Convention collective Syntec : 9 février 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/00812

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Convention collective Syntec : 9 février 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/00812

9 février 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG
21/00812

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B

————————–

ARRÊT DU : 9 février 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 21/00812 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L5Z2

Monsieur [S] [B]

c/

S.A.S. DECISIF CONSULTING

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 janvier 2021 (R.G. n°F 17/01274) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 08 février 2021.

APPELANT :

[S] [B]

né le 07 Janvier 1972 à [Localité 3]

de nationalité Française

Profession : Sans emploi, demeurant [Adresse 2]

Représenté et assisté par Me Emmanuel SUTRE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.S. DECISIF CONSULTING Prise en la personne de [O] [B], en sa qualité de liquidateur amiable domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]

Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

Assistée par Me Valérie BOGAERT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 novembre 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Masson, conseillère,

Madame Sophie Lésineau, conseillère,

qui en ont délibéré.

greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

Selon un contrat de travail à durée déterminée, conclu pour la période du 4 septembre au 31 décembre 2014, la société Decisif Consulting a engagé M. [B] en qualité d’assistant administratif, à temps partiel.

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 7 janvier 2015, la société Decisif Consulting a engagé M. [B] en qualité d’Office manager, statut cadre, coefficient 95.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (Syntec).

Par courrier du 5 août 2016, la société Decisif Consulting a convoqué M. [B] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 23 août 2016.

Le 13 septembre 2016, M. [B] a été licencié pour motif économique. Il n’a pas adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.

Le 7 août 2017, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et voir condamner la société Decisif Consulting au paiement de diverses sommes.

Par jugement du 15 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a :

– jugé que le licenciement de M. [B] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. [B] à verser à la société Decisif Consulting la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par déclaration du 8 février 2021, M. [B] a relevé appel du jugement.

Par ses dernières conclusions, en date du 15 octobre 2022, M. [B] sollicite de la Cour qu’elle :

– infirme le jugement déféré,

– juge le licenciement pour motif économique dénué de cause réelle et sérieuse,

– requalifie le contrat de travail en contrat à durée indéterminée et à temps plein sur la période de septembre à décembre 2014,

– condamne la société Decisif Consulting au paiement des sommes suivantes :

– 45 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé par le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– 68 702 euros bruts au titre des salaires restant dus par application du coefficient 270 position 3.3 pour un salaire mensuel brut de 5 435,10 euros, en lieu et place du coefficient appliqué de 95, et subsidiairement en tout état de cause, 28 442 euros au titre du coefficient 170 (position 3),

– 10 296,30 euros au titre du solde dû sur préavis,

– 1 072,99 euros au titre du solde de l’indemnité de licenciement,

– 42 698 euros au titre des heures supplémentaires restant dues sur l’année 2015 et 19 719 euros pour l’année 2016,

– 4 588,91 euros bruts sur rappel de rémunération pour la période travaillée à temps plein de septembre à décembre 2014,

– 32 610 euros au titre du travail dissimulé,

– 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et frais éventuels d’exécution forcée,

– ordonne la délivrance de bulletins de paie rectifiés sur l’ensemble de la période travaillée, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir.

Aux termes de ses dernières conclusion, en date du 9 août 2021, la société Decisif Consulting sollicite de la Cour qu’elle :

– confirme le jugement déféré en ce qu’il a :

– considéré que le licenciement de M. [B] reposait sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. [B] à verser à la société Decisif Consulting 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

– déboute M. [B] de l’ensemble de ses demandes,

– le condamne à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2022.

L’affaire a été fixée à l’audience du 23 novembre 2022, pour être plaidée.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail

Sur la requalification du contrat à durée déterminée à temps partiel en contrat à durée indéterminée à temps plein

Sur la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

En application de l’article L 1245-1 du code du travail, tout contrat à durée déterminée conclu en dehors des cas de recours autorisés, sans respect des dispositions légales ou conventionnelles relatives aux durées maximales ou aux conditions de successions, sans contrat écrit ou sans définition précise de son objet, est requalifié automatiquement en contrat à durée indéterminée

En l’espèce, M. [B] sollicite la requalification de son contrat de travail à durée déterminée, contrat du 4 septembre 2014 au 31 décembre 2014, en contrat à durée indéterminée pour non respect de l’article L 3123-14 du code du travail, dans sa version applicable au litige.

