2 février 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/01144
COUR D’APPEL
DE
[Localité 9]
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 FÉVRIER 2023
N° RG 21/01144 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UOHW
AFFAIRE :
S.A.S. ALDEMIA
C/
[I] [L] épouse [G]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F 18/02333
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE [Localité 8]-[Localité 9]
Me Anne-Lise ROY
Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. ALDEMIA
N° SIRET : 431 465 376
[Adresse 1]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de [Localité 9], vestiaire : 625 – Représentant : Me Mathieu QUEMERE, Plaidant, avocat au barreau d’ESSONNE
APPELANTE
****************
Madame [I] [L] épouse [G]
née le 28 Juillet 1979 à [Adresse 5] (MAROC)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Faissal KASBARI, Plaidant, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 242 – Représentant : Me Anne-Lise ROY, Constitué, avocat au barreau de [Localité 9], vestiaire : 343
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
Madame [I] [G] née [L] a été engagée par la société Flejay Group à compter du 11 février 2008 puis son contrat de travail à durée indéterminée a été transféré à la Sarl Aldemia par avenant du 18 février 2014. Au dernier état de la relation contractuelle, elle occupait un poste à temps partiel d’ingénieur consultant cadre position 3-1 coefficient 170 de la convention collective des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils et sociétés de conseils (syntec).
Par courrier du 20 juillet 2017 remis en main propre, la salariée a été convoquée à un entretien préalable qui s’est tenu le 28 juillet 2017, puis elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre du 2 août 2017 avec dispense d’avoir à exécuter son préavis de trois mois.
Par requête reçue au greffe le 13 septembre 2018, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre afin de contester la légitimité de son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 4 mars 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– déclaré la demande de Madame [G] non prescrite et donc recevable
– condamné la société Aldemia à verser à Madame ‘[G]’ les sommes suivantes :
22 000 euros au titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Madame [G] de ses autres demandes,
– débouté la société Aldemia de sa demande reconventionnelle,
– ordonné à la société Aldemia de rembourser à Pôle emploi une somme correspondant aux allocations de chômage réellement perçues par la demanderesse dans la limite d’1 mois d’allocations,
– limité l’exécution provisoire à celle de droit dans les conditions et limites prévues par l’article R. 1454-28 du code du travail.
– dit que les dépens éventuels seront à la charge de la société Aldemia.
Par déclaration au greffe du 16 avril 2021, la société a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 6 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la société demande à la cour de :
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a déclaré la demande de Madame [G] non prescrite et donc recevable,
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a jugé le licenciement de Madame [G] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il l’a condamnée à verser à Madame [G] la somme de 22 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il l’a déboutée de sa demande reconventionnelle,
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il lui a ordonné de rembourser au Pôle emploi une somme correspondant aux allocations chômage réellement perçues par Madame [G] dans la limite d’un mois d’allocations,
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il l’a condamnée à verser à Madame [G] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il l’a condamnée aux entiers dépens.
partant,
in limine litis
– déclarer l’action de Madame [G] prescrite,
– juger que les demandes de Madame [G] sont irrecevables,
subsidiairement sur le fond
– déclarer que le licenciement prononcé repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter Madame [G] de l’ensemble de ses demandes formulées au titre de son appel incident,
– condamner Madame [G] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [G] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 12 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :
confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’infirmer quant au quantum alloué ;
ainsi,
– dire le licenciement intervenu dépourvu de cause réelle et sérieuse
– condamner la société Aldemia au versement des sommes suivantes :
*60 000 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
ordonner la remise d’un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de ladite décision.
*3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens de 1ère instance et d’appel
les entiers dépens dont les frais d’huissier non recouvrables
La clôture de l’instruction a été prononcée le 9 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription de l’action :
Il résulte de l’article L. 1471-1 du code du travail que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ; qu’en conséquence, le délai de prescription de l’action en contestation d’un licenciement court à compter de la notification de celui-ci.
En vertu des dispositions transitoires, ces nouvelles dispositions s’appliquent aux prescriptions en cours au 23 septembre 2017 sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, de deux ans en l’occurrence.
