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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 28 AVRIL 2022
N° RG 21/02027 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UM6Q
AFFAIRE :
Société ATOL
C/
SAS OPTICAL CENTER
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Octobre 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 3ème
N° RG : 2011F01073
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT HUIT AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt rendu par la Chambre Commerciale, Financière et Economique de la Cour de cassation le 27 Janvier 2021 cassant et annulant partiellement l’arrêt rendu par la 12ème chambre de la cour d’appel de Versailles le 06 Mars 2018
Société ATOL
N° SIRET : 305 219 859
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire: 625 – N° du dossier 2165658,
Représentant : Me Yann UTZSCHNEIDER du LLP WHITE AND CASE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J002
****************
DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
SAS OPTICAL CENTER
N° SIRET : 382 372 993
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 – N° du dossier 004890
Représentant : Me Valérie MORALES de la SELEURL VALERIE MORALES AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0346
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Décembre 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat Honoraire chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Monsieur Bruno NUT, Conseiller,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat Honoraire,
Greffier f.f., lors des débats : Madame Patricia GERARD,
EXPOSE DU LITIGE
La société Optical Center exerce directement ou sous forme de franchise une activité de vente au détail d’équipements d’optique dans près de huit cents magasins.
La société Atol, qui rassemble près de cinq cents cinquante opticiens adhérents sur le territoire national, exerce une activité identique. Sa centrale d’achat, Visatol, a été remplacée en 2008 par la société Visatol distribution. Ces sociétés ont été fusionnées pour donner naissance en 2009 à la société en nom collectif Atol Group.
Par acte du 15 janvier 2008, la société Optical Center a fait assigner la société Atol et la société Visatol. Puis, par actes des 23, 25 et 26 juin 2009 la société Optical Center a fait assigner les quatre sociétés exerçant sous l’enseigne « Atol, les opticiens » devant le tribunal de commerce de Paris, l’ensemble de ces instances ont été jointes suivant jugement du 19 octobre 2010. Au soutien de ces assignations, la société Optical Center a reproché aux parties défenderesses des pratiques constitutives de concurrence déloyale.
Par ordonnances sur requête des 12 et 26 octobre 2007, la société Optical Center a préalablement obtenu du président du tribunal de grande instance de Lille et du président du tribunal de grande instance de Strasbourg la désignation d’huissiers de justice afin de voir constater ces pratiques. Ces ordonnances ont cependant donné lieu à rétractation suite à des décisions devenues définitives de la cour d’appel de Douai et de la cour d’appel de Colmar.
La procédure au fond initiée devant le tribunal de commerce de Paris a fait l’objet de la part de la société Atol d’une exception d’incompétence rejetée en première instance mais accueillie favorablement au profit du tribunal de commerce de Nanterre par arrêt du 22 février 2011 de la cour d’appel de Paris statuant sur contredit.
Par jugement du 20 octobre 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a :
– Dit la notion d’unité économique inapplicable au cas d’espèce entre la coopérative Atol et ses adhérents commerçants indépendants, de même que la théorie de l’apparence et de celle de la confusion des patrimoines ;
– Dit que les adhérents du réseau n’étaient pas des filiales de la société Atol, de sorte que la théorie de l’imputabilité à la mère de la responsabilité des agissements de sa filiale était inopérante ;
– Dit que la société Atol ne s’est pas immiscée dans la gestion des commerçants indépendants adhérents à la coopérative ;
– Dit que les actions préventives et d’information développées par la société Atol contre la pratique des arrangements de facture excluaient toute négligence fautive;
– Dit que la société Optical Center sous l’enseigne « Atol, les opticiens » (sic) ne rapportait la preuve d’aucun acte de concurrence déloyale personnellement imputable à la société Atol et débouté en conséquence la société Optical Center de l’ensemble de ses demandes ;
– Débouté la société Atol de ses demandes reconventionnelles en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive et de la concurrence déloyale ;
– Débouté la société Atol de sa demande de publication judiciaire ;
– Débouté la société Optical Center sous enseigne « Atol, les opticiens » (sic) de l’intégralité de ses demandes à l’encontre des sociétés Optique du lac sous enseigne « Atol, les opticiens », Optique modem sous enseigne « Atol, les opticiens» et Optique 2G sous enseigne « Atol, les opticiens » ;
– Condamné la société Optical Center sous enseigne « Atol, les opticiens » (sic) à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à la société Atol la somme de 20.000 € ;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;
– Condamné la société Optical Center sous enseigne « Atol, les opticiens » (sic) aux entiers dépens.
