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16 mars 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/02428
N° RG 21/02428 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IZRN
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 16 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 31 Mai 2021
APPELANT :
Monsieur [T] [I]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Anaëlle LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
S.A.S. VRACS DE L’ESTUAIRE
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Etienne LEJEUNE de la SCP SAGON LOEVENBRUCK LESIEUR LEJEUNE, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Ségolène COX, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 08 Février 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 08 Février 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 16 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 16 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [T] [I] a été engagé par la SAS Les Vracs de l’Estuaire, spécialisée dans le secteur d’activité de la fabrication du ciment, en qualité d’employé des expéditions par contrat de travail à durée indéterminée du 12 septembre 2016.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries du ciment du 5 juillet 1963.
Le licenciement pour faute grave a été notifié au salarié le 15 juin 2020.
Par requête du 26 août 2020, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre en contestation de son licenciement, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement du 31 mai 2021, le conseil de prud’hommes a dit que les agissements de M. [I] sont avérés et constitutifs d’une faute grave, dit que la SAS Les Vracs de l’Estuaire a licencié M. [I] pour faute grave à bon droit, débouté M. [I] de l’intégralité de ses demandes à ce titre, laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles.
M. [T] [I] a interjeté appel de cette décision le 14 juin 2021.
Par conclusions remises le 14 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [T] [I] demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions, en conséquence, à titre principal, juger que l’exercice de son droit de retrait le 17 avril 2020 était justifié et qu’en tout état de cause, la sanction notifiée est injustifiée, juger que le licenciement est nul et, en tout état de cause, sans cause réelle ni sérieuse, condamner, en conséquence, la SAS Les Vracs de l’Estuaire au paiement des sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement nul et en toute hypothèse sans cause réelle ni sérieuse : 19 479,70 euros,
indemnité compensatrice de préavis (2 mois) 1 947,97 x 2 : 3 895,94 euros,
congés payés y afférent : 389,59 euros,
indemnité légale de licenciement, sauf à parfaire : 1 947, 97 euros,
rappel de salaire du 17 au 29 avril 2020 : 851,36 euros,
congés payés afférents : 85,13 euros,
– à titre subsidiaire, juger que la sanction est disproportionnée et requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, en conséquence, condamner la SAS Les Vracs de L’Estuaire au paiement des sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 3 895,94 euros,
congés payés y afférent : 389,59 euros,
indemnité légale de licenciement, sauf à parfaire : 1 947,97 euros,
– débouter la SAS Les Vracs de l’Estuaire de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et la condamner au paiement d’une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 16 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Les Vracs de l’Estuaire demande à la cour, à titre principal, de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu, en conséquence, débouter M. [T] [I] de l’intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, dire que le licenciement de M. [T] [I] est fondé sur une cause réelle et sérieuse, en conséquence, débouter M. [T] [I] de ses demandes au titre des dommages et intérêts, à titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour estimerait le licenciement non fondé, dire n’y avoir lieu à dommages et intérêts en l’absence de toute preuve de préjudice et débouter M. [T] [I] de sa demande d’exécution provisoire.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 19 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur le licenciement
I – a) Sur le bien fondé du licenciement
Conformément aux dispositions de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu’elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
L’article L.1235-1 du même code précise qu’à défaut d’accord, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Il appartient à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave du 15 juin 2020, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :
‘ Le vendredi 17 avril 2020, vous avez quitté votre poste de travail sans motif.
Nous vous avons mis en demeure de reprendre vos fonctions avant le 22 avril 2020 et nous vous avons demandé de nous fournir un justificatif d’absence pour la période d’absence injustifiée. Nous n’avons obtenu aucun retour de votre part si ce n’est un arrêt maladie pour la période du 30 avril au 15 mai 2020.
Le 13 mai 2020, afin d’anticiper le terme de votre arrêt maladie le 15 mai, nous vous avons demandé de reprendre contact avec la société et mis en demeure de nous produire un justificatif d’absence pour la période du 17 au 29 avril 2020 inclus.
Votre arrêt maladie a été prolongé jusqu’au 15 juin 2020.
À ce jour, nous n’avons aucun justificatif d’absence pour la période du 17 au 29 avril 2020 inclus.
Cette absence injustifiée constitue un manquement à vos obligations contractuelles et est préjudiciable au bon fonctionnement de notre société. Votre abandon de poste a désorganisé nos services et nous a contraint à recourir dans l’urgence à de l’intérim.