Il s’ensuit qu’en l’espèce le délai de deux ans a couru à compter du 2 août 2017 et n’était pas expiré le 13 septembre 2018, date du premier acte interruptif de prescription, ce dont il résulte que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il déclare la demande non prescrite et donc recevable.
Sur le licenciement :
La société soutient que le licenciement est bien fondé sur deux types d’insuffisance professionnelle, d’une part, des refus d’opportunité de missions synonymes d’absence assumée de motivation et d’implication dans l’exercice des fonctions, d’autre part, une absence de qualité et un manque d’implication dans l’exécution de ses missions.
Si la salariée évoque des griefs constituant plutôt de supposées fautes disciplinaires, elle n’en déduit aucun moyen ni aucune prétention. Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a considéré que le licenciement pour insuffisance professionnelle était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié ; ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ; l’insuffisance professionnelle se caractérise par le fait qu’un salarié, de manière non délibérée, n’exécute pas de manière satisfaisante son travail et les missions qui lui sont confiées et peut fonder un licenciement lorsque l’employeur sanctionne des faits objectifs, précis et vérifiables.
En premier lieu, l’employeur fait valoir que le refus d’opportunités de missions correspondant à ses compétences professionnelles et compatibles avec le mode de garde de ses enfants et la situation de son domicile n’ont été refusées par la salariée qu’en raison de son manque de motivation et d’implication, quand la salariée soutient n’avoir refusé aucune mission dès lors que s’agissant de simples opportunités commerciales, au nombre de trois, elle n’était pas tenue de les accepter, n’a pas été en mesure de prendre position ou a indiqué ne pas disposer des compétences requises.
Les deux mails envoyés par un directeur associé à la salariée le 10 juillet 2017 puis le 18 juillet 2017 desquels l’employeur déduit un refus de missions et une absence de motivation et d’implication de la part de celle-ci, ont trait, pour le premier, à un point fait par les intéressés dans la matinée du 10 juillet 2017 sur cinq ‘opportunités’ de ‘Consultant recette’ en cours auprès de Hubee et Carrefour voyages, et à démarrage immédiat avec la précision: ‘ transport donc trop loin’ pour chacun d’eux, chez ‘ Mobile/anglais courant chez Travelex’, Sgcib et Axa, pour le second, aux conclusions tirées du premier par le même directeur qui indique, notamment : ‘ Je pense que nous avons un soucis de compréhension et quand un collaborateur me dit qu’il ne veut pas aller sur une mission et notamment à la Société Générale ‘sur la Défense, à mon sens lieu central bien desservi) et chez Axa à [Localité 7] j’en comprends qu’il s’agit donc bien d’un refus ( voir de 2 même )’.
Le courrier auquel la salariée se réfère pour contester ces éléments est celui adressé à l’employeur le 3 août 2017. Elle y indique qu’elle n’est pas démotivée et n’a jamais refusé de missions, ayant toujours été prête à se déplacer sans que sa vie de famille ne constitue une contrainte sur ce point ; elle rappelle de précédentes missions nécessitant une durée de transport supérieure à celles évoquées au sein du mail du 10 juillet ; elle relève l’absence d’ordre de mission, de convocation à un entretien avec un client ou d’offre précise ; elle précise qu’elle attendait son retour pour des missions en attente ; elle ajoute qu’ils n’avaient évoqué que des missions potentielles, des opportunités, sans certitude s’agissant de pistes à étudier, que concernant celle à la Société Générale, elle lui avait précisé ne pas avoir la maîtrise exigée en matière de protocoles Nexo et Cb2a qu’elle ne connaissait pas, et que pour ce qui concerne la mission chez Axa, le mail du 18 juillet la portant à sa connaissance avait été immédiatement suivi d’une journée d’absence puis de la convocation à l’entretien préalable.
En deuxième lieu, s’agissant du non-respect des horaires contractuels que l’employeur relie à une organisation personnelle mise en place par la salariée et qu’il estime révélateur d’une insuffisance professionnelle en raison notamment d’un manque de constance dans son travail, la salariée réplique que disposant d’une certaine autonomie en tant que cadre elle n’était soumise à aucun horaire précis, ajoutant avoir toujours respecté son volume horaire et qu’aucun reproche ne lui avait été fait à ce sujet.
Le mail précité du 18 juillet dont excipe l’employeur est le seul élément produit qui est relatif au non-respect d’horaires en ce qu’il y est écrit : ‘ De part ton comportement, tu me contrains à être factuel et j’ai encore constaté ce jour que tu es partie à 16h35, arrivée à 10h15 et que tu as une pause de 2h pour déjeuner (soit une journée de travail de 4h30). Comme évoqué ce matin, on est loin de l’engagement contractuel que tu as avec ALMEDIA qui stipule 39h par semaine même si celui-ci est ramené dans le cadre de ton congé parental à 32h sur 4 jours ce qui est censé faire logiquement 8h/jour’.
D’abord, il est observé l’absence de tout élément relatif à des horaires précis auxquels la salariée, qui jouissait d’une certaine autonomie dans l’organisation de son travail compte tenu de son niveau de classification, devait se soumettre ; ensuite, dans sa lettre du 3 août 2017, la salariée objecte que son temps de travail a toujours été respecté et qu’elle prévenait de ses retards qu’elle rattrapait, ne comptant pas ses heures de travail accomplies également à domicile ; enfin, force est de constater l’absence de toute alerte à ce sujet en amont du mail précité qui n’est relatif qu’à une seule journée de travail ayant précédé de peu l’engagement de la procédure de licenciement.
En dernier lieu, l’employeur indique avoir dû reprendre la salariée sur de nombreuses missions et avoir été contraint de lui donner davantage de directives, produisant et reprenant le contenu d’un mail adressé à la salariée par le directeur ‘Offre Qualification’ le jour ayant précédé son licenciement censé révéler l’absence de qualité de son travail et son manque d’implication, quand la salariée met en évidence la qualité de son travail qui n’avait jamais fait l’objet d’aucune remarque négative de la part de son employeur en dix ans d’ancienneté.
Outre sa rédaction très générale, le contenu du mail précité adressé à la salariée en fin de relation contractuelle n’est étayé par aucun élément se rapportant à l’allégation d’une mauvaise qualité du travail accompli par la salariée dont les qualités professionnelles soulignées et appréciées par les clients sont rappelées dans la lettre de licenciement sans le moindre élément allant dans le sens de leur altération par un changement d’attitude.
Considérant l’ensemble de ces éléments, il n’est pas établi de fait objectif, précis et vérifiable de nature à justifier le licenciement de la salariée pour insuffisance professionnelle. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
En réplique de la demande d’infirmation quant au montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que la salariée sollicite de voir porter à 60 000 euros, l’employeur soutient que les montants concernés sont excessifs au regard de l’ancienneté de la salariée et de l’absence de pièce actualisée sur sa situation professionnelle.
En vertu des dispositions alors en vigueur de l’article L. 1235-3 du code du travail applicables en l’espèce compte tenu de l’effectif de l’entreprise et de l’ancienneté de la salariée, en considérant cette ancienneté ( plus de neuf années), son âge au moment de la rupture (38 ans) et ses capacités à retrouver un emploi au vu des éléments fournis, il y a lieu d’allouer à celle-ci une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 50 000 euros nets (un peu plus de douze mois de salaire brut de référence). Le jugement est donc infirmé sur ce chef.
Sur la remise de documents:
La demande de remise de documents conformes n’est pas fondée au regard de l’allocation d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est infirmé sur ce point.
Sur le remboursement des indemnités de chômage :
En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées à la salariée par Pôle Emploi du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de cinq mois d’indemnités.
Sur les frais irrépétibles:
En équité, il n’y a lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile qu’au profit de la salariée. La somme de 3000 euros lui sera allouée de ce chef au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Sur les dépens:
La société, partiellement succombante, supportera la charge des entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives au montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au montant de l’indemnité accordée au titre des frais irrépétibles et à la remise de documents sous astreinte.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la Sarl Aldemia à payer à Madame [I] [G] née [L] les sommes de :
– 50 000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Ordonne le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées par Pôle Emploi à la salariée du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de cinq mois d’indemnités.
Dit qu’une copie du présent arrêt doit être adressée à l’organisme social par le greffe.
Déboute les parties pour le surplus.
Condamne la Sarl Aldemia aux entiers dépens de première instance et d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,