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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 11
ARRET DU 19 JANVIER 2023
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04184
N° Portalis 35L7-V-B7F-CDG4K
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 janvier 2021 -TJ de PARIS – RG n° 18/09810
APPELANTE
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée et assistée par Me Louis VERMOT de la SCP CORDELIER & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399
INTIMES
Monsieur [C] [W]
[Adresse 3]
[Localité 7]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 9]
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
assisté par Me Elodie LASNIER, avocat au barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 5]
n’a pas constitué avocat
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 29 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre
Mme Nina TOUATI, présidente de chambre
Mme Dorothée DIBIE, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Nina TOUATI, présidente de chambre dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Mme Roxanne THERASSE
ARRET :
– Réputé contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 23 avril 2011 à [Localité 10], M. [C] [W] qui circulait au guidon de son scooter a été victime d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).
M. [W] a fait l’objet d’une première expertise amiable confiée au Docteur [O] par son assureur, la société MAAF assurances, mandatée pour présenter une offre d’indemnisation en application de la convention IRCA puis d’une seconde expertise amiable contradictoire réalisée par le Docteur [J], médecin expert désigné par la société MAAF assurances et par le Docteur [X], médecin conseil de la victime, lesquels ont établi leur rapport définitif le 26 septembre 2016, après avoir recueilli l’avis du Docteur [B], chirurgien orthopédiste.
Par actes d’huissier en date des 14 et 16 août 2018, M. [W] a fait assigner la société Axa en indemnisation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 10] (la CPAM).
Par jugement du 4 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
– dit que le droit à indemnisation de M. [W] des suites de l’accident de la circulation survenu le 23 avril 2011 est entier et que la société Axa est tenue de l’indemniser des conséquences dommageables de l’accident,
– condamné la société Axa à payer à M. [W] les sommes suivantes, à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittance, provisions non déduites :
– frais divers : 1 790 euros
– pertes de gains professionnels actuels : 15 734 euros
– pertes de gains professionnels futurs : 175 288 euros
– incidence professionnelle : 8 000 euros
– déficit fonctionnel temporaire : 2 413,80 euros
– souffrances endurées : 3 000 euros
– déficit fonctionnel permanent : 7 900 euros
– préjudice d’agrément : 4 000 euros,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
– déclaré le présent jugement commun à la CPAM,
– condamné la société Axa à payer à M. [W] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Axa aux dépens et dit que la SCP B. Guillon pourra les recouvrer directement pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement à concurrence des deux tiers de l’indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 3 mars 2021, la société Axa a interjeté appel de cette décision en critiquant expressément ses dispositions relatives à l’indemnisation des postes du préjudice corporel de M. [W] liés à la perte de gains professionnels actuels, à la perte de gains professionnels futurs et à l’incidence professionnelle.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions de la société Axa, notifiées le 29 novembre 2021, aux termes desquelles elle demande à la cour de :
Vu les articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile,
– constater que le tribunal a «dénaturé l’objet du litige en requalifiant la réclamation formulée par M. [W] devant le tribunal et indemnisé les postes de préjudice de perte de gains actuels, futurs et de l’incidence professionnelle en procédant à sa propre évaluation»,
– constater que la douleur à l’épaule que le demandeur évoque pour solliciter l’indemnisation cumultative de sa perte de gains professionnels actuels et futurs ainsi que de l’incidence professionnelle, n’est pas clairement établie, ni corrélée de manière univoque avec l’accident survenu,
– constater, en tout hypothèse, que sur la base des éléments produits, cette demande est «incontrôlable»,
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il entre en voie de condamnation «pour ce poste de préjudice»,
– en toute hypothèse, condamner «l’assuré», M. [W], à verser à la société Axa une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître Louis Vermot.
Vu les conclusions de M. [W], notifiées le 25 février 2022, aux termes desquelles il demande à la cour de :
Vu la loi du 5 juillet 1985,
Vu l’article 222E1 de la convention IRCA,
– confirmer le jugement entrepris dans les principes posés,
– le réformer s’agissant des sommes allouées à M. [W] pour tenir compte de l’évolution des conséquences financières des séquelles de l’accident du 23 avril 2011,
– en conséquence, condamner la société Axa à verser à M. [W] à titre d’indemnisation :
– pertes de gains professionnels actuels : 15 460,77 euros
– pertes de gains professionnels futurs : 876 694,72 euros
– incidence professionnelle : 50 000 euros,
– condamner la société Axa à verser à M. [W] une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamner la société Axa aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Jeanne Baechlin, avocat aux offres de droit, dans les termes de «l’article 622 du code de procédure civile» [en réalité 699 du code de procédure civile],
– juger l’arrêt à intervenir commun à la CPAM,
– débouter la société Axa de toutes demandes, fins et conclusions plus amples et contraires.
La CPAM, à laquelle la déclaration d’appel a été signifiée par acte d’huissier en date du 22 avril 2022, délivré à personne habilitée, n’a pas constitué avocat.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour n’est saisie par l’effet des appels principal et incident que des dispositions du jugement relatives à l’indemnisation des postes du préjudice corporel de M. [W] lié à la perte de gains professionnels actuels et futurs et à l’incidence professionnelle.
Il convient d’observer que si la victime avait réclamé devant les premiers juges une somme unique globale de 200 000 euros au titre de ces trois postes de préjudice, elle formule en cause d’appel des demandes d’indemnisation distinctes au titre de chacun de ces postes de préjudice.
Sur l’imputabilité à l’accident des douleurs au niveau de l’épaule droite
Le tribunal a retenu, s’agissant des douleurs au niveau de l’épaule droite invoquées par M. [W] que l’accident avait été le facteur déclenchant d’un état pathologique latent, jusqu’alors sans manifestation externe et qui aurait pu rester sans expression dommageable, de sorte qu’elles devaient être considérés comme étant en relation de causalité avec le fait dommageable.
La société Axa objecte que le Docteur [B] dont l’avis a été sollicité par les experts amiables pour trancher leur désaccord a conclu qu’il n’existait pas de certitude sur la relation directe et exclusive entre le traumatisme lié à l’accident et la douleur persistante dont se plaint M. [W] au niveau de l’épaule droite et qu’il n’a retenu qu’une possibilité de décompensation d’un état antérieur sur un mode douloureux post-traumatique.
Sur ce, le Docteur [B], chirurgien orthopédiste dont les experts amiables, les Docteurs [X] et [J], ont sollicité l’avis, rappelle dans son rapport en date du 3 janvier 2016 que M. [W] est réalisateur de films et scénariste, que selon le certificat médical initial établi par le service des urgences de l’hôpital Bichat où M. [W] s’est rendu par ses propres moyens après l’accident, ce dernier a présenté des douleurs à la mobilisation de la hanche droite, une contusion musculaire de cette hanche, des douleurs au coude droit et que le bilan radiographique réalisé le jour même n’a pas décelé de fracture.
Il relève que la persistance de phénomènes douloureux a conduit M. [W] à consulter son médecin traitant, le Docteur [N] qui indique dans un certificat médical en date du 10 mai 2015 que celui-ci «présente en encore actuellement une cervicalgie et une scapulalgie droite [douleur de l’épaule droite] ainsi qu’un tendinite post-traumatique au niveau du grand trochanter droit (…)».
Le Docteur [B] précise que l’IRM réalisée le 19 juillet 2013 et les radiographies du 11 février 2015 confirment une arthropathie chronique de l’acromio-claviculaire sans signe inflammatoire.
Sur la question de l’imputabilité à l’accident des douleurs ressenties par M. [W] au niveau de l’épaule droite, le Docteur [B] a estimé que s’il n’existait pas en l’état de certitude sur la relation certaine et «exclusive» entre le traumatisme et la douleur persistance, il était fort probable que l’arthropathie acromio-claviculaire modérée de M. [W] était antérieure à l’accident et asymptomatique et qu’elle s’était probablement décompensée sur un mode douloureux post-traumatique.
Les Docteurs [J] et [X] après avoir analysé l’avis du Docteur [B] ont pris en compte les douleurs de M. [W] au niveau de l’épaule droite dans l’évaluation des séquelles imputables à l’accident justifiant, s’agissant du membre dominant, un taux de déficit fonctionnel permanent de 5 %.
Cette conclusion doit être approuvée et il est suffisamment établi, en dépit des réserves émises par le Docteur [B], que l’accident a entraîné la décompensation sur un mode douloureux d’une arthropathie acromio-articulaire préexistante mais asymptomatique, ce que confirme le fait que M. [W] s’est plaint de phénomènes algiques au niveau de l’épaule droite dans un temps voisin de l’accident, que le Docteur [B] a constaté qu’il ne présentait à la date de l’accident aucun état antérieur «reconnu», c’est-à dire déjà révélé et qu’il a observé que le dernier bilan réalisé ne montrait aucune lésion évolutive, ce dont la cour est en mesure de déduire l’absence de pathologie dégénérative.
C’est ainsi juste titre que le tribunal a retenu l’existence d’un lien de causalité entre les douleurs de M. [W] à l’épaule droite et l’accident, étant rappelé d’une part, que si ce lien de causalité doit être direct et certain, il n’a pas à être «exclusif», d’autre part que le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable, ce qui est le cas en l’espèce.
Les Docteurs [J] et [X] ont notamment conclu, s’agissant de l’évaluation des préjudices causés par l’accident, dans les termes suivants :
– hospitalisation : néant
– gêne temporaire totale : néant
– gêne temporaire partielle de classe I (10 %) du 23 avril 2014 au 4 octobre 2013
– arrêt d’activité imputable : néant
– consolidation : 4 octobre 2013
– atteinte à l’intégrité physique et psychique (AIPP) : 5 %
– incidence professionnelle : « on retiendra une incidence professionnelle par décompensation sur un mode douloureux. Ainsi les douleurs ressenties peuvent entraîner une difficulté pendant les périodes de son activité professionnelle du fait du port prolongé de la caméra à l’épaule, la sangle appuyant directement sur l’épaule au niveau de la face supérieure de l’acromio-claviculaire qui est la zone algique».
Ce rapport constitue une base valable d’évaluation des postes du préjudice corporel de M. [W] discutés devant la cour, à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l’âge de la victime née le [Date naissance 1] 1968, de sa situation professionnelle antérieure à l’accident de réalisateur de films et scénariste, de la date de consolidation, afin d’assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, à l’exclusion de ceux à caractère personnel sauf s’ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.
– Perte de gains professionnels actuels
Ce poste vise à indemniser la perte ou la diminution de revenus causée par l’accident pendant la période antérieure à la consolidation.
M. [W] expose qu’il est réalisateur scénariste et que ses revenus sont constitués de salaires et de droits d’auteur, que la réalisation de films caméra à l’épaule fait partie de son style artistique et lui a valu la reconnaissance de ses pairs ; il ajoute que ses troubles de l’épaule qui l’empêchent de tourner sur de longues durées en caméra portée, ont eu des répercussions péjoratives sur le plan économique et ont généré une perte de revenus tant pendant la période antérieure que pendant la période postérieure à la consolidation.
M. [W] réclame ainsi une indemnité de 15 460,77 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels correspondant à la différence entre la moyenne des salaires et droits d’auteurs déclarés dans ses avis d’imposition au cours des six années précédant l’accident, soit entre 2005 et 2010 inclus, et les revenus perçus entre la date de l’accident et celle de la consolidation.
La société Axa soutient que compte tenu du caractère fluctuant des revenus de M. [W] tant avant qu’après l’accident dont témoigne le graphique qu’elle a établi, illustrant les aléas inhérents à la profession de réalisateur indépendant, il n’est pas démontré que l’accident est à l’origine d’une perte de revenus.
Elle ajoute que M. [W] est défaillant dans l’administration de la preuve et qu’il lui appartient de justifier des sommes qu’il a perçues au titre de ses pensions d’invalidité et indemnités de chômage.
Sur ce, il convient en premier lieu de relever qu’il ressort du décompte définitif de créance établi par la CPAM le 4 janvier 2017 que les seules prestations prises en charge par cet organisme correspondent à des frais médicaux, pharmaceutiques et de transport d’un montant total de 1 024,93 euros, aucune indemnité journalière ou pension d’invalidité n’étant mentionnée dans ce décompte.
Au vu des avis d’imposition sur le revenu versés aux débats, il apparaît que M [W] a perçu, au cours des six années complètes précédant l’accident, des revenus fluctuants constitués de salaires versés en contrepartie de son activité de technicien réalisateur et de droits d’auteur déclarés soit au titre des «autres revenus salariaux», soit au titre des revenus non commerciaux :
– revenus 2005 : 65 402 euros dont 34 051 euros de salaires
– revenus 2006 : 32 357 euros dont 13 215 euros de salaires
– revenus 2007 : 30 602 euros dont 6 946 euros de salaires
– revenus 2008 : 62 853 euros dont 12 741 euros de salaires
– revenus 2009 : 17 469 euros dont 8 986 euros au titre des salaires et assimilés et 8 483 euros au titre des revenus non commerciaux
– revenus 2010 : 50 529 euros dont 36 192 euros au titre des salaires et assimilés et 14 337 euros au titre des revenus non commerciaux.
Les Docteurs [J] et [X] ont retenu que l’accident n’avait entraîné aucun arrêt d’activité professionnelle.
M. [W] a lui-même indiqué au Docteur [B] qu’à l’époque de l’accident, il était en cours de montage d’un film long métrage et qu’il avait repris ses activités professionnelles qui, jusqu’en mars 2012, ne comportaient pas de contrainte mécanique ou d’effort physique.
Il en résulte qu’entre la date de l’accident et le mois de mars 2012 période pendant laquelle il a finalisé la réalisation de son long métrage intitulé «Possessions» et préparé la sortie de son film(Cf pièce n° 16, lettre de la société Incognita films), M. [W] n’a subi aucune perte de revenus en lien de causalité avec le fait dommageable.
Si les revenus déclarés par M. [W] au titre de l’année 2011 se sont élevés à la somme de 27 066 euros seulement, la baisse de revenus invoquée n’a pas été causée par l’accident qui n’a eu aucune incidence sur la poursuite de son activité professionnelle, laquelle jusqu’en mars 2012, ne nécessitait aucun effort physique.
S’agissant de la période postérieure, il convient de relever, au vu de ses avis d’imposition, qu’en 2012 les revenus déclarés par M. [W] se sont élevés à la somme de 41 120 euros et en 2013 à celle de 41 354 euros, soit une somme supérieure à la moyenne de ses revenus au cours des deux années entières antérieures à l’accident, soit les années 2009 et 2010, [(17 469 euros + 50 529 euros) / 2 = 33 749 euros), de sorte qu’il n’est justifié d’aucune perte de revenu imputable à celui-ci entre le mois de mars 2012 et le 4 octobre 2013, date de la consolidation.
Il ressort en outre d’une attestation établie par M. [P] [E], réalisateur et chef opérateur (pièce n° 6), que M. [W] n’a pas abandonné la réalisation de tournages, caméra à l’épaule, après l’accident, l’attestant exposant que : « Avec [C] [[W]] nous partageons un goût pour le documentaire, à côté de nos projets de fictions. En 2013, j’ai ainsi travaillé avec lui sur son film documentaire «quand je serai petit je serai acteur», ; j’ai filmé à ses côtés, chacun une caméra à l’épaule, pour suivre des enfants acteurs dans leurs castings, sur leurs tournages, en festival. Un tournage sportif qui nous a emmenés des marches de [Localité 8], aux montagnes des Alpes».
Il résulte de ce qui précède que M. [W] ne justifie d’aucune perte de gains professionnels actuels en lien de causalité avec l’accident de la circulation dont il a été victime le 23 avril 2011.
Le jugement sera infirmé.
– Perte de gains professionnels futurs
Ce poste de préjudice est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l’invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.
M. [W] évalue sa perte de gains professionnels pour la période postérieure à la consolidation sur la base d’un revenu de référence d’un montant annuel de 43 302 euros correspondant à la moyenne de ses revenus au cours des six années précédant l’accident.
Il fait valoir que depuis la date de consolidation le 4 octobre 2013, sa perte de revenus par rapport à ce revenu de référence s’est amplifiée d’année en année, que cette perte découle directement de la limitation de sa capacité à mener des projets de manière indépendante, dans la mesure où il n’est plus à même de filmer caméra à l’épaule, ce qui constituait à la fois son style et sa signature artistique.
Il réclame ainsi une indemnité d’un montant total de 876 694,72 euros capitalisée jusqu’à l’âge de 69 ans en fonction du barème de la Gazette du Palais 2020 dans sa version retenant un taux d’intérêts de 0 %.
La société Axa oppose les mêmes arguments que ceux invoqués s’agissant des pertes de gains professionnels actuels.
Elle ajoute que la perte de gains professionnels futurs ne peut être évaluée sur la base de revenus hypothétiques et soutient que tel est le cas en l’espèce compte tenu du caractère fluctuant de la rémunération de M. [W] tant avant qu’après l’accident.
Elle souligne que les variations de revenus perceptibles avant l’accident se sont poursuivies après celui-ci avec des alternances de pics et de chutes visibles sur le schéma qu’elle a établi.
Sur ce, les experts, les Docteurs [J] et [X], ont retenu l’existence d’une incidence professionnelle, les douleurs ressenties par M. [W] au niveau de l’épaule droite pouvant entraîner une difficulté lors du port prolongé de la caméra à l’épaule, la sangle appuyant directement sur la face supérieure de l’acromio-claviculaire qui est la zone algique.
Il convient toutefois d’observer que selon l’attestation précitée délivrée par M. [P] [E], M. [W] n’a pas abandonné la réalisation de tournages, caméra à l’épaule, et a filmé selon cette technique un documentaire en 2013, soit près de deux ans après l’accident.
Il y a lieu d’observer par ailleurs que selon sa filmographie (pièce n° 59), M. [W] a également réalisé en 2016 un court métrage intitulé «Je te tiens, tu me tiens» selon une technique de réalisation non précisée.
Par ailleurs, l’examen de ses avis d’imposition au titre des années 2013 à 2016 permet de relever d’importantes fluctuations de revenus, similaires à celles constatées avant l’accident, M. [W] ayant déclaré :
– pour l’année 2013, un revenu global de 41 354 euros dont 8 185 euros au titre des salaires, 11 665 euros au titre des «autres revenus salariaux» et 21 505 euros au titre des revenus non commerciaux générés par ses droits d’auteur,
– pour l’année 2014, un revenu total de 29 457 euros dont 6 211 euros au titre des salaires et assimilés et 23 246 euros au titre des revenus non commerciaux,
– pour l’année 2015, un revenu de 16 204 euros,
– pour l’année 2016, un revenu total de 55 613 euros dont 30 077 euros et titres des salaires et 25 536 euros au titre des revenus non commerciaux.
Compte tenu de cette fluctuation témoignant de l’aléa affectant le montant des revenus d’un réalisateur d’oeuvres audiovisuelles, il n’est pas établi que la baisse de rémunération invoquée est en lien de causalité avec l’accident et non avec ce seul aléa, étant observé que M. [W] a poursuivi en dépit de ses séquelles le tournage d’un film caméra à l’épaule en 2013, qu’il ne justifie d’aucun projet cinématographique auquel il aurait été contraint de renoncer en raison de son état de santé, et que la baisse brutale de ses revenus à partir de l’année 2018, soit près de sept ans après l’accident, ne peut être rattachée à celui-ci compte tenu du délai écoulé.
M. [W] ne justifie ainsi d’aucune perte de gains professionnels futurs imputable à l’accident, étant relevé qu’il n’invoque aucune perte de chance de gains.
Le jugement sera infirmé.
– Incidence professionnelle
Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage, ou encore l’obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d’une autre en raison de la survenance de son handicap.
Le tribunal a chiffré ce préjudice à la somme de 8 000 euros, en relevant que M. [W] subissait une pénibilité et une fatigabilité accrue dans l’exercice de son métier du fait de ses douleurs à l’épaule.
M. [W] demande que cette indemnité soit portée à la somme de 50 000 euros.
La société Axa, qui conteste l’existence d’un lien de causalité entre les douleurs alléguées par M. [W] et l’accident dont il a été victime le 23 avril 2011, conclut au rejet de la demande.
Sur ce, les douleurs que ressent M. [W], droitier, au niveau de l’épaule droite et qui pour les motifs qui précèdent sont bien liées à l’accident qui a entraîné la décompensation d’un état antérieur asymptomatique, induisent une fatigabilité et une pénibilité accrues dans l’exercice de sa profession de réalisateur de films, en particulier lors du port prolongé de la caméra à l’épaule et impliquent la mise en oeuvre d’une organisation particulière afin de limiter la durée de cet exercice.
M. [W] étant âgé de 45 ans à la date de consolidation il convient d’évaluer à la somme réclamée de 50 000 euros, l’incidence professionnelle qu’il subira jusqu’à la date prévisible de son départ à la retraite.
Le jugement sera infirmé.
Sur les demandes annexes
Il n’y pas lieu de déclarer le présent arrêt commun à la CPAM qui est en la cause.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.
La société Axa qui succombe partiellement en ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des dépens d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’équité commande enfin d’allouer à M. [W] en application de l’article 700 du code de procédure civile une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et de rejeter la demande de la société Axa formulée au même titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Et dans les limites de l’appel,
– Infirme le jugement sur l’indemnisation des postes de préjudice de M. [C] [W] liés aux pertes de gains professionnels actuels et futurs et à l’incidence professionnelle,
– Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
– Condamne la société Axa France IARD à payer à M. [C] [W], une indemnité d’un montant de 50 000 euros, provisions et sommes versées au titre de l’exécution provisoire non déduites, au titre de l’incidence professionnelle,
– Déboute M. [C] [W] de ses demandes d’indemnisation au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs,
– Condamne la société Axa France IARD à payer à M. [C] [W], en application de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
– Déboute la société Axa France IARD de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne la société Axa France IARD aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE