Requalification en CDI : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02581

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Requalification en CDI : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02581
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22 juin 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/02581

N° RG 21/02581 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IZ55

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 22 JUIN 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 02 Juin 2021

APPELANTE :

Madame [L] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Karim BERBRA de la SELARL LE CAAB, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sophie DUVAL, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.R.L. NSI

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Hortense VERILHAC de la SCP SILIE VERILHAC ET ASSOCIÉS SOCIÉTÉ D’AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Justine DUVAL, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 10 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 10 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 22 Juin 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 22 Juin 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [L] [R] a été engagée par la société NSI par le biais d’un contrat de professionnalisation à durée déterminée du 15 octobre 2018 au 31 juillet 2019.

Par requête reçue le 9 mars 2020, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de la rupture ainsi qu’en paiement d’indemnités, en lien notamment avec du harcèlement moral et du harcèlement sexuel.

Par jugement du 2 juin 2021, le conseil de prud’hommes a reconnu un manquement de la société NSI à l’obligation de prévention du harcèlement moral et a renvoyé l’évaluation du préjudice à la formation de départage, a condamné la société NSI à payer à Me Berbra la somme de 700 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, a débouté Mme [R] de l’intégralité de ses autres demandes et la société NSI de ses demandes reconventionnelles en lui laissant la charge des dépens.

Mme [R] a interjeté appel de cette décision le 24 juin 2021.

Par conclusions remises le 14 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, Mme [R] demande à la cour d’infirmer le jugement sauf en ce qu’il a reconnu un manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral, en ce qu’il a débouté la société NSI de ses demandes au titre de la procédure abusive et de l’article 700 du code de procédure civile, l’a condamnée à payer à Me Berbra la somme de 700 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et lui a laissé la charge des dépens, et statuant à nouveau, de :

– dire que la société NSI a manqué à son obligation de formation et requalifier le contrat de professionnalisation en contrat à durée indéterminée,

– dire que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dire que la société NSI s’est rendue coupable de harcèlement sexuel et harcèlement moral et qu’elle a manqué à son obligation de prévention au titre de ces deux manquements,

– en conséquence, condamner la société NSI à lui payer les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 968,81 euros

indemnité de licenciement : 191,33 euros

indemnité de préavis : 968,81 euros

congés payés afférents : 96,88 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 2 906,43 euros

dommages et intérêts pour harcèlement sexuel : 15 000 euros

dommages et intérêts pour absence de prévention du harcèlement sexuel : 5 000 euros

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 15 000 euros

dommages et intérêts pour absence de prévention du harcèlement moral : 5 000 euros

rappel de salaire pour la journée du 15 mars 2019 et l’après-midi du 29 mars 2019 : 68,45 euros

congés payés afférents : 6,84 euros

– condamner la société NSI à verser à Me Berbra la somme de 700 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, outre 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 22 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société NSI demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu’il a reconnu un manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral, en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes au titre de la procédure abusive et de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée à payer à Me Berbra la somme de 700 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et statuant à nouveau, de dire qu’elle n’a pas manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral, condamner Mme [R] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 27 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de requalification du contrat de professionnalisation à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Mme [R] explique avoir été engagée, en alternance, en qualité de commerciale et chargée de projets marketings, sans qu’elle n’ait reçu aucune formation avant d’être envoyée seule en prospection à compter du mois de janvier 2019. Elle note par ailleurs qu’il lui était confié des missions ne relevant manifestement pas d’un contrat en alternance, ainsi, assurer la formation de deux commerciaux en contrat à durée indéterminée et analyser leurs rapports journaliers, et ce, sur la base d’horaires très importants de 8h30 à 19h.

Aussi, elle demande à ce que son contrat de professionnalisation soit requalifié en contrat à durée indéterminée de droit commun et, en conséquence, que la rupture soit analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En réponse, la société NSI explique que Mme [R], qui a commandé à son insu des cartes de visite en y faisant inscrire le titre de responsable marketing, a bénéficié durant trois mois de prospection en binôme avec M. [Z], gérant de la société, avec rencontre de la plupart des clients et de certains fournisseurs pour présentation de leurs produits, et ce, sans que Mme [R] ne montre le moindre intérêt, étant enfin précisé que les horaires qu’elle prétend avoir réalisé sont fallacieux dès lors que 90 % des clients sont des mairies qui ferment à 17h.