Vous tentez de justifier votre abandon de poste par l’exercice de votre droit de retrait estimant que votre situation de travail présentait un danger grave et imminent pour votre santé.
Nous avons, à plusieurs reprises, tenté de vous rassurer sur les mesures de sécurité mises en oeuvre au sein de la société. Vous avez persisté dans votre attitude et ce alors même que le comité sociale et économique, mais également les salariés plus généralement considéraient que leur sécurité était assurée compte tenu des mesures mises en place au sein de la société.
En effet, pour rappel, depuis le début du confinement, notre société a mis en place toutes les mesures nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité de ses salariés et ce, en collaboration avec le comité sociale et économique mais également dans le strict respect des meures imposées par le gouvernement.
C’est ainsi que nous avons pris les mesures suivantes :
‘ rédaction, mises à jour, communication, sensibilisation et affichages sur les différentes consignes de sécurité sanitaires, respect des gestes barrières et distanciations sociales auprès de nos collaborateurs, nos conducteurs, nos clients et nos fournisseurs,
‘ rappel des consignes de sécurité liées à chaque poste de travail,
‘ rappel du port des équipements de protection individuelle,
‘ mise à disposition de masques de protection, solutions hydroalcooliques, désinfectants virucides,
‘ mise à jour du document unique d’évaluation des risques professionnels et communication systématique à la médecine du travail,
‘ rédaction d’un plan de continuité d’activité
Vous avez d’ailleurs reconnu durant votre entretien préalable que la société a bien mis en place tous les moyens nécessaires (matériels, formations et sensibilisation) pour assurer la sécurité et la santé de ses employés, mais soutenez désormais que certains de vos collègues n’appliquaient pas les gestes barrières et les consignes de sécurité.
Comme vous l’avait indiqué notre directrice QSE avant que vous ne quittiez votre poste et comme nous vous l’avons expliqué à plusieurs reprises, les conditions d’exercice du droit de retrait ne sont pas remplies en l’espèce, de sorte qu’il est devenu impossible de maintenir votre contrat de travail dans ce contexte.
De plus, avant de quitter votre lieu de travail, vous avez été mis en garde et informé qu’un départ de l’usine ferait l’objet d’un abandon de poste, vous étiez donc conscient des conséquences que cela pouvait engendre. À ce moment, votre réponse a été que vous abandonniez effectivement votre poste et que si nous souhaitions aller plus loin, nous pouvions également procéder à un licenciement.
Par conséquent, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave pour les raisons exposées ci-avant.’
M. [I] ne conteste pas la réalité de son absence du 17 au 29 avril 2020 mais lui dénie tout caractère fautif, estimant que cette absence est justifiée par l’exercice de son droit de retrait, conformément aux dispositions des articles L. 4131-1 et L.4131-3 du code du travail. Il rappelle que cette absence se situe pendant la période extrêmement anxiogène du premier confinement décidé par le gouvernement français pour limiter les effets de la pandémie mondiale du virus de la COVID-19, qu’il convient de se replacer dans le contexte de l’époque, où la connaissance du virus et de ses modalités de propagation était encore faible, de sorte qu’il régnait, en sus de la stupéfaction quant au caractère inédit de la situation de confinement, un climat de grande insécurité quant aux risques d’exposition à ce virus et à ses conséquences.
Aux termes de l’article L. 4131-1 du code du travail, le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.
Il peut se retirer d’une telle situation.
L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.
L’article L. 4131-3 du même code précise qu’aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux.
Il n’est pas contesté que le 17 avril 2020, M. [I] a adressé à M. [D], directeur délégué de la société, le SMS suivant : ‘Bonjour Mr [D] c’est [I] [T]. Je tiens à vous informer que j’ai quitté mon poste ce matin car des mesures de sécurité par rapport au covid 19 n’ont pas été respectées et tenus depuis mardi alors j’ai averti [W] mainte et mainte fois d’ailleurs nos échanges ont été houleux. Ensuite, ce matin, pour une énième fois, ils ont essayé de remettre en marche l’imprimante expéditions en marche, alors que c’est appareil son toucher par l’ensemble des personnels travaillant aux expéditions et en maintenance. Je tiens à vous présenter mes excuses mais je préfère prendre cette décision qui pour moi me semble la plus appropriée vu que j’ai un enfant de 11 ans asthmatique. Bien cordialement et bon courage dans un moment aussi compliqué’.
A titre liminaire, il convient de préciser que la légitimité du droit de retrait ainsi exercé par M. [I] ne peut s’apprécier au regard de la situation générale de danger pour la santé des personnes créée par la circulation du virus de la COVID-19. Il convient de prendre en considération uniquement la situation particulière des conditions de travail de M. [I] ainsi que sa situation personnelle dans ce contexte de pandémie.
S’agissant de la situation personnelle de M. [I], il n’est pas soutenu qu’il était considéré comme personne vulnérable ou personne à risque. En outre, bien qu’il évoque dans le message rappelé précédemment, l’existence d’un fils âgé de 11 ans et asthmatique, il n’est produit aucun justificatif à cet effet. Plus précisément, M. [I] n’établit pas qu’il vivait au quotidien avec son enfant présentant un asthme le rendant particulièrement vulnérable et à risque en cas d’exposition au virus de la COVID-19.
Il y a donc lieu de considérer que M. [I] ne peut se prévaloir d’une situation personnelle particulière qui aurait légitimement majoré son anxiété face au danger auquel tout un chacun était exposé pendant cette période.
S’agissant de ses conditions de travail, il convient de relever que la société Les Vracs de l’EStuaire justifie avoir réalisé de nombreuses démarches administratives en lien avec la crise sanitaire qui s’est déclarée au début de l’année 2020.
Ainsi, elle a, en collaboration avec les membres du comité social et économique, établi et diffusé plusieurs ‘flash info’ dès le 25 février 2020 informant les salariés sur les mesures de protection essentielle contre le ‘coronavirus’, ce mode de communication étant actualisé très régulièrement pour transmettre chaque évolution des consignes gouvernementales dans la mise en place des ‘gestes barrières’.
Des notes de la direction ont également été régulièrement établies dès le début du mois de mars 2020 pour rappeler les consignes de travail destinées à éviter les contacts, pour inviter les salariés à privilégier à ce titre le télétravail et les outils de télécommunications et pour imposer l’annulation de toutes les réunions et formations en présentiel. À partir du 17 mars 2020, ces notes ont informé les salariés qu’était mise en place une veille relationnelle garantissant un échange avec chaque salarié deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, pour prendre des nouvelles de tous les salariés et une fiche de mode d’emploi pour le télétravail a été diffusée. Les échanges par SMS produits aux débats par le salarié démontre que cette veille relationnelle a été effective, puisque M. [I] a échangé sur sa santé et celle de ses proches avec M. [D] au début du mois d’avril 2020.
En outre, la société Les Vracs de l’Estuaire a, le 5 avril 2020, mis à jour ses règles de prévention et de sécurité, puis a acté de cette évolution par une mise à jour son document unique d’évaluation des risques professionnels qu’elle a fait parvenir à la médecine du travail.
Au moment de la reprise partielle d’activité actée à compter du 14 avril 2020, l’employeur justifie qu’il a établi et communiqué aux salariés les nouvelles consignes de sécurité prenant en compte les gestes barrières imposés par la crise sanitaire et la nécessité des opérations de désinfection du site, mais également la présence réduite de salariés dans l’entreprise et ses conséquences sur le fonctionnement du matériel de l’entreprise en attirant l’attention des salariés sur le risque accru d’accident mécanique en l’absence d’une surveillance maximale, le tout en conformité avec le plan de continuité de l’activité de l’usine établi conjointement avec les membres du comité social et d’entreprise le 16 mars 2020.
Enfin, outre toutes ces informations et procédures mises en place, il est constant et établi par les factures produites que la société Les Vracs de l’Estuaire a mis à disposition de ses salariés des gants, des masques de protection FFP2 et FFP1 déjà quotidiennement utilisés pour se protéger des poussières de ciment, ainsi que des solutions hydro-alcooliques et des désinfectants virucides.
Certes, M. [I] soutient que ces mesures, et notamment le port du masque, n’étaient pas respectées par les salariés de l’entreprise. Toutefois, il n’étaie nullement cette affirmation.
Aucun manquement à son obligation de sécurité ne peut donc être reproché à la société Les Vracs de l’Estuaire quant à l’organisation des conditions de travail de ses salariés pendant cette période.
Par ailleurs, sur le poste spécialement occupé par M. [I], il convient de relever qu’il est constant qu’il était affecté à la conduite d’un chariot élévateur situé au rez-de-chaussée, dans un entrepôt très vaste qui abritait uniquement son poste de travail, de sorte qu’il n’avait, pendant son temps de travail, aucun contact avec d’autres salariés.
