Télétravail : 21 mars 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/02253

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Télétravail : 21 mars 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/02253
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21 mars 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/02253

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 21 MARS 2023

N° RG 21/02253 – N° Portalis DBVY-V-B7F-G3FJ

S.A. ARVAL SERVICE LEASE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

C/ [V] [R]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANNECY en date du 14 Octobre 2021, RG F 20/00168

APPELANTE ET INTIMEE INCIDENTE

S.A. ARVAL SERVICE LEASE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Karine BEZILLE de la SCP LEFEVRE PELLETIER & ASSOCIES, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS, substituée par Me Charlotte SICSIC, avocat au barreau de PARIS

et par Me Franck GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant inscrit au barreau de CHAMBERY

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENTE

Madame [V] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Virginie VABOIS, avocat au barreau D’ANNECY

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 Février 2023 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Frédéric PARIS, Président, chargé du rapport

Madame Françoise SIMOND, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Capucine QUIBLIER,

Copies délivrées le :

********

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [V] [R] a été engagée par la société Arval Service Lease sous contrat à durée indéterminée du 17 décembre 2007 en qualité d’opérateur Middle Office coefficient G 190 de la convention collective des Services de l’Automobile.

La société est une filiale du groupe BNP Paribas et exploite une activité de location de véhicules de longue durée pour les entreprises.

La salariée était affectée à l’établissement Arval Trading à [Localité 4], gérant l’activité d’exportation de véhicules d’occasion.

L’effectif de la société est de 2100 salariés, l’établissement d'[Localité 4] employant 55 salariés.

Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée percevait un salaire mensuel brut de 2304,28 €.

La salariée a été placée en arrêt de travail le 8 février 2019.

Elle a repris le travail le 16 février 2019 et a été à nouveau placée en arrêt de travail à compter du 20 février 2019.

Le médecin du travail lors de la visite de reprise a émis un avis d’inaptitude dans ces termes : ‘Inapte au poste occupé avant l’arrêt maladie. L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans l’entreprise Arval Trading ainsi que dans tout le groupe Arval et BNP Paribas.’

Le comité économique et sociale a été consulté le 7 juillet 2019.

Par lettre du 11 juillet 2019, la société a informé la salariée de son impossibilité de reclassement dans l’entreprise ou le groupe.

La salariée a été licenciée pour inaptitude 2 août 2019.

Contestant son licenciement elle a saisi le conseil des prud’hommes d’Annecy le 31 juillet 2020 à l’effet d’obtenir diverses indemnités.

Par jugement du 14 octobre 2021 le conseil des prud’hommes a :

– fixé la moyenne des salaires bruts de la salariée à la somme de 2395,06 €,

– dit et jugé que la salariée a été victime de harcèlement moral,

– dit que licenciement est irrégulier en la forme pour non respect des délais minimaux,

– dit que licenciement est nul, comme étant la conséquence directe du harcèlement moral,

– condamné la société Arval Service Lease à payer à Mme [R] les sommes suivantes :

* 7500 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,

* 4790,12 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 479,01 € de congés payés afférents,

* 17 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 1700 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les intérêts courant à compter jugement seront capitalisés,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit pour les sommes dues à caractère salarial,

– débouté Mme [R] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Arval Service Lease de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Arval Service Lease aux dépens.

La société Arval Service Lease a interjeté appel par déclaration du 19 novembre 2021 au réseau privé virtuel des avocats sur l’intégralité du jugement à l’exception du rejet du surplus des demandes de Mme [R].

Mme [R] a formé appel incident sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du harcèlement moral et au titre du licenciement nul.

Par conclusions notifiées le 1er décembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens la société Arval Service Lease demande à la cour de :

– déclarer son appel recevable et fondé,

– infirmer le jugement à l’exception du rejet de la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– débouter Mme [R] de ses demandes,

– condamner Mme [R] à lui payer la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux dépens.

Elle soutient en substance que la salariée n’a subi aucun préjudice au titre de l’irrégularité de la procédure à savoir la notification du licenciement sans respecter le délai de deux jours entre la date de l’entretien préalable et la notification. En outre des dommages et intérêts pour irrégularité ne peuvent se cumuler avec des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La salariée ne fournit aucun élément précis sur le harcèlement moral allégué.

