Télétravail : 9 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/05142

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Télétravail : 9 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/05142
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9 mars 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/05142

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 09/03/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/05142 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T33H

Décision du bâtonnier de l’ordre des avocats de Lille en date du 27 août 2021 en application des articles 142 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 et 14.6 du règlement intérieur national de la profession d’avocat.

APPELANTES

La SELAS [B] et associés exerçant sous le nom Cabinet Eloquence

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 6]

[Localité 5]

Maître [K] [B]

née le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 8]

demeurant [Adresse 6]

[Localité 5]

régulièrement convoquées par lettres recommandées avec accusés de réception

Non comparantes, représentées par Me Julie Penet, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

Madame [Y] [N]

née le [Date naissance 1] 1989 à [Localité 9]

demeurant [Adresse 3]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception

Non comparante, représentée par Me Bertrand Debosque, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

DÉBATS à l’audience publique du 21 novembre 2022. Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 mars 2023 après prorogation du délibéré en date du 9 février 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat du 30 août 2018, Mme [Y] [N] a intégré à compter du 5 novembre 2018 le cabinet d’avocats exploité par la société [B] et associés (cabinet Éloquence) en qualité de collaboratrice libérale, moyennant une rétrocession d’honoraires mensuelle de 3 000 euros HT, portée à 3 250 euros HT (3 900 euros TTC) à compter du mois d’avril 2019.

Par courriel du 10 avril 2020, la société [B] et associés a notifié à Mme [N] sous la plume de Me [B], associée, la rupture de ce contrat de collaboration, précisant que le terme du délai de prévenance contractuel de trois mois expirait le 10 juillet 2020.

Par courrier du 27 mai 2020, la société [B] et associés a de même notifié à Mme [N] « la rupture ce jour du délai de prévenance en cours pour faute grave rendant incompatible la poursuite du contrat de collaboration ».

La société [B] et associés a procédé au paiement à Mme [N] de deux provisions de 1 500 euros HT (1 800 euros TTC) chacune au titre du contrat de collaboration pour les mois d’avril et mai 2020.

La période d’application du contrat de collaboration pendant laquelle est né le litige est celle du confinement résultant de l’épidémie de Covid-19.

Le 22 janvier 2021, Mme [N] a saisi le bâtonnier d’un litige de collaboration libérale et d’une demande en paiement de la somme de 7 643,46 euros au titre d’honoraires impayés ainsi que de la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du délai de prévenance de la fin de contrat de collaboration libérale. Maître [K] [B] est intervenue volontairement dans le cadre de cette procédure.

Par décision du 27 août 2021, M. le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Lille a :

-rejeté la fin de non-recevoir,

-condamné la société [B] et associés à payer à Mme [N] la somme de 7 643,46 euros au titre des factures n° 200430 du 30 avril 2020, 200528 du 28 mai 2020 et 200731 et 200731-2 du 31 juillet 2020,

-débouté Mme [N] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du délai de prévenance,

-condamné la société [B] et associés aux entiers dépens.

Par courrier recommandé expédié le 1er octobre 2021, la société [B] et associés et Maître [K] [B] ont formé un recours contre cette décision en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir, a condamné la société [B] et associés à payer à Mme [N] la somme de 7 643,46 euros et l’a condamnée aux dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises le 7 novembre 2022, les appelantes demandent à la cour de :

-infirmer la décision du bâtonnier en ce qui concerne les chefs mentionnés dans le cadre de la déclaration d’appel,

– à titre principal, déclarer la requête en arbitrage de Mme [N] irrecevable sur le fondement de l’article 142 du décret du 27 novembre 1991 et en toutes hypothèses sur le fondement de l’article 122 du code de procédure civile en ce que les prétentions de Mme [N] seraient dirigées à l’endroit de Maître [K] [B],

-à titre subsidiaire, débouter Mme [N] de sa demande en paiement s’agissant de la période du 1er avril au 27 mai 2020,

-juger la nature du délai de prévenance légitime,

-débouter en conséquence Mme [N] de sa demande de rétrocession s’agissant de la période du 28 mai au 10 juillet 2020,

