9 février 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
19/08294
7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°54/2023
N° RG 19/08294 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QLJQ
Mme [H] [A] épouse [B]
C/
S.E.L.A.R.L. TCA
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 10]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 09 FEVRIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 Novembre 2022
En présence de Madame [Z], médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Février 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [H] [A] épouse [B]
née le 18 Juillet 1960 à [Localité 11]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me NICOL, Plaidant, avocat au barreau de SAI NT BRIEUC
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. TCA représentée par Maître [L] [O] agissant en qualité de mandataire Judiciaire de la SAS ALYACOM
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Inès TARDY-JOUBERT, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Renaud GISSELBRECHT, Plaidant, avocat au barreau de LAVAL
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 10]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Alyacom dont le siège social était fixé à [Localité 5] (22) était spécialisée dans le développement des logiciels de télégestion mobile dans le domaine des services et des soins à domicile. Elle était dirigée par une société holding, présidée par M.[E].
La société a créé au fil de sa croissance un établissement à [Localité 9] le 1er avril 2015. Elle employait un effectif de 14 salariés.
Mme [H] [B] a été recrutée le 20 juillet 2010 par la société Alyacom dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’assistante au sein du siège social moyennant un salaire de 1 344 euros brut par mois.
Elle bénéficiait de la reconnaissance du statut de travailleur handicapé depuis février 2002.
En dernier lieu, elle percevait un salaire moyen de 2 256,97 euros brut par mois.
La relation de travail était régie par la convention collective des bureaux d’études dite SYNTEC.
Au cours du mois de juin 2016, M.[E] dirigeant de la société a informé de la mise en oeuvre au cours de l’été de nouveaux process en matière de facturation et du déplacement sur site d’une consultante extérieure les 27 et 28 juin 2016.
Mme [B], après un premier arrêt de travail du 6 juin au 10 juin 2016, a été placée en arrêt pour maladie du 27 juin au 1er juillet 2016.
A l’issue de la mission d’évaluation menée par la consultante, l’employeur a demandé à Mme [B] par courriel du 28 juin 2016 de préciser ses tâches et attributions en vue de finaliser sa fiche de poste. La salariée lui a répondu le 13 juillet 2016 en énumérant ses fonctions en matière de comptabilité, de ressources humaines et de gestion des dossiers commerciaux.
La salariée a bénéficié à compter du 18 juillet 2016 d’un nouvel arrêt de travail pour unsyndrome anxio dépressif, arrêt prolongé à plusieurs reprises jusqu’au 30 octobre 2016.
Le 28 juillet 2016, l’employeur a notifié à Mme [B] un avertissement pour le motif suivant :
‘(..) M.[Y] – ancien salarié- a indiqué ne jamais avoir reçu la levée de sa clause de non-concurrence alors que cette dernière devait lui être envoyée en recommandé avec accusé réception selon la procédure habituelle en vigueur dans l’entreprise. Après enquête interne, il ressort que la levée de la clause de non-concurrence de M.[Y] existait bien dans le dossier mais portant la mention ‘ remise en mains propres’. M.[Y] n’étant pas venu chercher les documents en fin de contrat, vous lui avez envoyé lesdits documents en LR-AR mais en laissant la mention ‘ remise en mains propres’ apposée. M.[Y] conteste ainsi avoir reçu la levée de sa clause de non-concurrence et il est désormais impossible de le démontrer si tant est que cela a été bien fait. Il vous appartenait d’apposer la mention ‘ envoi en lettre recommandée avec accusé de réception’ sur tous les documents et d’y joindre un courrier d’accompagnement listant l’ensemble des documents envoyés.
Un tel manquement a des conséquences financières très importantes pour la société Alyacom qui est confrontée à une demande de paiement de la contrepartie financière.
Cela est d’autant plus incompréhensible que jusqu’à présent, vous aviez parfaitement traité les autres dossiers à cet égard.
Je suis donc contraint de vous notifier un avertissement pour ces manquements en vous demandant de faire le nécessaire pour que de tels faits ne se reproduisent pas.’
Le 3 août suivant, Mme [B] a contesté cet avertissement.
Le 29 août 2016, la société Alyacom a convoqué Mme [B] à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement et lui a notifié le jour même une mise à pied à titre conservatoire.
L’entretien reporté à la demande de la salariée a eu lieu le 21 septembre 2016.
Le 28 septembre 2016, Mme [B] s’est vue notifier un licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
‘ Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave.
1) En effet, le 11 août 2016, nous avons fait constater par huissier de justice que vous avez transféré via votre boîte mail professionnelle des documents et informations strictement confidentielles appartenant à la société Alyacom. Plus de 100 e-mails ont ainsi été adressés vers vos adresses mails personnelles:
* [Courriel 6], *[Courriel 7]
et certains sur les adresses privées tierces suivantes : *[Courriel 3], *[Courriel 8], M.[G] [B] époux de Mme [H] [B].
Il s’agit par exemple de contrats de travail ou de documents de fin de contrat d’autres salariés de la société Alyacom, de documents liés à des financements de la banque publique d’investissement (BPI), de correspondances avec notre commissaire aux comptes, des descriptifs confidentiels des procédures de sécurité interne à la société, des procédures de sécurité de partenaires de notre société, encore plus grave, des codes source appartenant à Alyacom…
Ces documents sont des plus confidentiels et n’avaient aucunement vocation à sortir de la société et encore moins sur votre boîte mail personnelle pour laquelle aucune confidentialité ou sécurité n’est garantie.
Ces documents ne devaient pas non plus être divulgués à des tiers ou à d’autres salariés. Nous nous interrogeons sur l’usage que vous comptiez faire de ces documents et il vous est demandé instamment de les détruire immédiatement.
Il s’agit là d’une violation grave des obligations découlant de votre contrat de travail puisque l’article 7 de ce dernier stipule que vous êtes tenue à une obligation de discrétion absolue en ce qui concerne les informations et renseignements dont vous aviez connaissance dans l’exercice de vos fonctions avec une interdiction de divulgation. Cette clause prévoyait d’ailleurs qu’une telle divulgation pourra être considérée comme une faute lourde de votre part.
Nous considérons qu’ils sont constitutifs d’une faute grave.
2) Par ailleurs et alors que vous aviez en charge depuis votre arrivée chez Alyacom la gestion des encaissements de chèques clients, nous avons récemment découvert dans votre bureau des chèques clients qui n’avaient pas été encaissés depuis longtemps.
Nous avons notamment découvert un chèque d’acompte de 10 485 euros émanant du client CAUX DOMICILE daté du 26 février 2016 qui n’avait pas été encaissé….Lorsque nous l’avons mis à l’encaissement le 3 septembre dernier, il nous a été retourné, le compte ayant été clôturé du fait d’une décision judiciaire.
Cela a pour conséquence la perte de 10 485 euros pour la société Alyacom.
Nous avons découvert de nombreux chèques (8 chèques pour un montant de 31 796,14 euros) émanant de divers clients ( ADAR des Calaisis, Briss Net, Sas Romelo, ADMR Pays Bigouden, Ambre Service, Vie Harmonieuse..) qui n’avaient pas été mis à l’encaissement pour le plus vieux depuis le 7 avril 2016 et le 9 juin pour le plus récent. Ils n’ont pu être encaissés qu’à la fin du mois de juillet.
Outre l’impact négatif que cela a eu sur la trésorerie de l’entreprise, cela a également donné une image négative auprès de nos clients qui ne voyaient pas leur chèque débité. Nous ne comprenons pas pourquoi vous n’avez jamais mis ces chèques à l’encaissement au détriment de la société Alyacom mais nous considérons que cette rétention est constitutive d’une faute grave.
3) Par ailleurs et alors que vous aviez en charge depuis votre arrivée chez Alyacom la gestion des facturations clients, nous avons découvert de nombreux retards de facturation… ce sont ainsi près de 44 clients qui ont été facturés fin août avec entre 10 mois et 3 mois de retard. Ces retards de facturation ont eu un impact sur le chiffre d’affaires et la trésorerie de la société Alyacom outre le discrédit auprès de nos clients.