Si elle a proposé une mobilité en Suisse en 2016, une telle proposition constitue un fonctionnement normal du groupe, la salariée s’était d’ailleurs montrée favorable à une telle mobilité.

L’attitude de la salariée montrait un désintérêt pour la politique de partage et de collaboration.

Les remarques des managers n’étaient destinées que pour tenter de résoudre ces difficultés de comportement.

La communication et les difficultés de collaboration ont été régulièrement indiquées dans les entretiens d’évaluation.

Le directeur lors de l’entretien du 16 février 2019 n’a fait que rappeler à la salariée ses obligations en termes d’implication et d’investissement.

Sur le télétravail, il lui avait été simplement indiqué que sa demande était incompatible avec l’objectif de travail en collaboration mais que cette demande pourrait être réinstruite à l’avenir.

Elle produit les résultats d’une enquête sur le personnel (GPS, Global People Survey) montrant un taux de satisfaction important du personnel sur le management.

Elle apporte donc des éléments permettant d’écarter tout harcèlement moral.

Concernant le manquement à l’obligation de sécurité invoqué, elle a mis en place des mesures de prévention des risques psychosociaux.

La salariée n’a jamais alerté sa hiérarchie et les représentants du personnel alors qu’une procédure d’alerte a été prévue en matière de souffrance au travail.

Si la salariée a été reçu à deux reprises le même jour, il s’agissait d’un premier entretien classique lors de la reprise de salariée après un arrêt de travail. L’autre entretien portait sur la nécessité d’un comportement adapté, c’est pour cela qu’il a été tenu par deux managers, dont la présence était justifiée par leur rôle et leur responsabilité respective ; il n’agissait pas d’un entretien disciplinaire et une assistance de la salarié n’était pas requise.

Pour le montant des dommages et intérêts réclamés, la salariée n’établit pas son préjudice.

Par conclusions notifiées le 6 novembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, Mme [R] demande à la cour de :

– d’infirmer le jugement sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du harcèlement moral et au titre du licenciement nul,

– le confirmer pour le surplus,

– condamner la société Arval Service Lease à lui payer une somme de 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que jusqu’en 2016, la relation de travail n’avait posé aucune difficulté.

A partir de 2016, la société adopte une politique de restriction de ses effectifs.

Le directeur de l’époque a cherché à l’évincer en lui proposant un poste en Suisse.

Elle l’a refusé, le trajet domicile/travail étant trop long. Elle a vécu cette proposition comme un affront.

Les conditions de travail vont se dégrader suite à ce refus.

Les relations de travail vont encore plus se dégrader avec l’arrivée d’un nouveau directeur en 2018, M. [L]. Les relations sont tendues avec tout le personnel et en particulier avec elle.

Elle doit travailler dans un climat délétère avec des reproches, des pressions incessantes: critiques injustifiées, contrôle disproportionné de son travail, adjonction de tâches n’entrant pas dans le champ contractuel, mise à l’écart, agression verbale de son N +1, menaces publiques de rupture du contrat de travail.

Ces agissements n’avaient pour objectif que de la faire craquer afin qu’elle quitte l’entreprise.

Elle produit une attestation d’un ancien directeur commercial, M. [H] qui relate que le directeur avait annoncé en réunion qu’il voulait que Mme [R] parte de l’entreprise.

Elle verse en cause d’appel trois autres attestations qui confirment les agissements subis et la volonté du directeur d’évincer la salariée.

Elles démontrent que pour parvenir à ses fins, le directeur n’hésitait pas à la dénigrer, l’intimider et l’humilier.

De telles méthodes de management inappropriées sont caractéristiques d’un harcèlement moral.

Souhaitant continuer son travail, en améliorant ses conditions de travail elle a demande de pouvoir travailler en télétravail , ce qui a été refusé catégoriquement.

A bout, elle a été contrainte d’être placée en arrêt de travail le 17 janvier 2019.

Elle a repris le travail le 16 février 2019 mais aucune mesure n’a été prise.