-condamner Mme [N] au paiement de la somme de 3 000 euros HT au titre des rétrocessions indues,

-la condamner aux éventuels frais de première instance et d’appel et au paiement de la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, sur le fondement du règlement intérieur national de la profession d’avocat et de l’article 142 du décret du 27 novembre 1991, des articles 122, 328 et suivants et 700 du code de procédure civile, et 1103, 1209 et 1240 du code civil, la société [B] et associés et Mme [B] font valoir que la requête présentée par Mme [N] était irrecevable dès lors qu’elle ne mentionnait pas l’identité du défendeur, cette omission ne pouvant être régularisée par les conclusions ultérieures en l’absence de prévision en ce sens par les textes applicables, le revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation invoqué en défense étant postérieur à la saisine effectuée par Mme [N]. Sur le fond, elles soutiennent que l’absence de concertation sur les nouvelles modalités de travail impliquant une désorganisation du cabinet à compter du 13 mars 2020 et la négligence des dossiers du cabinet par Mme [N] caractérisent des fautes graves justifiant l’exception d’inexécution concernant son obligation de paiement de la rétrocession convenue d’une part et la rupture du délai de prévenance d’autre part, outre que les factures dont le paiement est réclamé sont erronées du point de vue des règles applicables, et que, dans le cadre de la demande de dommages et intérêts, ne sont démontrés ni faute de l’appelante, la rupture du délai de prévenance étant légitime, ni préjudice de l’intimée, Mme [N] ayant intégré un autre cabinet dès le mois de juillet 2020 suivant régularisation d’un contrat de collaboration signé le jour de la notification de la rupture du délai de prévenance.

Mme [N], Au terme de ses dernières conclusions d’intimée et d’appelante incidente remises le 9 mai 2022, demande pour sa part à la cour de :

-confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société [B] et associés et déclaré sa requête en arbitrage recevable, condamné la société [B] et associés à lui régler la somme de 7 643,46 euros au titre de ses rétrocessions d’honoraires et aux dépens.

-la réformer en ce qu’elle a rejeté sa demande de condamnation de la société [B] et associés à lui régler la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du délai de prévenance de la fin de son contrat de collaboration libérale.

-condamner la société [B] et associés à lui régler la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du délai de prévenance de la fin du contrat de collaboration libérale conclu le 30 août 2018, en l’absence de toute faute grave de sa part,

-débouter la société [B] et associés et Mme [K] [B] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

-condamner la société [B] et associés aux entiers dépens de première instance et d’appel et à lui régler la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, sur le fondement du règlement intérieur national de la profession d’avocat, du règlement intérieur du barreau de Lille en date du 13 novembre 2020, des articles 142 à 153 du décret du 27 novembre 1991, des articles 122 et suivants et 126 du code de procédure civile et 1103, 1104 et 1231-1 et suivants du code civil, elle fait valoir que sa requête était recevable, aucun formalisme n’étant exigé concernant la rédaction des requêtes, l’identité de son contradicteur étant clairement identifiable aux termes de sa requête du 22 janvier 2021, ayant été au besoin régularisée par ses premières conclusions. Au fond, elle soutient que l’obligation contractuelle de règlement des honoraires de la collaboratrice est due par le cabinet d’accueil y compris en cas de télétravail et, pendant deux mois, en cas d’arrêt de maladie, sous déduction des indemnités journalières perçues, l’arrêt « garde d’enfants » instauré pendant la période de confinement relevant de ce régime, que le décompte des honoraires dus est justifié et que le défaut de paiement l’a placée dans une situation délicate alors que son travail au bénéfice du cabinet était effectif, qu’elle a répondu aux instructions qui lui étaient données par les associés du cabinet dans les délais impartis et qu’elle était à jour du travail dû au cabinet tant lors du début de l’arrêt « garde d’enfants » que lors de son départ définitif fin mai 2020, qu’en conséquence, la rupture du préavis était abusive et vexatoire dans un contexte de difficulté personnelle à concilier ses obligations professionnelles et la garde de son enfant, alors qu’elle avait différé ses engagements professionnels ultérieurs à une date postérieure à la fin du délai de prévenance.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la requête aux fins d’arbitrage

L’article 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat dispose que pour tout litige né à l’occasion d’un contrat de collaboration ou d’un contrat de travail, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l’avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l’une ou l’autre des parties soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l’ordre des avocats, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ; que l’acte de saisine précise, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant.

Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 126 du même code précise que dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue qu’il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance.

En l’espèce, alors que le premier juge a déclaré la requête recevable au motif que les conclusions de la requérante étaient venues régulariser la requête initiale ne mentionnant pas nommément le défendeur, il est relevé que la requête en arbitrage du 22 janvier 2021, portant en en-tête la mention « Nos réf : Litige collaboration [N]/ELOQUENCE », et, précisant dès le premier paragraphe que le litige est né des difficultés rencontrées par la requérante « dans le cadre de l’exécution de [son] contrat de collaboration libérale, conclu le 30 août 2018, avec effet au 5 novembre 2018, avec le cabinet Éloquence (SELAS [B] et associés) », l’identité du défendeur est explicitement indiquée.

D’ailleurs, cette requête s’inscrit dans la suite procédurale de la commission paritaire du barreau de Lille saisie de ce litige de collaboration sur la base d’une lettre de saisine du 17 novembre 2020 rédigée dans les mêmes termes, ayant donné lieu à convocation de Mme [N] et de la SELAS [B] et Associés (Cabinet Eloquence) et à laquelle cette dernière a comparu, la société [B] et associés ne démontrant avoir soulevé une difficulté concernant l’identité du défendeur qu’à compter de ses conclusions produites dans le cadre de la requête en arbitrage intervenue dans un deuxième temps.

C’est donc surabondamment, qu’à la suite de cette requête, par conclusions régulièrement déposées le 4 avril 2021, Mme [N] a ajouté un cartouche reprenant formellement la qualité de la société [B] et associés, défendeur, et a repris au dispositif sa demande de condamnation en la désignant nommément.

Les textes précités n’imposant, concernant les requêtes devant le bâtonnier, le respect d’aucun formalisme particulier quant à l’identification du défendeur et l’identité de la défenderesse étant explicitement indiquée sur la requête produite par Mme [N], celle-ci était recevable.

La décision entreprise doit être confirmée sur ce point, quoique par substitution de motif.

Sur le fond

Sur la demande en paiement d’honoraires

L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Aux termes de l’article 1219 du code civil, une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Aux termes de l’article 1231-1 du même code, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

L’article 1.3 du règlement intérieur national de la profession d’avocat énonce que les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances ; que l’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment ; qu’il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie ; qu’il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétences, de dévouement, de diligence et de prudence.

Il est constant que s’appliquait aux avocats le régime dérogatoire de l’arrêt de travail pour garde d’enfants institué par l’article L. 16’10’1 du code de la sécurité sociale, afin de limiter la propagation de l’épidémie de Covid 19 et ouvrant le bénéfice aux assurés parents d’un enfant de moins de 16 ans faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction et de maintien à domicile, d’indemnités journalières pendant toute la durée de fermeture de l’établissement accueillant enfant.

L’article 14.3 alinéa 1er du règlement intérieur national de la profession d’avocat dispose qu’en cas d’indisponibilité pour raison de santé médicalement constatée au cours d’une même année civile, l’avocat collaborateur libéral reçoit pendant deux mois maximum sa rétrocession d’honoraires habituelle, sous déduction des indemnités journalières éventuellement perçues au titre des régimes de prévoyance collective du barreau ou individuelle obligatoire.

Alors que la société [B] et associés et Mme [B] reprochent à Mme [N] une carence professionnelle pour contester son droit à rétrocession sur le fondement de l’exception d’inexécution pour la période du 1er avril au 27 mai 2020 et justifier la rupture du délai de prévenance à cette date, Mme [N] demande le paiement intégral des rétrocessions pour la période du 1er avril 2020 au 10 juillet 2020, soutenant n’avoir commis aucune faute.

Lorsque par courrier du 10 avril 2020, la société [B] et associés a notifié, par mail de Maître [B], à Mme [N], la rupture du contrat de collaboration, précisant que le terme du délai de prévenance contractuel de trois mois expirait le 10 juillet 2020, cette rupture et le terme du délai de prévenance contractuel n’ont pas fait l’objet de contestation de la part de Mme [N].

Cependant, par courrier électronique du 27 mai 2020, la société [B] et associés a interrompu ce délai de prévenance, y mettant un terme immédiat pour « faute grave rendant incompatible la poursuite du contrat de collaboration ».

Or, dans un contexte d’inactivité judiciaire temporaire imposée par l’état d’urgence sanitaire, induisant un ralentissement de l’activité des auxiliaires de justice, imparfaitement amorti par l’anticipation des échéances à venir dans la perspective d’une reprise d’activité alors incertaine, la société [B] et associés, à qui incombe la charge de la preuve de la carence de Mme [N], ne démontre pas de la part de celle-ci une réduction du travail disproportionnée par rapport à l’activité du cabinet à cette période et compte tenu de l’équilibre contractuellement prévu entre le traitement des dossiers du cabinet et le développement des activités propres de la collaboratrice. En effet, étant précisé que du 13 avril au 11 mai, Mme [N] était placée en situation de « congés pour garde d’enfant », inactivité administrativement justifiée et à ce titre insusceptible de contribuer à la caractérisation d’un défaut de mobilisation professionnelle, pour les périodes du 1er avril au 12 avril 2020 et du 12 mai au 27 mai 2020, Mme [N] détaille précisément les tâches effectuées et les appelantes ne rapportent la preuve d’aucune carence circonstanciée à laquelle elle oppose une démonstration objective de diligences, les extractions des horodatages du logiciel Keops n’étant pas significatives du temps de travail, ce logiciel permettant un enregistrement rapide de tâches plus longues effectuées hors connexion.

L’absence de concertation sur les nouvelles modalités de travail impliquant une désorganisation du cabinet également reprochée à Mme [N] n’est pas davantage démontrée.

L’adoption du télétravail par Mme [N] à compter du 15 mars 2020 n’est ni injustifiée, ni brutale dès lors que cette modalité d’exercice n’entre pas en contradiction avec la liberté d’organisation prévue par le régime normal du collaborateur libéral.

Au surplus, il ne peut être reproché à Mme [N] d’y avoir recouru et, avant cela, d’avoir annoncé à la société [B] et associés, par mail à Maître [B], son intention d’y recourir à brève échéance, quand, dans les circonstances particulières de la période visée, marquée par l’évolution rapide des mesures gouvernementales instaurant le confinement et au regard de la situation personnelle de Mme [N], mère d’une enfant de trois ans dont l’établissement d’accueil était soudainement fermé par l’effet de ces mêmes mesures, la société [B] et associés ne démontre pas avoir, à cette date, mis en place ou envisagé de modalités de travail compatibles alternatives, alors qu’il ressort des échanges de mails que Mme [N] s’est, dans ce bref intervalle, enquis des modalités pratiques de mise en place d’un télétravail effectif, qui a été proposé par Me [B] à l’ensemble des collaborateurs une semaine plus tard.

De même, il se déduit du mail adressé le 23 mars 2020 par Maître [B] précisant « il existerait un régime spécial pour les avocats libéraux qui doivent rester chez eux pour garder un enfant en bas âge, équivalent à un arrêt maladie indemnisable. Cela semble correspondre à ta situation », option reprise par mail du 3 avril 2020, que Mme [N], en lui répondant le 6 avril 2020 qu’elle adoptait cette solution envisagée par le cabinet, ne s’est pas « placée d’autorité en arrêt pour garde d’enfant » imposant une situation inattendue.

Les périodes pendant lesquelles le contrat de collaboration est suspendu pour cause de maladie n’entrant pas dans le calcul des repos rémunérés, il ne peut être reproché à l’intimée, en position administrative d’arrêt maladie « garde d’enfant » de ne pas avoir maintenu ses congés.

Enfin, une désorganisation du cabinet imputable à Mme [N] n’est pas démontrée.