Par arrêt du 6 mars 2018, la cour d’appel de Versailles a :
– Confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à le rectifier en supprimant la mention sous enseigne « Atol, les opticiens », accolée à la société Optical Center ;
Et y ajoutant,
– Rejeté toutes autres demandes ;
– Condamné la société Optical Center aux dépens d’appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l’article 699 du code de procédure civile.
Par arrêt du 27 janvier 2021, la Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt du 6 mars 2018 mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle formée par la société Atol au titre de la concurrence déloyale, et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Versailles autrement composée.
Vu la déclaration de saisine du 26 mars 2021 par la société Atol.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 17 novembre 2021, la société Atol a demandé à la cour de :
– Ecarter des débats l’ordonnance sur requête du 12 octobre 2007 du président du tribunal de grande instance de Lille (Pièce Optical Center n°29) et l’ordonnance du 26 octobre 2007 du président du tribunal de grande instance de Strasbourg (Pièce Optical Center n°30) qui ont été définitivement rétractées par d’autres juridictions, les constats d’huissier dressés en application de ces ordonnances (Pièces Optical Center n°31 et n°32) ainsi que les attestations de Messieurs [U] et [K] qui ont déjà été écartées des débats par votre Cour à raison de leur caractère déloyal (Pièces Optical Center n°7 et n°8) ;
– Dire et juger que chacune des déclarations par lesquelles le président de la société Optical Center a affirmé que la société Atol faisait l’objet d’une action en justice pour « fraude à la mutuelle », alors que cette action n’avait donné lieu à aucune décision définitive, visait expressément ou nécessairement la société Atol ;
– Dire et juger que chacune des déclarations par lesquelles le Président de la société Optical Center a affirmé que des actes de fraude généralisés étaient avérés dans les enseignes d’optique, visant expressément ou nécessairement les magasins sous enseigne Atol, jettent le discrédit sur l’enseigne Atol ;
– Dire et juger que chacune de ces déclarations constitue un acte de dénigrement à l’encontre de la société Atol relevant du régime de la concurrence déloyale et devant être sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;
– Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 20 octobre 2016 en ce qu’il a débouté la société Atol de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
– Condamner la société Optical Center à verser à la société Atol la somme de 6.950.000 € pour concurrence déloyale ;
– Ordonner la publication du message suivant : « Par décision de la cour d’appel de Versailles en date du [date à préciser en fonction de la date à laquelle la décision interviendra], la société Optical Center a été condamnée à verser à la société Atol la somme de [montant à préciser en fonction du montant de dommages et intérêts fixé par la décision à intervenir] euros de dommages et intérêts pour s’être rendue coupable d’actes de dénigrement en mentionnant, à plusieurs reprises, l’existence d’une action judiciaire pour des faits de concurrence déloyale non avérés et plus généralement en jetant le discrédit sur l’enseigne Atol, ses produits et ses services» dans les conditions suivantes :
– Sur une demi-page dans 3 quotidiens nationaux et 3 revues spécialisées, au choix et à l’initiative de la société Atol et aux frais avancés d’Optical Center sur présentation d’un devis par Atol, dans la limite d’un budget total de 40,000 € hors taxes ;
En haut de la page d’accueil du site internet d’Optical Center, en caractères lisibles (taille et police équivalentes à celles usuellement utilisées par Optical Center pour la mise en avant de ses propres messages publicitaires sur son site) et pendant une durée de 30 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir ;
En haut de la page d’accueil de l’application mobile de Optical Center en France, en caractères lisibles (taille et police équivalentes à celles usuellement utilisées par Optical Center pour la mise en avant de ses propres messages publicitaires sur son application mobile) et pendant une durée de 30 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir;
– Ordonner la publication de l’intégralité du dispositif de l’arrêt à intervenir sur la page « Revue de presse » du site internet d’Optical Center , en caractères lisibles (taille et police équivalentes à celles usuellement utilisées par Optical Center sa page dédiée aux revues de presse) et pendant une durée de 30 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir ;
