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29 juin 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/02819
N° RG 21/02819 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2N3
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 29 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LOUVIERS du 09 Juin 2021
APPELANTE :
Madame [U] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me David VERDIER de la SELARL VERDIER MOUCHABAC, avocat au barreau de l’EURE substitué par Me Anne-Laure COCONNIER, avocat au barreau de l’EURE
INTIMEE :
Fondation [8]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Laurence JUNOD-FANGET de la SELARL ALYSTREE AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Emmanuelle DUGUÉ-CHAUVIN, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 24 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 24 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 29 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [U] [D] a été engagée par la Fondation [8] en qualité d’ergothérapeute par contrat de travail à durée indéterminée du 18 novembre 2019.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 août 2020, Mme [D] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par requête du 22 janvier 2021, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Louviers en requalification de la prise d’acte de la rupture de son contrat en un licenciement nul ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement du 9 juin 2021, le conseil de prud’hommes a débouté Mme [D] de l’ensemble de ses demandes, dit qu’il convient de requalifier la prise d’acte en une démission et en conséquence, a condamné Mme [D] à verser à la Fondation [8] la somme de 1 789,05 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 250 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, dit qu’à défaut d’exécution spontanée du jugement intervenu et en cas d’exécution forcée par voie extra-judiciaire, l’intégralité des sommes retenues par l’huissier instrumentaire, devra être supportée par la Fondation [8] en plus des condamnations mises à sa charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [D] a interjeté appel de cette décision le 8 juillet 2021.
Par conclusions remises le 21 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [U] [D] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, requalifier la prise d’acte en licenciement nul à titre principal, ou en licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, condamner la Fondation [8] à lui verser les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement nul à titre principal : 17.900 euros, ou, à titre subsidiaire, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 789,05 euros,
indemnité légale de licenciement : 335,45 euros,
indemnité compensatrice de préavis : 1 789,05 euros,
congés payés afférents : 178,91 euros,
débouter la Fondation [8] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, condamner la Fondation [8] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et aux frais d’exécution.
Par conclusions remises le 24 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la Fondation [8] demande à la cour de, à titre principal, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à titre subsidiaire, juger que faute pour Mme [D] de communiquer des éléments sur sa situation justifiant d’un préjudice supérieur à une somme brute de 10 734 euros, cantonner toute condamnation pour nullité du licenciement à six mois de salaires, soit 10 734 euros bruts, en tout état de cause, débouter Mme [D] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ou, à titre subsidiaire, ramener ce montant à de plus justes proportions, condamner Mme [D] à 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 4 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la prise d’acte
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d’une démission.
Dans le cadre de l’exception d’inexécution il est admis que les manquements de l’employeur à l’exécution de bonne foi du contrat de travail peuvent justifier la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié dès lors que ce dernier établit que ces manquements sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, peu important que la lettre par laquelle le salarié prend acte ne stigmatise qu’une partie des griefs finalement évoqués à l’appui de la demande dès lors que cette lettre ne fixe pas les limites du litige.
En l’espèce, la lettre de prise d’acte de la rupture du contrat de travail adressée par Mme [D] à son employeur le 20 août 2020 et les conclusions de la salariée dans le cadre de la présente instance reproche à l’employeur une situation de harcèlement moral, un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail, un défaut d’affiliation à la mutuelle et un manquement à l’obligation de sécurité.
I – a) Sur le harcèlement moral et le manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du même code, dans sa version antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 applicable au cas d’espèce prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [D] fait valoir qu’elle a subi un harcèlement moral caractérisé par de multiples manquements à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail : non remise de son contrat de travail signé, remise tardive de ses premières fiches de paie et de son premier salaire, difficulté de prise en compte des heures supplémentaires. Elle invoque également une ambiance au travail insupportable, des comportements répétitifs méprisants et discréditants, une mise en position d’échec en raison d’objectifs inatteignables malgré le manque de moyens, une absence de formation sur le logiciel OGIRYS, une pression continuelle (justification du temps de travail, demande d’information avec de courts délais, non-respect du droit à la déconnexion).
S’agissant de la mauvaise exécution du contrat de travail, il n’est pas contesté par l’employeur que si Mme [D] a été destinataire de son contrat de travail avant son embauche, ainsi qu’en atteste la copie non signée qu’elle produit aux débats, et qu’elle a paraphé ce document le 18 novembre 2019, la copie du contrat visé par le directeur général de la Fondation [8] ne lui a été remise que postérieurement le 7 juillet 2020, après qu’elle en ait fait la demande à plusieurs reprises. De même, il est constant qu’ayant été engagée le 18 novembre 2019, son salaire du mois de novembre n’a pas été comptablement enregistré dans les temps, de sorte que la situation a du être régularisée par le versement d’un acompte le 13 décembre 2019. En outre, il est établi que son bulletin de salaire du mois de décembre 2019 ne lui a été remis que le 15 janvier 2020 à sa demande.