Les parties ne contestent pas avoir conclu un contrat de travail écrit afin de définir la relation contractuelle de travail de M. [B]. Cependant, ce dernier, qui fonde sa demande en requalification sur l’absence de mention des horaires de travail dans le contrat de travail, ne produisant pas ledit contrat ne peut qu’être débouté de sa demande.

Sur la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein

La requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée du travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat ; réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

Aux termes de l’article L 3123-14 du code du travail dans sa version applicable au litige, le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit. Il mentionne:

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d’aide à domicile et les salariés relevant d’un accord collectif de travail conclu en application de l’article L. 3122-2, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;

2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;

3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d’aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;

4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.

L’absence d’écrit mentionnant la répartition du travail fait présumer que l’emploi est à temps complet et il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve d’une part, de la durée exacte convenue et d’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à disposition de l’employeur.

En l’espèce, malgré la non communication du contrat de travail, il se déduit de la lecture des échanges de mails entre la société et M. [B], notamment ceux des 1er et 3 octobre 2014, que les deux parties s’étaient accordées sur une durée de travail d’un jour par semaine en moyenne.

L’absence de précision sur la répartition des horaires entre les jours de la semaine n’entraîne pas automatiquement la requalification du contrat de travail en temps plein. Il s’agit d’une présomption simple. La preuve de l’existence d’un contrat de travail à temps partiel peut être rapportée par tout moyen.

En cas de litige sur les heures complémentaires effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

M. [B] indique que très rapidement, il a travaillé à temps complet pour la société. Il fournit au soutien de sa demande de requalification :

– un récapitulatif des heures complémentaires travaillées de septembre à décembre 2014, comptabilisant, notamment les semaines 46 et 48, 35,90 heures complémentaires;

– un récapitulatif des activités réalisées sur cette période;

– et le nombre d’email reçus et envoyés sur ce même laps de temps,

éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

La société, en n’apportant aucun document établissant un décompte effectif et précis des heures réalisées par M. [B], en contestant simplement le caractère imprécis des éléments communiqués par le salarié et en relevant que le salarié n’a jamais signalé à la société ses heures complémentaires, n’y répond utilement.

En outre, le fait que la société ait sollicité M. [B] pour qu’il indique ses heures complémentaires ne supplée pas à l’absence de décompte effectif des heures du salarié par cette dernière.

Enfin, la société ne démontre pas que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition, d’autant plus au regard de la fluctuation des horaires du salarié telle qu’elle ressort du décompte des heures complémentaires effectuées.

De ce fait, le contrat à temps partiel sera requalifié en contrat à temps plein.

Au regard du taux horaire retenu dans le contrat de travail, un rappel de rémunération à compter du mois de septembre 2014 est dû au salarié par la société, sur la base d’un salaire mensuel brut de 1 453,99 euros déduction faite des sommes déjà perçues. Ainsi, la société devra verser à ce dernier la somme de 4 588,91 euros, soit 4 x (1 453,99 – 306,77).

Le jugement déféré sera infirmé dans ses dispositions qui déboutent le salarié de sa demande en requalification et de sa demande en rappel de salaire subséquente.

Sur la reclassification

La classification professionnelle d’un salarié ne dépend pas seulement de l’intitulé de la mission inscrite au contrat de travail mais des fonctions effectivement exercées. En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier les fonctions réellement exercées par le salarié et en cas de sous classement le salarié doit être replacé de manière rétroactive au niveau auquel son poste correspond. Ce dernier peut alors prétendre à un rappel de salaire correspondant au minimum conventionnel afférant à ce coefficient et à des dommages et intérêts s’il justifie d’un préjudice particulier.

A la lecture du contrat de travail de M. [B], ce dernier a été employé comme ‘office manager’ au coefficient 95, tel que prévu dans la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (Syntec).

M. [B] fait valoir qu’il a exercé des fonctions supérieures à celles indiquées par l’intitulé de son poste et le coefficient qui lui a été alloué en communiquant à la Cour sa fiche de poste, des échanges de courriers, la délégation bancaire dont il disposait, des attestations. Il sollicite sa classification au coefficient 270 soit la position 3.3 des cadres, subsidiairement au coefficient 170 soit la position 3.1 des cadres.

Selon la convention collective des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, le coefficient 3.3 correspond à : ‘L’occupation de ce poste, qui entraîne de très larges initiatives et responsabilités et la nécessité d’une coordination entre plusieurs services, exige une grande valeur technique ou administrative.’

En l’espèce, M. [B], bien qu’il ait exercé des tâches multiples au sein de la société, ne démontre pas qu’il assurait la coordination entre plusieurs services. Il indique d’ailleurs ‘qu’il n’a jamais supervisé le travail des consultants ou avoir contrôlé ou orienté leur travail, ces fonctions techniques ne pouvant relever de son domaine de compétence’, corroborant sur ce point les attestations fournies par la société. Les organigrammes communiqués confortent la place de M. [B] comme ‘chief operating officer’ à savoir responsable opérationnel en charge de nombreuses activités de ‘back office’ mais ne le positionne nullement comme personne pivot assurant la coordination de différents services.

Il n’est pas contesté que M. [B] exerçait un large panel de tâches au sein de la société, fonction d’appui, de support, d’organisation et de gestion de la société sur le plan administratif, financier et social comme cela découle de la lecture des différents mails communiqués, de sa fiche de poste et de la liste des tâches indiquées dans le récapitulatif des plages horaires du salarié. Cependant, il n’est pas rapporté la preuve par ce dernier qu’il avait de très larges initiatives et responsabilités, condition indispensable pour bénéficier du coefficient 270. En effet, les échanges de mails singulièrement celui du 30 juillet 2015 illustrent les responsabilités organisationnelles et de ressources humaines de M. [B] comme l’organisation du détachement d’une salariée aux Etats-Unis ou les versements d’argent sur un plan d’épargne salariale mais démontrent aussi que les difficultés relationnelles évoquées sont traitées par le dirigeant de la société, en copie du mail, qui va alerter la manager de cette salariée pour résoudre les difficultés pointées et non par M. [B] lui même. De même, la délégation bancaire octroyée à M. [B], indispensable en ce qu’il était en charge du versement des salaires, ne garantit pas pour autant l’existence d’un véritable pouvoir décisionnaire comme le démontrent là encore les échanges de mail entre M. [B] et le dirigeant de la société les 14 et 25 janvier 2016 ainsi que le 2 mai 2016 où M. [B] rapporte au dirigeant l’état des finances de l’entreprise et demande l’aval de ce dernier pour la priorisation des paiements et le déblocage de certains fonds.

Au regard de ces éléments, M. [B] ne démontre pas avoir exercé durant sa période de travail des fonctions relevant du coefficient 270.

Cependant, M. [B] apporte la preuve qu’il possède des diplômes – un DUT en gestion des entreprises mention finance-comptabilité et un bac + 4 en publicité, communication et marketing – et qu’il a déjà managé, selon sa fiche diagnostic de pôle emploi et sa page linkedIn, deux sociétés distinctes, expérience et diplômes correspondant pleinement au poste et aux activités qu’il a exercées au sein de l’entreprise et au coefficient 170 de la convention collective.

Les tâches effectuées au sein de l’entreprise par le salarié comme la paie du personnel, les formulaires d’embauche, la finalisation des factures, les ouvertures de comptes, le travail sur le site web démontrent que M. [B] mettait en oeuvre non seulement des connaissances équivalentes à celles sanctionnées par ses diplômes mais aussi des connaissances pratiques étendues. Ce dernier n’exerçait pas, comme le prétend la société, un poste de débutant, assimilé à un cadre technique et administratif mais bien un poste de cadre placé sous les ordres d’un chef de service relevant du coefficient 170 de la convention collective, sans que les arguments développés par la société viennent remettre en question ce constat.

Il sera donc appliqué le coefficient 170 aux fonctions de M. [B]. Le jugement ayant rejeté sa demande de requalification de ses fonctions sera infirmé de ce chef.

M. [B] a perçu un salaire de 2 000 euros brut mensuel du 1er janvier 2015 jusqu’à son licenciement en septembre 2016. Le salaire minimal brut prévu par la convention collective pour un coefficient 170 étant de 3 422,10 euros, la rémunération restant due s’élève à 1 422,10 euros brut par mois, soit la somme totale de 28 442 euros (1 422,10 x 20)

Sur les heures supplémentaires

En vertu de l’article L 3171-4 du code du travail, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.

Au soutien de sa demande M. [B] produit :

– un décompte des heures qu’il a effectuées quotidiennement, entre le jeudi 1er janvier 2015 et le dimanche 3 janvier 2016 ;

– un récapitulatif des activités réalisées journalièrement sur cette période ;

– le nombre d’email reçus et envoyés sur ce même laps de temps ;

– et un récapitulatif des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos sur les années 2015 et 2016.

Concernant l’année 2015, les éléments fournis par M. [B] sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.

En revanche, concernant l’année 2016, M. [B] ne produit aucun décompte précis des heures effectuées ni feuilles de temps. Il reconnaît avoir procédé par extrapolation pour évaluer le nombre d’heures supplémentaires réalisées en 2016 en estimant son activité parfaitement comparable à celle de 2015. En l’absence d’éléments plus précis, permettant à l’employeur d’y répondre utilement, M. [B] sera débouté de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires pour l’année 2016.

Concernant l’année 2015, la société, en se contentant de dénoncer le caractère insuffisamment précis des éléments fournis par le salarié et de faire valoir que ce dernier n’a jamais réclamé le paiement d’heures supplémentaires, sans pour autant justifier des horaires effectivement réalisés par celui-ci, ne parvient pas à contredire la fiabilité des documents produits par M. [B].

En l’état des éléments produits, et compte tenu d’un taux horaire correspondant aux fonctions de cadre exercées au coefficient 170, soit 22,56 euros brut, la somme de

26 885,88 euros reste dûe par la société au titre des heures supplémentaires (345 heures majorée à 25 % et 349 heures majorées à 50 %) après prise en compte des contreparties obligatoires en repos (237) pour l’année 2015.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef et la société condamnée à verser à M. [B] la somme de 26 885,88 euros au titre des heures supplémentaires pour l’année 2015.

Sur le travail dissimulé

Il sera rappelé que :

– l’article L 8221-2 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé par dissimulation d’activité, telle que définie par l’article L 8221-3 dudit code, ou par dissimulation d’emploi salarié dans les conditions de l’article L 8221-5 

– aux termes de l’article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire

– la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est toutefois caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle

En l’espèce, il n’est pas contestable que des heures supplémentaires ont été réalisées par M. [B], non déclarées par la société. L’intention frauduleuse de la société ne résulte toutefois d’aucun des éléments du dossier, singulièrement au regard des liens familiaux existant entre les parties.

De ce fait, M. [B] sera débouté de sa demande de paiement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Sur le licenciement

Selon le dispositions de l’article L 1233-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l’une des causes énoncées au premier alinéa.

La cessation d’activité de l’entreprise, quand elle n’est pas due à une faute de l’employeur ou à sa légèreté blâmable, constitue un motif économique de licenciement.

Le maintien d’une activité résiduelle pour les besoins de la liquidation de la société ne remet pas en cause la cessation d’activité de l’entreprise comme motif économique de licenciement.

Le motif du licenciement s’apprécie à la date de celui-ci.

En l’espèce, selon la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, M. [B] a été licencié par courrier en date du 13 septembre 2016 pour motif économique, à savoir la cessation totale d’activité de la société.

Il ressort de la lecture des pièces comptables communiquées – bilan de la société arrêté au 30 septembre 2016, tableau d’évolution du chiffre d’affaire jusqu’à fin mai 2016, éléments de paye pour l’année 2015 et 2016, déclaration d’impôt sur les sociétés de l’année 2016 – que la société, suite à la perte de clients, a enregistré des pertes d’exploitation conséquentes, puisque d’environ 60 000 euros mensuels, et a vu son équilibre financier menacé avec un résultat d’exploitation négatif au 30 septembre 2016, sans que le salarié ne produise d’autres pièces comptables remettant en question cette analyse.

En outre, dès le mois de janvier 2016, M. [B] avait conscience des difficultés financières de la société en ce qu’il échangeait régulièrement par mail avec la direction sur les nécessaires priorisations des fonds de la société afin d’équilibrer autant que possible les revenus de la société.

Dès le mois de février 2016, le dirigeant a utilisé des facilités bancaires précédemment accordées, sollicité et obtenu en avril 2016 un échelonnement des cotisations sociales qu’il n’a pu néanmoins honorer comme le démontre le courrier de l’Urssaf en date du 26 mai 2016, réalisé un ‘virement de 75 k de son compte personnel vers le compte de la société’, acté une baisse de son salaire en mars 2016 puis un non versement de ce dernier en mai afin de redresser la situation financière de l’entreprise.

Néanmoins, dès le mois d’avril 2016, il avisait par mail les consultants que certaines de leurs interventions – ‘les share yours trick’- ne seraient plus rémunérées compte tenu des difficultés de l’entreprise. Il leur indiquait par mail du 27 avril ‘des résultats catastrophiques en terme de facturation au premier trimestre, Décisif ayant perdu

500 000 dollars supplémentaires en l’espace de seulement trois mois’ et précisait que ‘réinjecter 150 000 dollars dans la société (prélevés sur mes économies personnelles) et utiliser toute notre ligne de crédit actuelle, n’ont pas suffi à remettre notre trésorerie suffisamment à flot pour payer les bonus ce mois-ci.’, le versement desdits bonus au mois de mai suivant ne suffisant pas à caractériser une faute de gestion ou une légereté blâmable de l’employeur telles qu’alléguées.

M. [B] ne pouvait ignorer la dégradation de l’activité économique de la société justifiant selon cette dernière sa cessation d’activité, étant en charge de la partie paie et gestion de la facturation et se trouvant en copie de tous les mails évoqués.

La cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L 2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.

En l’espèce, il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que les différentes sociétés étaient sous le contrôle ou l’influence d’une entreprise dominante, de sorte que les développements de M. [B] sur l’existence d’un groupe sont inopérants.

La lecture du procès verbal d’assemblée générale du 1er octobre 2016 qui l’officialise et la publication ultérieure dans Le Républicain attestent de la cessation totale d’activité de la société alléguée au jour du licenciement de M. [B], le délai qui s’est écoulé avant la publication ne caractérisant aucunement une poursuite d’activité.

Il résulte de ces éléments que la cessation complète de l’activité de la société est établie et que le motif économique du licenciement est avéré.

La société, ayant cessé totalement son activité, ne peut valablement se voir reprocher un manquement à son obligation de reclassement.

M. [B], dont le licenciement repose en définitive sur une cause réelle et sérieuse sera débouté de sa demande en dommages-intérêts subséquente.

Le jugement déféré sera donc confirmé sur ces points.

La Cour ordonne la remise par l’employeur au salarié d’un bulletin de paie récapitulant l’ensemble des sommes accordées au titre de la présente décision, sans astreinte

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société, qui succombe, est tenue aux dépens de première instance, le jugement déféré étant infirmé de ce chef, et aux dépens d’appel, au paiement desquels elle sera condamnée.

Il est contraire à l’équité de laisser à M. [B] la charge des frais non répétibles qu’il a engagés, restés à sa charge. La société devra lui payer la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour

CONFIRME le jugement déféré dans ses dispositions qui déboutent M. [S] [B] de sa demande en requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, de sa demande au titre du travail dissimulé, de sa demande en requalification du licenciement et de sa demande en dommages intérêts subséquente, de sa demande en rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires réalisées en 2016

INFIRME le jugement déféré en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

REQUALIFIE en contrat de travail à temps plein le contrat de travail à durée déterminée à temps partiel conclu entre la société Decisif Consulting et M. [S] [B], en date du 4 septembre 2014,

REQUALIFIE les fonctions de M. [S] [B] dans la position 3.1 des cadres coefficient 170, telle que prévue dans la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (Syntec)

CONDAMNE la société Decisif Consulting à payer à M. [S] [B] les sommes suivantes :

– 4 588,91 euros au titre de rappel de rémunération pour la période de septembre à décembre 2014

– 28 442 euros à titre des salaires restant dus par application du coefficient 170,

– 26 885,88 euros au titre des heures supplémentaires pour l’année 2015

ORDONNE la délivrance par la société Decisif Consulting d’un bulletin de paie récapitulant les sommes allouées au titre de la présente décision,sans astreinte

CONDAMNE la société Decisif Consulting aux dépens de première instance et d’appel ; en conséquence la DEBOUTE de la demande qu’elle a formée au titre des frais non répétibles,

CONDAMNE la société Decisif Consulting à payer à M. [S] [B] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps M.P. Menu

 


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