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22 juin 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/04256
N° RG 21/04256 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I5P6
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 22 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 04 Octobre 2021
APPELANTE :
SELARL [E] [J] en la personne de Maître [E] [J], es qualité de liquidateur judiciaire de la Société ONG CONSEIL FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Béranger BOUDIGNON, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
Monsieur [P] [Y]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Matthieu ROUSSINEAU de l’AARPI ROUSSINEAU AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN
UNEDIC Délégation AGS-CGEA ILE DE FRANCE OUEST
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Me Hassan BEN HAMADI, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE substitué par Me Arthur TENARD, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 09 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 09 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 22 Juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 22 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [P] [Y] a été engagé par la société ONG Conseil France en qualité de recruteur donateur dans le cadre de contrats à durée déterminée du 13 mai 2008 au 24 novembre 2018.
Par requête du 26 juin 2019, M. [P] [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée et paiement de rappels de salaire et d’indemnités.
Par jugement du 4 octobre 2021, le conseil de prud’hommes a requalifié dès l’origine les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, soit à compter du 13 mai 2008, a condamné la société ONG Conseil France à verser à M. [P] [Y] les sommes suivantes :
indemnité de requalification : 1 815,77 euros,
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 5 447,31 euros,
indemnité compensatrice de préavis : 3 631,54 euros,
congés payés sur indemnité compensatrice de préavis : 363,15 euros,
indemnité légale de licenciement : 5 447,31 euros,
indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,
condamné la société ONG Conseil France à remettre une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire rectifiés sous astreinte de 10 euros par jour et par document et ce, un mois après la notification du jugement, ordonné l’exécution provisoire sur ce qui est de droit, débouté M. [P] [Y] de son autre demande, débouté la société ONG Conseil France de ses demandes, laissé les dépens de l’instance à la charge de la société ONG Conseil France.
Par jugement du 3 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a placé la SAS ONG Conseil France en redressement judiciaire.
La SAS ONG Conseil France, la société civile professionnelle d’administrateurs judiciaires [U] et Rousselet, en qualité d’administrateur judiciaire de la société, et la SELARL [E] [J], en qualité de mandataire judiciaire, ont interjeté un appel limité le 8 novembre 2021.
Par jugement du 1er décembre 2022, le redressement judiciaire a été converti en liquidation judiciaire et la Selarl [E] [J] en la personne de [E] [J] a été désigné en qualité de liquidateur.
Par conclusions remises le 21 mars 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SELARL [E] [J] demande à la cour de :
à titre liminaire,
– la déclarer recevable est bien fondée en son intervention volontaire,
– infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté M. [P] [Y] de ses demandes de dommages et intérêts au titre des manquements allégués d’ONG Conseil France à ses obligations en matière de santé au travail et de ses autres demandes,
statuant à nouveau :
à titre principal,
– dire que le recours aux contrats de travail à durée déterminée pour motif « d’accroissement temporaire d’activité » et « d’usage » est justifié et qu’il n’y a pas lieu à requalification en contrat de travail à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée conclus par M. [P] [Y] avec la société ONG Conseil France,
– dire que les contrats de travail à durée déterminée respectent les conditions de forme requises,
– qualifier le terme du contrat de travail à durée déterminée le 24 novembre 2018, de démission imputable à M. [P] [Y] et ne constituant pas un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en conséquence :
– débouter M. [P] [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [P] [Y] à verser à la société ONG Conseil France la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel et aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Boudignon, avocat aux offres de droit,
à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait faire droit aux demandes de requalification des contrats de travail à durée déterminée :
1) à titre liminaire :
– fixer le salaire de référence de M. [P] [Y] à 1 502,96 euros,
2) sur la demande à titre d’indemnité de requalification :
– réformer sur le quantum de l’indemnité de requalification et la limiter à 1 502,96 euros nets,
3) sur les demandes indemnitaires au titre de la requalification du terme du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse :
à titre principal :
– infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré que le terme des contrats de travails de M. [P] [Y], requalifiés en contrat à durée indéterminée, était constitutif d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– qualifier le terme du contrat de travail de démission imputable à M. [P] [Y],
en conséquence :
– débouter M. [P] [Y] des demandes en découlant,
et si par extraordinaire la cour devait requalifier le terme de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse :
à titre subsidiaire :
premier subsidiaire :
– fixer l’ancienneté de M. [P] [Y] à 1 mois eu égard à la date de début de son dernier contrat (23 octobre 2018) et de la discontinuité de la succession de ses contrats de travail,
– réformer sur le quantum les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en limiter le montant à 1 502,96 euros,
– infirmer le jugement entrepris ayant condamné la société ONG Conseil France à verser à M. [P] [Y] l’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et l’indemnité légale de licenciement,
– débouter M. [P] [Y] de sa demande de fixation au passif du redressement judiciaire de la société ONG Conseil France pour ces indemnités
à titre très subsidiaire, si la cour ne devait pas retenir cette ancienneté, ne pouvant alors retenir une ancienneté que dans les limites de la prescription de l’action en requalification,
deuxième subsidiaire :
– réformer sur le quantum le jugement entrepris au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité légale de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents
– fixer l’ancienneté de M. [P] [Y] à un 1 an et 4 mois eu égard aux limites de la prescription de l’action en requalification des contrats de travail à durée déterminée (26 juin 2017),
– limiter le montant des indemnités de licenciement comme suit :
indemnité pour licenciement sans cause et réelle et sérieuse: 1 502,96 euros nets,
indemnité légale de licenciement : 500,99 euros nets,
indemnité légale compensatrice de préavis : 1 502,96 euros bruts,
indemnité compensatrice de congés payés y afférents : 150,29 euros bruts,
à titre encore plus subsidiaire, si la cour ne retenait cette date d’ancienneté, ne retenir une ancienneté déterminée en ne tenant compte que des seules périodes effectivement travaillées, exclusion faite des périodes non-travaillées par M. [P] [Y] sur la période du 13 mai 2008 au 24 novembre 2018,
troisième subsidiaire :
– réformer sur le quantum le jugement entrepris au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité légale de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,
– fixer l’ancienneté de M. [P] [Y] à 4 ans et 4 mois eu égard aux seules périodes au cours desquelles il a travaillé effectivement pour la société ONG Conseil France, exclusion faite des périodes non-travaillées,
en conséquence :
– limiter le montant des indemnités de licenciement comme suit :
indemnité pour licenciement sans cause et réelle et sérieuse : 4 508,88 euros nets,
indemnité légale de licenciement : 1 628,21euros nets,
indemnité légale compensatrice de préavis : 3 005,92 euros bruts,
indemnité compensatrice de congés payés y afférents : 300,59 euros bruts,
à titre infiniment subsidiaire, si la cour retenait date du début de l’ancienneté le 13 mai 2008, date du premier contrat de travail à durée déterminée, sans exclusion des périodes non-travaillées, elle ne pourrait toutefois que réformer le jugement sur le quantum des condamnations comme suit :
indemnité pour licenciement sans cause et réelle et sérieuse : 4 508,88 euros nets,
indemnité légale de licenciement : 4 007,90 euros nets,
indemnité légale compensatrice de préavis 3 005,92 euros bruts,
indemnité compensatrice de congés payés y afférents : 300,59 euros bruts,
en tout état de cause :
– débouter M. [P] [Y] de ses demandes au titre de son appel incident, débouter M. [P] [Y] de sa demande visant à voir ordonner à la SELARL [E] [J], ès qualités, de lui remettre, une attestation Pôle Emploi conforme à l’arrêt, un certificat de travail mentionnant qu’il était employé en contrat à durée indéterminée du 13 mai 2008 au 14 novembre 2018 et un bulletin de salaire rectificatif mentionnant l’intégralité des indemnités et rappels de salaires obtenus par l’arrêt et ce sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document à compter du 30ème jour suivant la notification de la décision, la cour se réservant expressément le droit de liquider l’astreinte,
– débouter M. [P] [Y] de l’ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions,
– fixer l’éventuelle créance allouée à M. [P] [Y] au passif de la liquidation judiciaire de la société ONG Conseil France.
Par conclusions remises le 7 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [P] [Y] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société ONG Conseil France de sa demande de voir déclarer irrecevable les demandes comme étant prescrites,
– déclarer, en conséquence, les demandes recevables et non prescrites,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié dès l’origine les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée avec la société ONG Conseil France, soit à compter du 13 mai 2008, en ce qu’il a condamné la société ONG Conseil France à lui verser une somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et fixer cette somme au passif du redressement judiciaire de la société ONG Conseil France,
– l’infirmer en ce qu’il a fixé le salaire moyen brut mensuel à 1815,77 euros, sur le montant des indemnité allouées er en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre des manquements de la société ONG Conseil France à ses obligations en matière de santé au travail,
– fixer ce salaire moyen à 2 105,06 euros bruts,
– fixer au passif du redressement judiciaire de la société ONG Conseil France les condamnations suivantes :
indemnité de requalification : 4 210,12 euros nets,
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 21 050 euros nets,
indemnité compensatrice de préavis : 4 210,12 euros bruts,
congés payés y afférents : 421,01 euros bruts,
indemnité légale de licenciement : 5 613,49 euros nets,
dommages et intérêts pour manquements aux obligations en matière de santé au travail : 3 000 euros nets,
– ordonner à la société ONG Conseil France, à la société civile professionnelle d’administrateurs judiciaires [U] et Rousselet, ès-qualités, et la SELARL [E] [J], ès-qualités, de lui remettre :
une attestation Pôle Emploi rectifiée conforme à l’arrêt,
un certificat de travail mentionnant qu’il était employé en contrat à durée indéterminée du 13 mai 2008 au 24 novembre 2018,
un bulletin de salaire rectificatif mentionnant l’intégralité des indemnités et rappels de salaires obtenus par l’arrêt,
sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document à compter du 30ème jour suivant la notification de la décision, la cour se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte,
y ajoutant,
– fixer au passif du redressement judiciaire de la société ONG Conseil France une somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles relatifs à la procédure d’appel,
– fixer au passif du redressement judiciaire de la société ONG Conseil France les entiers dépens,
– déclarer les créances à l’encontre du redressement judiciaire de la société ONG opposables à l’AGS représentée par le CGEA d’IDF Ouest,
– dire que l’AGS, représentée par le CGEA d’IDF Ouest, devra être appelée en garantie par la SCPd’administrateurs judiciaires [U] et Rousselet, représentée par Maître [Z] [U], ès-qualités, et par la SELARL [E] [J], représentée par M. [E] [J], ès qualités, pour lesdites créances en cas d’insuffisance d’actif et dans la limite des plafonds applicables aux article L. 3253-8 et D. 3253-5 du code du travail,
– débouter la SELARL [E] [J] et le CGEA d’IDF Ouest de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Par conclusions remises le 12 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, l’AGS CGEA IDF Ouest demande à la cour de :
à titre principal,
– infirmer le jugement rendu en ce qu’il a requalifié dès l’origine les contrats à durée déterminée de M. [P] [Y] en un contrat à durée indéterminée et condamné la société ONG Conseil France à verser à M. [P] [Y] diverses sommes, et à lui remettre les documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte,
– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a débouté le salarié de son autre demande, portant sur les dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations en matière de santé au travail,
statuant à nouveau,
– juger que les différents contrats de travail à durée déterminée conclus l’ont valablement été, ce que soit au titre d’un usage constant ou d’un accroissement temporaire d’activité,
– débouter M. [P] [Y] de l’ensemble des demandes de fixation au passif de la procédure collective de la société ONG Conseil,
– subsidiairement, et si la cour confirmait le jugement en ce qu’il a prononcé la requalification en contrat de travail à durée indéterminée,
– juger irrecevable la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée conclus antérieurement au 26 juin 2017 en raison de la prescription de l’action,
– fixer le salaire de référence à 1 502,96 euros et l’ancienneté à 1 mois et deux jours (soit la durée du dernier contrat de travail à durée déterminée conclu) (ancienneté qui, en toute hypothèse ne pourra être supérieure à 1 an et 4 mois en raison de l’acquisition des délais de prescription),
en conséquence,
– limiter les condamnations aux montant suivants :
indemnité de requalification : 1 502,96 euros,
indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 502,96 euros,
– débouter M. [P] [Y] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis au regard de son ancienneté inférieure à 6 mois de services continus,
– débouter M. [P] [Y] de sa demande d’indemnité légale de licenciement, celui-ci ne disposant pas d’une ancienneté de 8 mois,
en tout état de cause, sur la garantie de l’AGS ;
– juger que s’il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,
– juger qu’en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l’article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens dudit article L.3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts mettant en ‘uvre la responsabilité de droit commun de l’employeur ou article 700 étant ainsi exclus de la garantie,
– juger que les intérêts ont nécessairement été arrêtés au jour de l’ouverture de la procédure collective en application des dispositions de l’article L.622-28 du code de commerce, sans avoir pu courir avant mise en demeure régulière au sens de l’article 1153 du code civil ,
– statuer ce que de droit quant aux frais d’instance sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 27 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I – Sur la prescription de la demande de requalification pour les contrats conclus avant le 26 juin 2017
La partie appelante et l’Unedic délégation AGS CGEA soulèvent la prescription de la demande en requalification concernant les contrats conclus antérieurement au 26 juin 2017 aux motifs que, si l’article L.1471-1 du code du travail s’applique aux demandes visant la requalification du contrat de travail, ses dispositions sont d’interprétation stricte et que, postuler que l’ancienneté du salarié embauché dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée doit remonter au premier contrat conclu irrégulièrement, nécessite en réalité d’examiner la régularité d’un contrat ayant été potentiellement exécuté plus de deux ans avant l’introduction en justice et rompu plus d’un an avant celle-ci, ce qui est source d’insécurité juridique, que la prise en compte de l’ancienneté du salarié depuis le premier contrat requalifié revient à le placer dans une situation plus favorable que celle d’un salarié en contrat de travail à durée indéterminée en l’absence de décompte des périodes d’interruption des contrats à durée déterminée, ce qui conduit à accorder une indemnisation qui n’est pas conforme aux règles édictées par le code civil selon lesquelles seul le préjudice subi doit être réparé, alors qu’en l’espèce les contrats se sont succédé de manière discontinue.
M. [Y] fait valoir qu’aucune prescription n’est encourue dès lors que le premier contrat a débuté le 13 mai 2008, que le dernier s’est achevé le 24 novembre 2018 et qu’il a saisi la juridiction prud’homale le 26 juin 2019, soit dans le délai de deux ans, peu important les périodes d’interruption.
Selon l’article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Alors qu’il est admis que l’action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée est une action relevant de son exécution, le délai de prescription d’une telle action fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat a pour point de départ, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat de mission, peu important que ces contrats aient été interrompus entre eux et que le salarié ait travaillé pour le compte d’autres employeurs, sauf à ce que la prescription alors applicable ait été acquise durant l’une de ces interruptions.
Il résulte de l’examen des contrats et bulletins de paie versés au débat que M. [Y] a été recruté dans le cadre d’un premier contrat à durée déterminée le 13 mai 2008, qu’ensuite les contrats se sont succédé avec des périodes d’interruption plus ou moins longues sans jamais atteindre le délai de prescription de deux ans entre deux contrats.
Alors que la demande de requalification repose sur le motif du recours, il s’en déduit qu’aucune prescription n’est encourue dès lors que le dernier contrat a pris fin le 24 novembre 2018, et que le conseil de prud’hommes a été saisi le 26 juin 2019.
La cour complète ainsi le jugement entrepris.
II – Sur la requalification des contrats à durée déterminée
M. [Y] sollicite la requalification des contrats à durée déterminée depuis le premier contrat aux motifs que si certains contrats font référence à l’article L.1242-2 3°, à savoir le contrat à durée déterminée dit contrat d’usage et concernant lesquels l’article D.1242-1 8° inclut les secteurs de l’information et des activités d’enquête et de sondage, conforme à l’activité de la société ONG Conseil France telle que visée sur son extrait K bis, néanmoins, son recrutement était pour un emploi d’enquêteur vacataire pour des fonctions de recruteur de donateur booster ou encore de responsable d’équipe, ayant pour finalité de récolter des dons au profit des associations, lesquelles ne relèvent pas de l’activité d’information ou d’enquête et sondage, qu’il n’est pas davantage établi l’accroissement temporaire d’activité pour les contrats concernés et qu’en réalité, il occupait un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise comme occupant toujours les mêmes fonctions entre 2008 et 2018, y compris lorsqu’il a été recruté en qualité de responsable d’équipe à partir de 2014, le recours aux contrats à durée déterminée constituant un mode habituel de gestion de la main d’oeuvre.
La partie appelante et l’Unedic délégation AGS CGEA s’opposent à la requalification de la relation contractuelle aux motifs que la société ONG Conseil France a des emplois par nature temporaire compte tenu des spécificités de son activité et que les contrats conclus pour motif dit d’usage ou accroissement temporaire d’activité sont réguliers.
L’article L.1242-1 du code du travail dispose qu’un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Selon l’article L. 1242-2 3° du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, dit contrat d’usage, peut être conclu pour les emplois, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accords collectifs de travail étendu, où il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
L’article D.1242-1 du même code, pris en application du 3ème de l’article L 1242- 2 précité, inclus dans ces secteurs d’activité en son alinéa 8 « l’information, les activités d’enquête et de sondages » et donc le secteur d’activité de la SARL ONG Conseil, dont l’objet social indiqué sur son KBIS est « conseil en marketing et communication, réalisation d’enquêtes et sondages.
En effet, la société ONG Conseil France est une société de conseil en marketing et communication, réalisation d’enquête et de sondage. Elle est mandatée par des associations ou des organisations à but non lucratif pour développer des campagnes de sensibilisation et de collecte de fonds au niveau national par le biais de recruteurs de donateurs.
Dans le livret à destination des recruteurs de donateurs, la société ONG Conseil France explique que depuis 1998, a été développé un nouvel outil de collecte de fonds, dans la rue, en face à face et elle se présente comme un des principaux acteurs du développement de collecte de fonds de rue en France et les offres d’emploi précisent qu’il s’agit de proposer aux passants de donner mensuellement par prélèvement.
Pour ce faire, elle est liée à ses cocontractants par des contrats cadre qui se déclinent en contrat de prestations de collecte de fonds.
Il est produit un certain nombre d’accords-cadre et de contrats de prestations de collecte de fonds établissant effectivement la variabilité de nombre d’heures de prestation à accomplir chaque année, ce qui est corroboré par un document établi par l’employeur, non discuté, reportant mensuellement de janvier 2011 à décembre 2018 le cumul d’heures accomplies.
Alors certes, le volume total pouvait subir une variation à la baisse comme à la hausse dans une limite de 5 %, comme précisé dans les conventions la liant à ses clients et la société ONG Conseil France était soumise à autorisation de l’organisation des campagnes sur des lieux publics, néanmoins, alors qu’elle intervenait pour de multiples associations comme cela résulte des motifs portés sur les contrats à durée déterminée, qu’elle était liée par des accords cadres avec plusieurs associations lui assurant une activité à l’année, que d’ailleurs, le document qu’elle communique montre que depuis janvier 2011 le volume d’activité mensuelle qu’elle devait accomplir représentait a minima 10 000 heures de prestations mensuelles, équivalant à 70 emplois à temps plein, il s’en déduit qu’elle avait une activité constante au moins à cette hauteur.
Aussi, alors qu’il résulte du bilan social communiqué au titre de l’année 2017 que l’entreprise a régularisé :
– en 2015 : 10 contrats de travail à durée indéterminée signés dont 8 pour des postes de responsable d’équipes ou booster coordinateur et aucun recruteur booster
2517 contrats à durée déterminée
– en 2016 : 9 contrats de travail à durée indéterminée signés dont 5 pour des postes de responsable d’équipes ou booster coordinateur et aucun recruteur booster
2982 contrats à durée déterminée
– en 2017 : 20 contrats de travail à durée indéterminée signés dont 11 pour des postes de responsable d’équipes ou booster coordinateur et 1 recruteur booster
2953 contrats à durée déterminée,
qu’il n’est communiqué aucun élément quant au nombre de contrats de travail à durée indéterminée pour les emplois occupés par M. [Y], il s’en déduit que, quel qu’en soit le motif, à titre d’usage, à supposer que le recours à de tels contrats soit régulier compte tenu de la nature de la mission des salariés agissant sur le terrain, ou pour accroissement temporaire d’activité, le contrat à durée déterminée avait en réalité pour objet de pourvoir un emploi durable et permanent, peu important les aléas auxquels était soumise la société ONG Conseil France l’obligeant à adapter constamment le planning de ses équipes d’intervention afin d’éviter une affluence trop importante dans un même lieu. Ainsi, il est établi qu’elle a conclu avec M. [Y] des contrats successifs pour exercer des tâches similaires de recruteur de donateurs, quand bien même en cette qualité il pouvait avoir la qualification de recruteur de donateurs booster ou de responsable d’équipe, s’inscrivant dans l’activité normale et permanente de la société.
Par conséquent, c’est pour de justes motifs que la relation contractuelle a été requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 mai 2008, de sorte que la cour confirme le jugement entrepris ayant statué ainsi.
III – Sur les conséquences de la requalification
Alors que le conseil de prud’hommes a fixé le salaire moyen à 1 815,77 euros, le salarié sollicite qu’il soit fixé à la moyenne des trois derniers mois, soit 2 105,06 euros et l’employeur qu’il soit fixé sur la base des douze derniers mois précédant le terme de son contrat de travail, proposant ainsi la somme de 1 502,96 euros.
Le salaire moyen doit s’apprécier déduction faite de l’indemnité de précarité et de l’indemnité pour congés payés.
Compte tenu de la rémunération perçue par le salarié dans les douze mois précédents la fin des contrats, déduction faite de la prime de précarité et de l’indemnité de congés payés, soit entre décembre 2017 et novembre 2018, en ne prenant en compte que les seuls mois au cours duquel le salarié a travaillé, le salaire moyen s’établit à 2 028,72 euros.
Il est de jurisprudence constante que l’ancienneté du salarié dont les contrats à durée déterminée ont été requalifiés remonte au jour du premier contrat irrégulier soit en l’espèce le 13 mai 2008, sans que ne puisse être pris en compte le délai de prescription de deux ans, comme invoqué par l’appelant, dès lors qu’il s’agit de la conséquence de l’action en requalification elle-même non prescrite.
Elle ne peut davantage s’apprécier au regard des périodes d’interruption des contrat à durée déterminée successifs dès lors que la requalification produit ses effets à dater du premier contrat irrégulier, peu important les périodes d’interruption séparant les différents contrats souscrits, dès lors qu’aucune prescription n’est intervenue entre deux contrats dont la requalification est sollicitée.
M. [Y] est fondé à obtenir une indemnité de requalification, laquelle ne peut être inférieure à un mois de salaire en application de l’article L.1245-2 du code du travail.
Si la relation contractuelle s’est poursuivie sous une forme précaire pendant 10 ans, néanmoins, il n’est pas produit d’éléments permettant d’établir que cette situation a causé un préjudice plus particulier au salarié, de sorte que par arrêt infirmatif, la cour fixe cette indemnité à la somme de 2 028,72 euros.
Le contrat de travail requalifié ayant pris fin sans procédure de licenciement, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Aussi, M. [Y] est fondé à obtenir :
– des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Alors qu’il n’est pas établi que le salarié espérait obtenir un contrat de travail à durée indéterminée, ainsi qu’il l’allègue, ni qu’il aurait arrêté ses études pour se consacrer pleinement à ses fonctions pour la société ONG conseil, qu’en application de l’article L.1235-3 du code du travail, il peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 10 mois de salaire, qu’il justifie avoir perçu l’allocation de retour à l’emploi, puis avoir trouvé un emploi en contrat à durée déterminée auprès de l’INRAP en archéologie de janvier à mai 2019, et avoir été maintenu dans une situation précaire jusqu’à ce qu’il engage une démarche entrepreneuriale en novembre 2020 en créant une société spécialisée dans la récolte de fonds au profit d’associations humanitaires et environnementales, la cour lui alloue la somme de 9 000 euros à titre de dommages et intérêts, infirmant ainsi le jugement entrepris.
– l’indemnité compensatrice de préavis : 4 057,44 euros et les congés payés afférents
– l’indemnité légale de licenciement :
en considération d’une ancienneté de 10 ans et 8 mois, préavis inclus, dès lors que le salarié dont le contrat de travail a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée à effet du 13 mai 2008,et peut donc se prévaloir des droits résultant de ce contrat, sans qu’il y ait lieu de soustraire les périodes d’interruption, l’indemnité s’élève à 5 522,62 euros.
Les conditions de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à M. [Y] dans la limite de 8 jours d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.
La SELARL [E] [J] devra remettre au salarié une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes à la présente décision, sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document passé le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt.
IV – Sur le manquement aux obligations en matière de santé au travail
M. [Y] sollicite réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité en ce qu’il n’a jamais bénéficié d’aucun examen médical alors qu’il était soumis à de nombreuses contraintes physiques en travaillant dans la rue, debout toute la journée et faisait de nombreux déplacements, ce qui lui a occasionné des pathologies, notamment au dos.
S’il n’est pas établi par l’employeur la mise en oeuvre de ses obligations en matière de prévention pour s’assurer que l’état de santé du salarié était compatible avec ses conditions de travail, néanmoins, alors qu’il n’est justifié d’aucun problème de santé incompatible avec celles ci, ni de difficultés survenues à raison de celles-ci, notamment pour corroborer la survenance de problème de dos, M. [Y] n’apporte aucune élément caractérisant le préjudice allégué.
Par conséquent, la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté cette demande.
VI – Sur la garantie de l’UNEDIC délégation AGS CGEA d’Ile de France Ouest
Compte tenu de la nature des sommes allouée, l’AGS CGEA doit sa garantie dans les termes des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, à défaut de fonds disponibles, étant précisé que cette garantie ne s’étend ni à la remise des documents rectifiés sous astreinte, ni à l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
VII – Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la liquidation judiciaire de la société ONG Conseil France est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à M. [Y] la somme de 1 100 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Rejette le moyen tiré de la prescription des demandes pour celles antérieures au 26 juin 2017 ;
Infirme le jugement entrepris sur le montant de l’indemnité de requalification, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de l’indemnité légale de licenciement ;
Statuant à nouveau,
Fixe la créance de M. [Y] au passif de la société ONG Conseil France aux sommes suivantes :
indemnité de requalification : 2 028,72 euros
dommages et intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse : 9 000,00 euros
indemnité compensatrice de préavis : 4 057,44 euros
congés payés afférents : 405,74 euros
indemnité légale de licenciement : 5 522,62 euros
Dit que l’Unedic délégation AGS CGEA d’Ile de France Ouest est tenue à garantie pour ces sommes à défaut de fonds disponibles ;
Le confirme en ses autres dispositions non contraires ;
Y ajoutant,
Ordonne la remise par La SELARL [E] [J], ès qualités, à M. [Y] d’une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie récapitulatif conformes à la présente décision, sous astreinte de 10 euros par jour de retard et par document passé le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ;
Fixe la créance de Pôle emploi au passif de la liquidation judiciaire de la société ONG Conseil France au titre du remboursement des indemnités chômage versées à M. [Y] dans la limite de 8 jours d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;
Condamne la liquidation judiciaire de la société ONG Conseil France aux entiers dépens de première d’instance et d’appel ;
Condamne la liquidation judiciaire de la société ONG Conseil France à payer à M. [Y] la somme de 1 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;
Déboute la liquidation judiciaire de la société ONG Conseil France de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en appel.
La greffière La présidente