Convention collective Syntec : 25 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00160

·

·

Convention collective Syntec : 25 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00160

25 mai 2023
Cour d’appel d’Angers
RG
21/00160

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00160 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EZET.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 11 Février 2021, enregistrée sous le n° 19/00525

ARRÊT DU 25 Mai 2023

APPELANTE :

Madame [L] [S]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Mathias JARRY de la SELARL MATHIAS JARRY, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 160063

INTIMEE :

Société CONCENTRIX CVG DELAWARE INTERNATIONAL INC venant aux droits de la société Stream International Inc

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Gilles PEDRON de la SELARL AD LITEM AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 190454

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Mars 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 25 Mai 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société Concentrix CVG Delaware International Inc (ci-après dénommée la société Concentrix), est une société de droit étranger dont le siège social est situé aux États-Unis et dont l’établissement principal en France est immatriculé au RCS d’Angers, entreprise du secteur tertiaire spécialisée dans le support technique par plate-forme téléphonique. La société Concentrix vient aux droits de la société Stream International Inc (ci-après dénommée la société Stream). Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil dite Syntec.

Mme [L] [S] a été engagée par la société Stream par contrat de travail à durée déterminée du 5 avril 2005 au 30 septembre 2005 dans le cadre d’un accroissement temporaire d’activité, en qualité de conseillère commerciale, position 1.2, coefficient 210 de la convention collective précitée. Ce contrat de travail a été renouvelé par différents avenants jusqu’au 10 janvier 2008, date à laquelle la relation de travail s’est poursuivie à durée indéterminée, Mme [S] exerçant les fonctions de technicienne support, position 1.4.1, coefficient 240.

Par décision du 6 août 2012, Mme [S] s’est vue reconnaître la qualité de travailleur handicapé en raison d’une pathologie des membres supérieurs.

Par avis des 16 août et 18 septembre 2012, le médecin du travail a recommandé une reprise du travail dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique avec aménagement de poste.

De novembre 2013 à février 2014, Mme [S] a entretenu une relation intime avec son supérieur hiérarchique, M. [U].

Le 7 mars 2015, Mme [S] a été placée en arrêt de travail, lequel a été renouvelé jusqu’à la rupture du contrat de travail.

Par courriel du 17 mars 2015, Mme [S] a informé M. [X] [I], salarié du service administration du personnel, que son arrêt maladie faisait suite à une agression verbale de M. [U] survenue le 5 mars 2015. Elle y dénonçait les humiliations quotidiennes, les piques répétées et les phrases déplacées de son supérieur hiérarchique, et demandait à en être éloignée.

Le même jour, Mme [K], infirmière de santé au travail, a été informée de la situation. Elle s’est entretenue avec Mme [S] le 18 mars 2015, puis elle a sollicité un rendez-vous avec M. [R] [N] (OM ATH), Mme [V] [B] (RRH) et M. [H] [E] afin d’évoquer la situation de la salariée.

Le 23 mars 2015, Mme [S] s’est vue proposer un changement d’équipe et une mise à distance de deux étages de M. [U].

Aux termes d’une visite réalisée à la demande de la salariée le 1er avril 2015, le médecin du travail a indiqué ‘pas d’avis ce jour, salariée en arrêt maladie – à la reprise du travail la changer d’équipe’.

Par lettre recommandée avec avis réception du 9 avril 2015, Mme [S] a dénoncé auprès de la direction de la société Stream le harcèlement de son supérieur hiérarchique depuis février 2014. Elle l’a également informée de la prolongation de son arrêt maladie.

Par courrier du 21 avril 2015, la société Stream a proposé un entretien à Mme [S] afin de mettre en place les actions qui s’imposent, lequel a eu lieu le 27 avril 2015.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 4 mai 2015, la société Stream a convoqué M. [U] à un entretien disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave fixé le 20 mai suivant. Puis, par courrier du 18 juin 2015, la société Stream lui a notifié un avertissement pour non-respect du règlement intérieur indiquant qu’aucune récidive ne saurait être tolérée.

Par courrier du 26 juin 2015, la société Stream a proposé à Mme [S] d’engager une action de médiation avec M. [U]. La salariée a refusé.

Le 30 octobre 2015, Mme [S] a fait une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d’assurance maladie du Maine-et-Loire (ci-après la caisse) pour ‘dépression réactionnelle suite à harcèlement moral et sexuel’ mentionnant la date du 7 mars 2015 comme étant celle de l’arrêt de travail. Par décision du 11 mai 2016, la caisse a refusé la prise en charge de cette maladie au titre de la législation des risques professionnels. Puis, par courrier du 22 juin 2016, la caisse a informé Mme [S] de la prise en charge à 100% d’une affection de longue durée.

Aux termes de la visite de reprise réalisée le 1er mars 2017, le médecin du travail a souhaité revoir Mme [S] le 7 mars 2017 précisant que ‘pendant cette période elle ne peut pas reprendre le travail (la pose de jours de congés serait adaptée), ni à son poste ni à un autre poste dans l’entreprise’.

Suite à la seconde visite de reprise du 7 mars 2017, le médecin du travail a déclaré la salariée ‘inapte définitif à son poste de travail et à tout poste dans l’entreprise – l’état de santé de Mme [S] fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette entreprise’.

Par courrier du 10 mars 2017, la société Stream a convoqué Mme [S] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 17 mars suivant.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 22 mars 2017, la société Stream a notifié à Mme [S] son licenciement pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement.

Invoquant la nullité de son licenciement, Mme [S] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers par requête reçue au greffe le 21 août 2019 pour obtenir la condamnation de la société Stream à lui verser, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, des dommages et intérêts pour licenciement nul du fait du harcèlement moral et sexuel subi, une indemnité compensatrice de préavis, des dommages et intérêts au titre du préjudice spécifique lié au harcèlement moral et sexuel, et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Concentrix venant aux droits de la société Stream s’est opposée aux prétentions de Mme [S] et a sollicité sa condamnation au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 11 février 2021, le conseil de prud’hommes d’Angers a:

– dit que le licenciement pour inaptitude définitive de Mme [S] prononcé le 22 mars 2017 est justifié ;

– dit que Mme [S] n’a pas subi de harcèlement ;

– débouté en conséquence Mme [S] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté la société Concentrix CVG Delaware International Inc venant aux droits de la société Stream International Inc de sa demande de paiement au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Mme [S] aux entiers dépens.

Mme [S] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 2 mars 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu’elle énonce dans sa déclaration.

La société Concentrix, venant aux droits de la société Stream, a constitué avocat en qualité d’intimée le 5 mars 2021.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 7 mars 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [S], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 25 mai 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour d’infirmer le jugement du 11 février 2021 et de :

– constater qu’elle a été victime de harcèlement moral et sexuel de la part de son supérieur hiérarchique ;

– dire et juger que son licenciement est nul en raison de l’existence de faits de harcèlement moral et sexuel ;

– en conséquence, condamner la société ‘Stream International Inc’, à lui payer :

* 28 800 euros correspondant à 24 mois de salaires, à titre d’indemnisation du licenciement nul ;

*2 400 euros au titre de son indemnité compensatrice de ‘congés payés’ (erreur matérielle : au vu des développements il faut lire ‘préavis’) ;

* 50 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice spécifique lié au harcèlement ;

– dire que les sommes dues produiront intérêt au taux légal, en application des dispositions de l’article 1153 du code civil et prononcer la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil ;

– condamner la société ‘Stream International Inc’, à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société ‘Stream International Inc’, aux entiers dépens outre les éventuels frais d’exécution.

Mme [S] fait valoir que son inaptitude constatée par le médecin du travail le 7 mars 2017 a pour origine les faits de harcèlement sexuel et moral dont elle a été victime de la part de son supérieur hiérarchique, M. [U], suite à leur rupture en février 2014. Elle assure qu’il exerçait des pressions à son égard, qu’il critiquait à tort la qualité de ses prestations professionnelles, et qu’elle devait subir ses chansons obscènes et ses propos humiliants à connotation sexuelle. Elle décrit enfin une agression verbale de M. [U] survenue le 5 mars 2015 et affirme que ces faits sont à l’origine de son arrêt de travail pour syndrome anxio dépressif réactionnel.

Elle ajoute avoir dénoncé ces faits au service administration du personnel, à l’infirmière santé au travail, au service ressources humaines et à la direction de la société Stream, laquelle a sanctionné M. [U], reconnaissant les difficultés existant entre les deux salariés.

Elle considère dès lors être bien fondée à solliciter la nullité de son licenciement et l’indemnisation de ses préjudices.

*

La société Concentrix, venant aux droits de la société Stream International Inc, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 20 juillet 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à voir condamner Mme [S] à lui verser la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

– condamner Mme [S] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés tant en première instance qu’en cause d’appel ;

– condamner Mme [S] aux entiers dépens.

À titre liminaire, la société Concentrix indique que les faits de harcèlement sexuel et moral dénoncés par Mme [S] ont cessé dès le 6 mars 2015 dans la mesure où elle n’a pas repris son poste suite à son arrêt de travail. Elle relève ensuite la défaillance probatoire de la salariée considérant qu’elle n’établit pas la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel ou moral, soulignant par ailleurs que M. [U] a nié la totalité des faits invoqués par la salariée. L’employeur fait également observer que plusieurs professionnels de santé et experts en pathologies professionnelles ont exclu l’existence d’un lien entre la maladie de Mme [S] et son activité professionnelle, et que la visite de reprise à l’origine de l’avis d’inaptitude du 7 mars 2017 a été réalisée dans le cadre d’une maladie non-professionnelle.

À titre subsidiaire, la société Concentrix estime que Mme [S] ne rapporte pas la preuve que le harcèlement prétendument subi soit la cause exclusive de son inaptitude. À cet égard, elle fait observer que l’altération de l’état de santé de Mme [S] est très antérieure aux faits imputés à M. [U] soulignant la reconnaissance de son statut de travailleur handicapé dès 2012.

Enfin, la société Concentrix soutient que des mesures de prévention des risques psychosociaux ont été mises en place au sein de la société et qu’elle a immédiatement averti M. [U] pour son comportement inapproprié à l’encontre de Mme [S].

MOTIVATION

Sur le licenciement

Mme [S] prétend que son inaptitude constatée par le médecin du travail le 7 mars 2017 a pour origine les faits de harcèlement sexuel et moral dont elle a été victime de la part de M. [U], son supérieur hiérarchique.

La société Concentrix conteste tout harcèlement sexuel ou moral. Elle affirme que l’intéressée ne justifie pas d’éléments permettant de présumer l’existence de tels harcèlements.

1.Sur le harcèlement sexuel

Mme [S] soutient avoir été victime de harcèlement sexuel de son supérieur hiérarchique, M. [U], lequel aurait tenu à son égard des propos déplacés à connotation sexuelle, et proféré des chansons obscènes suite à leur rupture intervenue en février 2014.

En application de l’article L.1153-1 du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir des faits :

1º Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante;

2º Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.’

Dès lors que les faits invoqués en l’espèce et susceptibles de constituer un harcèlement sexuel sont antérieurs au 10 août 2016, il sera rappelé qu’en application de l’article L.1154-1 du code du travail dans sa version applicable, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

À l’appui de ses affirmations, Mme [S] communique :

– un mail de M. [U] du 9 novembre 2013 dans lequel il lui propose un rendez-vous : ‘[L]. Je me lance. Serais-tu d’accord pour accepter un rdv avec moi ‘ Si ta réponse est oui, tu as mon adresse mail perso et le téléphone portable. Bonne soirée et bon courage’ ;

– la copie de deux post-it laissés sur son bureau, le premier indiquant ‘[L], je te remercie BEAUCOUP, je ….’ et le second ‘j’ai envie de te mettre une fessée avec mon sexe violacé par la colère’ (pièce 6 de la salariée). Elle les attribue à M. [U], soulignant son écriture particulière en raison d’un AVC dont il a été victime. Il apparaît en effet, au vu de leur graphisme très spécifique, que ces deux post-it ont été écrits par la même main et que l’identité de l’auteur est nécessairement celle de M. [U] au vu des déclarations de la salariée sur la particularité de son écriture, du message du 9 novembre 2013, et de l’avertissement qui lui a été infligé par l’employeur du fait de son comportement, étant précisé que ce dernier ne soutient pas qu’il émanerait d’un tiers ;

– un échange de courriels intervenu les 17 et 18 mars 2015 avec M. [I], service administration du personnel, et Mme [K], infirmière santé au travail, dans lequels elle fait état du comportement inadapté de M. [U] à son encontre. Elle y décrit d’abord les faits survenus le 5 mars 2015 : ‘la scène passe en boucle, je le revois se levant, nous invectivant d’un large et brutal geste le retour sur le plateau, alors que nous partions en pause ensemble depuis des mois, [D] obtempérant, je l’entends par la suite crier mon prénom pour me rattraper verbalement dans le couloir de passage, puis cette phrase lapidaire : c’est pas moi qui te suis comme un chien qui suit un sucre ! Balancée comme une double gifle puisqu’il (lui) a répété (…)’. Elle indique alors que cette altercation verbale l’a ‘mise KO’ entraînant son arrêt maladie pour syndrome anxio dépressif réactionnel dans la mesure où il lui a été ‘impossible de reprendre’ son poste compte tenu, entre autre, de son positionnement voisin de M. [U]. Elle y fait également mention d’une chanson journalière de M. [U], chantée ‘tout bas’ pour ne pas être perceptible par les autres salariés présents sur le plateau ‘choupinette, choupinette, tripotes-moi ma p’tite zoukette !’. Les termes employés dans cette chanson ne laissent aucun doute quant à sa nature sexuelle. Dans ces courriels, elle ajoute qu’il ‘est maintenant nécessaire pour (sa) santé qu’actions il y (ait) afin qu’ (elle) retrouve de bonnes conditions de travail’ ;

– un courrier envoyé à la direction de la société Stream le 13 avril 2015 dans lequel elle indique être victime de harcèlement de M. [U] depuis février 2014. Elle précise ainsi qu »étant positionnée à sa gauche, tous les jours j’ai droit à des chansons obscènes, des propos tendancieux, des sous-entendus sexuels, des réflexions déplacées par exemple au sujet de ma voix qu’il qualifie de masculine, me disant que je devrais penser à prendre un traitement (en référence à une personne ‘proche’ qui est en transition sexuelle sur le même plateau) ou me faire opérer pour avoir une voix plus agréable’. Dans ce courrier il est également mentionné que le responsable plateau ‘aurait remarqué l’insistance et la fréquence rapprochée des faces à faces, et que le manager était plus focalisé sur elle que sur deux autres personnes’.

Ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel à l’encontre de la salariée.

En réplique, la société Concentrix se contente de contester les faits invoqués par la salariée en mettant en avant l’existence d’une relation intime antérieure et reconnue avec M. [U], et l’absence de témoignage permettant de confirmer la réalité des faits de harcèlement sexuel décrits alors qu’ils se trouvaient dans un open-space entourés de dizaines de collaborateurs. Elle ne communique aucun élément objectif justifiant ces agissements.

Au surplus, l’absence de témoins ne permet pas d’exclure les faits de harcèlement sexuel dès lors que les autres collaborateurs étaient tous équipés d’un casque afin d’être en relation téléphonique avec les clients, et que la salariée précise que ‘sa petite chanson journalière’ était ‘chantée tout bas’ de sorte qu’elle n’était perceptible que d’elle seule.

Les termes du second post-it ne traduisent à l’évidence ni la bienveillance ni l’existence d’un jeu sexuel entre deux amants, mais au contraire, révèlent une obscénité et une violence qui ont nécessairement provoqué une situation dégradante et offensante pour Mme [S].

En outre, le ton employé par la salariée, tant dans les courriels des 17 et 18 mars 2015 que dans la lettre adressée à la direction de la société le 13 avril 2015, confirme la situation intimidante dans laquelle elle se trouvait face au comportement dégradant et humiliant de M. [U]. En effet, elle indique à M. [I] avoir essayé de trouver la force d’écrire sans y parvenir, soulignant qu’elle a ‘peur de n’être crue, ni entendue, d’être jugée, de devoir (se) justifier, d’être confrontée à lui (M. [U])’ et que cela la ‘paralyse’. Elle ajoute essayer de ‘comprendre, sans y parvenir, ce qui depuis un an a fait qu’elle mérite ce traitement’. Dans sa réponse à l’infirmière, la salariée indiqueégalement ‘sortir du silence dans lequel je suis enfermée depuis un an ne me fût pas facile car j’ai peur et me culpabilise’. Enfin, Mme [S] conclut le courrier en indiquant ‘avoir le ventre noué, la gorge serrée tous les jours avant d’aller travailler

sachant par avance le traitement rabaissant réservé; savoir chacun de ses gestes, de ses mots épiés est avilissant’.

Il s’en suit que le harcèlement sexuel est caractérisé par les propos et comportements à connotation sexuelle répétés de M. [U] portant atteinte à la dignité de Mme [S] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant.

2. Sur le harcèlement moral

Mme [S] soutient avoir subi des faits de harcèlement moral caractérisés par des commentaires désagréables et désobligeants de M. [U] sur la qualité de ses prestations professionnelles ainsi que par de fréquentes brimades, pressions, menaces et humiliations.

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L.1154-1 précité dans sa rédaction applicable au litige, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, font présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail.

Les propos humiliants et attentatoires à la dignité de Mme [S] ont déjà été considérés comme établis.

Il résulte en outre de l’échange de courriels précités avec M. [I] des 17 et 18 mars 2015 qu’elle ‘n’arrive plus à accomplir de façon sereine’ son travail ‘à cause d’humiliations quotidiennes, de piques répétées comme ‘tu as oublié de dire quelque chose à la fin de ton appel (ce qui est faux)’, et du courrier du 13 avril 2015 précité que M. [U] exerçait des pressions verbales par des expressions du type ‘j’ai tous les droits ici!’ ou ‘personne ne peut rien contre moi c’est moi qui commande !’ indiquant qu’elle était alors intimidée par ces propos. Elle assure s’être ‘repliée sur (elle)-même sans en parler dans un premier temps’ et que ‘ces brimades, menaces, et humiliations quotidiennes (lui) ont donné de l’eczéma, de la tension, entre autres, pour finir en arrêt maladie depuis le 06/03/2015 jusqu’à ce jour’. Elle conclut ‘avoir le ventre noué, la gorge serrée tous les jours avant d’aller travailler sachant par avance le traitement rabaissant réservé; savoir chacun de ses gestes, de ses mots épiés et avilissant’.

Mme [S] communique également de nombreux éléments médicaux dont :

– un certificat médical pour ‘accident du travail maladie professionnelle’ daté du 6 novembre 2015 indiquant que la première constatation médicale a été réalisée le 7 mars 2015 et indiquant ‘pathologie anxio dépressive réactionnelle à une agression et harcèlement sur le lieu de travail’ ;

– un arrêt de travail de prolongation du 25 mars 2016 au 30 avril 2016 indiquant encore ‘pathologie anxio dépressive réactionnelle’ ;

– l’avis médical du 1er avril 2015 sur lequel le médecin du travail indique ‘pas d’avis ce jour, salariée en arrêt maladie – à la reprise du travail la changer d’équipe’ ;

– le rapport adressé à la caisse par la société Stream le 10 décembre 2015 dans lequel l’employeur répond à plusieurs questions dont :

* la date du début des souffrances de la salariée dans son activité professionnelle: ‘nous avons été informés le 18 mars 2015 par une personne à qui Mme [S] s’était confiée. Ceci a été confirmé par un courrier adressé à la direction par Mme [S] le 9 avril 2015’ ;

* quels sont les évènements ayant un lien avec l’état desouffrance déclarée : ‘suite à une relation puis une rupture sentimentale à l’extérieur de l’entreprise en février 2014’;

* quels étaient les relations avec les intervenants mis en cause : ‘quand la direction a eu connaissance de la situation de Mme [S], elle a reçu la salariée et a proposé un changement d’équipe et une mise à distance vis à vis de la personne avec qui elle avait eu une relation. Une rencontre a été programmée avec Mme [Y], DRH, Mme [S] était accompagnée d’un délégué syndical. Une enquête approfondie a été menée. Le salarié en question sanctionné. Par un courrier du 26 juin, la DRH a proposé à Mme [S] une rencontre avec le salarié concerné pour mettre les choses à plat. La rencontre s’est déroulée le 19 octobre en présence d’un délégué syndical accompagnant Mme [S]’;

* votre salariée a-t-elle subi des agressions verbales ou physiques, des propos injurieux : ‘la salariée s’est plainte de propos inappropriés de la part de M. [A] [U]’;

L’employeur conclut que ‘la situation sentimentale était entre deux adultes consentants’ et que la ‘situation de départ n’avait pas de lien avec l’activité professionnelle’ ;

– la notification du 22 juin 2016 de la caisse primaire d’assurance maladie de prise en charge à 100% pour affection de longue durée ;

– un courrier du praticien conseil de la caisse du 31 octobre 2016 dans lequel il demande au médecin du travail son avis sur la capacité de Mme [S] à reprendre son travail ou à défaut, les possibilités d’aménagement de poste dans la société ;

– la réponse du docteur [O], médecin du travail, du10 novembre 2016 dans lequel elle informe le praticien conseil de la caisse que l’état de Mme [S] ‘nécessite encore des soins ; il n’est pas stabilisé et n’a pas permis de formuler un avis sur la reprise ou non du travail dans l’entreprise Stream’. Elle ajoute que ‘compte tenu de la pathologie, (elle va) solliciter l’avis d’un psychiatre avant de prendre une décision sur une éventuelle reprise’ ;

– le courrier du docteur [O] du 10 novembre 2016 adressé à un confrère psychiatre dans lequel elle précise avoir encouragé la salariée ‘à commencer à étudier la question du retour au travail’, et sollicite son avis ‘sur une éventuelle reprise du travail qui pourrait se faire sur un autre plateau que celui où elle travaillait précédemment ou au contraire, sur l’intérêt d’une rupture par la voie de l’inaptitude, et ce rapidement, pour lui permettre de se projeter ou bien après un arrêt qui lui permettrait une convalescence avant de rechercher un nouveau travail’ ;

– la fiche de liaison entre la maison départementale de l’autonomie (MDA) et le médecin du travail signée le 1er mars 2017 par ce dernier et mentionnant :

– la conséquence du handicap : ‘difficultés rencontrées au poste de travail en raison d’un traumatisme vécu sur le lieu de travail. Mme [S] ne pourra pas reprendre son poste de travail’. ‘L’inaptitude est en cours en lien avec le traumatisme vécu’;

– la date de début des troubles : ‘mars 2015′ ;

– le diagnostic :’décompensation névrotique’ ;

– la description clinique actuelle : ‘ s’est surajouté des troubles graves de la personnalité pris en charge en ALD sécu après agression dans l’entreprise, suivi psychothérapeutique’ ;

– l’avis du 1er mars 2017 dans lequel le médecin du travail fait état de la nécessité de revoir Mme [S] le 7 mars 2017 précisant ‘pendant cette période elle ne peut pas reprendre le travail (la pose de jours de congés serait adaptée), ni à son poste ni à un autre poste dans l’entreprise’ ;

– l’avis d’inaptitude du 7 mars 2017 par lequel le médecin du travail déclare Mme [S] : ‘inapte définitif à son poste de travail et à tout poste dans l’entreprise – l’état de santé de Mme [S] fait obstacle à tout reclassement dans un emploi dans cette entreprise’.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les allégations de la salariée sont confortées par les constatations du médecin du travail qui relève l’existence d’un traumatisme survenu sur le lieu de travail et d’une décompensation névrotique, outre le fait qu’il préconise dans un premier temps de la changer d’équipe et partant, de l’éloigner de son supérieur hiérarchique, avant de conclure dans la fiche de liaison, à une inaptitude en cours en lien avec le traumatisme vécu.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, sont, là encore, de nature à faire présumer l’existence d’agissements de harcèlement moral à l’encontre de Mme [S].

La société Concentrix communique la décision de la caisse du 11 mai 2016 de refus de prise en charge de la maladie au titre de la législation relative aux risques professionnels. Cette décision n’est toutefois pas de nature à contredire les observations circonstanciées du médecin du travail. Elle ne produit par ailleurs aucun élément objectif étranger à tout harcèlement justifiant ses décisions.

Par conséquent, il sera retenu que Mme [S] a été victime de harcèlement moral caractérisés par des agissements répétés de son supérieur hiérarchique ayant eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail, laquelle a altéré sa santé.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a retenu que Mme [S] n’a pas subi de harcèlement.

3. Sur le lien de causalité entre le harcèlement et le licenciement pour inaptitude

En application des articles L.1152-2 et L.1153-2 du code du travail dans leur version applicable, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir agissements répétés de harcèlement moral ou des faits de harcèlement sexuel tels que définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1.

Aux termes de l’article L.1153-4 dans sa version applicable, toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L.1153-1 à L.1153-3 est nul, et aux termes de l’article L.1152-3 dans sa version applicable, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2 est nulle.

Mme [S] soutient que son inaptitude constatée par le médecin du travail le 7 mars 2017 résulte directement du harcèlement moral et sexuel de son supérieur hiérarchique, M. [U] depuis février 2014.

La société Concentrix fait valoir qu’en tout état de cause, l’inaptitude de Mme [S] n’a pas pour origine exclusive de tels faits dans la mesure où l’altération de son état de santé est antérieure aux faits qu’elle relate, que la caisse a rejeté le caractère professionnel de la maladie déclarée en mars 2015, et que le médecin du travail a retenu que la visite de reprise du 7 mars 2017 faisait suite à une maladie ou un accident non professionnel.

Les documents médicaux précités mettent en évidence le lien entre l’altercation du 5 mars 2015 survenue avec M. [U] à la suite d’une période d’un an de harcèlement et la dégradation de l’état de santé de Mme [S]. En effet, l’agression du 5 mars 2015 est évoquée à plusieurs reprises par le corps médical ayant eu à se prononcer sur l’état de santé de la salariée tout comme l’impossibilité pour elle de reprendre son poste dans les mêmes conditions, notamment en étant proche de son supérieur hiérarchique.

Il ressort en outre des éléments médicaux communiqués par l’employeur que le statut de travailleur handicapé a été attribué à Mme [S] en 2012 en raison de pathologies concernant les membres supérieurs. Or, l’inaptitude de la salariée a été

prononcée à la suite d’arrêts de travail pour syndrome anxio dépressif réactionnel et non pas pour une pathologie des membres supérieurs. Par conséquent, il n’existe aucun lien entre les pathologies ayant conduit à la reconnaissance du statut de travailleur handicapé et l’inaptitude de Mme [S] prononcée le 7 mars 2017.

La société Concentrix se prévaut ensuite du refus de la caisse primaire d’assurance maladie de prise en charge de la maladie de Mme [S] au titre de la législation sur les risques professionnels par décision du 11 mai 2016, pour exclure tout lien entre l’altération de l’état de santé de la salariée et ses conditions de travail. Cependant, et contrairement à ce que soutient l’employeur, cette décision de refus de prise en charge n’établit pas à elle seule, l’absence de lien entre l’inaptitude constatée médicalement de Mme [S] et ses conditions de travail. En outre, la caisse a, par décision du 22 juin 2016, informé la salariée de la prise en charge à 100% de sa maladie (non précisée) au titre d’une affection longue durée, et la fiche de liaison précitée du 1er mars 2017 précise que ‘les troubles graves de la personnalité’ ont été ‘pris en charge en ALD-sécu après agression de l’entreprise’.

Enfin, il est établi que l’inaptitude de Mme [S] est consécutive à son arrêt maladie initial du 6 mars 2015 pour syndrome anxio dépressif réactionnel. Il a été prolongé de manière ininterrompue jusqu’à la rupture du contrat de travail. Dans la fiche de liaison du 1er mars 2017, le médecin du travail a expressément indiqué que ‘l’inaptitude est en cours en lien avec le traumatisme vécu’ ayant débuté en mars 2015. Enfin, s’il a coché la case ‘maladie ou accident non professionnel’ dans son avis du 7 mars 2017, il pointe toutefois expressément le fait que l’inaptitude de Mme [S] s’applique à tout poste dans l’entreprise et s’oppose à tout reclassement dans cette entreprise, sans exclure son aptitude à occuper un poste dans une autre entreprise.

Compte tenu de ces éléments, il existe un lien établi entre le harcèlement sexuel et moral subi et l’inaptitude à tout poste dans l’entreprise qui a conduit au licenciement.

Par conséquent, il convient de prononcer la nullité du licenciement de Mme [S].

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières du licenciement nul

1. Sur l’indemnité pour licenciement nul

En application de l’article L.1235-3-1 du code du travail dans sa version issue de la loi nº2016-1088 du 8 août 2016, lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu en méconnaissance des articles L.1132-1, L.1153-2, L.1225-4 et L.1225-5 et que le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l’espèce, Mme [S] percevait une rémunération brute mensuelle moyenne d’un montant non contesté de 1 200 euros.

Mme [S] était âgée de 48 ans et avait 12 ans d’ancienneté au moment de son licenciement. Elle justifie avoir engagé une reconversion professionnelle et avoir obtenu le 26 septembre 2018 le titre de conseillère en insertion professionnelle. Au vu de ces éléments, son préjudice sera réparé par l’allocation d’une indemnité que la cour est en mesure de fixer à 15 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

2. Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Dès lors que le licenciement de Mme [S] a été déclaré nul, elle est bien fondée à solliciter une indemnité compensatrice de préavis correspondant à deux mois de salaire au vu de son ancienneté, soit la somme de 2 400 euros brut.

La société Concentrix sera condamnée à verser à Mme [S] 2 400 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, et le jugement infirmé de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice distinct du fait du harcèlement moral et sexuel

L’octroi de dommages et intérêts pour licenciement nul en lien avec des faits de harcèlement sexuel ou moral ne fait pas obstacle à une demande distincte de dommages et intérêts en réparation du préjudice spécifique subi du fait du harcèlement, telle que sollicitée par Mme [S].

La société Concentrix soutient n’avoir commis aucun manquement en ce qu’elle a immédiatement réagi suite aux révélations de Mme [S] aux fins de faire cesser les agissements dénoncés et sanctionner M. [U], et en ce qu’elle a, en amont, mis en place les mesures destinées à prévenir tout harcèlement. A cet égard, elle verse aux débats le règlement intérieur établi en août 2005, lequel rappelle expressément la définition du harcèlement sexuel et du harcèlement moral ainsi que leur prohibition, précisant particulièrement l’interdiction de porter atteinte à l’intégrité ou à la sensibilité ‘notamment par l’intermédiaire de messages, textes ou images provocants, injurieux, diffamatoires, discriminatoires, pornographiques ou d’incitation à la violence’, les documents relatifs aux procédures d’alerte et de recueil des signalements élaborés dès 2010 et diffusés chaque année, et le document unique d’évaluation et de prévention des risques professionnels mentionnant la diffusion de la procédure interne contre le harcèlement moral.

Les articles L.1152-4 et L.1153-5 du code du travail, et plus largement les articles L.4121-1 et L.4121-2 dans leur rédaction applicable, font obligation à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et les faits de harcèlement sexuel. Les pièces communiquées par l’employeur en justifient.

Pour autant, l’obligation de prévention résultant des articles précités est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et des faits de harcèlement sexuel instituée par les articles L.1152-1 et L.1153-1, et ne se confond pas avec elle.

Au cas présent, Mme [S] ne formule aucune demande au titre d’un manquement de l’employeur à son obligation de prévention, mais exclusivement au titre du harcèlement sexuel et moral dont il a été précédemment jugé qu’il était établi.

Il est acquis que l’employeur doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés. Partant, la responsabilité de la société Concentrix est engagée du fait du harcèlement subi par Mme [S].

Les circonstances très particulières de ce harcèlement telles que mises en exergue précédemment justifient la réparation du préjudice subi par Mme [S] du fait du harcèlement moral et sexuel par l’allocation d’une somme que la cour est en mesure de fixer à 5000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les intérêts

Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes, soit le 26 août 2019, et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne.

Il est justifié d’ordonner la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, conformément à l’article 1343-2 du code civil.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Selon l’article L.1235-4 du code du travail dans sa version applicable, dans les cas prévus aux articles qu’il énonce, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés, de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Les conditions d’application de cet article étant réunies, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société Concentrix à Pôle emploi des indemnités de chômage effectivement versées à Mme [S] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d’indemnités.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement doit être infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sauf en ce qu’il a débouté la société Concentrix de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est justifié de faire droit à la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée par Mme [S] et de condamner la société Concentrix au paiement de la somme de 2 500 euros sur ce fondement qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

La société Concentrix qui succombe pour partie à l’instance, doit être déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le 11 février 2021 sauf en ce qu’il a débouté la société Concentrix CVG Delaware International Inc, venant au droits de la société Stream International Inc de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :

DIT que Mme [L] [S] a été victime de harcèlement sexuel et moral ;

PRONONCE la nullité du licenciement de Mme [L] [S] ;

CONDAMNE la société Concentrix CVG Delaware International Inc venant au droits de la société Stream International Inc, à verser à Mme [L] [S] les sommes suivantes:

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

* 2 400 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et moral ;

RAPPELLE que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes, soit le 26 août 2019, et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, conformément à l’article 1343-2 du code civil ;

ORDONNE à la société Concentrix CVG Delaware International Inc venant au droits de la société Stream International Inc de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage effectivement versées à Mme [L] [S] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d’indemnités ;

CONDAMNE la société Concentrix CVG Delaware International Inc venant au droits de la société Stream International Inc à verser à Mme [L] [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

DÉBOUTE la société Concentrix CVG Delaware International Inc venant au droits de la société Stream International Inc de sa demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

CONDAMNE la société Concentrix CVG Delaware International Inc venant au droits de la société Stream International Inc, aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODIN C. TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x