Au contraire, elle a été convoquée à deux reprises le même jour, la deuxième fois par le directeur général et son N +1. Cet entretien a été humiliant, il lui a été dit que l’entreprise ira mieux sans elle.

La tenue de deux entretiens le même jour démontre que les faits de harcèlement se sont doublés d’une violation de l’obligation de sécurité.

Le second entretien n’était pas justifié, elle n’a jamais eu un comportement inapproprié.

Elle a été placée lors de cet entretien en situation d’intimidation en présence de deux encadrants sans possibilité de se faire assister.

Deux jours après elle est nouveau placée en arrêt de travail.

Son état de santé ne lui permet pas de reprendre le travail, et elle sera déclarée inapte à son poste avec impossibilité de tout reclassement.

Ces éléments pris dans leur ensemble établissent qu’elle a subi des agissements de harcèlement moral.

L’employeur ne produit aucun élément prouvant que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement moral. Il ne fait que critiques les éléments amenés par la salariée.

Elle produit des attestations de collègues relatant ses qualités professionnelles et ses bonnes relations humaines dans l’entreprise.

Face à l’absence d’éléments probants justifiant ses décisions l’employeur tente de se réfugier derrière la politique de prévention de l’entreprise.

Les documents produits émanent du niveau national et non local et ne sont pas de nature à exclure l’existence de risques psychosociaux au sein de la société.

Au contraire les attestations produites montrent une souffrance généralisée du personnel.

A compter de l’arrivé du nouveau directeur, un turn over important du personnel s’est produit, des salariés ont été licenciés pour inaptitude, ou ont démissionné ou accepté des ruptures conventionnelles.

L’importance du harcèlement subi, justifie un montant plus élevé de dommages et intérêts que le montant alloué par le conseil des prud’hommes.

Sur le licenciement, l’employeur n’a pas respecté le délai de notification entre l’entretien préalable et la décision de licenciement. Le jugement sera confirmé sur ce point.

L’inaptitude est la conséquence directe du harcèlement subi ; ce lien est établi par le dossier médical.

En tout état de cause, l’employeur connaissait la souffrance de la salariée, mais il n’a pris aucune mesure de nature à y mettre un terme. Il a donc manqué à son obligation de sécurité, et le licenciement sur ce fondement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle a subi un préjudice important résultant du licenciement.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 20 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article L 1152-1 du code du travail dispose : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’.

L’employeur doit veiller à ce que ses salariés n’adoptent pas des agissements de harcèlement moral et prendre toutes dispositions pour prévenir ou faire cesser ce type de comportement.

En application de l’article L 1154-1 du code du travail cas de litige, il appartient d’abord au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ; que l’employeur doit ensuite prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étranger à tout harcèlement.

Les méthodes de gestion dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible notamment de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, ou d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel peuvent caractériser un harcèlement moral.

Le juge doit considérer les faits pris dans leur ensemble pour apprécier s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

L’article L 1152-3 dispose que ‘toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire L 1152-2 est nul.’.

Sur la période de l’année 2016, la mobilité proposée est une gestion normale du personnel que la salariée a refusé comme elle avait le droit de le décider, elle ne verse aucun élément laissant suspecter que l’employeur aurait fait pression sur elle à cette époque.

En revanche à compter de l’année 2018, la salariée verse plusieurs éléments.

Elle produit l’attestation de M. [H] relatant que ‘lors d’une réunion avec le directeur général et d’autres membres du comité de direction, le directeur général mécontent nous a interpellé pour nous dire qu’il avait entendu parler d’opposition de notre part à la décision qu’il avait prise de faire partir [V] de la société Arval Trading. Il a ajouté que si nous ne voulions pas qu’elle parte, nous pouvions la prendre dans notre service…’.

Elle verse aussi trois autres attestations d’anciens salariés de l’entreprise.

M. [I] atteste que ‘Lors d’un point individuel, le directeur général d’Arval Trading, celui-ci m’a dit [W], c’est comme [V], je n’ai pas envie de travailler avec lui. Un climat délétère s’est installé depuis le changement de direction en août 2018 accompagné d’un grand nombre de départ alors que le turn over des effectifs était très faible avant ce changement.

M. [D] relate : ‘J’apporte mon témoignage sur des faits qui se sont déroulés à partir de la prise de poste du nouveau directeur général d’Arval Trading M. [L] en 2018. Rapidement après son arrivée lors des séances plénières collectives, M. [L] a exprimé devant l’ensemble des salariés ses intentions et sa volonté de vouloir faire partir des collaborateurs en précisant qu’il savait bien comment faire. A partir de ces annonces, l’environnement de travail est devenu très stressant, lourd et pesant et notamment au département finances..Les mois suivants il y a eu de nombreux départs de salariés dans différents services de l’entreprise…’ Le témoin cite le nom de dix huit salariés, dont celui de Mme [R]. Il conclut : le taux de turn over était nettement plus faible les années précédentes. Sous la direction de M [L], il y a également des arrêts de travail en nombre important avec des durées supérieures aux périodes précédant sa prise de poste.’.

M. [S] relate ‘suite à l’arrivée du nouveau directeur général en 2018…l’ambiance est devenue rapidement pesante et plusieurs personnes ont été poussées à quitter la société. J’ai régulièrement constaté lors des séances plénières ou de réunions que M. [L] portait des jugements négatifs envers des collaborateurs dont il n’était pas satisfait et que ceux qui n’étaient pas contents savaient où se trouvait la sortie…Cette atmosphère tendue a provoqué de nombreux arrêts maladie de longues durées. En effet, cette gouvernance par la peur et l’intimidation a joué sur le moral des collaborateurs. M. [L] m’a moi même au cours d’un entretien menacé de me virer et cela devant un témoin, mon responsable comptable, M. [M] [I]. Dans ce contexte de nombreux départs contraints se sont succédé. J’ai assisté à ceux de…[V] [R]…’.

Ces attestations sont précises et concordantes.

La salariée dans un mail du 30 juillet 2019 adressé au responsable des relations humaines de la société a exposé que ‘je souhaite toutefois vous dire qu’après presque 12 ans de travail chez Arval Trading je n’aurais pas pu imaginer un départ de cette façon. Je tiens également à vous dire qu’il y eu un grand manque de management car il était impensable qu’après un retour en entreprise suite arrêt maladie de 5 semaines entendre que ma présence n’était pas souhaitable, que l’entreprise se portait mieux sans mois ainsi que mes collègues et j’ai été conseillé de quitter l’entreprise alors que la raison de mon arrêt de travail était connue de ma hiérarchie. On m’a aussi dit que des personnes comme moi cherchent toujours la faute chez l’autre e ne se remettent jamais en question alors que les arrêts maladie chez Arval Trading battent des records et également les départs…Ce rejet et indifférence m’ont profondément traumatisée. C’était un traitement inhumain et cela ne devrait pas se produire dans une entreprise.’.

Si une partie à un litige ne peut se faire une preuve à elle même, ce mail toutefois est précis et concorde avec les témoignages suscités.

Ces éléments laissent présumer l’existence d’un discrédit porté sur la salariée par le directeur général et d’un management ne respectant pas la dignité de salariés dont Mme [R].

La salariée a été placée en arrêt de travail le 8 février 2019.

Il est constant qu’elle avait rencontré le directeur général lors de sa reprise le 16 février 2019 puis ce même directeur le même jour en présence du supérieur N+1.

S’il n’est produit aucun élément sur le contenu de ces entretiens si ce n’est la version de chaque partie, la salariée a été à nouveau en arrêt de travail à compter du 20 février 2019.

La salariée n’a plus repris le travail après cet arrêt et a déclaré inapte par avis du 17 juin 2019, le médecin du travail estimant que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Ces éléments chronologiques accréditent aussi l’existence d’un management inapproprié.

Par ailleurs, le médecin du travail dans une lettre du 23 mai 2019 adressé au médecin traitant de la salariée indique : ‘J’ai examiné ce jour Mme [V] [E]…Lors de l’examen, j’ai constaté un état de détresse qu’elle attribue à ce qu’ elle a vécu au travail avant son arrêt : pleurs à l’évocation de l’entretien qu’elle a eu avec son directeur ; récidive de troubles de sommeil lors de l’évocation de visites en lien avec le travail, stress en passant aux abords de l’entreprise. Tout ceci traduit un état de souffrance important lié au travail et qui me semble justifier son inaptitude médicale à retourner dans cette entreprise. Pouvez vous me donner votre avis sur le point suivant : Mme [R] peut-elle reprendre le travail sans risque pour sa santé ”.

Le médecin traitant a répondu le 4 juin 2019 : ‘ Bien d’accord avec vous pour une inaptitude à retourner dans son entreprise. Par contre, il n’y a pas de contre-indication à la reprise d’un travail ailleurs que dans cette entreprise sur le plan médical.’.

Il résulte de ces éléments pris dans leur ensemble que la salariée présentent des éléments laissant supposer l’existence d’agissements de harcèlement moral.

Si l’employeur produit des éléments notamment des évaluations professionnelles établissant que la salariée pouvait adopter des comportements difficiles notamment lors de réunions où elle ne participait pas suffisamment et une communication quelques fois déficiente (partage de l’information avec des collègues de travail), ces difficultés ne saurait justifier objectivement des méthodes de management inappropriées.

Le fait que l’employeur ait mis en place une procédure d’alerte et des mesures concernant les risques psychosociaux n’établissent pas que ses décisions et son attitude à l’égard de la salariée reposaient sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Dans ces conditions le harcèlement moral est établi.

Au regard des circonstances de fait sus-exposées, de la chronologie des faits, et des avis médicaux, du contenu de la lettre du médecin du travail et de la réponse du médecin traitant, le lien entre l’inaptitude et le harcèlement subi est parfaitement établi.

Le licenciement pour inaptitude est dès lors nul.

La salariée ne réclame aucune indemnité au titre de la violation de l’obligation de sécurité, l’employeur n’a pas en tout cas manqué à son obligation de sécurité, ce dernier ayant mis en place des mesures de prévention et une procédure d’alerte en cas de souffrance au travail et de harcèlement, la salariée ne rapportant pas en outre la preuve qu’elle ait averti l’employeur de la cause de son arrêt de travail du 8 février 2019.

La salariée a droit l’indemnité de préavis s’agissant d’un licenciement nul. Son montant n’est pas contesté, le jugement sera confirmé sur ce point.

Elle a aussi droit à des dommages et intérêts d’un montant minimum équivalent à six mois de salaires.

Elle percevait un salaire mensuel brut moyen de 2395,06 €.

Elle bénéficiait d’une ancienneté de onze années et demi.

Elle a subi un préjudice de perte d’emploi du fait du licenciement nul et s’est retrouvée au chômage alors qu’elle exerçait une activité salariée stable et rémunératrice.

Au regard de ces éléments, il lui sera alloué des dommages et intérêts de 25 148 € équivalents à 10,5 mois de salaire.

En revanche, le jugement sera infirmé en ce qu’il a accordé une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement, une telle indemnité ne pouvant se cumuler avec une indemnité au titre d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, en vertu de l’article L 1235-2 du code du travail.

Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral, le conseil des prud’hommes a exactement apprécié le préjudice subi au regard des faits subis en allouant des dommages et intérêts de 7500 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement en date 14 octobre 2021 rendu par le conseil des prud’hommes d’Annecy en ce qu’il a :

– fixé la moyenne des salaires bruts de la salariée à la somme de 2395,06 €,

– dit et jugé que la salariée a été victime de harcèlement moral,

– dit que licenciement est irrégulier en la forme pour non respect des délais minimaux,

– dit que licenciement est nul, comme étant la conséquence directe du harcèlement moral,

– condamné la société Arval Service Lease à payer à Mme [R] les sommes suivantes :

* 7500 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 4790,12 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 479,01 € de congés payés afférents,

* 1700 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les intérêts courant à compter jugement seront capitalisés,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit pour les sommes dues à caractère salarial,

– débouté la société Arval Service Lease de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Arval Service Lease aux dépens ;

L’INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,

CONDAMNE la société Arval Service Lease à payer à Mme [R] la somme de 25 148 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

DÉBOUTE Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier, et du surplus de sa demande à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

CONDAMNE la société Arval Service Lease aux dépens d’appel ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Arval Service Lease à payer à Mme [V] [R] la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 21 Mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Capucine QUIBLIER, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 


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