personnelles et mobilières.

La prescription applicable dépend de la nature de la créance dont le paiement est poursuivi.

Mme [D] distingue dans ses demandes l’indemnité d’occupation et les frais annexes.

S’agissant des frais annexes qualifiés dans sa requête initiale de frais professionnels, il est acquis qu’ils n’ont pas la nature de salaire. Ils sont soumis dès lors à la prescription biennale prévue par l’article L.1471-1 du code du travail pour avoir été générés en exécution du contrat de travail.

L’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n’entre pas dans l’économie générale du contrat.

Le salarié peut prétendre à une indemnité destinée à compenser le préjudice causé par cette sujétion, tenant compte des coûts engendrés par cette situation, dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition.

Si la créance du salarié à ce titre n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail, laquelle renvoie à la structure du contrat et aux obligations essentielles déterminées par la volonté commune des parties, elle résulte cependant directement des conditions de l’exécution dudit contrat.

Par conséquent, en application de l’article L.1471-1 du code du travail, l’action en paiement de l’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles se prescrit par deux ans à compter du jour où Mme [D] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Le droit à obtenir une telle indemnité a été instauré de manière prétorienne à tout le moins depuis un arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010 (n°08-44866) dont la solution a été constamment réaffirmée depuis lors.

Mme [D] aurait donc dû connaître son droit à obtenir une indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles, de même que son droit au remboursement des frais annexes qui ont la nature de frais professionnels, étant précisé s’agissant de ces derniers, qu’elle a régulièrement sollicité le remboursement de ses frais de déplacement pendant la durée du contrat de travail.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers par requête postée le 16 novembre 2019.

Il s’en déduit que ses demandes d’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles et de frais annexes portant sur une période antérieure au 16 novembre 2017 sont prescrites.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a appliqué la prescription biennale à l’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles et aux frais annexes.

2. Sur le fond

Mme [D] affirme que dès son embauche, la société TS Distribution lui a demandé de travailler depuis son domicile. Elle a alors dédié à son travail une pièce de 12 m2, précédemment la chambre de son fils. Celui-ci étant revenu vivre au domicile en 2017, elle a demandé à bénéficier d’un local extérieur, en vain jusqu’au 1er avril 2018 où la société TS Distribution a loué pour elle un espace de travail situé à [Localité 3]. Elle effectue un calcul précis des dépenses afférentes à l’occupation de cette pièce dont elle demande le remboursement.

La société TS Distribution prétend qu’elle n’a jamais demandé à Mme [D] de travailler à son domicile, qu’elle n’a fait qu’acquiescer à sa demande pour convenance personnelle, et que cette dernière aurait pu travailler au siège de la société dont les locaux étaient suffisamment grands pour l’accueillir. Elle conteste en outre le montant des demandes, s’étonnant notamment de voir apparaître dans les sommes réclamées une quote-part des taxes foncières en plus d’une quote-part de la valeur locative de la maison et de la taxe d’habitation, et des frais de téléphonie et d’internet forfaitaires que Mme [D] aurait en tout état de cause assumés à titre personnel.

– Sur l’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles

Il convient de rappeler que le salarié peut prétendre à une indemnité relative à l’occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition.

En l’espèce, si la société TS Distribution allègue de ce que Mme [D] préférait travailler à son domicile alors qu’elle aurait pu travailler au siège à [Localité 4], elle n’établit cependant pas avoir mis un local professionnel à sa disposition, ni au siège, ni ailleurs, avant le 1er avril 2018.

De surcroît, lorsqu’en 2017, Mme [D] a demandé à pouvoir travailler dans un local professionnel, l’employeur ne lui a pas proposé de travailler dans les locaux du siège désormais situés à [Localité 5], mais il a loué un espace de travail à son attention situé à [Localité 3].

Par conséquent, Mme [D] est en droit de solliciter une indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles.

S’agissant du montant de cette indemnité, il a été vu précédemment que toute demande antérieure au 16 novembre 2017 est prescrite. Reste donc la période du 16 novembre 2017 au 31 mars 2018.

A cet égard, Mme [D] justifie avoir dédié une pièce de 12 m2 sur une surface habitable totale de 130 m2. Elle communique la taxe d’habitation déterminée sur la valeur locative, les taxes foncières et son assurance habitation pour chaque année. Elle ajoute les montants de la taxe d’habitation, de la valeur locative, des taxes foncières et de l’assurance habitation, et fait un prorata en fonction du nombre de m2 pour en déduire une indemnité d’occupation mensuelle de 71,78 euros en 2017 et de 70,29 euros en 2018.

Pour autant, il apparaît qu’elle est propriétaire de la maison et ne paie dès lors pas de loyer. Le montant de la valeur locative n’a pas lieu d’être inclus dans l’indemnité d’occupation, cette somme n’ayant pas été engagée, mais indiquée en valeur de référence pour la détermination des taxes foncières. Dès lors, au vu du tableau extrêmement détaillé réalisé par Mme [D], la cour est en mesure d’évaluer une indemnité d’occupation mensuelle de 27,40 euros en 2017, soit de 41,10 euros pour la période du 16 novembre au 31 décembre 2017, et une indemnité d’occupation mensuelle de 25,38 euros en 2018, soit de 76,14 euros pour les mois de janvier, février et mars 2018, le tout pour un total de 117,24 euros.

Par conséquent, il convient d’allouer à Mme [D] la somme de 117,24 euros à titre d’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles.

– Sur les frais annexes

Mme [D] fait état de frais d’électricité, de chauffage, de téléphonie mobile et d’abonnement internet dont elle justifie. Elle proratise sur les mêmes bases que précédemment les frais d’électricité et de chauffage, et sollicite le remboursement de 75% de son abonnement téléphonique et 50 % de son abonnement internet, pour en déduire des frais mensuels de 57,92 euros en 2017 et de 57,92 euros en 2018.

Les pièces versées aux débats et la méthode de calcul appliquée permettent à la cour de retenir ces chiffres. Par conséquent, il convient d’allouer à Mme [D] la somme de 86,88 euros pour la période du 16 novembre au 31 décembre 2017, et celle de 173,76 euros pour les mois de janvier, février et mars 2018, soit un total de 260,64 euros au titre des frais annexes.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il n’a pas distingué les montants de l’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles et des frais annexes, et en ce qu’il a alloué à Mme [D] la somme de 644,03 euros au titre de ces deux indemnités.

Sur le licenciement

1. Sur la motivation de la lettre du 11 juin 2019

L’article L.1233-3 du code du travail prévoit que :

‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés (…)

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise. (…)’

L’article L.1233-16 alinéa 1 du code du travail prévoit que ‘la lettre de licenciement comporte l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur.’

L’article L.1235-2 du même code dispose :

‘Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d’Etat.

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement.

A défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande en application de l’alinéa premier, l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

En l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l’indemnité allouée conformément aux dispositions de l’article L.1235-3 (…)’

L’article R.1233-2-2 du même code prévoit que :

‘Dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, demander à l’employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement.

L’employeur dispose d’un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s’il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.

Dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes l’employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement.’

Il est enfin acquis que la lettre de licenciement doit évoquer la cause économique du licenciement et son incidence sur l’emploi du salarié.

En l’espèce, la lettre du 11 juin 2019 motivant la rupture du contrat de travail est libellée ainsi : ‘en raison de la réduction de l’activité de notre entreprise, nous avons décidé de supprimer la partie patronnage de notre activité, ce qui nous conduit à supprimer votre poste.’

Mme [D] soutient que cette lettre n’est pas motivée en ce qu’elle n’énonce pas la cause économique du licenciement, la réduction d’activité ne constituant pas l’une des causes prévues par l’article L.1233-3 précité. Elle en déduit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

La société TS Distribution prétend que l’énoncé des motifs répond aux exigences légales de motivation en ce que cette lettre fait état d’une réduction d’activité, laquelle constitue une cause économique qui l’a contrainte à cesser l’activité patronnage et a eu pour conséquence la suppression de l’emploi de Mme [D].

Cette lettre ne comporte pas l’énoncé du motif économique exigé par l’article L.1233-16 susvisé dans la mesure où elle n’indique pas les causes de la réduction d’activité alléguée.

Pour autant, il résulte des textes précités que le licenciement n’est pas ipso facto dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où cette lettre n’est pas exempte de toute motivation et doit être considérée comme insuffisamment motivée.

Il convient donc d’examiner la réalité du motif invoqué, étant observé que Mme [D] n’a pas usé de son droit de demander des précisions.

2. Sur le motif économique

Mme [D] conteste le motif économique allégué par la société TS Distribution. Elle considère que celle-ci n’en justifie pas et ne communique aucun élément datant de l’époque de la rupture du contrat de travail ni aucune donnée chiffrée.

La société TS Distribution entend démontrer que l’activité patronnage était en déclin depuis 2016, ce service étant soit abandonné par les clients, soit intégré en interne à l’instar de son client principal, la société Intersport, qui représentait 80% du chiffre d’affaires et qui de ce fait, n’a plus fait appel à elle. Cette activité n’était plus génératrice de travail pour Mme [D] qui ne l’ignorait pas puisqu’elle a travaillé par ailleurs dès 2018 pour le Greta, et en 2019 pour la Savonnerie Gonnord au sein de laquelle se trouvait son bureau.

En application de l’article L.1233-3 précité, la cessation complète d’activité de l’entreprise justifie le licenciement pour motif économique dès lors qu’elle n’est pas due à la faute ou à la légèreté blâmable de l’employeur. En revanche, une cessation d’activité partielle ne constitue pas, à elle seule, un motif légitime de licenciement qui doit alors reposer sur des difficultés économiques, des mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.

En l’espèce, la société TS Distribution verse aux débats une attestation de son expert-comptable qui fait état de la décroissance progressive de l’activité ‘patrons’ à compter du second semestre 2016 jusqu’à disparaître totalement en 2019.

L’expert-comptable atteste en outre de la perte de trois clients (Caporal, Jules et Ysee) en 2016, du client Daniel Hechter en 2017, et de trois autres clients (Carnet de Vol, Little Marcel et Olly Gan) qui ont déposé leur bilan en 2018. La même année 2018, il souligne l’absence de facturation de plusieurs clients tels Guy de France ou Cora Homme qui n’ont plus fait appel à la société TS Distribution. Il note qu’en 2019, la société TS Distribution a également perdu les clients Teddy Smith et DNUD qui ont cessé leurs relations commerciales, et le client Arthur qui a déposé son bilan.

Il certifie enfin que la perte progressive et totale du chiffre d’affaires lié à cette activité spécifique de patronnage a été compensée par une activité de négoce pur de pièces auto et textile ne nécessitant pas de réalisation de patrons.

La société TS Ditribution communique en outre les factures correspondant à la prestation patronnage sur les années 2016, 2017, 2018 et jusqu’à janvier 2019 dont le nombre décroît avec les années, et les montants démontrent la faible intensité de cette activité.

Elle justifie ainsi de la cessation de l’activité patronnage.

Pour autant, elle ne communique aucun élément relatif à ses autres activités, ni à la situation économique de l’entreprise notamment à l’évolution de son chiffre d’affaires, de son résultat ou tout autre élément comptable. Elle ne fait état ni de difficultés économiques, ni de mutations technologiques, ni d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

Dès lors, il convient de considérer qu’elle ne justifie pas valablement du motif économique invoqué. Ce faisant, le licenciement de Mme [D] est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

1. Sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

Il résulte de l’article L.1233-67 du code du travail que l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte une rupture du contrat de travail qui ne comporte ni préavis ni indemnité compensatrice de préavis. L’absence de motif économique prive le contrat de sécurisation professionnelle de sa cause et le salarié se trouve alors bien fondé à obtenir une indemnité compensatrice de préavis.

Au vu de ce qui précède, sur la base d’un salaire mensuel moyen de 3 033,91 euros brut, il convient d’allouer à Mme [D] la somme de 6 067,82 euros brut correspondant à deux mois de salaire à titre d’indemnité compensatrice de préavis, et la somme de 606,78 euros brut à titre de congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

2. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, au vu de son ancienneté, la salariée peut prétendre à une indemnité comprise entre 1 mois et 5 mois de salaire, étant rappelé que la société TS Distribution emploie moins de onze salariés.

Mme [D] avait près de 5 ans d’ancienneté et elle était âgée de 53 ans au moment du licenciement. Elle ne communique aucun élément sur sa situation postérieure au licenciement. Par conséquent, la cour est en mesure d’évaluer à la somme de 7 000 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au paiement de laquelle la société TS Dstribution sera condamnée.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

La société TS Distribution succombant pour l’essentiel à l’instance doit être condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande de faire application en appel de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [D]. Il lui sera alloué la somme de 1 000 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, publiquement par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu le 14 décembre 2020 par le conseil de prud’hommes d’Angers sauf en ce qu’il a appliqué la prescription biennale à l’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles et des frais professionnels, et en ce qui concerne les dépens et l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE la société TS Distribution à payer à Mme [I] [D] la somme de 117,24 euros à titre d’indemnité d’occupation du domicile à des fins professionnelles ;

CONDAMNE la société TS Distribution à payer à Mme [I] [D] la somme de 260,64 euros au titre des frais annexes ;

DIT que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société TS Distribution à payer à Mme [I] [D] les sommes de 6 067,82 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis et la somme de 606,78 euros brut à titre de congés payés afférents ;

CONDAMNE la société TS Distribution à payer à Mme [I] [D] la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la société TS Distribution à payer à Mme [I] [D] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d’appel ;

DEBOUTE la société TS Distribution de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

CONDAMNE la société TS Distribution aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODIN Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

 


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