Sur la période du 1er avril 2020 au 27 mai 2020, la société [B] et associés et Mme [B] échouent à caractériser une faute grave de l’intimée de nature à justifier une exception d’inexécution ou la rupture du délai de prévenance.

Les rétrocessions sont en conséquence dues jusqu’au terme du délai de prévenance en fonction du montant contractuel, soit 3 900 euros TTC par mois après déduction des acomptes versés, dont les appelantes sont mal fondées à demander le remboursement, et des indemnités journalières perçues au titre de l’arrêt « garde d’enfant ». Les sommes restant dues sont justement calculées par Mme [N], les contributions sociales (CSG CRDS) étant déjà déduites des indemnités journalières avant leur versement, ainsi qu’il ressort de sa pièce 35, soit pour avril 2020 : 783,348 euros TTC (facture n° 200430 du 30 avril 2020) ; mai 2020 : 1 661,112 euros TTC (facture n° 200528 du 28 mai 2020) ; juin 2020 : 3900 euros TTC et 1er-10 juillet 2020 : 1299 euros TTC = 7 643,46 euros TTC (factures n° 200731 et n° 200731-2 du 31 juillet 2020).

Il y a lieu de confirmer la décision déférée en ce qu’elle condamne la société [B] et associés à payer à Mme [N] la somme de 7 643,46 euros TTC et, y ajoutant, de débouter les appelantes de leur demande de condamnation de Mme [N] au paiement de la somme de 3 000 euros HT en remboursement des rétrocessions indûment perçues.

Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du délai de prévenance

Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

En l’espèce, la rupture du délai de prévenance est fautive en ce que, injustifiée et intervenue dans une période particulière d’incertitude globale, elle est parvenue à l’intimée par mail du 27 mai 2020 avec effet immédiat, caractérisant une rupture brutale imposant une instabilité économique et professionnelle à Mme [N].

Cependant, la rupture du contrat de collaboration n’était pas en elle-même inattendue, ayant fait l’objet du courrier du 10 avril 2020, non contesté, et, suivant régularisation d’un contrat de collaboration signé également le 27 mai 2020 et à effet à compter du 15 juillet 2020, soit à l’expiration du délai de prévenance initial, Me [N] a intégré un autre cabinet. Elle savait donc dès le jour de la notification de la rupture de la période de préavis que la précarité de sa situation professionnelle était temporaire.

En revanche, si les attestations produites, de par leur subjectivité, sont insuffisantes à démontrer la souffrance psychologique de l’intimée, les échanges intervenus entre elle et Maître [B] à compter du 27 mai 2020 démontrent la réalité de relations professionnelles devenues acerbes et de la réticence de l’appelante quant au paiement des honoraires de l’intimée, laquelle n’est parvenue à être payée qu’au terme de la procédure en arbitrage, soit avec quinze mois de retard. L’inquiétude tenant à son sort matériel ayant animé Mme [N] est ainsi démontrée et légitime.

Dans ces conditions, elle doit être indemnisée de son préjudice par l’allocation de la somme de 1 000 euros et la décision entreprise doit être infirmée sur ce point.

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, il appartient aux appelantes qui succombent de supporter la charge des dépens.

Il est en outre équitable, vu l’article 700 du même code, que la société [B] et associés indemnise l’intimée des autres frais qu’elle a été contrainte d’exposer pour assurer la défense de ses intérêts et que les appelantes soient déboutées de leur demande au titre de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour

confirme la décision du bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Lille du 27 août 2021, sauf en ce qu’elle a débouté Mme [N] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du délai de prévenance,

l’infirme de ce chef et, statuant à nouveau,

condamne la société [B] et associés à payer à Mme [N] la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice né de la rupture abusive du délai de prévenance,

déboute la société [B] et associés et Mme [K] [B] de leur demande de condamnation de Mme [N] au paiement de la somme de 3 000 euros HT au titre des rétrocessions indues,

déboute la société [B] et associés et Mme [K] [B] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

condamne la société [B] et associés et Mme [K] [B] aux dépens,

condamne en outre la société [B] et associés à payer à Mme [N] une indemnité de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet

 


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