Or, malgré cette situation qui l’exposait à un risque de contamination très faible, la société Les Vracs de l’Estuaire verse aux débats le rapport d’incident dressé par M. [W] [F], responsable hiérarchique direct de M. [I], qui établit que, sur la courte période du 14 au 17 avril 2020 où il a été présent dans l’entreprise, il a réagi de façon très excessive et inadaptée.
Ainsi, sans que ces éléments ne soient contestés par le salarié, son supérieur hiérarchique dénonce le fait que M. [I] n’a eu de cesse sur ses trois jours de présence de proférer des insultes, des violences verbales et des menaces d’atteintes physiques, pour manifester son insatisfaction sur les instructions qui lui étaient données dans le cadre du fonctionnement de la chaîne d’expédition à laquelle il était affecté, qu’il a procédé à une utilisation excessive et préjudiciable aux autres salariés de gels hydro-alcooliques, qu’il a détérioré des installations de production en intervertissant volontairement les tuyaux de l’imprimante alors qu’il s’agissait d’une opération qu’il réalisait quotidiennement, dans le but d’empêcher le fonctionnement de la machine, les autres salariés estimant que ce comportement les mettait en danger.
Si ce rapport montre de manière incontestable que M. [I] était, au moment où il a exercé son droit de retrait, dans un état d’anxiété et de stress exacerbé face au risque d’exposition au virus de la COVID-19, force est néanmoins de considérer que ce seul élément, de nature exclusivement subjective, ne peut caractériser, en l’absence d’éléments matériels et objectifs établissant, dans le cadre de l’exécution de son poste de travail, l’existence d’un risque d’exposition au virus, un motif raisonnable de penser que M. [I] se trouvait dans une situation présentant un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. Le droit de retrait ne peut donc être valablement invoqué.
Cet exercice infondé du droit de retrait qui place M. [I] dans une situation d’absences injustifiées du 17 avril 2020 au 29 avril 2020, date du début de son arrêt maladie, ne constitue pas un fait fautif suffisamment grave pour caractériser l’impossibilité de maintien du salarié dans l’entreprise et valider le licenciement pour faute grave litigieux. En revanche, ces faits sont constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, le jugement entrepris étant infirmé en ce sens.
I – b) Sur les conséquences financières
* Sur l’indemnité de préavis
Aux termes de l’article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
La convention collective applicable ne prévoit pas de dispositions plus favorables.
En l’espèce, eu égard à l’ancienneté de plus de trois ans de M. [I] et sur la base d’un salaire mensuel moyen non contesté de 1 947, 97 euros, il peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés de 3 895,94 euros, outre la somme de 389,59 euros au titre des congés payés afférents.
* Sur l’indemnité légale de licenciement
En application des dispositions des articles L.1234-9 et R.1234-1 à R.1234-4 du code du travail dans leur rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 et du décret du 25 septembre 2017 applicable au présent litige, le salarié licencié qui compte au moins huit mois d’ancienneté au service du même employeur a droit à une indemnité de licenciement dont le montant ne peut être inférieur à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoute un tiers de mois de salaire par année au-delà de dix ans d’ancienneté. En cas d’année incomplète, l’indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets. La convention collective applicable ne contient pas de dispositions plus favorables.
En application de ces dispositions, M. [I] qui a 3 ans et 11 mois d’ancienneté, peut prétendre à une indemnité de [(1 947,97 /4) x 3] +[ (1 947,97/4) x 11/12] = 1 907,39 euros.
II – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Les Vracs de l’Estuaire aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu’en cause d’appel et non compris dans les dépens, étant précisé qu’il n’apparaît pas au dossier que M. [I] soit bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ou qu’il ait fait une demande en ce sens auprès du bureau d’aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Requalifie le licenciement pour faute grave de M. [T] [I] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Les Vracs de l’Estuaire à payer à M. [T] [I] les sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 3 895,94 euros
congés payés afférents : 389,59 euros
indemnité légale de licenciement : 1 907,39 euros
Condamne la SAS Les Vracs de l’Estuaire aux entiers dépens de l’instance ;
Déboute la SAS Les Vracs de l’Estuaire de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Les Vracs de l’Estuaire à payer à M. [T] [I] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais générés tant en première instance qu’en cause d’appel.
La greffière La présidente