En tout état de cause,
– Débouter la société Optical Center de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Déclarer recevable et bien fondée la demande de protection des secrets d’affaires de la société Atol formée par conclusions du 7 octobre 2021;
– Dire que l’accès à la pièce n°19 produite par la société Atol SA et aux éléments mentionnés aux paragraphes 201 et 202 de ses conclusions signifiées en leur version confidentielle intégrale le 7 octobre 2021, sera restreint à la Cour, subsidiairement à la Cour et au conseil de la société Optical Center ;
– Dire que la motivation de l’arrêt à intervenir sur le fond et les modalités de publicité de celle-ci seront adaptées aux nécessités de la protection du secret des affaires accordée à ces informations ;
– Condamner la société Optical Center à verser à la société Atol la somme de 100.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel ;
– Condamner la société Optical Center aux entiers dépens dont distraction au profit de la société Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 30 novembre 2021, la société Optical Center a demandé à la cour de :
– Infirmer le jugement du 20 octobre 2016 dans la limite de l’arrêt de cassation du 21 janvier 2021 ;
Statuant à nouveau,
Au principal,
– Juger que les pièces communiquées par la société Optical Center pour assurer sa défense et dont la société Atol demande qu’elles soient écartées des débats sont légalement admissibles ;
– Juger que les propos argués de dénigrement par la société Atol relèvent de la liberté d’expression et de la loi du 29 juillet 1881 ;
– Constater l’irrecevabilité de l’action du fait de l’acquisition de la prescription de l’action ;
– Débouter la société Atol de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner la société Atol à verser la somme de 60.000 € à la société Optical Center sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– La condamner aux dépens ;
Subsidiairement,
– Juger que les propos critiqués par la société Atol ne sont pas constitutifs de dénigrement ;
– Débouter la société Atol de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner la société Atol à verser la somme de 60.000 € à la société Optical Center sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– La condamner aux dépens ;
Plus subsidiairement,
– Fixer à un euro symbolique la réparation du préjudice subi par la société Atol ;
– Débouter la société Atol de toutes autres demandes.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 2 décembre 2021.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la communication de pièces
La société Atol demande à la cour d’écarter des débats des pièces produites par la société Optical Center :
– l’ordonnance sur requête du 12 octobre 2007 du président du tribunal de grande instance de Lille (pièce Optical Center n°29),
– l’ordonnance du 26 octobre 2007 du président du tribunal de grande instance de Strasbourg (pièce Optical Center n°30) qui ont été définitivement rétractées par d’autres juridictions,
– les constats d’huissier dressés en application de ces ordonnances (pièces Optical Center n°31 et n°32),
– les attestations de Messieurs [U] et [K] qui ont déjà été écartées des débats par la cour à raison de leur caractère déloyal (pièces Optical Center n°7 et n°8).
La société Optical Center sollicite de la cour qu’elle juge que les pièces dont la société Atol demande qu’elles soient écartées, soient déclarées légalement admissibles.
La société Atol ne soutient pas, dans sa motivation, sa demande de voir écarter ces pièces.
Pour autant, la cour dans son arrêt du 6 mars 2018 qui n’a pas été cassé sur ce point, a écarté des débats les procès-verbaux obtenus en exécution d’ordonnances sur requête ayant été rétractées de sorte que la cour ne peut tenir compte des pièces Optical Center n°31 et n°32.
La rétractation des ordonnances a été confirmée par arrêts de la cour d’appel de Colmar du 30 mars 2010 (partiellement en ce qu’elle visait l’enseigne Atol par des moyens déloyaux) et de Douai du 19 septembre 2012 (en totalité, également pour emploi de moyens déloyaux) de sorte qu’il convient d’ écarter des débats les pièces 29 et 30 produites par la société Optical Center.
Contrairement aux affirmations de la société Atol, les attestations de Messieurs [U] et [K] n’ont pas été écartées des débats par la cour à raison de leur caractère déloyal. Ces attestations ont été reconnues recevables par la cour.
La cour écartera les pièces 29,30,31 et 32 produites par la société Optical Center.