Selon l’article L. 6325-3 du code du travail, l’employeur s’engage à assurer une formation au salarié lui permettant d’acquérir une qualification professionnelle et à lui fournir un emploi en relation avec cet objectif pendant la durée du contrat à durée déterminée ou de l’action de professionnalisation du contrat à durée indéterminée. Le salarié s’engage à travailler pour le compte de son employeur et à suivre la formation prévue au contrat.

Il en résulte que le défaut de formation entraîne la requalification du contrat de professionnalisation en contrat de droit commun.

En l’espèce, Mme [R] et la société NSI ont conclu un contrat de professionnalisation pour la période du 15 octobre 2018 au 5 juillet 2019, lequel portait sur l’emploi de commerciale et chargée de projets marketing avec pour tuteur, M. [W] [Z], gérant non salarié, étant précisé que la formation était délivrée par un organisme de formation externe, à savoir le GRETA de [Localité 6] et qu’il n’est pas contesté que Mme [R] a pu suivre cette formation en parallèle de son emploi au sein de la société NSI.

Il doit par ailleurs être relevé que Mme [R] a été placée en arrêt maladie à compter du 8 avril 2019 et ce, sans discontinuer jusqu’au terme du contrat le 31 juillet 2019, ainsi la question de la formation dispensée porte sur la période comprise entre le 15 octobre 2018 et le 8 avril 2019.

Afin de justifier de la formation apportée, la société NSI produit l’attestation sur l’honneur de plusieurs fournisseurs et prestataires de service.

Ainsi, M. [O], de la société Eurosteam, indique avoir été reçu les 13 et 28 février 2019 dans les locaux de la société NSI pour assurer à son personnel, dont Mme [R], une formation générale sur la gamme de leur matériel de nettoyage la première journée, puis une formation plus spécifique sur la monobrosse lustreuse la deuxième journée. Une attestation similaire est produite par le gérant de la société Codis qui explique être quant à lui intervenu pour les produits d’essuyage de son entreprise les 7 décembre 2018 et 24 janvier 2019.

Par ailleurs, M. [B], gérant du magasin Photo&com travaillant à la création de fiches techniques, étiquettes, publicités, gestion des réseaux sociaux pour le compte de la société NSI depuis de nombreuses années, indique avoir reçu Mme [R], à la demande de M. [Z], au début de l’année 2019 afin de lui assurer une formation sur les divers logiciels servant à la création de divers supports.

Enfin, M. [F], arrivé dans la société le 16 janvier 2019, explique avoir préparé pour Mme [R] un classeur avec les fiches techniques NSI et trois catalogues de chez Sodel, lui avoir montré les produits à la demande de M. [Z] et l’avoir même accompagnée à l’extérieur pour faire des démonstrations.

Au-delà de ces attestations, dans son courrier du 4 avril 2019, Mme [R] indique être restée deux mois dans l’entreprise pour en comprendre le fonctionnement, puis avoir été lancée sur le terrain début 2019 avec quelques produits mais sans informations plus précises sur l’approche clientèle à savoir, quel type de produits en fonction du secteur d’activité, ce qui est contredit par sa propre déclaration à la CPAM au cours de laquelle elle a expliqué, qu’au début de la relation contractuelle, elle était toujours en présence de M. [Z] et qu’elle l’accompagnait afin qu’il lui montre les différents produits, sachant que M. [Z] justifie avoir lui-même suivi une formation de tuteur de 14 heures du 3 au 10 décembre 2018.

En outre, si elle indique qu’à son retour des Etats-Unis, M. [Z] l’a laissée seule, d’abord une journée par semaine puis du mercredi au vendredi, cela permet encore de s’assurer d’une progression dans la prise d’autonomie, conforme à une formation pouvant être dispensée à une étudiante en alternance.

Aussi, et quand bien même elle produit l’attestation d’autres collègues qui expliquent ne pas avoir eux-mêmes bénéficié de formation dans la mesure où M. [Z] annulait toujours en dernière minute les démonstrations prévues en binôme, et ce, sans évoquer la situation de Mme [R], ainsi qu’un sms du 26 mars démontrant que ce jour-là, M. [Z] a effectivement annulé l’accompagnement qui était prévu avec elle, cela n’est pas de nature à écarter la réalité de la formation dont elle a bénéficié au sein de la société NSI.

Cette absence de formation ne peut pas plus résulter d’horaires éventuellement plus larges que ceux initialement prévus, ou des tâches qui lui ont été confiées, et notamment celles, au regard de ses diplômes plus élevés, de recevoir et analyser les rapports journaliers d’un autre commercial, d’autant qu’il ressort des échanges de sms produits qu’elle en discutait systématiquement avec M. [Z].

Enfin, si Mme [E], commerciale licenciée le 1er novembre 2018, atteste que Mme [R] a eu la tâche inconfortable de la prévenir que M. [Z] ne voulait plus qu’elle fasse partie de l’entreprise ou alors qu’elle reste comme indépendante pour ensuite signer un contrat à durée indéterminée et la licencier pendant sa période d’essai, cette information ne peut résulter que des seuls propos tenus par Mme [R] dès lors qu’elle n’a pas mené la procédure de licenciement.

Au vu de ces éléments qui démontrent l’existence d’une formation délivrée à Mme [R] au sein de la société NSI, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de requalification de son contrat de professionnalisation à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

En outre, et alors que sa demande tendant à voir requalifier la rupture de son contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse repose sur cette requalification, il convient également de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes en lien avec la rupture de son contrat de travail.

Sur la demande de rappel de salaire

Alors qu’il appartient à l’employeur de justifier que le salarié n’a pas exécuté la prestation de travail donnant lieu à retenue sur salaire, il n’est en l’espèce produit aucun élément permettant de dire que Mme [R] n’aurait travaillé ni le 15 mars, ni le 29 mars après-midi, la seule pièce produite étant un texto envoyé le 14 mars dans la matinée faisant état d’un état de santé ne lui permettant pas de travailler, sachant qu’il n’est pas produit d’arrêt de travail sur cette période bien qu’il soit évoqué dans les conclusions.

Il convient en conséquence de faire droit à la demande de Mme [R] et de condamner la société NSI à lui payer la somme de 68,45 euros à titre de rappel de salaire pour la journée du 15 mars et la demi-journée du 29 mars 2019, outre 6,84 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et manquement à l’obligation de prévention du harcèlement sexuel

Mme [R] soutient avoir été victime, tout comme une autre collègue avant elle, de harcèlement sexuel de la part de M. [Z], lequel a multiplié les gestes et propos déplacés, lui faisant des remarques sur sa relation avec son compagnon mais aussi sur sa poitrine ou encore l’appelant ‘mon petit chat’ lors de la réunion du BNI du 22 mars. Elle précise que le 20 mars, après l’avoir humiliée en public, il l’a reçue dans son bureau en lui posant la main sur la jambe en lui tapotant le visage avec un mouchoir pour essuyer ses larmes, pour s’excuser à nouveau le lendemain en lui disant ‘tu sais que j’ai de l’affection pour toi, tu sais que je t’aime mais chut’.

La société NSI explique les accusations de Mme [R] par les remontrances qui lui ont été faites sur son travail et qu’elle n’a pas appréciées, sachant que M. [Z] s’est contenté de lui faire des remarques sur sa tenue vestimentaire afin que celle-ci soit adaptée pour aller prospecter la clientèle, étant relevé que la teneur des sms envoyés démontre qu’il n’existait aucune appréhension pour Mme [R] à se trouver en présence de M. [Z]. Enfin, s’agissant de l’attestation de Mme [H] [E], elle rappelle qu’elle a été licenciée et qu’elle en garde manifestement rancoeur, sachant que Mme [R] avait indiqué à M. [F] qu’elle ferait tomber M. [Z] avec le coup de main d’une prénommée [H].

Il résulte de l’article L. 1153-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des faits soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Selon l’article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

A l’appui de sa demande, Mme [R] produit la déclaration d’accident du travail du 8 avril 2019 aux termes de laquelle elle indique avoir été l’objet d’agressions verbales et à connotation sexuelle à plusieurs reprises, ainsi que l’arrêt de travail initial et les prolongations de celui-ci faisant état d’une anxiété généralisée, laquelle est confirmée par le médecin du CASA l’ayant examinée le 17 avril 2019 qui mentionne qu’elle présente une anxiété manifeste et rapporte plusieurs crises d’angoisse avec bouffées de chaleur, évoluant depuis une semaine, des ruminations anxieuses avec troubles du sommeil, quelques périodes de perte d’appétit, une peur des représailles et un soulagement d’être en arrêt de travail pour ne plus être en contact avec son employeur.

Outre les symptômes ainsi décrits, il reprend également les propos qu’elle lui a tenus lors de cette visite, à savoir que M. [Z] lui parlait toujours de son copain, lui disant que la relation allait se dégrader quand elle allait grandir, qu’il l’enserrait, lui disait qu’elle allait lui manquer quand elle retournerait en cours, qu’il aimerait qu’elle reste, qu’il l’aimait bien, que les femmes avec un décolleté c’était super joli, qu’il lui demandait tout le temps pourquoi elle avait une écharpe, lui disant qu’elle avait un complexe avec sa poitrine, lesquels propos sont conformes à ceux que Mme [R] a pu décrire dans le courrier envoyé le 4 avril 2019 à son organisme de formation et à l’occasion du contact téléphonique organisé par la CPAM en septembre 2019 dans le cadre de l’enquête menée suite à sa déclaration d’accident du travail.

Au-delà de ces dernières pièces qui ne sont que le reflet de la parole de Mme [R], laquelle est en partie démentie par l’attestation de M. [F] qui indique que le 21 mars, après la réunion ayant donné lieu à remontrances à l’égard de Mme [R], M. [Z] n’était pas présent dans l’entreprise l’après-midi alors que Mme [R] date de ce jour les propos suivants ‘Tu sais que je t’aime mais voilà je suis le patron mais chut’, il est cependant également produit le compte-rendu de l’appel téléphonique organisé par la CPAM avec M. [Z] dans le cadre de l’enquête relative à la déclaration d’accident du travail.

Ainsi, il en résulte qu’il a pu expliquer qu’il y avait du paternalisme avec Mme [R], qu’un matin, elle était venue dans son bureau en lui disant ‘mon père n’est pas mort’ alors qu’elle avait donné cette information à tous, qu’il lui avait donc dit ‘tu veux m’expliquer’ et qu’elle lui avait alors révélé avoir été abusée par son père, lui précisant qu’elle voulait qu’il le sache, qu’elle s’était effondrée et qu’il l’avait alors prise dans ses bras en lui disant d’arrêter de pleurer, qu’il lui avait fait une bise comme un père aurait fait à sa fille.

Si ces faits, tels que relatés par M. [Z], ne sont manifestement pas de nature à revêtir la qualification de harcèlement sexuel, s’agissant de la tenue vestimentaire, il indique lui avoir dit qu’elle était trop maquillée pour se rendre sur des chantiers et que, par ailleurs, tout le monde lui reprochait de venir avec un grand châle pour couvrir sa poitrine, qu’il lui disait donc ‘regarde [J], elle vient avec son tee-shirt, on voit sa poitrine’, qu’elle pouvait enlever son châle, qu’il lui demandait si elle avait peur de se faire voir, que c’était peut-être pour se cacher, qu’une fois, ils avaient rendez-vous à [Localité 5], qu’il lui avait demandé d’enlever son châle en lui disant tu as 20 ans, vis comme une jeune fille de 20 ans, qu’il le lui avait dit comme il l’aurait dit à sa fille mais pas du tout avec une connotation sexuelle.

Si, pour accréditer l’absence de toute connotation sexuelle, la société NSI verse l’attestation du beau fils de M. [Z], salarié de la société de septembre 2014 à décembre 2018, aux termes de laquelle il indique que Mme [R] portait toujours un grand châle qui ne la couvrait pas à son avantage et qu’elle était souvent trop maquillée, que son style de tenue aurait mieux convenu pour travailler en institut de beauté, néanmoins, s’il peut être entendu qu’un maquillage trop prononcé puisse être repris par l’employeur, la question du châle, à défaut de précisions complémentaires, n’apparaît, pour le moins, pas pertinente, surtout en insistant sur le fait qu’elle n’a pas à cacher sa poitrine.

En outre, cette connotation sexuelle est confortée par l’attitude adoptée par M. [Z] à l’égard de Mme [E], ancienne salariée de la société NSI, telle que décrite dans son attestation, sans que le prononcé d’un licenciement à son égard, pas plus que le fait que Mme [R] ait fait savoir à M. [F] qu’elle ferait tomber M. [Z] avec l’aide de ‘[H]’, ne permettent d’en remettre en cause la sincérité, d’autant qu’elle a été délivrée conformément à l’article 202 du code de procédure civile en rappelant les risques encourus en cas de propos mensongers et qu’elle est corroborée par des éléments extérieurs.

Ainsi, elle atteste que M. [Z] a plusieurs fois évoqué une attirance pour elle, posé ses mains sur ses genoux pendant les trajets en camion, essayé de poser ses mains sur sa poitrine, lui a fait subir des accolades très gênantes pour lui dire bonjour et au revoir et lui a demandé de l’embrasser à plusieurs reprises, deux échanges de baisers ayant d’ailleurs eu lieu, M. [Z] lui ayant dit qu’il la laisserait tranquille après. Elle précise que son attitude a cependant changé lorsqu’elle lui a dit, peu de temps avant l’arrivée de Mme [R], qu’elle était en couple, notant néanmoins qu’il a continué après la rupture à lui envoyer des messages pour lui dire qu’il regrettait de l’avoir licenciée et qu’il avait peut-être raté quelque chose avec elle, et ce, tout en tentant de l’appeler plusieurs fois, ce dont elle justifie par les captures de messages produites aux débats qui démontrent le caractère déplacé de l’attitude de M. [Z] et qui permettent d’écarter la force probante de l’attestation de Mme [Z] qui indique que tout cela est impossible.

Il est ainsi justifié que, peu de temps après son licenciement intervenu le 1er novembre 2018, soit dès le 6 décembre, il lui a proposé d’envoyer un texto ou de passer un coup de fil, s’étonnant de ne pas avoir de réponse, lui a renvoyé un message pour la nouvelle année en la tutoyant, alors manifestement, qu’elle se contentait de lui indiquer ‘meilleurs voeux à vous aussi’, lui a écrit ‘être partagé entre le fait d’avoir raté quelque chose avec elle, un peu plus de patience, un peu plus de persévérance de sa part qui auraient permis qu’elle ait encore les deux pieds dans l’entreprise’, lui a rappelé que ça lui ferait vraiment plaisir qu’elle l’appelle, lui proposant à nouveau de l’appeler quelques jours plus tard et le faisant malgré son refus, pour finalement lui écrire ‘alors ne te plains pas, je veux bien tout ce que tu veux mais à toi aussi de te bousculer, fais l’effort de m’appeler, bouscule ta vie bon sang! Appelle moi’ et enfin lui souhaitait au mois d’avril un bon anniversaire en signant ‘bisous bisous, [W]’.

Au vu de ces éléments, et si Mme [E] n’a été témoin d’aucun des faits dénoncés par Mme [R], l’attitude inadaptée qu’elle décrit, et les faits relatés par Mme [R], en partie corroborés par M. [Z] lui-même en ce qui concerne les allusions faites sur sa poitrine à raison du châle porté, permettent de retenir la tenue de propos à connotation sexuelle répétés qui, à tout le moins, ont créé une situation intimidante pour une jeune fille âgée de 21 ans au moment des faits dénoncés, et ce, sans que l’explication relative à la nécessité de porter une tenue vestimentaire adaptée au démarchage des clients de l’entreprise ne soit pertinente dès lors qu’il n’existait aucune nécessité de l’aborder sous l’angle de la question de savoir si elle voulait ou non cacher sa poitrine, ce sujet étant d’autant plus déplacé si l’on retient le fait que Mme [R] se serait confiée à M. [Z] à propos d’abus sexuels commis par son père.

Il convient en conséquence, au regard de l’anxiété qu’ont provoqué ces faits à l’égard de Mme [R], de condamner la société NSI à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel.

Au contraire, il convient de débouter Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention du harcèlement sexuel, dès lors que celui-ci émanait directement du gérant de la société et qu’en tout état de cause, il n’est pas justifié d’alertes préalablement à l’arrêt maladie ininterrompu de Mme [R] jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Rappelant que M. [Z] ne l’a ni formée, ni aidée malgré ses demandes, elle explique que lors de l’embauche d’une nouvelle commerciale, Mme [C], ce dernier a commencé à dénigrer son travail, à lui reprocher le manque de chiffres, et ce, devant des tiers, alternant alors les reproches en public et les excuses déplacées en privé, pour finalement lui retirer des heures travaillées de son salaire du mois de mars, ce qui a conduit à un arrêt de travail à compter du 8 avril en raison d’un état d’anxiété généralisé, sans que cela n’empêche M. [Z] de poursuivre le harcèlement puisqu’elle a été destinataire d’un avertissement par mail le 9 avril, outre des critiques quant à son profil facebook sur lequel elle avait simplement noté la fonction qu’elle exerçait, à savoir responsable commerciale.

En réponse, la société NSI note que les propos considérés comme harcelants par Mme [R] ne sont en réalité que des remarques fondées et constructives sur la manière de faire son travail, et ce, tout particulièrement pour une toute jeune salariée stagiaire devant être formée, sachant qu’il ne saurait lui être reprochée de lui avoir demandé de modifier sa page facebook dès lors qu’elle y mentionnait de fausses informations sur ses responsabilités au sein de l’entreprise.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l’appui de sa demande, outre les pièces déjà évoquées précédemment et la retenue sur salaire jugée injustifiée au titre de deux journées du mois de mars 2019, Mme [R] verse aux débats un sms envoyé le 2 avril 2019 aux termes duquel M. [Z] lui écrit ‘La moindre des corrections lorsque l’on souhaite parler à son employeur est de lui téléphoner et non de lui envoyer des textos. On ne t’a pas appris cela à l’école’ De plus quand tu parles du montant de ton salaire et que tu as des remarques à faire tu t’adresses directement à moi. Dorénavant il est hors de question que tu t’adresses à Agnès lorsque tu as besoin de renseignements. Je remarque que tu réagis plus vite lorsqu’il s’agit de ton salaire. Du reste, penses-tu vraiment le mériter actuellement ‘ [W]’, et ce, alors que le sms de Mme [R] n’était nullement discourtois et qu’il résulte des pièces du dossier que les parties avaient l’habitude d’échanger par sms.

Elle produit également un avertissement envoyé par mail le 9 avril, soit le lendemain de son arrêt de travail pour maladie, lui rappelant le caractère inadapté de son texto, lui faisant part du caractère justifié de la retenue sur salaire à défaut de justificatif valable de travail et du flou dans lequel elle laisse l’entreprise depuis le 20 mars sans donner de nouvelles, de l’absence de commandes, du chiffre d’affaires dérisoire qu’elle apporte, à savoir 100 euros mensuels, alors que sa collègue, plus récente dans l’entreprise et disposant de moins de diplômes, produit 5 000 euros mensuels de chiffre d’affaires.

Il s’agit d’éléments qui, pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral et il appartient en conséquence à la société NSI de rapporter la preuve qu’ils étaient justifiés par des éléments objectifs.

Or, comme déjà rappelé, les parties avaient l’habitude d’échanger par sms et la société NSI ne justifie pas du bien-fondé de la retenue sur salaire opérée, étant en outre relevé qu’il ne pouvait être valablement reproché à Mme [R] d’avoir pris le contact de Mme [Z], laquelle assurait le service des fiches de paie.

En ce qui concerne l’avertissement, au-delà de l’attestation de M. [F] qui indique que M. [Z] a fait des remontrances à Mme [R] sur son manque de participation lors d’une réunion du 21 mars, en présence du cabinet de recrutement, précisant qu’on la voyait toujours pianoter sur son téléphone, il n’est pas justifié du moindre élément objectif permettant d’établir le bien-fondé de l’avertissement délivré le 9 avril, notamment s’agissant du chiffre d’affaires.

Ainsi, en l’absence de tout élément objectif permettant de justifier la retenue sur salaire du mois de mars 2019, le ton employé dans le sms envoyé le 2 avril 2019 et enfin l’avertissement du 9 avril 2019, il convient de retenir l’existence d’un harcèlement moral.

Il convient en conséquence, au regard de l’anxiété qu’ont provoqué ces faits à l’égard de Mme [R], de condamner la société NSI à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Au contraire, il convient de débouter Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral, dès lors que celui-ci émanait directement du gérant de la société et qu’en tout état de cause, il n’est pas justifié d’alertes préalablement à l’arrêt maladie ininterrompu de Mme [R] jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

La société NSI fait valoir que les fausses accusations portées par elle à l’encontre de M. [Z] ont eu de fortes répercussions sur son état de santé puisqu’il est désormais placé sous anti-dépresseurs et n’ose plus aborder la vie professionnelle comme il le faisait auparavant, ce qui justifie la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Au regard de la solution retenue, il convient de débouter la société NSI de cette demande.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société NSI aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [R] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée à Me Berbra en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [L] [R] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et harcèlement sexuel et en ce qu’il a fait droit à sa demande tendant à retenir l’existence d’un manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la SARL NSI à payer à Mme [L] [R] les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour harcèlement sexuel : 1 500 euros

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 1 500 euros

Déboute Mme [L] [R] de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne la SARL NSI aux entiers dépens ;

Condamne la SARL NSI à payer à Mme [L] [R] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL NSI de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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