Requalification en CDI : 16 juin 2023 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/00649

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Requalification en CDI : 16 juin 2023 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/00649
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16 juin 2023
Cour d’appel de Bourges
RG n°
22/00649

SD/CV

N° RG 22/00649

N° Portalis DBVD-V-B7G-DOZW

Décision attaquée :

du 16 mai 2022

Origine :

conseil de prud’hommes – formation paritaire de CHÂTEAUROUX

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S.A.S. TRIGANO REMORQUES

C/

M. [A] [C]

S.A.S. ARTUS INTERIM [Localité 4]

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Expéd. – Grosse

SCP DERUBAY 16.6.23

Me BIGOT 16.6.23

Me CABAT 16.6.23

COUR D’APPEL DE BOURGES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 16 JUIN 2023

N° 86 – 12 Pages

APPELANTE :

S.A.S. TRIGANO REMORQUES

[Adresse 1]

Représentée par M. [G] [W], directeur, muni d’un pouvoir en date du 23 mars 2023, assisté de Me Claire DERUBAY, de la SCP DERUBAY – KROVNIKOFF, avocate au barreau d’ORLÉANS

INTIMÉS :

Monsieur [A] [C]

[Adresse 2]

Représenté par Me Marie-Pierre BIGOT, substituée par Me Angélina MONICAULT, de la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocates au barreau de BOURGES

S.A.S. ARTUS INTERIM [Localité 4]

[Adresse 3]

Représentée par Me Noémie CABAT de la SELARL AVARICUM JURIS, avocat postulant, du barreau de BOURGES

Ayant pour dominus litis Me Damien HOMBOURGER du barreau de BLOIS

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre, rapporteur

en l’absence d’opposition des parties et conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile.

Arrêt n°86 – page 2

16 juin 2023

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE

Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre

Mme de LA CHAISE, présidente de chambre

Mme CLÉMENT, présidente de chambre

DÉBATS : A l’audience publique du 14 avril 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 02 juin 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date le délibéré était prorogé au 16 juin 2023.

ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 16 juin 2023 par mise à disposition au greffe.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE :

La SAS Trigano Remorques a pour activité la fabrication et la commercialisation de remorques bagagères et utilitaires, et emploie habituellement plus de 11 salariés.

Elle applique dans ses relations de travail la convention collective de la métallurgie de l’Indre.

Aux termes de huit contrats de mission et de leurs avenants, M. [A] [C] a été mis à la disposition de cette société par la SAS Artus Intérim [Localité 4], entreprise de travail temporaire, en qualité d’ouvrier monteur à temps plein et à compter du 20 février 2020.

Le 1er décembre 2020, M. [C] a été accusé d’avoir volé du matériel par la société utilisatrice. La société de travail temporaire a alors mis fin au dernier contrat de mission du salarié, dont le terme arrivait normalement le 11 décembre suivant.

Le 9 avril 2021, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Châteauroux de demandes visant à obtenir la requalification de ses contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée ainsi que la condamnation de la SAS Trigano Remorques, à titre principal, et celle de la SAS Artus Intérim [Localité 4], à titre subsidiaire, au paiement de diverses sommes.

Par jugement en date du 16 mai 2022, le conseil de prud’hommes, mettant hors de cause la SAS Artus Intérim [Localité 4], a fait droit à la demande de requalification du salarié et a condamné la SAS Trigano Remorques à lui payer les sommes suivantes :

– 2 379,05 € à titre d’indemnité de requalification,

– 1 229,03 € à titre de rappel de salaire pour les périodes intermédiaires, outre 122,90 € au titre des congés payés afférents,

– 2 387,87 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 238,79€ de congés payés afférents,

– 596,94€ à titre d’indemnité de licenciement,

– 2 387,87€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 000€ à titre de dommages et intérêts pour rupture vexatoire,

– 1 000€ à titre d’indemnité de procédure.

Arrêt n°86 – page 3

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Il a également ordonné à l’entreprise utilisatrice, sous une astreinte dont il s’est réservé la liquidation, de remettre au salarié un bulletin de salaire, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes, a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et a condamné la SAS Trigano Remorques aux entiers dépens et éventuels frais d’exécution.

Le 22 juin 2022, la SAS Trigano Remorques a, par la voie électronique, relevé appel de cette décision.

Par ordonnance du 31 mars 2023, la présidente de chambre chargée de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions transmises par la SAS Artus Intérim [Localité 4].

DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.

1 ) Ceux de la SAS Trigano Remorques :

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 14 mars 2023, elle sollicite que la cour :

– dise que sa mise en cause de la Société Artus Intérim [Localité 4] est recevable,

– annule le jugement entrepris en ce qu’il a mis hors de cause cette société sans motivation,

– confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour perte de chance,

statuant à nouveau,

à titre principal :

– déboute M. [C] de sa demande en requalification de ses contrats de mission en contrat de travail noué avec elle et de sa demande subséquente en paiement de rappels de salaire pour les périodes intermédiaires,

– déboute en conséquence M. [C] de ses demandes en paiement d’indemnités compensatrice de préavis, de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que pour rupture vexatoire du contrat de travail,

à titre subsidiaire :

– la condamne in solidum avec la société Artus Intérim [Localité 4] selon la répartition qu’il plaira à la cour de retenir,

en tout état de cause,

– déboute M. [C] de toute autre prétention contraire et le condamne au paiement d’une indemnité de procédure de 1 500 euros ainsi qu’aux entiers dépens,

– condamne la société Artus Intérim [Localité 4] à lui verser une indemnité de procédure de même montant.

2 ) Ceux de M. [C] :

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 27 mars 2023, il demande à la cour :

Arrêt n°86 – page 4

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à titre principal, de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour perte de chance et a minoré à la somme de 1 000 euros les dommages et intérêts alloués au titre de la rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail et en conséquence, statuant sur ces deux seuls chefs critiqués, de condamner la Société Trigano Remorques à lui payer les sommes suivantes :

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance,

– 3 000 euros au titre de la rupture brutale et vexatoire des relations contractuelles,

et de la débouter de l’ensemble de ses demandes, et

– de lui ordonner sous astreinte de lui remettre un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes,

– la condamner solidairement au paiement d’une indemnité de procédure de 2 000 euros et aux dépens.

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour le débouterait des demandes principales qu’il forme à l’encontre de la société Trigano Remorques, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis hors de cause la société Artus Intérim [Localité 4], requalifier les contrats de mission conclus avec la société de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée,

et en conséquence, condamner la société Artus Intérim [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes :

– 2 379,05 € à titre d’indemnité de requalification,

– 2 387,87 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 238,79€ de congés payés afférents,

– 596,94€ à titre d’indemnité de licenciement,

– 2 387,87€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 795 € au titre de la rémunération équivalente fixée par l’article L. 1251-26 du code du travail, outre 7,95 € au titre des congés payés afférents,

– lui ordonner sous astreinte de lui remettre un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes,

– la condamner solidairement au paiement d’une indemnité de procédure de 2 000 euros et aux dépens.

* * * * * *

La clôture de la procédure est intervenue le 12 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

À titre liminaire, la cour relève que la recevabilité de la mise en cause de la SAS Artus Intérim [Localité 4] par la SAS Trigano Remorques n’est pas discutée.

1) Sur la demande en nullité d’un chef du dispositif du jugement prud’homal :

Il résulte des dispositions de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé.

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Aux termes de l’article 458 du code de procédure civile, ces dispositions doivent être observées à peine de nullité.

Le juge doit donc appliquer la règle de droit, telle qu’interprétée, au cas d’espèce qui lui est soumis et motiver sa décision au regard des circonstances du litige.

En l’espèce, la SASU Trigano Remorques soulève en premier lieu la nullité du chef du jugement prud’homal qui a mis hors de cause la SAS Artus Intérim [Localité 4] au motif qu’il ne serait précédé d’aucune motivation.

M. [C] lui rétorque que la juridiction prud’homale a au contraire parfaitement motivé sa décision en énonçant notamment les règles juridiques applicables de sorte que la mise hors de cause de l’entreprise de travail temporaire est, à titre principal, parfaitement justifiée.

Contrairement à ce que prétend la SASU Trigano Remorques, le conseil de prud’hommes ne s’est pas limité à écarter la responsabilité de la SAS Artus Intérim [Localité 4] dans le dispositif de sa décision sans explication préalable dans le corps de celle-ci puisqu’il a expressément indiqué que ‘ la demande de requalification du salarié pour inobservation par l’entreprise utilisatrice des cas de recours ne peut être dirigée que contre celle-ci et non contre l’ETT

(article L.1251-40 du code du travail),’ ce qui lui permettait de déduire que l’entreprise de travail temporaire devait être mise hors de cause.

La lecture de la décision prud’homale permet donc de constater que les conseillers prud’homaux ont procédé à une analyse, même succincte, des règles de droit sur lesquels ils se sont fondés, de sorte que le jugement entrepris ne contrevient pas aux dispositions précitées de l’article 455 du code de procédure civile.

La demande d’annulation du chef du dispositif mettant hors de cause la SAS Artus Intérim [Localité 4] est donc mal fondée.

2) Sur les demandes en requalification des contrats de mission et indemnitaires subséquentes :

a) Sur la demande en requalification des contrats de mission :

Aux termes de l’article L.1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Par ailleurs, l’article L. 1251-6 du même code dispose que sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée “mission” et seulement dans les cas suivants :

1° Remplacement d’un salarié, en cas :

a) D’absence ;

b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;

c) De suspension de son contrat de travail ;

d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique, s’il existe ;

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e) D’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;

2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;

3° Emplois à caractère saisonnier définis au 3° de l’article L. 1242-2 ou pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;

4° Remplacement d’un chef d’entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, d’une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant effectivement à l’activité de l’entreprise à titre professionnel et habituel ou d’un associé non salarié d’une société civile professionnelle, d’une société civile de moyens d’une société d’exercice libéral ou de toute autre personne morale exerçant une profession libérale ;

5° Remplacement du chef d’une exploitation agricole ou d’une entreprise mentionnée aux 1° à 4° de l’article L. 722-1 du code rural et de la pêche maritime, d’un aide familial, d’un associé d’exploitation, ou de leur conjoint, mentionné à l’article L. 722-10 du même code dès lors qu’il participe effectivement à l’activité de l’exploitation agricole ou de l’entreprise.

En l’espèce, aux termes de huit contrats de mission et des avenants ayant prolongé ceux-ci, M. [C] a été mis à la disposition de la SAS Trigano Remorques pour occuper un emploi du 20 février au 11 décembre 2020 aux motifs suivants :

– du 20 février au 13 mars 2020, M. [C] a été engagé en qualité de monteur en raison d’un ‘ renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à un grosse commande promotion Brico Dépôt’,

– du 11 mai au 12 juin 2020, il a été engagé en la même qualité en raison d’un ‘renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à la reprise d’activité suite Covid’,

– du 15 juin au 31 juillet 2020, il a été engagé en qualité de mécanicien monteur en raison d’un ‘renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à des commandes non prévues au planning’

– du 3 août au 11 septembre 2020, il a été engagé en qualité de monteur en raison d’un ‘renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à une pointe d’activité saisonnière’,

– du 14 septembre au 16 octobre 2020, il a été engagé en qualité de mécanicien monteur au motif d’un ‘renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à des retards de production occasionnés par un effectif réduit’,

– du 19 octobre au 6 novembre 2020, il a été engagé en qualité de monteur au motif d’un ‘renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à la commande du client Rulquin-Montage de remorques’,

– du 9 au 27 novembre 2020, il a été engagé en qualité de mécanicien monteur, au motif d’un ‘renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à la commande du client motoculture’,

– du 30 novembre au 11 décembre 2020, il a été engagé en qualité de monteur en raison d’un ‘renfort d’équipe pour charge de travail supplémentaire liée à une simultanaéité de commandes à livrer dans les délais’.

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Ces contrats et leurs avenants ont donc tous été conclus en raison d’un surcroît temporaire d’activité.

M. [C], pour réclamer la requalification de ses contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée, faisait valoir devant les premiers juges que la SAS Trigano Remorques ne peut valablement prétendre s’être trouvée face à un surcroît temporaire d’activité sur la période du 20 février au 11 décembre 2020, soit pratiquement pendant un an. L’appelante ne peut donc soutenir que le salarié ne conteste pas le motif du recours au travail temporaire.

Or, en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il est acquis que c’est à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat de mission, en apportant des données concrètes permettant de vérifier la réalité du motif énoncé dans le contrat (Soc. 12 nov. 2020, n° 18618.294).

La SAS Trigano Remorques, qui conteste que l’emploi occupé par M. [C] était permanent, produit, pour démontrer la réalité du surcroît temporaire d’activité invoqué, plusieurs attestations de Mme [O] [F], Responsable comptable et gestionnaire de paie en son sein, de M. [Z] [X], Responsable du contrôle de gestion en son sein, de M. [G] [W], son directeur général, de M. [S] [H], son directeur d’usine, et de Mme [E] [N], Responsable service clients en son sein, dont M. [C] conteste le caractère probant au motif que nul ne peut se constituer de preuve à lui-même.

La preuve est libre en matière prud’homale, mais s’il ne peut être fait grief à l’entreprise utilisatrice de produire des attestations de personnes placées sous son autorité, telles que Mme [F], M. [X] et Mme [N], il en va autrement de celles émanant de personnes qui la représentent légalement, à savoir son directeur d’usine et son directeur général, et ce en raison du principe de loyauté de la preuve. Il en résulte que les témoignages de MM. [H] et [W] sont dénués de valeur probante.

Il ressort des attestations de Mme [F] et de M. [X] que du 20 février au 13 mars 2020, soit la durée du premier contrat de mission, M. [C] a été ‘affecté à la ligne de montage de Remorques destinées à l’enseigne Brico Dépôt’, mais pas que l’emploi occupé par le salarié pendant cette période correspondait à un surcroît temporaire d’activité, ce qui n’est par ailleurs démontré par aucune autre pièce. Par conséquent, la preuve de la réalité du motif de recours n’est pas rapportée. Il doit donc en être déduit que M. [C] a été mis à la disposition de l’entreprise utilisatrice pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de celle-ci.

L’utilisateur qui a recours à un travail temporaire en méconnaissance des articles précités, notamment lorsqu’il s’agit de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente, peut se voir opposer par le salarié, en application de l’article L. 1251-40 du code du travail, les droits attachés à un contrat à durée indéterminée.

La première mission étant irrégulière, M. [C] est fondé à réclamer la requalification du contrat en contrat de travail à durée indéterminée dès le premier jour de la relation de travail,

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peu important qu’elle n’ait pas duré plusieurs années ainsi que l’appelante le met en avant, et à opposer à l’entreprise utilisatrice qu’elle doit le remplir des droits résultant de cette requalification. C’est donc exactement que les premiers juges ont fait droit à cette demande.

La SAS Trigano Remorques se contentant par ailleurs d’alléguer que l’entreprise de travail temporaire a commis des fautes contractuelles ou s’est mise d’accord avec elle pour contourner l’interdiction édictée par L. 1251-5 du code du travail, devra seule assumer les conséquences financières de la requalification des contrats de mission. Contrairement à ce que l’appelante soutient, le salarié réclame, dans le dispositif de ses dernières conclusions, la confirmation du jugement en toutes ses dispositions à l’exception de deux concernant des demandes en paiement de dommages et intérêts, et donc en ce compris la mise hors de cause de l’entreprise de travail temporaire. Il convient en conséquence de faire droit à cette demande dont la cour est bien saisie.

b) Sur les demandes indemnitaires afférentes :

– Sur l’indemnité spécifique de requalification :

En application de l’article L. 1251-41 du code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié visant à la requalification de son contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

Il est acquis que cette indemnité est calculée sur le salaire de base et les accessoires de salaire. La SAS Trigano Remorques critique le montant alloué à M. [C] en prétendant à juste titre que les indemnités de fin de mission et compensatrice de congés payés qui ont été versées au salarié ne peuvent être inclues dans son calcul.

Le salaire mensuel de référence s’élève donc à 1 884,20 euros et non à 2 379, 05 euros ainsi que l’ont retenu à tort les premiers juges.

L’indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire, l’ allocation de la somme de 2 000 euros est donc justifiée pour indemniser spécifiquement le salarié de la requalification qui vient d’être ordonnée.

Par ailleurs, le contrat ayant été rompu à son échéance sans respecter la procédure de licenciement et sans énonciation des motifs dans une quelconque lettre de licenciement, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause et sérieuse ouvrant droit aux indemnités de rupture et de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’il sera vu ci-après..

– Sur l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et l’indemnité de licenciement :

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Le salarié intérimaire qui a obtenu la requalification de la relation de travail en CDI peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité de licenciement qui s’ajoutent à l’indemnité de fin de mission, laquelle a pour but de compenser la précarité de sa situation et lui reste donc acquise, ce qui n’est pas contesté.

Les premiers juges ont ainsi alloué à M. [C] la somme de 2 387,87 euros, outre les congés payés afférents, au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 596,94 euros au titre de l’indemnité de licenciement.

La SAS Trigano Remorques critique encore à juste titre les montants ainsi alloués, puisque l’indemnité de précarité n’est pas non plus prise en compte dans le calcul de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement.(Soc. 23 juin 2016, n° 14-29794). L’indemnité de congés payés ne l’est pas davantage, l’indemnité compensatrice de préavis correspondant aux salaires que le salarié aurait perçus pendant son préavis et l’indemnité de licenciement étant calculée sur la base de fractions de salaire, en ce compris les primes et gratifications annuelles, ce que n’est pas l’indemnité compensatrice de congés payés, pour leurs fractions se rapportant au salaire de référence.

Dès lors, il y a lieu, par voie d’infirmation, de condamner la SAS Trigano Remorques à payer à M. [C] la somme de 1 884,20 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 188,42 euros au titre des congés payés afférents, et celle de 376,84 euros à titre d’indemnité de licenciement.

– Sur le rappel de salaire et congés payés afférents au titre de la période interstitielle :

M. [C] réclame par ailleurs un rappel de salaire s’agissant de la période interstitielle qui a séparé le premier du deuxième contrat de mission, soit du 14 mars au 10 mai 2020, en soutenant que du fait de la requalification de son contrat de travail, il aurait dû bénéficier de l’indemnité d’activité partielle et que pendant cette période, il s’est tenu à la disposition permanente de l’entreprise utilisatrice.

Celle-ci le conteste, en faisant valoir qu’un confinement lié à la pandémie de Covid-19 a été ordonné en mars 2020 et que dès lors, M. [C] n’a pas pu se tenir à sa disposition puisque le travail a été quasiment interdit pendant cette période.

Il est acquis que la requalification en contrat à durée indéterminée emporte le paiement des périodes interstitielles mais seulement lorsque le salarié démontre, par exemple par la justification de la perception d’allocations de chômage pendant l’interruption de son activité, qu’il s’est tenu à la disposition de l’utilisateur dans l’intervalle entre deux missions (Soc. 30 juin 2021, n° 19-16.655). L’intimé ne rapportant pas cette preuve, un rappel de salaire et congés payés afférents ne peut lui être accordé, si bien que le jugement déféré doit être infirmé de ce chef.

– Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Arrêt n°86 – page 10

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Aux termes des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, lorsque le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et que le salarié ne demande pas sa réintégration, le juge lui octroie à la charge de l’employeur une indemnité qui, lorsque l’ancienneté est inférieure à une année complète, ne peut excéder un mois de salaire, sans qu’aucun minimum soit cependant prévu.

En l’espèce, la SAS Trigano Remorques reproche aux premiers juges d’avoir alloué à M. [C] la somme de 2 387,87 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors qu’ils ne pouvaient pas lui accorder une somme supérieure à 1 884,20 euros. Au regard de ce qui précède, le moyen soulevé est fondé.

Aussi, au regard des éléments portés à la connaissance de la cour, et notamment de l’âge du salarié au moment de la rupture (50 ans), de son niveau de rémunération et des conditions de la rupture, l’allocation d’une somme de 1 500 euros apparaît , en l’absence de tout élément sur sa situation professionnelle depuis son licenciement, suffisante pour réparer le préjudice moral et matériel résultant de la perte injustifiée de son emploi.

– Sur les dommages et intérêts pour perte de chance :

M. [C] prétend qu’il a été privé de la chance de pouvoir bénéficier d’un contrat de travail à durée indéterminée dès lors qu’il a été mis fin de manière anticipée à son dernier contrat de mission au motif non vérifié qu’il aurait commis des vols au sein de l’entreprise utilisatrice. Il indique que l’un de ses supérieurs hiérarchiques, M. [H], lui avait en effet indiqué le 1er décembre 2020 qu’il devait être embauché. Il l’a certes déclaré lorsqu’il a été entendu le 3 décembre 2020 par les gendarmes au sujet des infractions qui lui ont été reprochées, selon ce qu’il résulte de sa pièce 47, mais aucun élément ne corrobore cette allégation ni ne vient démontrer qu’il avait une chance probable de l’être. Il en résulte que sa demande en paiement de dommages et intérêts pour perte de chance ne peut prospérer et que c’est donc à raison que les premiers juges l’en ont débouté.

– Sur les dommages et intérêts au titre de la rupture brutale et vexatoire de la relation de travail :

M. [C] réclame paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire de la relation de travail, en mettant en avant que son honneur et sa probité ont été bafoués, et encore davantage devant la cour, par l’accusation infondée de vols qui a été portée contre lui, et ce alors qu’il produit des témoignages selon lesquels il exécutait bien ses missions et ne posait pas de problème de comportement, et qu’en outre, il a seulement emporté avec lui des pelotes de câble destinées à être jetées et sans aucune valeur.

La SAS Trigano Remorques réplique que le prix du cuivre n’étant pas dérisoire et M. [C] ayant reconnu avoir pris sept pelotes de cuivre qu’il a d’ailleurs restituées, sa demande en paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire est audacieuse.

La procédure pénale a fait l’objet d’un classement sans suite et il résulte de celle-ci que

Arrêt n°86 – page 11

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M. [C] a seulement reconnu avoir récupéré des faisceaux électriques destinés à être jetés, ce qu’a confirmé l’audition d’autres salariés, et notamment celle de M. [I], et qu’il a ainsi restitué dès le 2 décembre 2020 102,55 kg de fils, le prix du kilo de ferraille ayant été vérifié par les gendarmes comme étant de 0,188 euros, de sorte que le matériel que M. [C] a emporté coûtait au total 19, 84 euros . C’est donc avec une certaine disproportion que la société utilisatrice a déposé plainte contre l’intimé pour ces faits, sans vérification des fils effectivement volés et sans avoir obtenu ses explications, et que celui-ci a immédiatement après leur découverte été placé en garde à vue puis remercié. Dès lors, la rupture de son contrat de mission est bien intervenue de manière brutale et vexatoire. L’allocation de la somme de 1 000 euros apparaissant justifiée et suffisante pour réparer le préjudice en résultant, qui est distinct de celui que lui a causé la rupture injustifiée de son contrat de travail, le jugement déféré est confirmé de ce chef.

3) Sur les autres demandes :

En application de l’article L 1235-4 du code du travail, le remboursement des indemnités de chômage sera ordonné dans la limite de 6 mois.

Compte tenu de ce qui précède, la demande visant à ordonner à la SAS Trigano Remorques de remettre au salarié un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi est fondée sans qu’il y ait lieu cependant de prononcer une astreinte ainsi que demandé.

Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La SAS Trigano Remorques, partie qui succombe le plus en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d’appel et déboutée en conséquence de ses demandes d’indemnité de procédure. En équité, elle devra verser à M. [C] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a dû engager devant la cour ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :

DIT n’y avoir lieu à annulation du chef du jugement déféré en ce qu’il a dit que la SAS Artus Intérim [Localité 4] devait être mise hors de cause ;

CONFIRME le jugement déféré de ce chef et en ce qu’il a requalifié les contrats de mission de M. [A] [C] en contrat de travail à durée indéterminée conclu avec la SAS Trigano Remorques, a condamné celle-ci à payer à M. [C] la somme de 1 000 euros en réparation des circonstances brutales et vexatoires de la rupture, l’a débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour perte de chance, et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, mais l’ INFIRME en ses autres dispositions ;

STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS et AJOUTANT:

Arrêt n°86 – page 12

16 juin 2023

CONDAMNE la SAS Trigano Remorques à payer à M. [A] [C] les sommes suivantes :

– 2 000 € à titre d’indemnité de requalification

– 1 884,20 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 188,42 € au titre des congés payés afférents,

– 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 376,84€ à titre d’indemnité de licenciement,

DÉBOUTE M. [A] [C] de sa demande en paiement d’un rappel de salaire et des congés payés afférents au titre de la période interstitielle,

ORDONNE, en application de l’article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS Trigano Remorques à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à M. [A] [C] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois ;

ORDONNE à la SAS Trigano Remorques de remettre à M. [A] [C], dans un délai de trente jours à compter de la signification du présent arrêt, un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes à la présente décision mais DIT n’y avoir lieu à astreinte ;

CONDAMNE la SAS Trigano Remorques à payer à M. [A] [C] la somme de 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS Trigano Remorques aux dépens d’appel et la déboute de sa demande en paiement d’indemnités de procédure.

Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;

En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

S. DELPLACE C. VIOCHE

 


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