Sur le périmètre de la cassation
La cour d’appel avait confirmé le jugement qui avait débouté la société Atol de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et concurrence déloyale au motif, pour ce dernier fondement, que la société Atol n’établissait pas qu’à travers les déclarations du président de la société Optical Center, elle était ‘directement et spécifiquement’ visée.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif qu’il avait rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la société Atol sur le fondement du dénigrement, en retenant qu’il est écrit dans l’article du magazine l’Opticien du 30 mai 2008 qu’elle invoque, que la société Optical Center annonce une offensive judiciaire contre douze enseignes et de nombreux indépendants, sans que les déclarations de son président, que l’article reproduit, désignent expressément la société Atol, laquelle n’est donc pas visée directement et spécifiquement, alors qu’elle devait rechercher si la référence à ces douze enseignes visées par l’action en justice n’emportait pas la désignation nécessaire de la société Atol.
Il résulte de ce qui précède que l’examen de la cour de renvoi doit se limiter à l’examen de la demande indemnitaire de la société Atol en dommages et intérêts pour concurrence déloyale sur le fondement du dénigrement.
Sur le fondement de l’action
La société Atol soutient que les déclarations litigieuses relèvent du dénigrement et non de la diffamation car sont visées dans celles-ci les modalités de commercialisation des produits et des services et non uniquement la personne morale de la société Atol SA.
La société Optical Center soutient que la société Atol aurait dû agir sur le fondement de la diffamation et sollicite de la cour qu’elle constate l’irrecevabilité de l’action de la société Atol du fait de l’acquisition de la prescription de l’action sur ce fondement. Elle fait valoir à cet effet qu’en l’absence de critiques sur les produits ou services commercialisés par la société Atol, seuls l’honneur et la réputation de cette dernière étaient susceptibles d’être mis en cause. La société Optical Center soutient que seule une action en diffamation était envisageable par la société Atol et que celle-ci est désormais prescrite, le délai de trois mois à compter de la divulgation pour engager cette action étant expiré depuis longtemps.
La cour est ainsi invitée par les parties à se prononcer sur la nature de l’action qui aurait dû être intentée par la société Atol : action en diffamation ou action en dénigrement.
*
La diffamation est définie par l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme ‘toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé’.
La diffamation sanctionne l’atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne, qu’elle soit physique ou morale.
Il est admis que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Le dénigrement de produits ou services peut néanmoins engager la responsabilité de son auteur sur le fondement de l’article 1240 du même code.
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique admissible dans la mesure où il émane d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou les produits de ce dernier.
Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit commercial sur l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.
*
En l’espèce,la société Atol sollicite de la cour de déclarer que la société Optical Center s’est rendue coupable d’actes de dénigrement à son encontre. Au visa de l’article 1240 du code civil, elle fait valoir que la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte. Elle fait valoir que les différentes déclarations médiatiques du président de la société Optical Center relatives à la fraude à la mutuelle la visaient expressément ou nécessairement. Elle soutient en particulier que la société Optical Center, par l’intermédiaire de son président, s’est rendue coupable de dénigrement en divulguant par voie de presse l’existence d’une action en justice la visant nécessairement alors qu’aucune décision de justice n’était intervenue, et en multipliant les accusations de fraude à la mutuelle jetant ainsi le discrédit sur l’enseigne Atol, ses produits et ses services.
La société Optical Center sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté la société Atol de sa demande de voir reconnaître un dénigrement à son encontre. Elle fait valoir que la cour doit examiner au moins 6 articles ou émissions journalistiques pour déterminer si il y a dénigrement. Elle soutient que le contenu de ces articles relèvent de la liberté d’expression régie par la loi du 29 juillet 1881. Elle expose que les propos litigieux se rapportent à un sujet d’intérêt général ou à une critique de la personne morale, que l’information repose sur une base factuelle suffisante, que la divulgation a été exprimée avec une certaine mesure. Subsidiairement, elle soutient que les éléments constitutifs du dénigrement ne sont pas réunis. Elle fait valoir ainsi qu’elle a annoncé une action judiciaire contre la société Atol reposant sur une base factuelle suffisante et suivie d’effet, que seule un ‘chat’ de décembre 2007 à diffusion très limitée vise nommément Atol, que les éléments versés par la société Atol ne permettent pas de retenir la qualification de dénigrement et que les faits de fraude étaient constitués dans le réseau Atol.
*
Pour justifier le dénigrement, la société Atol se fonde sur les déclarations médiatiques du président de la société Optical Center sur différents supports le 4 décembre 2007 (site Acuité : ‘portail des décideurs de l’optique’), le 27 mai 2008 (article de presse dans ‘L’opticien Lunetier’), le 18 mars 2010 (article dans ‘Challenges’), le 18 novembre 2010 (reportage diffusé sur la chaîne France 2), le 10 juillet 2017( ‘Challenges’).
Ces différentes déclarations du président de la société Optical Center présentent comme point commun la dénonciation par celui-ci de la fraude à la mutuelle pratiquée dans l’ensemble des grandes enseignes de la profession dont l’enseigne Atol.
La fraude à la mutuelle reposait sur le constat suivant : les mutuelles remboursent davantage les verres correcteurs que les montures. Ainsi, la fraude, dans sa généralité, consistait pour l’opticien vendeur à transférer une partie du prix des montures vers le prix des verres correcteurs mieux pris en charge. Il en allait de même avec les lunettes solaires non correctrices dont le prix des verres faisait également l’objet d’un ‘glissement’ partiel de prix vers le prix des verres correcteurs.
Le président de la société Optical Center tient les propos suivants : ‘….Tout le monde pratique, toutes les enseignes, notamment, pratiquent ce genre de chose…. Et aujourd’hui voilà, je vous annonce donc que j’assigne ATOL, j’assigne ALAIN AFFLELOU, société, j’assigne GRAND VISION, GRAND OPTICAL, j’assigne la GUILDE DES LUNETIERS, ….enfin on a déposé une plainte également contre le SYNOPE, parce que le SYNOPE finalement réunit cet ensemble d’enseignes…Je ne peux plus tolérer de perdre des clients chaque jour dans notre enseigne parce qu’on modifie pas les factures…..’ (Citation surlignée en jaune par la société Atol – procès – verbal d’huissier du 19 décembre 2007, reprenant des extraits du site Acuité : ‘portail des décideurs de l’optique’du 4 décembre 2007).
L’article litigieux du 30 mai 2008 reproduit un communiqué de presse de la société Optical Center du 27 mai 2008. Cet article a été publié sur le site de ‘L’opticien Lunetier’ qui se présente comme ‘ Le magazine de la filière optique et de la lunetterie’, sous le titre explicite ”Optical Center annonce une offensive judiciaire pour la rentrée’.
L’explication de cette ‘offensive’ vient ensuite :
‘… ‘ Plusieurs dizaines de procès-verbaux ont été établis par huissiers chez des opticiens partout en France. Douze grosses enseignes ont été visitées ainsi que de nombreux indépendants. Les résultats sont consternants : 95% des visites ont démontré des fraudes avérées.’ affirme [L] [Z], président d’Optical Center dans un communiqué diffusé auprès de la presse professionnelle la semaine dernière.Tel serait le résultat d’une enquête que le franchiseur et succursaliste a diligenté afin de ‘dénoncer une concurrence illicite et déloyale relative à la fraude aux remboursements mutuelle (sic) pratiquée dans nombre de points de vente’ affirme-t-on chez Optical Center. L’enseigne indique que la DGCCRF s’est saisie du dossier et que des contrôles sont en cours auprès d’opticiens indépendants et des ‘petits groupements’. ‘Les premiers procès intentés par Optical Center auront lieu dès la rentrée’ précise l’enseigne…..’.
L’article du 18 mars 2010 (‘Challenges’) dont le titre est: ‘La vérité sur…les combines des opticiens’, informe son lectorat de ce qu’il existerait un : ‘Procès en série :Toutes les grandes enseignes ont été assignées : Krys, Atol, [souligné par la cour] Grand Optical, Optic 2000 ou encore Lissac. Les procès vont s’échelonner tout au long de l’année. [L] [Z] [ le président de la société Optical Center, ajouté par la cour] sait de quoi il parle. Il a lui-même écopé de trois mois de prison avec sursis pour la publicité trompeuse d’un de ses franchisés en 2007. ”J’ai fait le ménage de toutes les méthodes douteuses dans mon réseau”, assure-t-il. Mais, depuis, le commerçant se plaint de perdre beaucoup de clients qui partent dans la boutique d’en face, moins regardante sur certaines pratiques. Du coup il attaque ses concurrents pour ‘concurrence déloyale’ ‘.
Au cours de l’émission du 18 novembre 2010 (reportage diffusé sur la chaîne France 2 – pièce 13 Atol), le journaliste, en caméra cachée, révèle comment un opticien pratique la fraude à la mutuelle. Immédiatement après ce plan-séquence, le président de la société Optical center présenté par le journaliste comme ‘partant en croisade’, est interrogé dans le cabinet de son avocate. Il dénonce cette pratique de fraude qu’il déclare fréquente avec une mise en scène du résultat des enquêtes que la société Optical Center a menées par le biais de clients mystères. Ces nombreux rapports joints à des boîtiers optiques sont déversés théâtralement sur le bureau du conseil de la société Optical Center de sorte que le téléspectateur est invité à comprendre qu’il s’agit d’une fraude massive.M. [L] [Z] déplore une perte de chiffre d’affaires de son enseigne de plusieurs millions d’euros par an. Le journaliste commente : ‘…déterminé il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin …’ à propos des poursuites judiciaires.
L’article de la revue Challenges du 10 juillet 2017, intitulé ‘Fraude à la mutuelle : Optical Center range les armes’, relate que ‘Depuis dix ans, le Président d’Optical Center attaque tous ses concurrents pour ‘fraude à la mutuelle’ », présentant [L] [Z] comme le ‘chevalier blanc’ dont le combat serait ‘la fraude à la mutuelle’. ‘Pas moins de six enseignes : Afflelou, Krys, Optical Discount, Grand Optical, Atoll, Optic 2000, ont fait les frais de son activisme ces dix dernières années….'(souligné par la cour).
Il se déduit de ces citations mises en exergue par la société Atol pour tenter de justifier le dénigrement que les propos tenus ou retranscrits de M. [L] [Z] illustrent la volonté de ce dernier de dénoncer judiciairement la fraude à la mutuelle pratiquée selon lui par la plupart de ses concurrents dont l’enseigne Atol nommément désignée à plusieurs reprises.
Ainsi, le président de la société Optical Center a laissé entendre par ses propos ou déclarations publics que la société Atol, à l’instar d’autres enseignes, se serait rendue coupable de fraude à la mutuelle au point d’être assignée en justice ce qui laisse supposer le caractère sérieux de ses affirmations.
Ce faisant, les propos réitérés de M. [L] [Z] sont susceptibles de porter atteinte à l’honneur et à la considération de la société Atol en lui imputant des faits pouvant recevoir une qualification pénale mettant ainsi en cause l’honnêteté de la société Atol.
En revanche, ses allégations ne mettent pas en cause directement les produits et services fournis par la société Atol (par exemple la qualité des produits d’optique ou la compétence professionnelle du personnel employé par l’enseigne Atol au regard des services normalement attendus d’un opticien) mais la pratique frauduleuse que celle-ci aurait prétendument adoptée, préjudiciable aux mutuelles aussi bien qu’aux intérêts de la société Optical Center par la perte de chiffre d’affaires qu’elle engendrerait pour son activité.
Les propos tenus par M. [L] [Z] mettent en lumière l’intention de ce dernier non pas d’acquérir un avantage concurrentiel mais de préserver sa propre clientèle attirée, selon lui, par l’espérance d’une meilleure prise en charge proposée frauduleusement par les autres enseignes dont Atol.
En l’espèce, les propos de M. [L] [Z] visent la société Atol et non pas ses services ou ses produits de sorte que l’action reconventionnelle de la société Atol relève de la diffamation et non du dénigrement quand bien même les deux actions auraient pour effet de porter atteinte à l’image de la société Atol.
*
Lorsque les faits soumis à l’appréciation de la juridiction civile sont susceptibles de constituer une diffamation ou une injure, faits prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, ils ne peuvent être poursuivis et réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
En l’espèce, la société Atol fonde son action en concurrence déloyale par dénigrement exclusivement sur les dispositions de l’article 1240 du code civil.
Dès lors, il y a lieu de rejeter l’action en concurrence déloyale pour dénigrement formée par la société Atol, puisque les propos litigieux qu’elle qualifient de dénigrement relèvent de la diffamation.
