Télétravail : 28 mars 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01603

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Télétravail : 28 mars 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 21/01603
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28 mars 2023
Cour d’appel de Besançon
RG n°
21/01603

ARRÊT N° 23/

BUL/XD

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 28 FEVRIER 2023

CHAMBRE SOCIALE

Audience publique

du 22 novembre 2022

N° de rôle : N° RG 21/01603 – N° Portalis DBVG-V-B7F-ENMH

S/appel d’une décision

du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BESANCON

en date du 23 juillet 2021

Code affaire : 80A

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

APPELANT

Monsieur [V] [E], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Audrey MAURIES, avocat au barreau de BESANCON, présente

INTIMEE

CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE FRANCHE COMTE sise [Adresse 1]

représentée par Me Ludovic PAUTHIER, Postulant, avocat au barreau de BESANCON, présent et par Me Myriam ARIZZI-GALLI, Plaidante, avocat au barreau de BESANCON, présente

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats du 22 Novembre 2022 :

Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre

Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller

Mme Florence DOMENEGO, Conseiller

qui en ont délibéré,

Mme Stéphanie MERSON GREDLER, greffière lors des débats

M. Xavier DEVAUX, directeur de greffe lors de la mise à disposition

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 24 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l’arrêt a été prorogé au 21 février 2023 puis au 28 février 2023.

**************

FAITS ET PRETENTIONS

M. [V] [E] a été embauché par la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel de Franche Comté (ci-après CAMFC) en qualité d’agent commercial sous contrat à durée déterminée à compter du 1er juillet 1998 et affecté à l’agence de [Localité 3], puis en vertu d’un contrat à durée indéterminée à compter du 2 août 1999 au poste d’assistant clientèle sur l’agence de [Localité 7].

La convention collective applicable était la Convention collective nationale du Crédit Agricole du 4 novembre 1987.

Suite à une visite médicale auprès du médecin du travail le 11 avril 2018, M. [V] [E] a été reconnu apte à son poste avec restrictions (changement d’environnement, hors contact clientèle) et son lieu de travail a été fixé [Adresse 5] à [Localité 4].

Après plusieurs visites médicales, le médecin du travail a finalement déclaré M. [V] [E] inapte à son poste le 9 janvier 2019 mais avec des indications relatives au reclassement du salarié (travail hors clientèle, pas de bureau partagé, éviter le travail collectif, télé-travail).

Après l’avoir avisé par courrier du 29 janvier 2019 de l’impossibilité de son reclassement et l’avoir convoqué par pli recommandé du 1er février 2019 à un entretien préalable à licenciement, le CAMFC a notifié à M. [V] [E], par courrier du 18 février 2019, son licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement après avis favorable des délégués du personnel.

Contestant son licenciement, M. [V] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Besançon aux fins de voir dire son congédiement dépourvu de cause réelle et sérieuse et obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 23 juillet 2021, ce conseil a débouté M. [V] [E] de ses demandes et l’a condamné à verser à son employeur la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en sus des dépens.

Les premiers juges ont considéré que l’employeur avait satisfait à son obligation de recherche d’un poste de reclassement de son salarié au sein du groupe en sollicitant les autres agences et justifié que sur les huit postes disponibles aucun n’était conforme aux préconisations du médecin du travail (soit travail collectif, soit travail en clientèle).

Par déclaration du 30 août 2021, M. [V] [E] a relevé appel de cette décision et selon dernières conclusions du 11 octobre 2022, demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

– dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse

– condamner le CAMFC à lui verser la somme de 42 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif

– rejeter la demande reconventionnelle du CAMFC au titre des frais irrépétibles et le condamner à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en sus des entiers frais et dépens de l’arrêt à intervenir

Par conclusions du 22 février 2022, le CAMFC conclut à la confirmation du jugement déféré, au rejet des prétentions adverses et à la condamnation de l’appelant à lui verser une indemnité de procédure de 2 000 euros en sus des dépens.

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur le manquement de l’employeur à son obligation de reclassement

En application de l’article L.1226-2 du code du travail, ‘lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel il appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu’il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail’.

Au cas particulier, M. [V] [E] estime que son employeur a manqué à son obligation de procéder à une recherche sérieuse et loyale de reclassement.

Il déplore tout d’abord un enchaînement de mesures à compter de la visite médicale du 7 mars 2018, caractérisant une mise à l’écart puisqu’alors que le médecin du travail le déclarait apte à cette date, il a préconisé le 11 avril 2018 un “changement d’environnement de travail, hors clientèle” qui a conduit le CAMFC à l’affecter à [Localité 4], exigeant de lui un déménagement, avant de suivre les préconisations consécutives à la visite du 29 novembre 2018 en recherchant un poste hors clientèle, évitant le travail collectif et les bureaux partagés.

Il estime que le médecin du travail a été influencé par l’employeur qui lui imputait sans en justifier des “troubles du comportement” représentant un “danger” pour ses collègues.

Il fait encore grief à l’employeur de ne pas l’avoir associé à la recherche de reclassement, de ne pas justifier avoir adressé son courriel de recherche de postes à l’ensemble des sociétés du groupe, de ne pas avoir mentionné d’informations précises sur son profil et son expérience et de ne pas avoir attendu la réponse des 93 destinataires, se contentant des réponses de 33 d’entre eux.

Il fait donc grief au jugement querellé de ne pas avoir déduit des éléments de fait communiqués que son licenciement pour inaptitude était constitutif d’une éviction brutale et dénuée de toute recherche sérieuse et loyale de reclassement et de ne pas avoir considéré, de ce fait, qu’il était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le CAMFC réfute toute éviction brutale et soutient avoir scrupuleusement suivi les préconisations du médecin du travail, que M. [E] n’a d’ailleurs jamais contestées

A ce titre il invoque les articles 70 et 564 du code de procédure civile pour soutenir que cette “demande” est irrecevable comme présentée pour la première fois à hauteur d’appel.

Il rappelle que son salarié a menacé en réunion ses collègues présents dans les termes suivants : “J’ai une solution pour vous, je vais tous vous buter et on n’en parle plus”, qu’il n’observait pas le suivi médical spécialisé préconisé par le médecin du travail et que son comportement, qui suscitait la crainte de ses collègues dès lors qu’il possède des armes, l’a contraint de saisir ce médecin.

Il soutient avoir respecté son obligation par l’envoi de 93 courriels, avec relances, auxquels était joint le curriculum vitae du salarié.

En premier lieu, M. [V] [E] fait valoir à juste titre qu’en évoquant pour la première fois à hauteur de cour la notion d’éviction brutale il ne formalise aucune demande nouvelle mais invoque un moyen nouveau.

En effet, en vertu de l’article 563 du code de procédure civile, ‘pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves’.

Il s’ensuit que le moyen adverse évoqué dans le corps des écrits de l’intimée mais dont il n’est tiré aucune conséquence juridique dans le dispositif de ceux-ci, tiré des articles 70 et 564 du même code pour soutenir que cette “demande” serait irrecevable, est inopérant.

S’agissant du fond, il ressort des pièces communiquées que dans une attestation de suivi individuel de l’état de santé du 11 avril 2018, faisant suite à une visite à la demande et un échange avec l’employeur, le docteur [U], médecin du travail, a préconisé un changement d’environnement de travail hors contact clientèle de M. [V] [E] et prévu une nouvelle visite sous trois mois après un suivi spécialisé médical.

Cette visite intervenue le 3 août 2018 a conduit le médecin du travail à constater que M. [V] [E] n’avait engagé aucun suivi spécialisé en dépit de ses précédentes prescriptions et a renouvelé celles-ci.

A l’issue de la visite du 29 novembre 2018, ce même médecin a proposé les mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail suivantes, en application de l’article L.4624-3 du code du travail :

– travail hors clientèle

– pas de bureaux partagés

– éviter le travail collectif

– envisager un reclassement de poste de travail avec les restrictions citées précédemment

Par avenant du 16 mai 2018, le CAMFC avait d’ores et déjà pris en compte les premières préconisations précitées en affectant à compter du 22 mai suivant son salarié, alors conseiller chargé de clientèle au pôle de [Localité 6], aux fonctions de technicien service crédit clients de l’unité ‘Service crédit clients’ située [Adresse 5] à [Localité 4].

Il a ensuite informé M. [V] [E] par lettre remise en main propre contre décharge le 6 décembre 2018 de son autorisation d’absence rémunérée à compter du lendemain dans l’attente d’une étude de poste en vue d’un reclassement à la suite des restrictions formulées par le médecin du travail dans sa dernière attestation de suivi.

Après étude du poste de technicien service crédit clients réalisée le 28 décembre 2018, le médecin du travail, constatant que le salarié y était en contact avec la clientèle et ses collègues de permanences et exerçait ses fonctions en ‘open space’ a émis le 9 janvier 2019 un avis d’inaptitude au poste occupé et préconisé un reclassement administratif avec bureau non partagé, télétravail à distance, un travail hors clientèle sans bureau partagé en évitant tout travail collectif.

A la suite de cet avis d’inaptitude, la directrice de la responsabilité sociale et environnementale dont dépend l’établissement dans lequel exerçait le salarié a informé les délégués du personnel, convoqués en assemblée générale extraordinaire le 25 janvier 2019, afin de recueillir leur avis sur la recherche de reclassement du salarié.

Il ressort du procès-verbal de cette réunion que les délégués ont été informés qu’à la suite d’une procédure de recherche de reclassement engagée le 11 janvier 2019 auprès des caisses régionales et filiales du groupe Crédit Agricole, la direction des ressources humaines, en dépit d’un courriel de relance, n’a réceptionné que 33 réponses sur les 87 destinataires concernés, toutes négatives comme ne répondant pas aux contraintes exprimées médicalement.

Les représentants du personnel ont également été avisés que sur les 8 postes disponibles depuis le 9 janvier 2019 au sein du CAMFC, 7 d’entre eux concernent le réseau commercial en lien avec la clientèle, incompatibles avec l’une des prescriptions médicales (travail hors clientèle) et que le poste de responsable BCD est un emploi de management exigeant une expérience en ce domaine et surtout un travail collectif ne répondant pas aux autres prescriptions.

Si les représentants du syndicat CGT se sont abstenus, les représentants des syndicats CFDT et SNECA-CGC ont exprimé leur avis favorable à une impossibilité de reclassement, évoquant la difficulté à trouver un poste répondant à toutes les restrictions médicales et confirmant la crainte des collègues de M. [V] [E] face aux troubles de comportement de ce dernier et à un risque de passage à l’acte violent.

Aux termes du procès-verbal établi à l’issue de la réunion du 15 février 2019 les représentants du personnel ne se sont pas opposés à la procédure de licenciement pour inaptitude de M. [V] [E], en raison de l’impossible reclassement au sein du groupe dans un poste répondant aux restrictions émises par le médecin du travail.

En premier lieu, M. [V] [E] ne peut sérieusement soutenir que le médecin du travail a été influencé par l’employeur et que ce dernier lui a imputé sans en justifier des “troubles du comportement” représentant un “danger” pour ses collègues, alors qu’il procède sur le premier point par affirmation et que le docteur [U], qui l’a rencontré à plusieurs reprises en l’invitant à bénéficier d’un suivi spécialisé, a nécessairement pu prendre la mesure, d’un point de vue médical, de la situation qui lui était soumise.

Par ailleurs, si le comportement de l’appelant invoqué par le CAMFC est effectivement décrit dans des correspondances émanant de ce dernier, dans lesquelles sont notamment évoquées sa méfiance vis à vis de son entourage professionnel qu’il accuse de lui dérober ses dossiers, sa menace de ‘buter’ ses collègues alors que ceux-ci le savent en possession d’armes pour pratiquer la chasse et le tir à la carabine, la cour relève cependant que les représentants du personnel ont confirmé le caractère anxiogène de ce comportement et sa dangerosité potentielle, ressentie comme telle par les salariés ayant été en contact avec l’intéressé.

Il ne peut davantage prétendre que la recherche de reclassement au sein du groupe n’aurait été ni sérieuse ni loyale au motif que l’employeur ne justifierait pas avoir adressé une demande de reclassement à l’ensemble des sociétés du groupe, qu’il n’aurait pas attendu la réponse de l’ensemble des destinataires et qu’il se serait abstenu de joindre à sa demande les informations nécessaires à son reclassement, à savoir le montant de sa rémunération et le poste de technico-commercial qu’il a occupé durant 20 ans.

En effet, il résulte du courriel adressé par l’employeur à 87 destinataires que figurent en pièces jointes le ‘formulaire de reclassement (26Ko)’, renvoyé par la plupart des destinataires, dûment renseigné, et le ‘mini CV (32 Ko), communiqué en pièce n°32, lequel mentionne, outre l’identité et les coordonnées du salarié, les informations sur son emploi actuel (métier : technicien service crédit clients, affectation le 22 mai 2018, CDI, temps plein, classe 2, position d’emploi 6, position personnel 8) mais également l’historique de sa carrière au sein de la caisse régionale depuis le 1er juillet 1998 avec mention des emploi occupés. Si la mention de sa rémunération y est certes absente, cet élément apparaît accessoire dans le cadre d’une telle démarche pour être susceptible d’être examinée dans un second temps.

En outre, la seule circonstance que certains destinataires n’aient pas donné suite à l’envoi de ce courriel, en dépit d’une relance, ne saurait être reprochée à l’employeur, qui ne saurait voir sa démarche de recherche de reclassement mise en échec en raison de la carence de ses interlocuteurs, étant observé que la part des destinataires ayant répondu (33 sur 87) est suffisamment large pour considérer que la recherche a été sérieuse.

Enfin les postes présentés comme étant disponibles au sein du CAMFC à la date de la recherche de reclassement apparaissent tous incompatibles avec les restrictions médicalement prescrites par le médecin du travail, ce dont M. [V] [E] ne disconvient d’ailleurs pas formellement.

C’est donc vainement, au regard des développements qui précèdent, que l’appelant se prévaut d’une violation par son employeur de l’obligation de rechercher sérieusement et loyalement un reclassement, une telle allégation étant contredite par les éléments de faits ci-dessus examinés.

Le jugement querellé sera donc confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement pour inaptitude était fondé et en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire.

II – Sur les demandes accessoires

La décision entreprise sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais non répétibles et aux dépens.

S’il apparaît équitable de laisser à chaque partie le surplus des frais irrépétibles qu’elle a exposés en appel, M. [V] [E], qui succombe en sa voie de recours, sera condamné aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Déboute M. [V] [E] et la SCPC Crédit Agricole Mutuel de Franche-Comté de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [V] [E] aux dépens d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt huit février deux mille vingt trois et signé par M. Christophe Estève, président de la chambre sociale, et M. Xavier DEVAUX, directeur de greffe.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,

 


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