En revanche, c’est à tort qu’elle critique l’absence de bulletin de salaire pour le mois de novembre 2019, l’examen du bulletin établi pour le mois de décembre 2019 mentionnant expressément le salaire de novembre et l’acompte versé. De même, sur les heures supplémentaires, s’il est exact que par mail du 7 février 2020, elle a signalé qu’au cours de la semaine 06, elle avait effectué 2h15 d’heures supplémentaires qui n’apparaissent pas sur son bulletin de salaire du mois de février 2020, l’examen du bulletin montre également que sur cette même période, Mme [D] a bénéficié de quatre jours de congés payés qui n’ont pas été imputés de son solde de congés, de sorte qu’elle ne peut valablement soutenir que les heures supplémentaires réalisées n’ont pas été prises en compte et compensées.
Enfin, la critique de l’absence de formation sur le logiciel OGIRYS est vaine, puisque l’échange de mails produits aux débats établit que Mme [D] se servait régulièrement de ce logiciel à l’aide du manuel d’utilisation qui lui a été remis, le fait qu’elle ne connaisse pas la manipulation nécessaire pour l’insertion d’un document n’étant ni pertinent ni significatif.
S’agissant de l’ambiance conflictuelle, dénigrante et dégradée subie dans l’exercice de ses fonctions d’ergothérapeute, Mme [D] verse aux débats une lettre du 26 juin 2020, qu’elle a co-signée avec 22 autres salariés, adressée à l’inspecteur du travail, au contrôleur de la Carsat de Normandie et au directeur général de la Fondation [8] qui, sur 26 pages, dénonce une dégradation des conditions de travail depuis 2016 entraînant un turn-over important, avec des démissions, arrêts maladie et ruptures de contrats, toutes fonctions confondues, sans que cette situation dénoncée à plusieurs reprises à la hiérarchie directe ne soit jamais entendue.
Ce courrier impute cette situation au management de M. [C], directeur de territoire, à qui il est reproché une mauvaise gestion organisationnelle (absence d’accompagnement, brimades, propos dénaturés, mise en cause de la responsabilité des professionnels, exigence de traçabilité extrême), une mauvaise gestion des ressources humaines (obstacle à l’évolution des compétences des professionnels, non-respect du droit à la déconnexion, problèmes de gestion des contrats, intrusion de l’administratif dans le clinique et le thérapeutique, difficulté à faire valider les demandes de modification d’emploi du temps, absence de place à l’échange, haussement de ton, agressivité, infantilisation), ainsi qu’au management de M. [W], coordinateur CMPP [5] [Localité 6] et [Localité 7], à qui il est reproché d’outre-passer sa mission organisationnelle pour déborder sur les aspects cliniques et thérapeutiques, de ne pas entendre la souffrance au travail des équipes, d’être peu joignable et peu accessible, les échanges étant souvent empreints d’agressivité verbale et de menaces.
Ce document est corroboré par la communication de plusieurs échanges de mails qui mentionnent des tentatives avortées d’organisation de réunions avec M. [C] sur le premier semestre de l’année 2020 pour évoquer les difficultés et tenter de les résoudre.
Certes, ainsi que le fait justement observer la Fondation [8], qui ne conteste pas la situation décrite dans ce courrier, ces éléments ne concernent pas Mme [D] directement. En effet, si le courrier de signalement sus-évoqué contient de très nombreux témoignages décrivant précisément des situations de harcèlement, il s’agit de faits relatés, pour une grande majorité, sur une période bien antérieure à l’embauche de Mme [D]. De même, les échanges de mails qu’elle verse aux débats sont des correspondances auxquelles elle n’est pas associée, ayant été uniquement mise en copie du dernier mail au mois de juin 2020, ce qui lui a permis d’accéder à tous les échanges antérieurs.
De plus, c’est en vain que Mme [D] tente de s’approprier certaines critiques évoquées dans le courrier de signalement pour harcèlement managérial. Ainsi, sur l’absence de droit à la déconnexion, l’unique mail adressé par M. [C] le 16 mars 2020 à 0h24 sur sa boîte professionnelle, ne peut caractériser une telle pratique, eu égard au contexte très particulier dans lequel il a été adressé, s’agissant de l’envoi de consignes pour réagir, en urgence, aux mesures sanitaires exceptionnelles annoncées par le gouvernement pour faire face à la pandémie de Covid – 19. Il en est de même de l’incertitude entourant l’organisation de la journée du 17 mars 2020 et la nécessaire présence du personnel. L’analyse est identique concernant les difficultés de dotation informatique évoquée par mail par Mme [D], cette situation résultant principalement de l’obligation d’organiser, en urgence et sans que cela ait pu être anticipé, les conditions de télétravail des salariés pendant la période du confinement ainsi que la ré-organisation du retour des salariés sur site à partir du mois de mai 2020.
Néanmoins, les éléments dénoncés par la grande majorité des salariés des sites normands, en ce qu’ils concernent des difficultés récurrentes d’organisation de l’ensemble des services, une absence d’écoute généralisée, une intrusion fréquente dans la pratique clinique des professionnels et un manque de moyens matériels chroniques, caractérisent des conditions de travail dégradées présents dès l’embauche de Mme [D] auxquelles elle a nécessairement été confrontées. Au demeurant, la salariée verse aux débats des courriels qui illustrent cette analyse, notamment sur l’absence de moyens mis à sa disposition dès le mois de décembre (logiciels informatiques manquants, matériel pour les enfants acheté directement par Mme [D], manque d’information sur les enfants concernés par son intervention et le suivi par les autres professionnels interagissant avec elle, etc…) ainsi que sur des objectifs de consultation modifiés par M. [W] sans explication et sans raison, incompatibles avec les moyens qui étaient mis à sa disposition. De même, elle justifie qu’à la suite de cette démarche du mois de juin 2020, deux autres salariés ont quitté leur poste, Mme [N], dont le mail n’explique pas la nature de la rupture, et Mme [R] qui a démissionné en expliquant sa décision par l’ambiance de travail devenue insupportable avec des répercussions sur son état de santé.
Concernant les conséquences sur l’état de santé de Mme [D], elle produit un arrêt de travail pour la période du 3 au 13 mars 2020 visant un syndrome anxio-dépressif réactionnel, puis ces arrêts maladie à compter du 15 juin 2020, qui ne comportent pas de motifs, mais elle justifie qu’ils étaient accompagnés de prescriptions d’anxiolytiques et de séances régulières de suivis psychologiques.
Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent présumer une situation de harcèlement moral subie par Mme [D].
Or, la Fondation [8], qui ne conteste pas sérieusement ces éléments mais relativise leurs effets et leur gravité en relevant que pris individuellement, il ne constitue pas une situation de harcèlement moral, ne rapporte pas la preuve qu’il s’agit de situations étrangères à un harcèlement.
I – b) Sur le défaut d’affiliation à la mutuelle
En l’espèce, Mme [D] soutient qu’elle n’a pas bénéficié de l’affiliation effective à la mutuelle obligatoire de l’entreprise malgré une demande faite en ce sens et les prélèvements mensuels sur ses bulletins de salaires.
Toutefois, alors que l’employeur soutient avoir fait le nécessaire pour respecter son obligation, les pièces produites aux débats ne permettent pas de rapporter la preuve de cette absence d’affiliation, puisqu’il est uniquement communiqué le bulletin d’adhésion qu’elle a rempli et signé le 14 décembre 2019, ainsi qu’un échange de mails du 19 mai 2020 aux termes duquel elle sollicite les coordonnées téléphoniques de la mutuelle et un autre échange du 11 juin 2020 aux termes duquel elle demande une copie de sa demande d’affiliation. Aucun de ces documents ne mentionne qu’elle n’était pas affiliée à la Mutuelle Génération choisie par l’entreprise. En tout état de cause, elle ne justifie pas de l’existence d’un préjudice.
I – c) Sur le manquement à l’obligation de sécurité
L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
Par ailleurs, l’article L.1152-4 du même code impose à l’employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. Cette obligation de prévention est distincte de celle résultant de l’article L.1152-1.
En l’espèce, Mme [D] reproche à son employeur une absence de prise en compte de ses alertes répétées quant à la dégradation de ses conditions de travail et le harcèlement dont elle s’estimait être victime.