4) Nous avons reçu de très nombreux mails sur votre boîte mail professionnelle émanent de sites commerciaux extra professionnels (site de charme ou de voyance, sites de rencontres, sites marchands, d’établissements de crédit et autres) démontrant que manifestement vous avez, sur votre temps de travail, consulté des sites sans aucun rapport avec les tâches qui vous étaient confiées et ce dans des proportions inacceptables.
5) Ces faits s’inscrivent dans le contexte suivant lequel vous aviez reçu le 28 juillet dernier un avertissement pour une tâche non exécutée et aussi lié aux courriers que vous nous avez adressés récemment nous accusant de harcèlement moral à votre endroit ainsi que d’autres accusations que nous estimons infondées et révélant une volonté de déstabiliser l’entreprise.
Cette conduite met en cause la bonne marche de la société Alyacom.
Nous vous informons que nous avons en conséquence décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible (…).’
Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal de commerce de Saint Brieuc a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société Alyacom.
A la suite d’un plan de cession, le tribunal a prononcé dans un jugement du 31 mai 2019 la liquidation judiciaire de la SAS Alyacom et désigné la Selarl TCA représentée par Me [L] en qualité de mandataire liquidateur.
Parallèlement, Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Guingamp par requête du 24 mars 2017 et présenté diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Dans un premier jugement du 7 mai 2019, non frappé d’appel, le conseil de prud’hommes de Guingamp a alloué à la salariée la somme de 5 592,24 euros au titre des heures supplémentaires effectuées et non récupérées en 2015 et en 2016, et a renvoyé les parties à l’audience présidée par le juge départiteur pour les autres demandes.
Mme [B] a demandé dans ses dernières écritures de :
– Dire son licenciement fondé sur l’existence d’un harcèlement moral et en conséquence, le dire nul, et subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,
– Dire l’avertissement du 28 juillet 2016 nul,
– Fixer sa créance super privilégiée au passif de la société Alyacom pour les sommes suivantes :
– 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ;
– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;
– 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avertissement nul ;
– 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral;
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de mise en place de procédés destinés à prévenir le harcèlement moral ;
– 6 770,91 euros au titre de l’indemnité de préavis (heures supplémentaires inclues) et les congés payés y afférents : 677,09 euros
– subsidiairement, indemnité de préavis (hors heures supplémentaires): 5 792,79 euros et les congés payés y afférents : 579,28 euros
– 2 896,42 euros au titre de l’indemnité de licenciement (heures supplémentaires incluses) et subsidiairement, 2 478,01 euros pour l’indemnité de licenciement (hors heures supplémentaires) ;
– 5 166,09 euros au titre du rappel d’heures supplémentaires et les congés payés y afférents : 516,61 euros
– rappel sur tickets restaurant : 420 euros
– bonus/prime 2016 : 2 090 euros et les congés payés y afférents : 209,00 euros
– rappel sur mise à pied conservatoire : 2 525,08 euros et les congés payés y afférents : 252,51 euros
– Condamner le mandataire judiciaire de la société Alyacom à lui remettre les documents suivants : un bulletin de travail conforme à la décision, un bulletin de salaire récapitulatif des condamnations à caractère salarial, et une attestation mentionnant mois par mois et année par année les rappels de salaire accordés,
– Dire que les condamnations produiront intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes jusqu’au prononcé du redressement judiciaire,
– Condamner le mandataire judiciaire de la société Alyacom à lui régler la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner le même aux entiers dépens,
– Ordonner l’exécution provisoire de l’intégralité de la décision,
– Dire le jugement à intervenir commun et opposable à l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 10] cedex.
La Selarl TCA ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS Alyacom, a demandé au conseil de prud’hommes de :
– Débouter Mme [B] de ses demandes,
– Condamner Mme [B] au paiement de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L’AGS CGEA de [Localité 10] a demandé au conseil de prud’hommes de :
– Lui déclarer la décision à intervenir opposable en qualité de gestionnaire de l’AGS dans les limites prévues aux articles L 3253-6 et suivants du code du travail et dans les plafonds prévus,
– Constater que le plafond de garantie applicable aux faits de l’espèce est de 6 fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des cotisations d’assurance chômage,
– Rejeter l’intégralité des demandes de Mme [B],
– Déclarer la demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile inopposable au CGEA,
– Subsidiairement, dire n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par jugement de départage en date du 26 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Guingamp a :
– Reçu l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 10] en son intervention;
– Prononcé l’annulation de l’avertissement délivré le 28 juillet 2016 ;
– Fixé la créance de Mme [B] au passif de la procédure collective de la SAS Alyacom aux sommes de :
– 500 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de l’avertissement ;
– 1 045 euros au titre du bonus/prime 2016 outre une somme de 104,506 au titre des congés payés y afférents ;
– Rappelé que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes, soit le 19 avril 2017, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
– Rappelé qu’en application des articles L 622-28 et L 641-3 du code de commerce, le cours des intérêts est suspendu de plein droit par le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit à compter du 27 juin 2018 ;
– Déclaré les condamnations opposables à l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 10] dans les limites de la garantie légale de l’AGS et des dispositions des articles L 3253-6 et suivants et D 3253-5 du code du travail ;
– Dit que la Selarl TCA, ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS Alyacom, devra remettre à Mme [B] les documents sociaux conformes à la présente décision ;
– Débouté Mme [B] du surplus de ses demandes ;
– Débouté les parties de leur demande respective d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
– Rappelé que la condamnation au paiement des sommes au titre des rémunérations et des indemnités mentionnées au 2° de l’article R 1454-14 du code du travail est de droit exécutoire à titre provisoire ;
– Mis les dépens de l’instance à la charge de la Selarl TCA, ès qualité de mandataire liquidateur de la SAS Alyacom.
***
Mme [B] a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 23 décembre 2019.
En l’état de ses dernières conclusions n°4 transmises par RPVA le 18 octobre 2022, Mme [B] demande à la cour de :
– Réformer le jugement en ce qu’il la déboute des demandes suivantes :
– Dire son licenciement fondé sur l’existence d »un harcèlement moral, et en conséquence le dire nul, et subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse.
– Fixer sa créance super privilégiée au passif de la société Alyacom pour les sommes suivantes :
– 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire.
– 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité de l’avertissement.
– 30 000 euros à titre dommages-intérêts pour harcèlement moral.
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de mise en place des procédures destinées à prévenir le harcèlement moral.
– 6 724,92 euros à titre d’indemnité de préavis et 672,49 euros au titre de congés payés afférents.
– 2 876,80 euros à titre d’indemnité de licenciement.
– 420 euros à titre de rappel sur tickets restaurant.
– 2 090 euros au titre du bonus/prime 2016 et 209 euros au titre de congés payés y afférents.
– 2 525,08 euros à titre de rappel sur mise à pied conservatoire et 252,51 euros au titre de congés payés y afférents.
– la remise des documents suivants : un bulletin de salaire conforme, un bulletin de salaire récapitulatif des condamnations à caractère salarial et une attestation mentionnant mois par mois et année par année les rappels de salaire accordés.
– que les condamnations produiront intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes jusqu’au prononcé du redressement judiciaire.
– Condamner le mandataire judiciaire de la société Alyacom au versement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
– Ordonner l’exécution provisoire de l’intégralité de la décision.
– Dire le jugement à intervenir commun et opposable à l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 10].
En conséquence, statuant à nouveau :
– Dire le licenciement de Mme [B] nul et subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse.
– Fixer sa créance super privilégiée au passif de la société Alyacom aux sommes suivantes :
– A titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 50 000 euros
– A titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire : 10 000 euros
– A titre de dommages-intérêts pour nullité de l’avertissement : 1 000 euros
– A titre dommages-intérêts pour harcèlement moral : 30 000 euros
– A titre de dommages-intérêts pour absence de mise en place des procédures destinées à prévenir le harcèlement moral : 5000 euros
– A titre d’indemnité de préavis : 6 724,92 euros et des congés payés y afférents : 672,49 euros
– A titre d’indemnité de licenciement : 2 876,80 euros
– A titre de rappel sur tickets restaurant : 420 euros
– Au titre du bonus/prime 2016 : 2 090 euros et des congés payés y afférents 209 euros
– A titre de rappel sur mise à pied conservatoire : 2 525,08 euros et des congés payés y afférents : 252,51 euros
– Dire que les sommes allouées produiront intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes jusqu’au prononcé du redressement judiciaire.
– Confirmer le jugement pour le surplus et en particulier et en ce qu’il annule l’avertissement du 28 juillet 2016.
Y ajoutant,
– Condamner la Selarl TCA ès qualité de mandataire judiciaire de la SAS Alyacom à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de 1ère instance et la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour d’appel.
– Dire l’arrêt à intervenir commun et opposable au CGEA, gestionnaire de l’AGS de [Localité 10].
– Débouter le CGEA et la SELARL TCA de leur appel incident.
– Les condamner aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 21 avril 2020, la Selarl TCA es qualité de mandataire liquidateur de la SAS Alyacom demande à la cour de :
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [B] d’une partie de ses demandes,
– A titre incident, l’infirmer en ce qu’il a annulé l’avertissement du 28 juillet 2016, qu’il a fixé la créance de Mme [B] à 1045 euros au titre du bonus 2016 outre les congés payés afférents de 104,50 euros,
– Débouter Mme [B] de l’intégralité de ses demandes.
– La condamner au paiement d’une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et la même somme en cause d’appel.
– Condamner la même aux entiers dépens.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 12 juin 2020, l’AGS CGEA de [Localité 10] demande à la cour de :
– Réformer le jugement en ce qu’il a :
– prononcé l’annulation de l’avertissement délivré le 28 juillet 2016 ;
– fixé la créance de Madame [B] au passif de la procédure collective de la SAS Alyacom aux sommes de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de l’avertissement, de 1 045 euros à titre de bonus/prime 2016, et de 104,50 euros au titre des congés payés y afférents.
– En conséquence, débouter Mme [B] de l’ensemble de ses demandes ;
– Subsidiairement, débouter Mme [B] de toute demande excessive ou injustifiée ;
En toute hypothèse :
– Débouter Mme [B] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l’encontre de l’AGS.
– Décerner acte à l’AGS de ce qu’elle ne consentira d’avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
– Dire que l’indemnité éventuellement allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’a pas la nature de créance salariale.
– Dire que l’AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
– Dépens comme de droit.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 25 octobre 2022 avec fixation de l’affaire à l’audience du 28 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande relative à la prime bonus au titre de l’année 2016
Mme [B] demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a minoré à 1 045 euros sa demande relative à la prime bonus au prorata de sa présence dans l’entreprise au titre de l’année 2016. Soutenant que le calcul de la prime était distinct du résultat de l’entreprise, elle réclame la somme de 2 090 euros, calculée par rapport à la moyenne des primes versées de 2014 à 2016.
Le mandataire liquidateur de la société Alyacom s’oppose à la demande de la prime pour l’année 2016, en rappelant qu’il n’y avait pas eu d’avenant formel rédigé sur les conditions d’attribution de la prime et qu’elle était octroyée de fait en fonction de l’évaluation individuelle de chaque salarié et de sa contribution au succès de l’entreprise ; que si Mme [B] a bénéficié de 2010 à 2015 d’un bonus d’un montant différent, elle n’en a pas perçu en l’absence d’une évaluation individuelle, des fautes reprochées durant l’année 2016 et en raison du résultat déficitaire de la société au cours de l’année 2016.
Si le contrat de travail prévoit que ‘la salariée pourra percevoir un ‘ bonus’ si elle réalise ses objectifs dont les modalités lui seront communiquées par avenant séparé’, aucun avenant n’a été régularisé entre les parties.
Il est constant que Mme [B] a perçu une prime annuelle représentant un montant de 2 500 euros, de 1838 euros et de 1930,92 euros au titre des années 2013 à 2015.
Le contrat de travail prévoit la faculté pour l’employeur de verser à la salariée une partie variable de sa rémunération en fonction des objectifs réalisés de manière individuelle par Mme [B] et non pas en fonction des résultats de l’entreprise. Les pièces produites révèlent, ce qui est confirmé par Mme [B], que le ‘ bonus’ lui était alloué depuis le début de la relation contractuelle, sans régularisation d’un avenant, à l’évaluation de ses prestations et de sa participation au succès de l’entreprise. Il s’ensuit qu’en l’absence d’une évaluation individuelle au titre de l’année 2016, les premiers juges ont exactement évalué à la somme de 1 045 euros, outre les congés payés y afférents, la prime annuelle due à la salariée en fonction de la moyenne des trois années précédentes et de son temps de travail au sein dans l’entreprise.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande relative aux tickets restaurant
Mme [B] maintient sa demande de 420 euros au titre des tickets restaurant, dont elle a été déboutée par les premiers juges. Elle ne fournit aucune explication ni justificatif à l’appui de sa demande, contestée par l’employeur.
Sa demande sera en conséquence rejetée par voie de confirmation du jugement.
Sur la demande de nullité de l’avertissement du 28 juillet 2016
Les premiers juges ont prononcé la nullité de l’avertissement du 28 juillet 2016 au motif que l’employeur ne justifiait pas avoir donné à Mme [B] des instructions liées à la procédure de mainlevée des clauses de non-concurrence applicables en cas de départ d’un salarié et qu’il ne produisait pas les documents afférents à la rupture conventionnelle de M. [Y] à l’origine de l’avertissement prononcé à l’égard de la salariée. Ils ont alloué à Mme [B] la somme de 500 euros en réparation du préjudice subi.
Le mandataire liquidateur de la société Alyacom conteste le jugement estimant au contraire que Mme [B] n’a pas respecté la procédure interne au sein de l’entreprise et a commis une erreur lors de l’envoi du courrier de mainlevée de la clause de non-concurrence à un ancien salarié M. [Y], que les documents produits justifient la matérialité de la faute commise par la salariée.
Mme [B] réclame la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice résultant de l’annulation de l’avertissement, qu’elle a contesté dans un courrier du 3 août 2016. Elle maintient qu’elle ne pouvait pas être chargée dans le cadre de ses fonctions d’assistante des problèmes de mainlevée de la clause de non-concurrence de M. [Y] et que l’employeur ne démontrait pas lui avoir donné des instructions spécifiques en ce sens.
Les articles L 1333-1 et L 1333-2 du code du travail disposent que :
‘En cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments, et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.’
A l’appui de cet avertissement, l’employeur verse aux débats un jugement prud’homal en date du 24 juin 2019 l’ayant condamné à verser une indemnité compensatrice de non-concurrence à un ancien salarié M.[Y] à défaut pour l’employeur d’avoir renoncé au bénéfice de cette clause à l’issue d’une rupture conventionnelle ayant pris effet au 31 janvier 2016.(Pièce 40)
Contrairement à ce que soutient la salariée dans son courrier de réponse du 3 août 2016 (pièce 11) et dans ses écritures, la société Alyacom ne lui a pas fait grief d’avoir omis de mentionner la renonciation de l’employeur à la clause de non-concurrence mais lui a reproché de ne pas lui avoir transmis le courrier de la levée de la clause de non-concurrence par lettre recommandée avec accusé de réception selon la procédure habituelle en vigueur dans l’entreprise.
Il résulte des pièces produites par Mme [B] que l’employeur disposait d’un délai de 8 jours suivant la cessation effective des fonctions de M. [Y] pour renoncer au bénéfice la clause de non-concurrence (sous la pièce 45 de la salariée) ; que le courrier de l’employeur daté du 31 janvier 2016 transmis en recommandé le 8 février 2016 à M.[Y] correspond uniquement aux documents de fin de contrat et ne comporte aucune mention relative à la levée de la clause de non-concurrence. L’employeur qui prétend avoir retrouvé le courrier de levée de la clause après enquête interne (cf avertissement du 28 juillet 2016 pièce 10) se garde toutefois de le produire aux débats. Le dirigeant reconnaissait lui-même dans un courriel du 21 avril 2016 auprès de sa correspondante du cabinet d’expertise comptable, Mme [I], ‘ visiblement, on a merdé avec la rupture de [U] [Y]. Dans tous les contrats de rupture conventionnelle, il faut indiquer que le salarié est libéré de la clause de non-concurrence’, admettant a contrario qu’aucune levée de la clause n’avait été établie. Même si Mme [B] s’est trompée en laissant la mention ‘ remis en main propre’ sur le courrier du 31 janvier 2016 transmis le 8 février 2016 en recommandé, selon la procédure interne dont elle reconnaît qu’elle était chargée uniquement pour les documents de fin de contrat (pièce 8), cette erreur est dépourvue d’incidence sur l’absence de levée de la clause de non-concurrence dont il appartenait à l’employeur de transmettre le courrier correspondant.
L’avertissement est en conséquence injustifié. Les éléments de la cause justifient une indemnisation du préjudice subi à la somme de 500 euros. Le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur la demande de nullité du licenciement fondée sur la mention dans la lettre de licenciement d’un grief concernant la dénonciation d’un harcèlement moral
Mme [B] reproche au conseil d’avoir écarté l’un des griefs énoncés dans la lettre de licenciement et tiré du fait que la salariée avait dénoncé des faits qualifiés de harcèlement moral subis par elle, alors que ce grief emporte à lui seul la nullité de plein droit de son licenciement.
Il ressort de la lettre de licenciement que l’employeur se fonde sur deux seuls griefs à savoir le transfert de documents et d’informations strictement confidentiels appartenant à l’employeur sur des boîtes mail personnelles de Mme [B] ou sur celles de tierces personnes ainsi que la gestion tardive des encaissements des chèques clients. C’est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que l’employeur se bornant à rappeler le contexte de la rupture du contrat de travail n’avait pas entendu fonder le licenciement disciplinaire sur la dénonciation par la salariée de faits constitutifs de harcèlement moral.
Sur la demande de nullité du licenciement fondée sur le harcèlement moral
Mme [B] demande l’infirmation du jugement au motif que le conseil, pour écarter la présomption de harcèlement moral résultant d’une série de faits établie pourtant par la salariée, a minimisé les faits invoqués ou les a présentés comme normaux, ce qui n’était pas le cas dans un contexte de maltraitance managériale, à l’origine d’arrêts de travail sur une période d’un an. Elle ajoute que les faits s’inscrivent dans un contexte de réorganisation de la société, ayant amené les salariés à des arrêts de travail pour maladie ou à des départs de l’entreprise ; que la dégradation de sa situation personnelle s’est accentuée en juin 2016 lorsqu’elle a demandé une revalorisation de son poste et une amélioration de ses conditions de travail à [Localité 5] et que le dirigeant lui a adressé des mails successifs de remise en cause de son travail, alors que la communication était antérieurement verbale.
Le mandataire liquidateur de la société Alyacom réfute les accusations de harcèlement moral, en soutenant que :
– les attestations établies par M. [P] et M. [Y], doivent être relativisées en raison de leur manque d’objectivité et du contentieux les opposant à leur ancien employeur,
-la salariée ne fait état que de faits concomitants à son licenciement pour contrer les griefs issus de la lettre de licenciement,
-les courriels reprochés à l’employeur ne révélant aucune pression ou ton culpabilisant ou désagréable, ont été envoyés sur la messagerie professionnelle de la salariée censée en prendre connaissance à son retour d’arrêt maladie, et s’inscrivaient dans une réorganisation liée à la mise en place d’un process plus automatisé de gestion, que Mme [B] avait sollicité quelques mois plus tôt et pour lequel elle avait fait partie de l’équipe chargée d’établir le cahier des charges ;
– la prise en main à distance de son portable de bureau a été faite, avec l’accord de la salariée, par le nouveau Responsable des réseaux et des serveurs de la société, M.[M], pour des questions d’assistance ou de mise en place d’un système de sauvegarde automatisée des données informatiques de l’entreprise.
– la surcharge de travail alléguée par la salariée doit être relativisée au regard des heures supplémentaires reconnues par le conseil sur la base de 4 heures par semaine,
– l’employeur justifie avoir procédé à des recrutements pour améliorer les conditions de travail de Mme [B] ( M.[P] et une assistante commerciale à [Localité 9])
– les doléances de la salariée à propos de l’absence de revalorisation de son salaire sont inexactes, son salaire étant passé de 16 128 euros par an en 2010 à 23 159 euros en 2016, hors bonus.
– la pression permanente de l’employeur évoquée par la salariée n’est pas caractérisée : les échanges de courriels avec le dirigeant correspondent uniquement à des questions techniques auxquelles Mme [B] devait répondre sans qu’il en ressorte des propos dénigrants, insultants ou menaçants.
– la salariée ne peut pas reprocher à la société de lui avoir notifié un avertissement le 28 juillet 2016, au cours de son arrêt maladie, en ce qu’il devait le faire dans le délai légal de deux mois suivant la découverte des faits.
– l’employeur était fondé à demander à la salariée, durant son arrêt maladie, l’endroit où se trouvaient les clés de l’armoire sécurisée de son bureau alors que la société déménageait ses locaux de [Localité 5] le 25 juillet 2016.
– il n’a jamais accusé Mme [B] du vol d’un fauteuil de bureau.
– les plaintes de la salariée auprès de son médecin traitant, qui ne fait que retranscrire ses dires à propos de choses inexactes, ne remontent pour les plus anciennes qu’à juin 2016, ce qui peut correspondre à la mise en place d’une stratégie de la salariée, fort bien conseillée, à relier des faits anodins et normaux à un prétendu harcèlement moral
– le médecin du travail ne s’est jamais déplacé sur le site et n’a jamais adressé une alerte au dirigeant sur les difficultés au travail de la salariée, malgré la demande de l’employeur.
Selon l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L1152-1 du code civil. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Mme [B] a présenté une série d’éléments de faits au soutien de sa demande de harcèlement moral :
– sur la surcharge de travail accompagnée de pressions de l’employeur
Mme [B] fait valoir qu’elle dénonçait auprès de l’employeur sa surcharge de travail et la complexification de ses attributions depuis 2015, que les moyens alloués étaient inadaptés au regard de l’accroissement des bons de commandes, des facturations, du nombre de salariés, du nombre d’appels téléphoniques ; que ses missions correspondaient à une classification supérieure ; que le logiciel gratuit Dolibarr posait des difficultés récurrentes pour la facturation ; qu’elle n’a bénéficié d’aucune aide efficace dans ses missions et devait effectuer des heures supplémentaires qui n’étaient pas rémunérées ; que sa situation s’est dégradée dans un contexte de réorganisation de l’entreprise notamment lorsqu’elle a revendiqué une revalorisation de sa classification et de sa rémunération, au cours de l’année 2016, période au cours de laquelle plusieurs salariés ont quitté l’entreprise ou ont bénéficié d’arrêts de travail en raison d’une ambiance délétère, accentuée en avril 2016 par le recrutement de Mme [V], épouse du dirigeant.
Le mandataire liquidateur de la société Alyacom conteste les allégations de surcharge de travail, s’agissant tout au plus de quelques heures supplémentaires par semaine en 2015 et en 2016, telles que reconnues par la salariée ‘ je travaille entre 37 et 39 heures par semaine’ et consacrées par le jugement définitif du 7 mai 2019.
La salariée se base sur :
– son courrier du 20 juillet 2016 (pièce 9) de transmission de son arrêt de travail pour la période du 18 juillet au 19 août 2016 en lien direct avec ‘ un dernier épisode de harcèlement auquel elle a été confrontée dès son retour du pont du 14 juillet, trouvant un mail daté du 15 juillet (de M.[E]) faisant suite à différents autres mails récents destinés à opérer une pression à mon égard. Ce harcèlement permanent depuis plusieurs mois fait suite à votre volonté manifeste de m’évincer de l’entreprise, dans un contexte de demande de revalorisation de la classification et de la rémunération correspondant au poste réellement occupé d’assistante de direction, ce à quoi s’ajoute une surcharge de travail liée à l’augmentation de l’activité de l’entreprise ; cette surcharge de travail déjà mentionnée dans un mail de 2015, génère des heures supplémentaires non payées tant pour moi que pour d’autres ; que les salariés Etam ne fournissaient aucune fiche de temps de travail avant 2015, que votre demande de fiches hebdomadaires date de début 2016 (..)’
– l’attestation de M.[P] du 13 août 2016 (pièce 65) , ancien Directeur adjoint de la société (août 2014 – octobre 2016) : ‘Mme [B] a vu sa charge de travail augmenter significativement lors de l’année 2015 sans voir les ressources supplémentaires promises depuis 2014.(..)’.
– la trame de sa fiche de poste à finaliser transmise par l’employeur le 28 juin 2016 et la réponse de la salariée par mail du 13 juillet 2016 (pièce 8) : ‘ (..). En 2015, j’avais particulièrement attiré votre attention sur la surcharge de travail (860 factures), les encaissements associés, dossiers clients toujours plus complexes, ventes M2M) et n’avais pas compté mes heures afin de facturer le maximum de clients (…) En fin d’année, je vous ai de nouveau alerté(..) La solution apportée à mes alertes a été le recrutement d’une assistante commerciale à mi-temps à [Localité 9] du 26 octobre au 24 décembre 2015 ; (..) J’ai accumulé du retard dans la facturation client, le classement et l’archivage, n’étant pas remplacée pendant mes périodes de congés et arrêts maladie. Mon état de santé ne me permet plus de réaliser des heures au-delà de 35 heures par semaine. Le déménagement dans les nouveaux locaux est prévu le lundi 25 juillet et à ce jour, je n’ai pas encore préparé un seul carton.(..) Voilà la liste des fonctions n’est pas exhaustive (..) Je ne détaille pas le temps consacré à chaque tâche. Je travaille en moyenne entre 37 et 39 heures par semaine.’
– le rappel de salaire alloué pour des heures supplémentaires réalisées au titre des années 2015 et 2016,
– l’attestation de M. [T] du 4 septembre 2022 (pièce CA 22)
– les difficultés récurrentes énumérées par la salariée lors des opérations de facturation avec le logiciel Dolibarr, dans un tableau établi par ses soins (pièce CA 19),
– les nombreux mails (plus d’une centaine) échangés sur sa messagerie professionnelle (pièces 31 a, b, f et g).
La fiche de poste complétée par Mme [B] fait apparaître qu’elle exerçait au sein de l’entreprise comptant 14 salariés, des fonctions d’assistance sur le plan administratif, de la facturation, du suivi des clients et travaillait en lien direct avec le dirigeant fondateur M. [E], régulièrement en déplacement à [Localité 9], avec le directeur adjoint M. [P], recruté en août 2014 et en relation étroite avec le cabinet d’expertise-comptable TA Conseil chargé de la comptabilité de l’entreprise, de la paie des salariés et de la gestion des ressources humaines.
La charge de travail excessive invoquée par la salariée durant les années 2015 et 2016, s’inscrivait dans le contexte de l’accroissement rapide de l’activité de l’entreprise et des difficultés de mise en oeuvre de nouveaux outils de gestion, et correspondait à une moyenne comprise entre 37 à 39 heures par semaine selon la propre estimation de Mme [B] (courriel du 13 juillet 2016). Ce rythme de travail est conforté par le jugement du 7 mai 2019 lui ayant alloué un rappel de salaire sur une base moyenne de 4 heures supplémentaires effectuées non récupérées par semaine. Alors que Mme [B] appelée par le dirigeant à s’expliquer sur ses heures récupérées durant l’année 2014 et s’était engagée à ‘ noter à partir de ce jour toutes mes heures complémentaires’ (mail du 26 juin 2015 pièce 30), le répertoire Google Drive prévu à cet effet pour l’ensemble des salariés, ne fait apparaître à son nom que très peu d’heures supplémentaires et d’heures de récupération durant l’année 2015 (pièce 78). Il n’est pas produit pour l’année 2016. Tout en réclamant une application plus stricte avec des fiches hebdomadaires du temps de travail lors de son entretien annuel du 7 avril 2016 (pièce 11 réponse salariée), Mme [B] considère néanmoins qu’elle n’était pas soumise, en tant que non-cadre, à l’obligation de remplir les relevés d’heures mensuels ce que conteste l’employeur dans son mail du 6 juillet 2016 (pièce 2).
Sans contester la charge de travail liée à l’activité de l’entreprise, l’employeur rapporte la preuve qu’il a pris en compte les doléances de la salariée pour améliorer ses conditions de travail en procédant notamment :
– au recrutement en octobre 2015 d’une assistante commerciale, basée à [Localité 9], en réponse à la demande de Mme [B] formulée en septembre 2015 (cf réponses salariée du 7 avril 2016 bilan 2015 pièce 11). Si la salariée a finalement quitté son emploi durant la période d’essai, des recherches ont été engagées avec Pôle Emploi dès le début de l’année 2016 pour pourvoir à ce poste.
– à l’automatisation de certaines étapes de facturation incombant à Mme [B] (mail du 13 juillet 2016 pièce 1) et ce à l’issue d’une réflexion commune de l’équipe à laquelle la salariée était associée (Cahier des charges projet CRM Customer Response Management du 15 avril 2014 pièce 33) et à la mise en oeuvre durant l’été 2017 d’un progiciel de gestion avec la version améliorée de Dolibarr.
L’existence des pressions exercées par le dirigeant à l’égard de Mme [B] ne résulte d’aucun des témoignages produits par la salariée, les témoins – M.[P] et M.[T]- se bornant à évoquer les difficultés rencontrées uniquement par l’équipe technique composée des ingénieurs développeurs. Alors que la salariée précisait par mail à l’ensemble de l’équipe ses horaires de travail sur la base de 35 heures réparties du lundi au jeudi de 8h30-12h30 et de 13h30-17h30 et le vendredi 9h-12 h (courriel 25 juin 2015 pièces 57), aucun des attestants n’a confirmé une amplitude horaire excessive de travail pour Mme [B].
La matérialité de ce grief n’est pas établie.
– sur l’envoi d’une fiche de poste à compléter en urgence pendant son arrêt de travail
La salariée soutient que son employeur lui a demandé, dans un courriel du 28 juin 2016 (pièce 8) de compléter en urgence sa fiche de son poste préétablie avec obligation d’y répondre pour une mise en place au début du mois de juillet 2016, alors qu’elle se trouvait en arrêt de travail depuis le 27 juin 2016 et qu’elle a lu ce mail, puisqu’elle avait accès à sa messagerie professionnelle, installée sur le téléphone Samsung mis à sa disposition par l’entreprise (pièce 58). Elle fait valoir que l’envoi de ce mail l’a perturbée s’agissant d’une demande particulièrement détaillée pendant un arrêt de travail avec un délai de réponse très bref, qui ressort des techniques de management pathogènes.
Toutefois, le conseil a retenu, après un examen minutieux des pièces, que l’employeur avait décidé depuis de nombreux mois et après une consultation préalable des salariés, de mettre en oeuvre des process plus automatisés notamment en matière de facturation ; que Mme [B] en avait fait la demande réitérée dans sa réponse du 7 avril 2016 (pièce 11) ; que le 17 juin 2016, les salariés étaient informés de l’intervention d’une consultante extérieure les 27 et 28 juin 2016, chargée d’une mission d’évaluation notamment des procédures comptabilité Clients. Mme [B] placée en arrêt de travail entre le 27 juin et le 1er juillet 2016 ne saurait faire grief à l’employeur de lui avoir transmis un courriel sur sa boîte professionnelle l’informant du calendrier de la mise en oeuvre des nouveaux process concernant son poste avec un objectif de la migration de tous les clients pour fin août 2016.
Contrairement à l’interprétation de la salariée, les termes du courriel litigieux ne comportent aucun délai de réponse en urgence pour compléter sa fiche de poste et ne s’analysent pas comme une pression exercée à son égard durant son arrêt maladie étant rappelé que Mme [B] n’était aucunement tenue de lire sa messagerie professionnelle à cette période.
Ce fait n’est pas matériellement établi.
– sur la déstabilisation de la salariée
La salariée a fait valoir le fait que l’employeur avait remis en cause dans un mail du 29 juin 2016 alors qu’elle était en arrêt de travail les dates de ses congés validés pour l’été 2016, en adoptant un discours culpabilisant à propos de ses congés payés ‘dérogatoires et de passe-droits’.
Dans le mail litigieux, l’employeur a interrogé à Mme [B] dans ses termes ‘ Bonjour, je viens de regarder le planning des congés de juillet /août 2016. Il doit y avoir une erreur dans les dates de vos congés puisque la règle définie depuis plusieurs années prévoit trois semaines de congés entre juillet et août pour l’ensemble des salariés d’Alyacom. SVP pouvez vous me faire un rectificatif dès votre retour de congés maladie.’ avec rappel d’un précédent mail du 17 mai 2016 sur les consignes de prendre 3 semaines minimum entre juillet et août dont deux semaines consécutives.’
C’est à juste titre que le conseil a considéré au vu des mails échangés que l’employeur n’avait utilisé aucun discours à tonalité culpabilisante à l’égard de Mme [B], en se bornant à lui rappeler les consignes définies au sein de l’entreprise et dont elle était chargée de contrôler la gestion des demandes depuis 2015 (mail du 4 juillet 2016). La salariée, sans contester qu’elle était informée des consignes, a expliqué dans son mail initial que cette consigne ne lui avait jamais été appliquée, en tant qu’assistante, entre 2010 et 2014, et que ses congés indiqués sur le planning avaient été validés verbalement pour la période du 29 août au 16 septembre 2016, et qu’au surplus ses dates n’étaient plus modifiables en raison de la réservation de son billet d’avion. Le fait que le dirigeant ait tenu compte des explications de la salariée, ait maintenu les dates de congé choisies au regard de ses contraintes liées à l’achat de billets d’avion, tout en lui demandant de respecter à l’avenir les consignes générales, est exclusif de toute forme de déstabilisation de la salariée de la part de l’employeur.
En revanche, le courriel du 18 juillet 2016 de M.[E] à Mme [B] comporte des termes particulièrement désobligeants et vexatoires à l’égard de la salariée:
‘ (..) Compte tenu de vos douleurs dorsales, vous souhaitiez que nous aménagions votre poste de travail avec la fourniture d’un fauteuil adapté Travailleur Handicapé. Celui-ci vous ayant déjà été financé par votre ancien employeur qui a profité d’une aide spécifique, il a été rapatrié avec son accord vers nos bureaux. Il a depuis disparu. J’imagine que vous l’avez restitué à votre ancien employeur car il a été remplacé depuis plusieurs mois par un des fauteuils ergonomiques fournis à l’ensemble des salariés de l’entreprise.
Par ailleurs, malgré votre statut de personne reconnue Travailleur Handicapé ou fragilisé, l’ensemble des salariés d’Alyacom a été très surpris pendant plusieurs années de vous voir utiliser votre moto durant les beaux jours pour vos déplacements quotidiens.
Le temps passant, j’ai demandé à la médecine du travail de [Localité 5] de refaire un point sur votre poste de travail.’
Si M.[E] pouvait légitimement interroger la salariée sur le sort d’un fauteuil financé par l’Agepith en lien direct avec l’adaptation de son poste de travail, les propos tenus par M.[E] à l’égard de la salariée sont désobligeants lorsqu’il exprime, sous couvert de la reprise de l’opinion de l’ensemble des salariés de l’entreprise, son doute sur la réalité des difficultés de Mme [B] reconnue Travailleur Handicapé de la salariée, et qu’il ‘manifeste sa volonté d’avertir le médecin du travail’.
Un témoin M.[P], Directeur technique, dont le témoignage ne peut pas être écarté du seul fait qu’il a connu un litige prud’homal avec la société Alyacom, confirme les suspicions exprimées par M.[E] à l’égard de Mme [B] au cours du printemps 2016 ‘ quand on est vraiment handicapé, on ne conduit pas une moto’, ce à quoi M.[P] a répondu que ‘Mme [B] venait tout de même beaucoup plus souvent en voiture qu’en moto'(pièce 65). Le témoin affirme que M.[E] a changé de discours à l’égard de Mme [B], dont il était précédemment élogieux sur ses qualités professionnelles (‘elle tient une comptabilité irréprochable… heureusement qu’elle est là pour surveiller l’équipe technique) avant de tomber ‘en disgrâce’ début 2016 au moment où l’entreprise a connu des tensions avec l’équipe technique, que Mme [B] a présenté des revendications salariales et le changement de classification de secrétaire de direction. M.[P] confirme que M.[E] n’hésitait pas à critiquer la salariée de manière injustifiée et en l’absence de cette dernière ses compétences comptables et informatiques (avril 2016), voire sa résistance physique en affirmant à tort qu’elle avait été ’10 fois en arrêt maladie en un an'(mai 2016). M.[P] ajoute que durant cette même période, M. [E] n’hésitait pas à exercer une pression énorme sur l’équipe technique et à dénigrer ouvertement les salariés cadres qui ne partageaient pas son avis, ce qui a engendré un climat anxiogène, des arrêts maladie et un départ de plusieurs ingénieurs de l’entreprise.
La matérialité de ce grief est établie.
– sur sa mise à l’écart des pré-réunions et du comité de direction
Pour démontrer qu’elle a été écartée des réunions importantes de l’entreprise depuis le printemps 2016, Mme [B] verse aux débats :
– le témoignage de M.[P] selon lequel ‘à partir du mois de mars- avril 2016, coïncidant avec les entretiens annuels, l’arrivée de Mme [V] [E]- [C] à la Direction et à l’atteinte des objectifs d’un million d’euros de chiffre d’affaires, Mme [B] a été complètement exclue des comités de direction et ne participait plus aux pré-réunions précédant les comités de direction où étaient discutés les sujets sensibles dont la méthode pour se débarrasser des employés indésirables V1.’
– les messages de la direction l’invitant à des réunions commerciales (1er juillet 2015 à [Localité 9], les 10, 14 et 28 septembre 2015), au comité de direction du 9 octobre 2015 (pièces CA 3 et CA 3 b)
Mme [B] qui occupait un poste d’assistante non-cadre ne démontre pas qu’elle se rendait de manière habituelle aux réunions du comité de direction, ni que sa présence était nécessaire lors des pré-réunions. Compte tenu de la charge de travail inhérente à ses fonctions, la salariée qui n’avait pas vocation à participer à de telles réunions n’est pas fondée à invoquer le caractère injustifié de sa mise à l’écart. S’agissant des réunions commerciales, il apparaît que la mission de reporting commercial qui lui était initialement dévolue a été transférée en 2015 à M.[F], un Responsable commercial, selon les propres indications de Mme [B] (pièce 11 réponse bilan 2015). Au surplus, la salariée participait le lundi 4 juillet 2016, de retour de son arrêt maladie, à la réunion commerciale de sorte qu’elle ne peut pas utilement se prévaloir d’une mise à l’écart( Pièce 118).
Ce grief n’est pas établi.
– sur la notification d’un avertissement le 28 juillet 2016
Il est établi que l’employeur a délivré le 28 juillet 2016 à Mme [B] un avertissement après que la salariée lui ait transmis un nouvel arrêt de travail depuis le 18 juillet 2016 suivi d’un courrier du 20 juillet 2016 dénonçant une situation de harcèlement moral subie au travail.
La salariée est fondée à se prévaloir de cette sanction injustifiée comme élément précis permettant de présumer une situation de harcèlement moral. La matérialité du grief est établie.
– sur des reproches injustifiés
La salariée fait valoir en cause d’appel qu’elle a fait l’objet de reproches répétés de la part du dirigeant de retour d’un arrêt de travail le 4 juillet 2016 et le 18 juillet 2016.
Elle verse notamment aux débats :
– divers échanges de courriels concernant l’absence de signalement à Mme [B], dans ses fonctions d’interface avec le cabinet chargé de la gestion des ressources humaines, en cas d’absence pour maladie d’un salarié, M.[S] et en cas de recrutement d’un nouveau salarié M.[X] à compter du 15 juillet 2016, de sorte que la déclaration d’embauche n’a pas été effectuée dans les délais impartis. M.[E] a admis qu’il y avait eu ‘un bug’ dans la communication après que Mme [B] l’ait alerté des dysfonctionnements du service.
– un échange de courriels avec M.[E] le 8 juillet 2016 concernant l’absence momentanée de Mme [B] d’environ 10 minutes environ lors d’une réunion par skipe la veille (pièce 117) révélant que la salariée s’est vue reprocher par le dirigeant son absence.
– un courrier recommandé de la salariée en date du 20 juillet 2016 (pièce 9) dénonçant les agissements répétés de la part de son employeur : ‘ Vous cherchez manifestement à me mettre en faute, vous me coupez de certaines de mes missions, vous voulez prendre la main sur mon ordinateur et pas seulement pour sauvegarder des données et j’ai eu dernièrement des problèmes d’accès à mon propre poste de travail, vous m’avez adressé des mails pendant mes périodes d’arrêts de travail pour me demander une fiche de poste qu’il vous incombe d’établir, je ne perçois plus de bonus pour lequel vous n’avez jamais communiqué d’objectifs connus de moi…vos procédés ont des conséquences néfastes sur ma santé sachant que vous connaissez ma situation de travailleur handicapé qui vous a permis de percevoir une prime de l’AGFIPH. Je vous demande de mettre fin aux procédés actuels, de me classer comme je le dois avec les rappels de salaires sur classification afférents, de me régler les heures supplémentaires qui me sont dues ainsi que le bonus.’
Le grief est matériellement établi par la salariée.
– sur la prise à distance de son PC sans nécessité technique ni explication au retour d’un arrêt de travail
Mme [B] se plaint de ce qu’elle a subi le 21 juin 2016 l’installation d’un logiciel Fusion Inventory, s’analysant comme un mouchard, puis, durant son arrêt de travail, le 6 juillet 2016 d’un logiciel Team Viewer aux fins de prise en main à distance de son portable au prétexte de permettre une sauvegarde.
L’appelante se fonde notamment sur :
– le témoignage de M. [P] ‘ fin mai début juin 2016, l’administrateur réseau a demandé à Mme [B] de lancer un programme pour, disait-il, nettoyer son ordinateur. Comme il l’avait également installé sur le mien, j’ai pu regarder le code source qui était en fait un mouchard rapportant à son commanditaire tout ce qui était installé sur la machine et toutes ses installations’.(..) Sur ordre de M.[E], aucun système de sauvegarde n’avait été mis en place, en particulier sur l’ordinateur de Mme [B]. La consigne était uniquement de travailler sur l’espace partagé de Google le plus possible.’
– le mail de la salariée du 4 juillet 2016 transmis à M.[E] (pièce 116 en format A4 découpée en deux sans le message précédent) ‘Je rentre d’une semaine d’arrêt maladie et je constate à mon arrivée ce matin que mon PC a été utilisé. En effet, par sécurité, mon PC est débranché tous les soirs et ce matin, je n’ai pas eu à le rebrancher. Je ne suis pas sans ignorer qu’un certain nombre de salariés peuvent avoir accès au contenu des PC (l’administrateur réseau, le chef de projets et le responsable technique ainsi que vous-même. Merci de bien vouloir m’indiquer les noms des personnes qui se sont connectées sur mon compte’.
– l’échange de mails du 6 juillet 2016 entre l’administrateur M.[M], Mme [B] et M.[E] aux termes duquel l’administrateur réseau de la société Alyacom a demandé à Mme [B] de télécharger elle-même le logiciel Team Viewer avant de solliciter son autorisation pour prendre la main à distance de son poste afin de mettre en place la sauvegarde de son PC.
– divers documents se rapportant à des failles de sécurité dans les ordinateurs, au travers d’un article de presse net sur ‘la faille dans Team Viewer permettant de prendre le contrôle de l’ordinateur’.
C’est à juste titre et pour des motifs pertinents que la cour adopte que le conseil a écarté ce grief, puisqu’il ressort clairement des pièces produites que M.[M], ingénieur Responsable des réseaux et des serveurs de la société Alyacom, nouvellement recruté en 2016 et basé à [Localité 9], était chargé de mettre en place un système de sauvegarde automatisée des données informatiques de l’entreprise ; que dans ce cadre et compte tenu de la confidentialité de certains fichiers, il a été amené à solliciter l’accord de la salariée pour la mise en place de la sauvegarde de ces fichiers par la prise en main sur son poste (pièce 20). La société Alyacom a par ailleurs démenti toute introduction frauduleuse sur l’ordinateur de travail de Mme [B] durant son arrêt maladie, en rappelant qu’elle ne disposait pas du mot de passe de la salariée (pièce n°31 dans le constat d’huissier pièce 25). Les craintes de la salariée de l’installation d’un logiciel mouchard sur son PC par l’employeur ne sont pas sérieusement étayées.
Ce grief n’est pas établi.
– sur l’obligation de restituer des clés durant son arrêt maladie
C’est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont écarté le grief de la salariée reprochant à son employeur de lui avoir fait obligation de restituer des clés d’une armoire sécurisée alors qu’elle était en arrêt de travail. Les nouvelles pièces produites par la salariée
(échange de sms CA 7) confirment la nécessité pour le dirigeant, M.[E] , de récupérer les clés litigieuses correspondant à l’armoire sécurisée de son bureau contenant les dossiers clients, alors que l’entreprise était en cours de déménagement des locaux à [Localité 5] le 25 juillet 2016 et que l’employeur avait sollicité ‘en urgence’ la remise des clés depuis le 21 juillet auprès de Mme [B]. Les messages échangés ne permettent pas d’établir la contrainte exercée par l’employeur et l’obligation qui en est résultée pour la salariée d’effectuer le déplacement le 25 juillet pour déposer les clés.
Ce grief n’est pas caractérisé.
– sur la dégradation de son état de santé
Mme [B] produit en ce qui concerne la dégradation de son état de santé en lien avec la situation vécue au travail :
– les arrêts de travail pour maladie délivrés par son médecin traitant, Docteur [W], du 6 au 10 juin 2016, puis du 27 juin au 1er juillet 2016 et du 18 juillet au 30 octobre 2016,
– le certificat de son médecin traitant daté du 17 octobre 2016 attestant que Mme [B] présente un syndrome anxio dépressif nécessitant une prise de traitement régulière depuis le 18 juillet 2016 (pièce 56),
– une copie de son dossier médical transmis par la médecine du travail, faisant apparaître lors de la visite du 23 juin 2016 ‘des difficultés au travail liées à une charge de travail avec une hausse de la facturation entre 2014 et 2016 et à une dégradation des relations de travail’, et lors de la seconde visite du 29 juillet 2016, ‘des difficultés au travail, une suspicion de vol d’un siège adapté financé par AGEFIPH et son ancien employeur, un traitement par Xanax, des symptômes avec destabilisation, perte de confiance, Pleurs ++’.
– le courrier du docteur [K] médecin du travail du 28 octobre 2016 attestant avoir reçu en visite de pré-reprise Mme [B] les 23 juin et 29 juillet 2016 afin d’évoquer ses difficultés au travail et leur retentissement sur son état de santé,
– un second courrier du médecin du travail daté du 22 décembre 2016 (pièce 35) précisant avoir ‘alerté à deux reprises par téléphone l’employeur sur les difficultés de la salariée au travail et la nécessité de rechercher des solutions pour travailler dans de bonnes conditions mais la solution a été toute autre.’
Les éléments médicaux affirment clairement l’existence d’une souffrance au travail vécue par la salariée et antérieurement à la procédure disciplinaire initiée par l’employeur au travers d’un avertissement injustifié notifié le 28 juillet 2016 et suivi par l’entretien préalable à licenciement disciplinaire dès le 29 août 2016. Ce grief est donc caractérisé.
Il s’ensuit que, contrairement à ce qui a été jugé par le conseil, Mme [B] présente un certain nombre d’éléments de fait suffisamment précis et concordants, dont la matérialité a été reconnue, qui pris dans leur ensemble laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral commis à son encontre.
L’employeur ne produit quant à lui aucune pièce de nature à contredire utilement les pièces et les témoignages de plusieurs anciens salariés, attestant de la ‘disgrâce’ de Mme [B] et des propos désobligeants du dirigeant visant à la discréditer ouvertement en son absence devant des collègues. Même si les témoignages émanent de salariés étant eux-mêmes en conflit avec leur ancien employeur, la matérialité des faits qu’ils rapportent est en concordance avec le ton vexatoire employé par le dirigeant dans les messages adressés à Mme [B]. Le fait que le médecin du travail ne l’ait pas alerté par écrit ne suffit pas à l’employeur de remettre en cause la crédibilité de l’attestation par le docteur [K], lequel a pris contact téléphonique avec M.[E] à deux reprises pour évoquer les difficultés au travail de la salariée en arrêt de travail. En tout état de cause, les éléments produits par l’employeur, et notamment les témoignages de M.[D] et de M.[J] selon lesquels Mme [B] faisait régner une mauvaise ambiance en faisant courir la rumeur de la prochaine fermeture du site de [Localité 5], ne sont pas de nature à considérer que les faits établis par Mme [B] n’ont pas eu lieu.
Enfin, à supposer même que la salariée ait pu commettre des erreurs ou exécuter des tâches avec retard, ils ne sauraient justifier les agissements répétés ainsi établis commis à son encontre ayant créé un environnement hostile et entraîné une dégradation de ses conditions de travail préjudiciables à sa dignité et à sa santé.
Le mandataire liquidateur de la société Alyacom échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Contrairement à ce qu’a retenu le conseil, le harcèlement moral est établi et le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
Mme [B] ayant subi des agissements de harcèlement moral imputables à son employeur, le licenciement de la salarié intervenu ultérieurement doit être déclaré nul.
Il n’y a donc pas lieu à se prononcer sur le bien fondé des griefs formulés à l’appui du licenciement pour faute grave.
Sur les conséquences financières du licenciement nul
Dans la mesure où le licenciement nul trouve son origine dans un manquement imputable à l’employeur, la salariée a droit à :
– une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire majorés en raison de son statut de travailleur handicapé, pour la somme non contestée de 6 724.92 euros outre les congés payés y afférents de 672.49 euros.
– l’indemnité conventionnelle de licenciement d’un montant net de 2 876.80 euros.
Mme [B], ayant subi une mise à pied à titre conservatoire entre le 22 août 2016 et le 30 septembre 2016, est fondée à obtenir le paiement par l’employeur du rappel de salaire correspondant, pour la somme de 2 525.08 euros outre les congés payés y afférents de 252.51 euros, dans la mesure où cette mesure a été prononcée à tort par la société Alyacom, peu importe que la salariée, en arrêt maladie, ait bénéficié durant cette période des indemnités journalières par la caisse de la sécurité sociale.
Il sera fait droit à sa demande en paiement, par voie d’infirmation du jugement.
Mme [B], dont le licenciement est nul, a droit en plus des indemnités de rupture à une indemnité réparant le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement et au mois égal à six mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l’effectif de l’entreprise.
Compte tenu de la situation particulière de la salariée, notamment de son âge (56 ans), de son salaire (2 256,97 euros brut ), de son ancienneté (6 ans) au moment de la rupture, de ses difficultés dont elle justifie (à l’issue d’une période de chômage de deux années, elle fait valoir avoir trouvé des emplois en CDD renouvelés depuis fin octobre 2018) à retrouver un emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer à 13 600 euros le montant des dommages-intérêts propres à réparer ce préjudice.
Au regard des faits de harcèlement moral subis, de la période concernée et des conséquences sur son état de santé, la salariée est fondée à obtenir une indemnisation de son préjudice qu’il convient d’évaluer à 3 000 euros en lien avec les faits imputables à l’employeur.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de mise en place des procédures destinées à prévenir le harcèlement moral
Mme [B] sollicite des dommages-intérêts de 5 000 euros en réparation de son préjudice résultant du manquement de l’employeur à mettre en oeuvre des actions de prévention du harcèlement moral, avant et après sa dénonciation du 20 juillet 2016. Elle ajoute que la société Alyacom ne démontre aucune mesure de prévention des risques psychosociaux en dépit de la multiplication des risques psychosociaux durant la période allant de 2015 à 2016 avec plusieurs départs contraints sur un effectif de 14 salariés.
En l’espèce, il ne résulte pas des pièces produites que la société Alyacom ait mis en place au sein de son entreprise des actions de prévention des faits de harcèlement moral et plus généralement des risques psychosociaux. A l’inverse, force est de constater que l’employeur dûment alerté par Mme [B] dans son courrier du 20 juillet 2016 des faits de harcèlement moral dont elle s’estimait victime, n’a pris aucune mesure concrète pour y mettre fin et n’a pas répondu favorablement aux sollicitations directes du médecin du travail au cours du mois de juillet 2016 sur la recherche de solutions au profit de Mme [B] pour travailler dans de bonnes conditions (courriers du docteur [K] du 28 octobre et du 22 décembre 2016 pièces 34 et 35). A l’inverse, il a décidé de sanctionner la salariée dès le 28 juillet 2016 par un avertissement pour des faits dont la cour a jugé qu’ils ne lui étaient pas imputables, et a initié un mois plus tard une procédure de licenciement disciplinaire.
La défaillance de l’employeur dans la mise en place des procédures destinées à prévenir les faits de harcèlement moral justifie l’octroi d’une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts au profit de Mme [B].
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire
Mme [B] présente une demande de dommages-intérêts de 10 000 euros pour licenciement brutal et vexatoire. La mesure de licenciement ayant été annulée, la salariée ne démontre pas avoir subi un préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre des conséquences dommageables de son licenciement nul.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier
La salariée a formé appel des dispositions du jugement l’ayant déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier.
Elle n’a pas maintenu sa demande de dommages-intérêts dans ses dernières conclusions. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes et les dépens
Le présent arrêt doit être déclaré opposable à l’AGS représentée par le CGEA de [Localité 10] dont la garantie n’est acquise à la salariée que dans les limites et plafonds légaux et réglementaires.
Les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du Conseil de prud’hommes du 19 avril 2017 pour les sommes à caractère de salaire et jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit à compter du 27 juin 2018.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [B] les frais non compris dans les dépens en première instance et en appel. Le mandataire liquidateur de la société Alyacom sera condamné à lui payer la somme globale de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et de première instance, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l’article 700 du code de procédure civile
Le mandataire liquidateur de la société Alyacom qui sera débouté de sa demande d’indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– Confirme le jugement entrepris seulement en ce qu’il a :
– Prononcé l’annulation de l’avertissement délivré le 28 juillet 2016 ;
– Fixé la créance de Mme [B] au passif de la procédure collective de la SAS Alyacom aux sommes de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de l’avertissement et de 1 045 euros au titre du bonus/prime 2016 outre une somme de 104,506 au titre des congés payés y afférents ;
– Rejeté la demande de Mme [B] au titre des tickets restaurant ,
– Rejeté la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
– Rejeté la demande de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier.
– Infirme les autres dispositions du jugement.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
– Prononce la nullité du licenciement de Mme [B] pour harcèlement moral,
– Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Alyacom les créances de Mme [B] aux sommes suivantes :
– 6 724.92 euros brut outre les congés payés y afférents de 672.49 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.
– 2 876.80 euros net au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
– 2 525.08 euros brut outre les congés payés y afférents de 252.51 euros au titre du rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire.
– 13 600 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
– 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de procédures destinées à prévenir le harcèlement moral.
– Condamne la Selarl TCA es qualité de mandataire liquidateur de la société Alyacom a payer à Mme [B] la somme globale de 2 000 euros en cause de première instance et d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– Rappelle que les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter du 19 avril 2017 pour les sommes à caractère de salaire et ce jusqu’au jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit à compter du 27 juin 2018.
– Déclare le présent arrêt opposable à l’AGS représentée par le CGEA de [Localité 10] et rappelle que les créances ne seront garanties par l’AGS que dans les limites prévues par l’article L 3253-8 du code du travail et les plafonds prévus par les articles L 3253-17 et D 3253-5 du même code.
– Condamne la Selarl TCA es qualité de mandataire liquidateur de la société Alyacom aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président