2 février 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/00591
COUR D’APPEL
de
VERSAILLES
Code nac : 80A
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 FEVRIER 2023
N° RG 21/00591
DBV3-V-B7F-UKWM
Mme [Y] [N]
C/
S.A.S. DXC TECHNOLOGY FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : 18/01509
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Nicolas SANFELLE
Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [Y] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par : Me Nicolas SANFELLE de la SARL AVOCATS SC2 SARL, Plaidant/Constitué , avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 445
APPELANTE
****
S.A.S. DXC TECHNOLOGY FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, constitué avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – Me Laurent GUARDELLI de la SCP COBLENCE ET ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0053 substitué par Me Léa FONSECA avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****
Composition de la cour
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 novembre 2022, Monsieur Thomas LE MONNYER conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Madame Alicia LACROIX, greffier lors des débats.
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [Y] [N] a été engagée à compter du 2 mars 1998 en qualité de chef de projet, par la société CSC Computer Sciences devenue DXC Technology France suite à la fusion opérée en avril 2017 avec la société Hewlett Packard Enterprise Services, selon contrat de travail à durée indéterminée.
L’entreprise emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des bureaux d’études techniques, dite Syntec.
Par avenant du 19 juillet 2013, Mme [Y] [N] a été promue au poste de directeur de projet 1.
Mme [Y] [N] a été placée en arrêt de travail du 16 décembre 2015 au 30 juin 2017.
Par courrier du 3 mai 2017, la société a convoqué Mme [Y] [N] à un entretien préalable à une éventuelle rupture conventionnelle, qui a été signée le 16 mai 2017 et qui prévoyait le versement d’indemnités à hauteur de 120 000 euros.
Le contrat de travail a été rompu le 30 juin 2017.
Le 5 septembre 2017, des négociations relatives à un plan de départ volontaire se sont officiellement ouvertes et ce dernier a ensuite été mis en place le 5 janvier 2018.
Estimant avoir été victime d’une réticence dolosive lors de la conclusion de la rupture conventionnelle, Mme [Y] [N] a saisi, par requête du 22 juin 2018, reçue le 25 juin suivant, le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins d’entendre condamner la société au paiement de la somme de 77 000 euros de dommages et intérêts pour dol et de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La société s’est opposée aux demandes de la requérante et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 12 janvier 2021, notifié le 26 janvier 2021, le conseil a statué comme suit :
Dit et juge la rupture conventionnelle dénuée de caractère dolosif
Déboute en conséquence Mme [Y] [N] de l’intégralité de ses demandes,
Déboute la société de sa demande d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure et de sa demande reconventionnelle
Laisse à chacune des parties les dépens.
Le 22 février 2021, Mme [Y] [N] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions notifiées le 21 octobre 2022, Mme [Y] [N] demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu, sauf en ce qu’il a débouté la société de sa demande reconventionnelle et de sa demande au titre des frais irrépétibles, et statuant à nouveau, de :
Dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes.
En conséquence,
Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
– 77 000 euros au titre des dommages et intérêts pour dol,
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 15 février 2022, la société par action simplifiée DXC Technology France demande à la cour de :
La recevoir en ses présentes conclusions et l’en déclarer bien fondée.
Débouter Mme [Y] [N] de l’ensemble de ses demandes ;
Par conséquent :
Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– déclaré que l’action de Mme [Y] [N] n’était pas prescrite
– débouté la société de sa demande reconventionnelle formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Le confirmer en ses autres dispositions
Par conséquent, statuant à nouveau :
Avant toute défense au fond, déclarer prescrite l’action de Mme [Y] [N]
A titre principal, juger que le dol n’est pas caractérisé
Débouter Mme [Y] [N] de l’ensemble de ses demandes
A titre subsidiaire :
Juger que son indemnisation ne saurait être supérieure au titre du dol à 24 662 euros ;
En tout état de cause :
Condamner Mme [Y] [N] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Courtaigne Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par ordonnance rendue le 2 novembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 29 novembre 2022.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
La société DXC technology France relève que la rupture conventionnelle a été implicitement homologuée le 20 juin 2017, que Mme [Y] [N] a saisi le conseil de prud’hommes le 25 juin 2018, plus d’un an après, alors que l’article « L.1471-1 » du code du travail institue un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation pour agir en matière d’accord de rupture conventionnelle individuelle du contrat de travail et qu’il exclut nécessairement l’application du droit commun. Elle insiste sur le caractère général de la norme, qui parle de tout litige, en sorte qu’il est indifférent que la salariée poursuive la nullité de la convention ou l’allocation de dommages-intérêts, pour un vice de fond.
Ce à quoi Mme [Y] [N] oppose le champ de cette disposition, réduit à la demande d’annulation de la convention. Elle se prévaut des dispositions de l’article 2224 du code civil instituant un délai de prescription de 5 ans dont le point de départ s’établirait à sa connaissance du plan de départ volontaire début 2018.
L’article L.1471-1 du code du travail dit que « toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L.1132-1, L.1152-1 et L.1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L.1233-67, L.1234-20, L.1235-7, L.1237-14 et L.1237-19-8, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L.1134-5. »
Il est acquis aux débats que la rupture conventionnelle a été conclue entre Mme [Y] [N] et la société Computer sciences le 16 mai 2017, qu’elle était soumise à un délai de rétractation de 15 jours calendaires et qu’elle fut adressée le 1er juin suivant à l’inspection du travail pour homologation et reçue le 2 juin.
L’alinéa 3 de l’article L.1237-14 dit que « l’autorité administrative dispose d’un délai d’instruction de quinze jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s’assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. A défaut de notification dans ce délai, l’homologation est réputée acquise et l’autorité administrative est dessaisie »
Par ailleurs, l’article 8 de la rupture conventionnelle intitulé « recours juridictionnel » stipule : « la présente convention ne pourra pas faire l’objet de contestation autrement que selon les modalités prévues par l’article L.1237-14 du code du travail. »
Cela étant, l’article L.1237-14 du même code énonce que « l’homologation ne peut faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la convention. Tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil des prud’hommes, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif. Le recours juridictionnel doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention. »
Or, l’article L.1471-1, qui est une application de l’adage lex specialia generalibus derogant, conduit à évincer le droit commun au seul profit de la loi spéciale, d’ailleurs rappelée au contrat, qui fixe strictement le délai dans une temporalité de 12 mois, décomptés dès l’homologation, y compris implicite, de l’autorité administrative.
L’article 2224 du code civil n’a ainsi aucune vocation à s’appliquer au différend concernant la convention de rupture.
Par ailleurs, il n’y a lieu de distinguer selon la nature de l’action poursuivie là où la loi, qui vise « tout litige » ne le fait pas. Pas plus le moyen, ici fondé sur les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 1137 du code civil, ne saurait conduire à évincer la loi spéciale régissant le droit de la rupture conventionnelle, comme le conseil de prud’hommes l’estima.
Du moment que Mme [Y] [N] a saisi, le 25 juin 2018, le conseil de prud’hommes plus d’un an après l’homologation implicite de la rupture conventionnelle, acquise selon l’intimée, non contredite, le 20 juin 2017, elle n’est plus recevable à la contester au motif d’un vice lui ouvrant droit, selon elle, à une créance de responsabilité.
Le jugement sera infirmé dans son expression contraire.
Sur les autres demandes
Mme [Y] [N] succombant au litige, sera tenue des dépens, qui seront distraits ainsi qu’il est disposé.
Elle devra à la société DXC technology France 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Dit Mme [Y] [N] irrecevable en sa demande de dommages-intérêts ;
Condamne Mme [Y] [N] à payer à la société par actions simplifiée DXC technology France 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Y] [N] aux dépens ;
Autorise la société civile professionnelle Courtaigne avocats à recouvrer directement contre Mme [Y] [N] les frais compris dans les dépens dont elle aurait fait l’avance sans en avoir reçu provision.
– Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,