D’une part, il convient de rappeler que Mme [D] a été engagée le 18 novembre 2019, qu’elle a pris son poste en autonomie au début du mois de décembre, les deux premières semaines étant consacrées à une intégration pratique et une formation universitaire théorique, qu’elle a été en congés pendant les périodes des fêtes de fin d’année ainsi que pendant les congés d’hiver, et également en arrêt maladie du 3 mars au 13 mars 2020, puis à compter du 15 juin 2020. S’il est exact que sur cette période d’exécution du contrat de travail de six mois, Mme [D] a adressé plusieurs mails pour se plaindre du retard dans la délivrance des documents de paie et contrat de travail, des difficultés d’organisation liées à des moyens matériels insuffisants et des objectifs de travail incohérents, qui n’ont pas reçu de réponses adaptées et efficaces, il convient toutefois de tenir compte de la situation exceptionnelle à laquelle a été confrontée la Fondation [8] sur cette même période. En effet, celle-ci correspond à la mise en place de la première mesure inédite et imprévisible de confinement national imposant à tous les employeurs de faire face, en priorité, aux contraintes d’adaptation imposées par cette situation et plus généralement par la crise sanitaire de pandémie de Covid-19. Dans ces circonstances, il ne peut être reproché à la Fondation [8] d’avoir priorisé ses actions et ne n’avoir pu répondre rapidement et efficacement aux plaintes émises par Mme [D] quelques semaines ou jours avant le confinement.
D’autre part, la fondation [8] justifie qu’à partir du courrier de signalement du 26 juin 2020, elle a immédiatement enclenché une enquête interne, qu’à ce titre, par mail du 24 juillet 2020, elle a convié Mme [D] à un entretien fixé le 9 septembre suivant pour évoquer les faits de harcèlement moral au CMPP de Normandie ainsi dénoncés, mais le 3 septembre 2020, après avoir pris acte de la rupture de son contrat de travail, Mme [D] a indiqué qu’elle ne serait pas présente à cet entretien. Compte tenu de la période estivale et du contexte sanitaire restreignant les possibilités d’interactions, Mme [D] ne peut soutenir, au vu de l’enquête ainsi déclenchée, que son employeur n’a pas réagi à l’alerte donnée.
Au vu de ces éléments, aucun manquement à l’obligation de sécurité ne peut être légitimement reproché par Mme [D] à son employeur.
Ainsi, il se déduit des motifs précédemment développés que si certaines critiques ne sont pas fondées, Mme [D] a, en revanche, été victime d’un harcèlement moral qui a eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail dont la société Fondation [8] avait parfaitement connaissance avant la prise d’acte du 20 août 2020, puisque Mme [D] avait déjà manifesté auprès de son employeur son insatisfaction sur ses conditions de travail le 25 mai 2020 pour expliquer sa demande de rupture conventionnelle du contrat de travail qui a été refusée, puis dans la lettre d’alerte co-signée le 26 juin 2020. Ces faits constituent incontestablement une situation empêchant la poursuite de la relation de travail. Dès lors, la prise d’acte de Mme [D] était fondée.
Dans la mesure où elle l’est pour partie en raison d’une situation de harcèlement moral, elle produit les effets d’un licenciement nul conformément aux dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail.
II – Sur les conséquences financières de la prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul
Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, d’une part, aux indemnités de rupture, soit en l’espèce, l’indemnité légale de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis et, d’autre part, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond, dès lors qu’il est au moins égal à celui prévu par l’article L. 1235-3-1 du code du travail.
En l’espèce, il convient, en l’absence de contestation sérieuse et sur la base d’un salaire mensuel moyen non contesté de 1 789,05 euros, d’allouer à Mme [D] la somme de 1 789,05 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 178,91 euros au titre des congés payés y afférents et 335,45 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.
En outre, au regard des éléments portés à la connaissance de la cour, et notamment de l’âge du salarié (43 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (10 mois), de son salaire mensuel moyen de 1 789,05 euros, de ce qu’elle justifie postérieurement à la rupture de son contrat de travail avoir créé une activité libérale d’ergothérapeute qui ne lui procure que très peu de ressources mensuelles complétées par les allocations chômage, il y a lieu de lui allouer la somme de 10 800 euros en réparation du préjudice résultant du licenciement nul.
Conformément à l’article L 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner à la Fondation [8] de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [D] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de deux mois.
III – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la Fondation [8] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [D] la somme de 2 500 euros sur ce même fondement pour les frais générés en cause d’appel et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Requalifie la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 20 août 2020 en un licenciement nul ;
Condamne la Fondation [8] à payer à Mme [U] [D] les sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 1 789,05 euros
congés payés afférents : 178,91 euros
indemnité de licenciement : 335,45 euros
dommages et intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse : 10 800,00 euros
Ordonne à la Fondation [8] de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [U] [D] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de deux mois ;
Condamne la Fondation [8] aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
Déboute la Fondation [8] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Fondation [8] à payer à Mme [U] [D] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente