Convention collective Syntec : 26 mai 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04965

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Convention collective Syntec : 26 mai 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/04965

26 mai 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG
21/04965

26/05/2023

ARRÊT N°2023/238

N° RG 21/04965 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OQVT

MD/CD

Décision déférée du 22 Novembre 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( F 20/00392)

A. DJEMMAL

Section Encadrement

[Z] [F]

C/

S.A. INETUM

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 26/5/23

à Me GILLET-ASTIER,

Me DUHAMEL

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT SIX MAI DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANT

Monsieur [Z] [F]

[Adresse 3]

[Localité 2] – FRANCE

Représenté par Me David GILLET-ASTIER, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIM »E

S.A. INETUM (anciennement GFI INFORMATIQUE)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Léa DUHAMEL de la SELARL CLOIX & MENDES-GIL, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. DARIES, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUM », présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par M. DARIES, Conseillère, pour S. BLUM », présidente empêchée, et par C. DELVER, greffière de chambre

FAITS ET PROCÉDURE:

M. [Z] [F] a été embauché du 2 janvier au 30 juin 2017 par la société GFI IP, en qualité de service manager, statut cadre, position 2.2, coefficient 130, suivant contrat de travail à durée déterminée régi par la convention collective nationale des bureaux d’études techniques (SYNTEC).

Dès le mois de mars 2017, M. [F] a été affecté sur des projets du client CNES.

Le 1er juillet 2017, le salarié a été embauché par la SA GFI Informatique, devenue la SA Inetum, suivant la même classification et pour une durée indéterminée.

Le 2 janvier 2019, M. [F] a été placé en arrêt de travail pour maladie simple et n’a jamais repris ses fonctions.

À l’issue des visites médicales en date des 27 mai et 19 juin 2019, le salarié a été déclaré inapte à son poste, le médecin du travail ayant toutefois envisagé une possibilité de reclassement sur emploi sans contact avec les clients, en particulier le CNES.

Par courrier du 26 août 2019, la société Inetum a proposé au salarié trois postes de reclassement que celui-ci a refusés par courrier du 23 septembre 2019.

Après avoir été convoqué par courrier du 1er octobre 2019 à un entretien préalable au licenciement fixé au 15 octobre suivant, il a été licencié par courrier du 18 octobre 2019 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse, le 10 mars 2020, pour contester son licenciement et demander le versement de plusieurs sommes.

Le conseil de prud’hommes de Toulouse, section encadrement, par jugement du 22 novembre 2021, a :

– jugé que le licenciement de M. [Z] [F] était fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

– dit que l’employeur avait respecté ses obligations de reclassement et de sécurité ;

– rejeté les demandes des parties ;

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 20 décembre 2021, M. [Z] [F] a régulièrement interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

PRÉTENTIONS DES PARTIES:

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 1er mars 2023, M. [Z] [F] demande à la cour de réformer le jugement dans son intégralité et, statuant à nouveau :

– de condamner la société Inetum à lui verser les sommes suivantes :

* 14.591,16 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.459,11 € de congés payés y afférents,

* à titre principal, 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, à titre subsidiaire, 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail,

* 9.681,74 € à titre de rappel de salaires concernant le non-paiement d’heures supplémentaires, outre 968,17 € de congés payés correspondants,

* 29.182,32 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

* 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité,

* 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– d’ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 50 € par jour de retard, à compter de la décision à intervenir.

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 27 février 2023, la SA Inetum demande à la cour :

À titre principal,

– de confirmer le jugement entrepris ;

– de débouter par conséquent M. [Z] [F] de l’intégralité de ses demandes ;

– de condamner le salarié à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à infirmer le jugement et juger que le licenciement de M. [F] était nul ou sans cause réelle et sérieuse et qu’un rappel d’heures supplémentaires était justifié,

– de limiter le montant des dommages et intérêts au titre du licenciement à la somme de 14.403,59 € (3 mois de salaire) ;

– de limiter le montant des rappels de salaire à la somme de 6.724 € ;

– de débouter M. [F] de sa demande au titre du travail dissimulé ;

– de débouter le salarié du surplus de ses demandes.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 3 mars 2023.

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les heures supplémentaires :

En application de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences légales et réglementaires sur le temps de travail. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au cas d’espèce, l’article 4 du contrat de travail, intitulé « durée du travail », stipule que M. [F] devait travailler 37 heures hebdomadaires.

Il y est également prévu que « compte tenu de l’activité de l’entreprise, le collaborateur doit se conformer strictement à l’horaire de travail qui lui est précisé dans le cadre de sa prestation de services effectuée dans les locaux du client ou de l’entreprise. Le collaborateur doit remplir chaque mois son compte rendu d’activité (CRA 35), document déclaratif d’activité pour validation par la hiérarchie ».

M. [F] se prévaut d’une charge de travail excessive l’ayant conduit à réaliser de nombreuses heures supplémentaires.

Le salarié présente les éléments suivants :

– l’entretien d’évaluation annuel 2017, réalisé le 3 janvier 2018, aux termes duquel il reproche à l’employeur le manque de moyens humains sur les projets dont il avait la responsabilité, une équipe livrée à elle-même, une absence de management, des plans d’actions qui ne sont pas en phases avec les réalités du terrain et, plus précisément : « pas d’esprit d’équipe, ambiance délétère régnant sur ce contrat, organisation inefficace ». Par exemple, le salarié explique que l’absence de ressources humaines au sein de l’équipe réseau nuit au déroulement des projets qu’il dirigeait : « Le principal souci actuellement pour respecter l’avancée du projet est interne GFI où, le staffing, le sérieux et le professionnalisme ne permettent pas d’avancer sérieusement : (‘). La planification des opérations par l’équipe réseau n’est pas respectée, pas d’interlocuteur réseau durant les phases de design malgré de nombreuses demandes, pas de dispo. L’impact est là sur le déploiement des matrices de flux, la complexité réseau n’arrange rien ».

Dans la case relative au suivi individuel, que le salarié juge « peu satisfaisant », il y fait état de ses difficultés pour accomplir ses missions dans le contexte précité, malgré une « charge de travail importante » qu’il considère stimulante, tout en précisant vouloir réduire sa « charge » et son « implication » auprès du CNES. Au cours de l’entretien professionnel biennal 2017, réalisé le 25 janvier 2018, le salarié a également fait état d’un décalage entre l’intitulé de son poste de service manager et la réalité de ses missions correspondant à celles d’un directeur de projets ;

– l’appelant explique avoir alerté sa hiérarchie à plusieurs reprises au cours de l’année 2018 quant à sa charge de travail et au besoin de main d »uvre pour terminer les projets dans les délais imposés : « la charge pour implémenter les 3 chantiers va être conséquente (‘). L’on ne pourra pas respecter le planning si nous n’avons pas ces personnes dédiées. (‘). Je suis quelque peu agacé ce matin, on n’avance pas (‘). Depuis novembre je vous alerte et vous demande une personne du réseau dédiée (…). Je pense que vous ne mesurez pas l’impact sur la partie infra (‘). Je ne sais plus quoi faire pour faire avancer ce chantier (‘). La charge de l’équipe outillage ne cesse de croitre et c’est pas terminé. Je voulais attirer votre attention sur cela. Le projet Centreon n’est pas terminé et loin d’être terminé. Les grandes actions nécessitant d’avoir la disponibilité des ressources » (courriels échangés entre le 4 janvier et le 18 décembre 2018, pièce salarié n° 5).

Ces courriels sont corroborés par trois attestations de collaborateurs ayant travaillé avec M. [F], lesquels font état d’une surcharge de travail en raison des problèmes de management, des pressions psychologiques pour atteindre des résultats parfois irréalisables et du manque de ressources humaines signalé à plusieurs reprises par M. [F] sur les projets d’envergure du CNES. Il y est exposé que l’appelant pouvait régulièrement travailler jusqu’à 20 heures le soir, depuis 8 heures le matin, compte tenu des réunions se tenant fréquemment après 17 heures, et qu’il était très impliqué dans ses missions pour tenir les délais et éviter les pénalités financières en cas de retard de livraison, au prix de sa santé.

Par exemple, M. [W], ingénieur système ayant rejoint l’équipe de M. [F] à compter du second trimestre de l’année 2017, témoigne de l’implication de l’appelant afin de répondre aux objectifs fixés, coûte que coûte : « nous ne ménagions pas notre peine et réalisions beaucoup d’heures supplémentaires, terminant régulièrement bien après 19 heures. C’est d’ailleurs, à partir de 17 heures, jusqu’à plus de 19 heures, que nous nous réunissions pour avancer dans la réalisation technique de nos projets, partager les sujets et préparer les prochaines réunions (‘). [Z] n’a eu de cesse d’alerter notre management sur sa charge de travail, le manque d’effectifs et l’inopérabilité des équipes nantaises (‘) il palliait l’absence de son manager direct, et portait sa responsabilité, allant bien au-delà de ses prérogatives (‘). M. [F] se débrouillait seul, se battait seul pour respecter ses objectifs et délais ». Le témoin ajoute qu’à compter du mois de novembre 2018, le nouveau directeur opérationnel, M. [Y], n’a eu de cesse de confier à M. [U] une pression supplémentaire et des sujets encore plus techniques, jusqu’à son burn out ;

– un courrier adressé à son manager, M. [Y], en date du 18 décembre 2018, aux termes duquel il lui fait part de ses souffrances au travail et de son « désespoir » : « on te presse comme un citron, du vrai harcèlement de toute part. La conséquence se paie cash : soit tu divorces parce que ton couple ne tient plus la pression, soit tu pars en burn out, soit tu démissionnes (‘) Je me suis séparé cette année à cause de cela. Ma santé en a pris un grand coup (‘). Nous sommes tous épuisés, démotivés ». Il y rappelle les problèmes organisationnels signalés en vain à sa hiérarchie, les reports de calendrier devant être annoncés au client sans explications, le manque de reconnaissance de son supérieur (« tu n’es pas la bonne personne ») et la surcharge de travail qu’il lui confiait : « ce projet m’a été imposé, alors que déjà, j’en avais bien à faire avec les autres sujets ».

– un courrier du 26 mars 2019, adressé à la responsable des ressources humaines, dans lequel M. [F] rappelle ses nombreuses alertes demeurées sans réponse concernant le management et l’absence de ressources techniques depuis le deuxième trimestre de l’année 2017, ainsi que deux années « de surcharge, de pression, de stress, de réflexions désobligeantes » ayant eu un grave impact sur sa santé physique et morale dont il indique avoir parlé à son manager, M. [V], en mai 2018. Il explique avoir dû se substituer à l’absence d’équipes techniques pour avancer les projets, « générant un surcroit de travail avec des journées bien au-delà de 8 h de travail ». Il ajoute avoir souffert d’un manque de reconnaissance malgré son investissement pour pallier le désengagement de l’entreprise dans les projets confiés ;

– une synthèse de ses heures de travail réalisées sur l’année 2017 qui renseigne, pour chaque mois, le nombre total d’heures travaillées et le nombre d’heures supplémentaires alléguées. Ainsi, pour la période courant de juillet à décembre 2017, M. [F] sollicite le paiement de 58 heures supplémentaires ;

– un relevé de ses heures de travail au titre de l’année 2018, lequel comporte le nombre d’heures de travail journalières, ainsi qu’un récapitulatif des heures supplémentaires sur la semaine, du lundi au vendredi, et sur le mois. M. [F] réclame le paiement de 243,80 heures supplémentaires effectuées de janvier à décembre 2018.

La cour considère que M. [F] a produit des éléments factuels revêtant un minimum de précision et mettant la société Inetum en mesure d’y répondre par des éléments objectifs et précis, de nature à justifier les horaires de travail réellement accomplis.

D’abord, la société oppose que le salarié n’avait pas une charge de travail insurmontable et qu’elle réagissait à la moindre difficulté invoquée. En outre, elle expose que M. [F] ne l’a jamais alertée sur la dégradation de ses conditions de travail et son état de santé avant le courrier du 26 mars 2019, alors que celui-ci se trouvait déjà en arrêt maladie.

Ensuite, la société répond que le salarié n’a jamais déclaré d’heures supplémentaires alors qu’il devait renseigner son temps de travail mensuel en remplissant un compte rendu d’activité (CRA) ainsi que le prévoyait son contrat de travail et l’accord collectif sur la réduction du temps de travail conclu le 31 mai 2011.

La société ajoute que les comptes rendus comprennent une durée journalière de travail pré-remplie, soit 7h24 dans le cas de M. [F], dont le temps de travail contractuel a été fixé à 37 heures hebdomadaires, mais que cette durée pouvait être modifiée comme en témoignent les CRA remplis par d’autres salariés.

Sur ce,

En premier lieu, au cours de l’entretien annuel d’évaluation pour 2017 réalisé le 3 janvier 2018, le salarié a spontanément invoqué une charge de travail importante, une ambiance de travail délétère, une carence dans le management, une organisation inefficace et des ressources humaines insuffisantes pour mener à terme les projets placés sous sa responsabilité, dans les délais convenus, à moins d’exposer le client à des pénalités de retard. En effet, la cour constate que M. [F] était très impliqué dans ses fonctions afin de remplir les objectifs assignés, notamment achever trois projets du CNES (Centreon, Redhat Satellite et Bastion) au 31 décembre 2018.

A l’issue de l’entretien individuel, M. [V], le supérieur de M. [F], a même reconnu que « le suivi individuel et d’équipe évoqué par [Z] a été trop limité en 2017 » et que des points hebdomadaires individuels seraient mis en ‘uvre à l’avenir.

Pourtant, la société ne démontre pas avoir mis en place le suivi qui devait intervenir au cours de l’année 2018, d’autant plus que l’appelant a multiplié les alertes sur l’organisation du travail. L’employeur ne démontre pas non plus avoir doté les projets en ressources humaines réclamées par le salarié, ou pris toute autre mesure concrète visant à remédier aux problèmes organisationnels et de management qui rendaient particulièrement lourde et stressante l’exécution de sa prestation de travail, en raison des impératifs du calendrier. Les attestations produites par M. [F] font justement état de ce qu’il a dû assumer une charge de travail supplémentaire, pour pallier les carences de l’employeur ne l’ayant pas mis en mesure de mener à bien ses missions dans le temps de travail contractuel imparti (37 heures) et ce, afin de respecter les échéances.

M. [F] faisait donc face à une surcharge de travail constante depuis la fin de l’année 2017.

En second lieu, s’agissant des comptes-rendus d’activité, M. [F] expose qu’ils servaient à la seule déclaration de l’activité et que l’employeur ne lui a donné aucune indication sur la façon de déclarer les heures supplémentaires.

Il ressort des comptes rendus d’activité (CRA) fournis aux débats que:

. le salarié les utilisait exclusivement pour déclarer ses jours d’absence, les déplacements quotidiens chez le client et les frais y afférents,

. le temps de travail ne variait jamais d’un jour à l’autre au cours de l’année 2018, ce qui n’est pas cohérent au regard de la charge de travail importante du salarié, lequel pouvait travailler entre 17 heures et 20 heures, ainsi que cela ressort des attestations précises et convergentes des collaborateurs.

De plus, les CRA ne permettent pas au salarié de renseigner ses heures d’arrivée et de départ pour les jours de la semaine et ne comportent pas de case spécifique concernant le nombre d’heures supplémentaires réalisées quotidiennement ou sur le mois.

De surcroît, les comptes rendus ne sont pas signés de manière manuscrite ou numérique par le collaborateur, la secrétaire et le responsable hiérarchique, alors que des cases sont prévues à cet effet.

Ainsi, alors que le salarié était affecté au CNES, l’employeur ne disposait d’aucun moyen suffisamment fiable lui permettant de contrôler le temps de travail du salarié, alors qu’il avait connaissance de sa charge de travail importante et de son surinvestissement pour achever les projets entrepris, malgré les difficultés rencontrées auxquelles l’employeur n’a pas remédié.

Le règlement intérieur prévoit un droit à la déconnexion entre 20h30 et 7h30 et ne permet pas d’établir la réalité du temps de travail du salarié.

Au surplus, l’employeur ne conteste pas l’existence d’un badgeage au sein du CNES et n’en fournit pas les relevés.

Toutefois, la société soutient à juste titre que les synthèses et décomptes du salarié sont insuffisamment précis ou erronés :

– La synthèse du temps de travail pour la période de juillet à décembre 2017 pour 58 heures supplémentaires ne mentionne les heures de travail réalisées ni sur la semaine ni sur les jours et ne permet pas à l’employeur d’y répondre par des éléments objectifs. En outre, à défaut de précision en ce sens, ce décompte comporte des incohérences: par exemple, M. [F] soutient avoir travaillé 132,90 heures en décembre 2017, soit moins qu’un temps plein, tout en sollicitant le paiement de 14,50 heures supplémentaires sur ce mois.

– Le décompte établi au titre de l’année 2018 est erroné, car les heures supplémentaires sont décomptées journellement. Par exemple, le salarié sollicite le paiement de 5,50 heures supplémentaires sur la semaine du 19 mars 2018, alors qu’il soutient avoir travaillé 35,10 heures, du lundi au jeudi.

Après rectification des décomptes proposés par les parties, la cour ne retient que l’existence de 176,50 heures supplémentaires au titre de l’année 2018, de sorte que M. [F] est en droit de prétendre à la somme de 5.662,12 € à titre de rappel de salaires, outre 566,21 € de congés payés y afférents.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité :

En vertu des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Il en résulte que l’employeur est tenu de mettre en ‘uvre les mesures adéquates permettant d’éviter la réalisation des risques, notamment en assurant un suivi de la charge de travail, laquelle doit être compatible avec la durée du travail et ne pas porter atteinte à la santé du travailleur.

Dès le début de l’année 2018, la société a eu connaissance de l’importante charge de travail confiée au salarié depuis le dernier trimestre 2017 et de son investissement corrélatif, sans pour autant prendre de mesure afin de limiter cette charge ou d’en contrôler sa compatibilité avec le temps de travail hebdomadaire (37 heures). Ainsi, M. [F] a dû effectuer de nombreuses heures supplémentaires pour pallier les carences sus-évoquées de l’entreprise et achever les projets sous sa responsabilité, dans les délais fixés.

M. [F] a été placé en arrêt de travail à compter du 2 janvier 2019 et, au cours de la visite médicale du 21 janvier suivant, il a fait part au médecin du travail d’une énorme charge de travail, de reproches incessants, d’une insuffisance de moyens humains et d’une pression constante.

Le 19 mars 2019, le psychologue clinicien s’adressait au médecin du travail en décrivant la souffrance et l’épuisement professionnel du salarié que ce dernier tend à « renvoyer à sa propre inclination à tout donner dans les projets pour combler le manque de ressources ».

Dès le 13 mai 2019, le médecin du travail a considéré que le salarié ne pouvait pas reprendre de poste de travail en contact avec le CNES et l’a déclaré inapte le 19 juin 2019.

L’employeur a donc manqué à son obligation de sécurité en ne prévenant pas la situation de détresse professionnelle et personnelle subie par le salarié, telle qu’exposée dans son courriel du 18 décembre 2018 adressé à son supérieur hiérarchique.

Il importe donc peu que le responsable de M. [F] ait, à la suite de ce courriel, immédiatement proposé un entretien au salarié que celui-ci a préféré reporter à la rentrée compte tenu de son état de santé psychologique (pièce salarié n° 49).

Les conséquences du surinvestissement du salarié, connu de l’entreprise, ont porté atteinte à sa santé physique et morale ainsi que cela ressort des divers éléments médicaux fournis aux débats.

Le salarié sera donc indemnisé pour le préjudice physique et moral subi, que la cour évalue, en l’absence de plus amples éléments médicaux versés aux débats, à la somme de 2.000 €.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur le travail dissimulé :

L’article L. 8221-5 du code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

(‘) ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

Au cas d’espèce, la seule existence d’une charge de travail importante dont avait connaissance l’employeur ne permet pas de caractériser une intention frauduleuse de dissimuler un emploi salarié.

L’omission frauduleuse ne peut pas non plus se déduire de l’existence des heures supplémentaires impayées, lesquelles n’ont jamais été revendiquées par le salarié au cours de l’exécution de son contrat de travail.

Le salarié sera donc débouté de sa demande indemnitaire à défaut d’établir l’intention frauduleuse de la société Inetum.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le licenciement pour inaptitude :

Il est de principe que lorsque l’inaptitude résulte du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement qui en résulte est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur le lien de causalité entre le manquement de l’employeur et l’inaptitude du salarié

M. [F] a été licencié le 18 octobre 2019 pour inaptitude à la suite d’une impossibilité de reclassement.

La cour a déjà jugé que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité.

Il ressort des éléments versés aux débats que M. [F] a été placé en arrêt de travail le 2 janvier 2019, à l’issue de ses congés d’hiver de décembre 2018, après avoir fait part à l’employeur de sa surcharge de travail et des souffrances endurées depuis mai 2018 pour achever les projets dont il était responsable.

Le 19 mars 2019, le psychologue a considéré que le salarié ne présentait pas les ressources nécessaires pour reprendre son travail, sans risque d’aggravation de son état de santé.

Le salarié n’a ainsi jamais repris ses fonctions et, au cours du mois de mars 2019, il a signalé à son employeur que la reprise n’était pas possible dans les mêmes conditions qu’auparavant, le médecin du travail ayant même précisé qu’une affectation au sein du CNES n’était plus envisageable (pièce n° 51 salarié).

Il en résulte que le manquement de l’employeur a son obligation de sécurité est la cause directe de l’inaptitude physique pour laquelle M. [F] a fait l’objet d’un licenciement, de sorte que ce dernier est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur les conséquences indemnitaires du licenciement injustifié :

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Au regard des bulletins de salaire produits avant la période d’arrêt maladie, la cour estime que M. [F] avait un salaire moyen de 4.801,19 €.

La convention collective nationale Syntec prévoit un préavis d’une durée de trois, de sorte que le salarié est en droit de prétendre à l’indemnité compensatrice correspondante évaluée à 14.403,59 €, outre 1.440 € de congés payés y afférents.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

La cour fera application du barème codifié à l’article L. 1235-3 du code du travail qui octroie au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoit que, dans le cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettant raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. En outre, lorsque le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, l’employeur est tenu de rembourser aux organismes d’assurance-chômage jusqu’à 6 mois d’indemnités.

Ces dispositions sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et l’application du barème est compatible avec les dispositions de l’article 10 de cette convention. Les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l’application de l’article L. 1235-3.

M. [F] comptait une ancienneté de 26 mois au sein de l’entreprise, de sorte que le barème prévoit une indemnité comprise entre 3 et 3,5 mois de salaire.

M. [F] justifie avoir perçu l’aide au retour à l’emploi, à compter du 18 novembre 2019 et réalisé des bénéfices d’un montant de 8.334 € déclarés en qualité de micro-entrepreneur sur l’année 2020.

Ainsi, il lui sera alloué la somme de 15.000 € demandée correspondant au moins à trois mois de salaire en réparation de la perte de son emploi.

Sur les demandes annexes :

Compte tenu des condamnations prononcées, l’employeur sera condamné à remettre au salarié un bulletin de salaire récapitulatif, une attestation pôle emploi et un solde de tout compte conformes au présent arrêt, sans qu’une astreinte ne soit nécessaire.

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, l’employeur sera condamné à rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.

La société Inetum, partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

M. [F] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de cette procédure. La société Inetum sera donc tenue de lui payer la somme de 2.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté le salarié au titre de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé, de sa demande indemnitaire en dehors du barème d’indemnisation et rejeté la demande de l’employeur sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Et, statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Juge que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SA Inetum (anciennement GFI Informatique) à payer à M. [Z] [F] les sommes suivantes :

– 5.662,12 € à titre de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, outre 566,21 € de congés payés y afférents,

– 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,

– 14.403,59 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 1.440 € de congés payés y afférents,

– 15.000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que la SA Inetum devra remettre à M. [F] un bulletin de salaire récapitulatif, une attestation pôle emploi et un solde de tout compte conformes au présent arrêt, sans qu’une astreinte ne soit nécessaire,

Ordonne à la SA Inetum de rembourser à pôle emploi les sommes versées à M. [Z] [F] au titre du chômage dans la limite de 6 mois ;

Condamne la SA Inetum à payer à M. [Z] [F] la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute le salarié de ses demandes plus amples ;

Déboute la SA Inetum de ses demandes ;

Condamne la SA Inetum aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent jugement a été signé par M. DARIES, conseillère, pour S. BLUM », présidente empêchée et par C. DELVER, greffière de chambre.

LA GREFFI’RE, P/LA PR »SIDENTE EMP’CH »E

La Conseillère,

C. DELVER M. DARIES

.

 


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