La cour confirmera le jugement qui a débouté la société Atol de sa demande de condamnation de la société Optical en concurrence déloyale.
Sur la protection des affaires
La société Atol sollicite de la cour de renvoi, au visa des articles L.151-1 et L.153-1 du code de commerce, qu’elle dise recevable et bien fondée la demande de protection des secrets d’affaires de la société Atol SA formée par conclusions du 7 octobre 2021; que l’accès à la pièce n°19 produite par la société Atol SA et aux éléments mentionnés aux paragraphes 201 et 202 de ses conclusions signifiées en leur version confidentielle intégrale le 7 octobre 2021, sera restreint à la cour, subsidiairement à la cour et au conseil de la société Optical Center; que la motivation de l’arrêt à intervenir sur le fond et les modalités de publicité de celle-ci seront adaptées aux nécessités de la protection du secret des affaires accordée à ces informations.
La société Optical Center ne s’exprime pas sur ce point.
En application des dispositions de l’article 954, quatrième paragraphe, du code de procédure civile, les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
La cour n’est saisie que des dernières écritures de la société Atol signifiées le 17 novembre 2021 de sorte qu’elle ne peut statuer par référence à des demandes et des moyens exprimés aux écritures précédentes et qui ne seraient pas repris dans les dernières écritures de la société Atol.
La cour écartera ainsi la demande relative à la recevabilité et au bien fondé de ‘la demande de protection des secrets d’affaires de la société Atol SA formée par conclusions du 7 octobre 2021″, ainsi qu’à l’application du secret des affaires ‘aux éléments mentionnés aux paragraphes 201 et 202 de ses conclusions signifiées en leur version confidentielle intégrale le 7 octobre 2021″.
La cour, en revanche, déclarera recevable la demande relative à l’application du secret des affaires à la pièce n°19 intitulée ‘Rapport économique du cabinet d’experts Incent Valuation du 6 octobre 2021 sur le préjudice subi par Atol du fait du dénigrement effectué par Optical Center (version confidentielle et non confidentielle)’, (ci-après le rapport Incent).
Ce rapport tel que communiqué à la cour dans sa version ‘confidentielle’ contient des éléments, notamment dans ses annexes, relatifs à des dépenses publicitaires (investissement, plan média, marge) propres à la société Atol qui méritent d’être protégés au titre du secret des affaires car ils revêtent une valeur commerciale certaine et ne sont accessibles qu’aux prestataires directs de la société Atol.
Au visa de l’article L.153-1 2° du code de commerce, la société Atol sollicite, notamment, de limiter l’accès de la société Optical Center à une version non confidentielle du rapport Incent.
La cour relève que la société Atol n’a pas saisi le conseiller de la mise en état de cette demande dont l’effectivité est dès lors limitée.
Il résulte des écritures de la société Optical Center que celle-ci a été destinataire du rapport Incent sans qu’il soit possible de savoir s’il s’agit de la version ‘confidentielle’ ou non.
Aux termes du 4° alinéa de l’article L.153-1 du code de commerce, le juge peut notamment adapter la motivation de sa décision aux nécessités de la protection du secret des affaires.
La cour dira, en tant que de besoin, que l’accès au rapport Incent sera limité à la cour et au conseil de la société Optical Center.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société Atol sera condamnée aux dépens d’appel.
Il est équitable de condamner la société Atol à une indemnité de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 27 janvier 2021,
Ecarte les pièces 29,30,31 et 32 produites par la société Optical Center,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 20 octobre 2016 en ce qu’il a débouté la société Atol de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts fondée sur la concurrence déloyale par dénigrement,
Rejette toute autre demande,
Y ajoutant,
Dit que l’accès à la pièce 19 produite par la société Atol SA dénommée ‘Rapport économique du cabinet d’experts Incent Valuation du 6 octobre 2021 sur le préjudice subi par Atol du fait du dénigrement effectué par Optical Center (version confidentielle et non confidentielle)’ sera limité à la cour et au conseil de la société Optical Center,
Condamne la société Atol aux entiers dépens,
Condamne la société Atol à verser une indemnité de 10.000 € à la société Optical Center en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par Monsieur Hugo BELLANCOURT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffierLe président