9 juin 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
22/00774
09/06/2023
ARRÊT N°260/2023
N° RG 22/00774 – N° Portalis DBVI-V-B7G-OUIR
CB/AR
Décision déférée du 03 Février 2022 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTAUBAN ( 20/00036)
FOUQUES-HIBERT
E.U.R.L. GOETIC
C/
[K] [G] épouse [P]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 9 06 2023
à
Me Delphine HEINRICH-BERTRAND
Me Stéphanie FONTAINE
CCC A POLE EMPLOI
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
E.U.R.L. GOETIC
prise en la personne de son représentant légal , domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 1]
Représentée par Me Delphine HEINRICH-BERTRAND de la SELARL PHILIPPE GIFFARD CONSEIL, ENTREPRISE ET PERSONNEL, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
INTIMEE
Madame [K] [G] épouse [P]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Stéphanie FONTAINE, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BRISSET, présidente et A.PIERRE-BLANCHARD, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
–
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [K] [G] épouse [P] a été embauchée selon contrat de travail à durée déterminée à temps partiel du 11 septembre 2013 par l’EURL Goetic, qui exploite une agence de communication, en qualité de chargée de projet.
La convention collective applicable est celle des bureaux d’études techniques dite Syntec.
La société Goetic emploie plus de 11 salariés.
À compter du 12 mars 2014, la relation de travail s’est poursuivie selon un contrat de travail à durée indéterminée. À compter du 1er février 2019, le temps de travail sera porté à 35 heures hebdomadaires.
Mme [P] a été placée en arrêt de travail pour maladie du 15 au 25 octobre 2019 puis prolongée jusqu’au 4 novembre 2019.
Le 8 novembre 2019, la société Goetic notifiait à Mme [P] un avertissement qu’elle contestait par courrier du 25 novembre 2019.
Le 11 février 2020, Mme [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Montauban d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Elle a fait l’objet le 16 juin 2020 d’un avis d’inaptitude.
Selon lettre du 23 juin 2020, Mme [P] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 6 juillet 2020 puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement selon lettre du 9 juillet 2020.
Par jugement du 3 février 2022, le conseil a :
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [P] du fait des manquements graves de son employeur l’EURL Goetic ce qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– dit que les faits de harcèlement moral ne sont pas démontrés,
– fixé le salaire de référence à 2 533,06,
– condamné la société Goetic à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
– 21 978,88 euros de rappel de salaire on application de la classification position 2. 2 coefficient 130 de la convention collective,
– 2 809,34 euros de rappel de salaire sur les heures supplémentaires,
– 280,93 euros de congés payés sur les heures supplémentaires,
– 4 717,88 euros d’indemnité de préavis,
– 471,78 euros de congés payés sur le préavis,
– 17 000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Mme [P] de sa demande d’exécution provisoire, sauf pour ce qu’elle est de droit,
– débouté Mme [P] du surplus et des autres demandes,
– débouté la société Goetic de sa demande reconventionnelle,
– condamné la société Goetic aux dépens.
Le 22 février 2022, la société Goetic a interjeté appel du jugement, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués de la décision.
Dans ses dernières écritures en date du 4 novembre 2022, auxquelles il est fait expressément référence, la société Goetic demande à la cour de :
– déclarer recevable et fondé l’appel interjeté par l’Eurl Goetic.
Y faisant droit:
– confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :
– débouté Mme [P] de ses demandes relatives au harcèlement moral à savoir les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et harcèlement moral, 10 000 euros,
– débouté Mme [P] de ses demandes relatives et au licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse à savoir la condamnation de la société Goetic au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
– débouté Mme [P] de ses demandes au titre de remboursement de frais professionnels, 470 euros,
– débouté Mme [P] du surplus de ses autres demandes,
– infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [P] du fait des manquements graves de son employeur, la société Goetic ce qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Goetic à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
– 21 978,88 euros de rappel de salaire en application de la classification position 2.2 coefficient 130 de la convention collective,
– 2 809,34 euros de rappel de salaire sur les heures supplémentaires,
– 280,93 euros de congés payés sur les heures supplémentaires,
– 4 717,88 euros d’indemnité de préavis,
– 471,78 euros de congés payés sur préavis,
– 17 000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau:
– débouter l’intimée de l’ensemble de ses demandes,
– condamner l’intimée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile 4 000 euros ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle considère que le conseil a renversé la charge de la preuve au titre de la classification conventionnelle et a attribué à la salariée un coefficient qu’elle ne réclamait pas. Elle conteste la classification revendiquée par la salariée. Elle soutient qu’il n’est pas justifié d’heures supplémentaires alors que le conseil a pris en considération des heures de déplacement. Elle estime que la rétrogradation invoquée par la salariée constituait en réalité une mesure d’accompagnement temporaire compte tenu de ses difficultés. Elle conteste tout manquement à ses obligations et subsidiairement discute le montant des indemnités.
Dans ses dernières écritures en date du 23 janvier 2023, auxquelles il est fait expressément référence, Mme [P] demande à la cour de :
A titre principal:
– confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [P] aux torts exclusifs de la société Goetic,
– réformer le jugement en ce qu’il a dit que les faits de harcèlement moral ne sont pas démontrés,
– constater que la SARL Goetic a commis des manquements graves à l’égard de Mme [P].
En conséquence:
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Goetic,
– constater que cette résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul au jour du licenciement pour inaptitude.
Subsidiairement:
– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a jugé que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [P] produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, au jour du licenciement pour inaptitude.
A titre infiniment subsidiaire,
si par extraordinaire la cour ne prononçait la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [P]:
– constater que l’inaptitude de Mme [P] est la conséquence des faits de harcèlement moral et de manquements graves de son employeur à son égard.
En conséquence:
– dire et juger que le licenciement de Mme [P] est nul, ou à titre infiniment infiniment subsidiaire sans cause réelle et sérieuse.
En toute hypothèse:
– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a condamné la société Goetic à payer à Mme [P] les sommes suivantes :
– 2 809,34 euros au titre des heures supplémentaires ainsi que 280,93 euros d’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
– 4 717,88 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 471,78 euros de congés payés sur préavis,
– réformer le Jugement rendu en ce qu’il a :
– cantonné les dommages et intérêts alloués à Mme [P] au titre de son licenciement à la somme de 17 000 euros,
– cantonné les rappels de salaire alloués à Mme [P] à la somme de 21 978,98 euros, sur la base de la position 2.2 coefficient 130 de la convention collective applicable,
– débouté Mme [P] du surplus de ses demandes.
En conséquence:
– constater que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de la convention collective applicable en matière de rémunération,
– constater que Mme [P] est bien fondée à se prévaloir de la position 2.3 coefficient 150 de la convention collective applicable,
– condamner la société Goetic à régler à Mme [P] la somme de 25 360,25 euros à titre de rappel de salaires sur les années 2017, 2018 et 2019, outre la somme de 2536 euros à titre de congés payés afférents,
– condamner la société Goetic à régler à Mme [P] la somme de 334,44 euros en remboursement des notes de frais,
– condamner la société Goetic à régler à Mme [P] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Goetic à régler à Mme [P] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et harcèlement moral,
– fixer le salaire de référence à la somme de 2 533,06 euros,
– condamner la société Goetic à payer à Mme [P] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Goetic aux entiers dépens.
Elle fait valoir qu’elle n’était pas rémunérée conformément aux fonctions qui étaient les siennes dans la classification conventionnelle et qu’à compter de septembre 2019, elle a subi un véritable déclassement. Elle invoque un harcèlement moral et en déduit une résiliation judiciaire de son contrat produisant les effets d’un licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Plus subsidiairement, elle discute son licenciement faisant valoir que son inaptitude est la conséquence des manquements de l’employeur à ses obligations.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 25 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la classification conventionnelle,
Celle-ci dépend non de l’intitulé que les parties ont pu donner au poste mais des fonctions réellement exercées par le salarié étant rappelé que s’il invoque des fonctions excédant celles pour lesquelles il est rémunéré au regard de la convention collective, il supporte la charge de la preuve.
En l’espèce, Mme [P] a été recrutée comme chargée de projet, statut employé, niveau 2.1, coefficient 275. Ses bulletins de paie comportent cette mention puis celle de chargée d’affaires sans modification du positionnement conventionnel.
Elle revendique le statut cadre, position 2.3, coefficient 150 de la convention collective. Le conseil a admis la position 2.2 coefficient 130. Ce coefficient s’inscrivait entre celui figurant sur les bulletins de paie et celui revendiqué par la salariée de sorte que le conseil pouvait s’y référer.
Le niveau 2.1 de la classification employés relève des fonctions d’étude ou de préparation et se trouve ainsi défini : l’exercice de la fonction, généralement limité à un domaine particulier d’application d’une technique, implique la connaissance de méthodes, procédés et moyens habituels et l’aptitude à les mettre en ‘uvre à partir de consignes générales.
Or, si une telle définition pouvait s’appliquer aux fonctions initiales de la salariée il résulte des éléments par elle produits mais également des pièces de son adversaire que les fonctions avaient évolué.
Il apparaît ainsi que dans l’organigramme précédant la réorganisation, contestée, de 2019, Mme [P] figurait au titre de la communication et de la relation client. Les cartes de visites éditées à son nom ainsi que sa signature de mail professionnel faisaient figurer la mention responsable de communication et animations. Il résulte de son entretien professionnel pour l’année 2018 qu’elle avait une assistante dont elle assurait d’ailleurs la formation. Cela dénote une évolution de ses fonctions alors que jusqu’en 2016, elle figurait dans l’annuaire interne au titre du suivi de projets, animations. C’est à compter de 2017 qu’elle est présentée comme responsable.
L’employeur fait valoir que les mentions sur la carte de visite étaient non contractuelles et à visée purement commerciale. Il n’en demeure pas moins que l’employeur ne peut utilement soutenir que ces mentions à destination des clients n’avaient aucune portée quant à la réalité des fonctions de la salariée. En outre, ces mentions ne constituent pas le seul élément puisqu’elles sont confirmées par l’organigramme, l’annuaire interne et surtout la formation des assistantes. Bien plus l’employeur produit l’attestation de Mme [V]. Celle-ci confirme qu’elle était bien l’assistante de Mme [P] qu’elle désigne comme sa responsable. Ceci est incompatible avec le positionnement conventionnel qui était reconnu à la salariée. D’ailleurs, la cour observe que le support d’entretien annuel pour l’année 2018 produit par l’employeur envisageait expressément le passage au statut cadre en septembre 2019 sans qu’il soit prévu à la date où il se tenait de changement dans les fonctions de la salariée.
Il est exact que la salariée ne justifie pas de l’expérience nécessaire pour prétendre au positionnement cadre 2.3, coefficient 150 de sorte qu’il ne peut être fait droit à l’appel incident. Cependant, alors que la classification maintenue par l’employeur ne pouvait être valable, l’appelante ne discute pas utilement celle retenue par les premiers juges, correspondant à un cadre ayant au moins deux ans de pratique de la profession.
En revanche sur le quantum, la modalité de calcul du rappel de salaire adoptée par les premiers juges n’est pas spécialement critiquée et sera reprise par la cour. Mais, si l’appelante ne propose pas de contre-chiffrage précis, il n’en demeure pas moins que l’intimée ne s’explique pas spécialement sur le moyen que lui oppose son adversaire quant à la date de saisine et aux périodes d’absence de la salariée. Il convient donc d’exclure du calcul le mois de janvier 2017 ainsi que 368,67 heures d’absence pour 2019. Il en résulte un rappel de salaire à hauteur de 20 478,10 euros outre 2 047,81 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé sur le montant du rappel de salaire.
Sur la rétrogradation,
Cette question doit s’envisager au regard de la classification retenue. Il est manifeste qu’il y a eu des discussions entre les parties. Toutefois, celles-ci ne peuvent s’analyser comme la manifestation d’un accord de la salariée quant à la modification du périmètre de ses fonctions. Or, ce ne sont pas seulement les tâches de la salariée qui ont été modifiées dans ce qui relèverait du simple exercice du pouvoir de direction. Ainsi, sa signature de courrier électronique est modifiée pour devenir : account manager/communication. Dans l’organigramme, elle n’a plus personne sous sa responsabilité et figure même après les assistants. Il est possible que cet organigramme n’ait pas été strictement hiérarchique ou linéaire. Il n’en demeure pas moins qu’il doit être confronté aux autres éléments. En effet, Mme [P] se voyait attribuer le même intitulé de fonction que celui figurant sur le profil de Mme [V] qui était précédemment son assistante et dont il n’est pas soutenu qu’elle aurait été promue même si elle avait été affectée à un autre service. En outre, il résulte de la confrontation des éléments produits que sa dernière assistante, [R], lui avait été retirée puisqu’il est expressément mentionné qu’elle n’avait plus à être en copie systématique dans les envois électroniques.
Il est possible que la réorganisation ainsi voulue par l’employeur ait obéi à une logique de performance et il est même envisageable que la salariée ait été préalablement en difficulté. Mais il n’en demeure pas moins que l’employeur ne pouvait modifier ainsi ses fonctions dans ce qui relevait d’une véritable rétrogradation sans recueillir son accord. Celui-ci ne saurait découler des échanges électroniques, parfois contradictoires, où Mme [P] a pu manifester un accord sur certains points mais dans des conditions toujours entachées d’équivoque.
Sur le temps de travail,
Le conseil a retenu des heures supplémentaires, qui seraient complémentaires sur une partie de la période, mais en considérant qu’en grande partie il s’agissait de temps de déplacements excédant le temps normal de trajet domicile travail.
L’employeur fait valoir qu’il ne s’agissait pas d’un temps de travail effectif.
Il n’invoque aucune contrepartie alors qu’il y a bien eu des déplacements qui excédaient le temps de trajet habituel. Cependant, par application des dispositions de l’article L. 3121-7 du code du travail ce temps ne peut être considéré comme du temps de travail effectif et la seule prétention dont la cour soit saisie concerne du temps de travail effectif.
Il convient donc d’envisager la question du temps de travail uniquement pour le temps de travail effectif. Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Ainsi, si la charge de la preuve est partagée en cette matière, il appartient néanmoins au salarié de présenter à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
En l’espèce, Mme [P] produit des éléments suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire sous la forme de tableaux énonçant les heures supplémentaires revendiquées.
L’employeur ne produit pas d’élément spécifique sur le temps de travail. Il soutient que les déplacements ne sont pas établis alors que la salariée produit des notes de frais et qu’il résulte de l’ensemble des pièces qu’elle devait se déplacer au titre d’opérations spéciales dites HPP (High Promotional Period) dont il ne peut être méconnu qu’elles entraînaient un pic d’activité. Il invoque en outre le fait que la salariée lui aurait volé 5 heures de travail par semaine en faisant valoir que suite à la modification du temps contractuel de travail au 1er février 2019, la salariée n’a pas effectué les heures prévues. La cour observe tout d’abord qu’un certain nombre des heures sollicitées concernent la période antérieure. Surtout, avant cet avenant le temps de travail était de 30 heures hebdomadaires, la salariée ne travaillant pas le mercredi après-midi. L’avenant a porté la durée à 35 heures en prévoyant 5 heures de télétravail. L’employeur considère que la salariée ne l’a pas respecté puisqu’elle mentionnait toujours qu’elle ne travaillait pas le mercredi après-midi. Cependant, l’avenant ne précisait pas à quel moment les heures de télétravail devaient être réalisées et l’employeur n’a fait aucune remarque sur ce point. Il ne peut donc être considéré que les heures de télétravail devaient spécifiquement être réalisées le mercredi après-midi.
À l’analyse des décomptes présentés par la salariée il apparaît qu’il existe certes une confusion entre du temps de déplacement et du temps de travail réalisé en déplacement. Si la majeure partie des heures revendiquées correspondent à des heures de déplacement, pour lesquelles la cour n’est pas saisie d’une demande de contrepartie, certaines heures notamment liées à des événements HPP correspondent bien à du temps de travail effectif excédaient le temps de trajet anormal. Il s’agit en particulier des heures comportant des animations, voire des animations de nuit, ou des cocktails professionnels. Ainsi en excluant du décompte ce qui correspond à des temps de déplacement pour ne retenir que le temps de travail effectif, la cour est en mesure d’admettre l’existence de 41 heures supplémentaires qui n’ont pas été rémunérées, soit un rappel de salaire de 890,93 euros outre 89,09 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé sur le quantum.
Sur le harcèlement moral,
Il résulte des dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Par application des dispositions de l’article L. 1154-1 du même code lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Mme [P] invoque le non-respect de la classification conventionnelle, la rétrogradation ainsi qu’une communication brutale de la part de la co gérante.
La cour a retenu les deux premiers points comme établis. La salariée produit en outre des attestations ainsi que des échanges de courriers électroniques quant au comportement de Mme [B].
Ces éléments dans leur ensemble sont de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Toutefois, la cour observe tout d’abord que les attestations produites par Mme [P] font davantage état de la situation des témoins que du comportement de la co gérante vis-à-vis de l’intimée. En outre, tout manquement de l’employeur n’est pas constitutif d’un harcèlement moral. Or, il est justifié par l’employeur qu’il pouvait exister un problème de positionnement de Mme [P], laquelle était précédemment une amie des gérants. Si les échanges de courriers électroniques démontrent un désaccord entre les parties et parfois une exaspération réciproque, les documents produits par l’employeur démontrent également une certaine confusion entre le travail et les moments de convivialité. Quant aux pièces médicales produites, elles démontrent certes une dégradation de l’état de santé de la salariée mais la cour note qu’elles ont été établies sans nuance en particulier le certificat du psychologue faisant état d’un harcèlement qu’il n’a pu constater personnellement.
La confrontation de ces éléments conduit la cour, comme les premiers juges à écarter la notion de harcèlement moral. En revanche, les manquements de l’employeur quant à la classification et au respect des fonctions de la salariée étaient bien suffisamment graves pour ne pas permettre la poursuite du contrat de travail. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur et dit qu’elle produirait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents pour des montants qui ne sont pas spécialement contestés.
Quant au montant des dommages et intérêts, les énonciations du jugement ayant fixé le salaire de référence à 2 533,06 euros ne sont pas contestées par les parties étant observé qu’il s’agissait de la demande présentée par Mme [P] devant les premiers juges. Compte tenu d’une ancienneté qui était, au jour du licenciement, de six années complètes, du fait que la salariée a décidé de se réorienter professionnellement et des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail il convient de fixer à 12 000 euros le montant des dommages et intérêts étant observé que la somme allouée par le conseil excède le barème. Le jugement sera réformé sur le montant.
Par ajout au jugement, il sera fait application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail dans les conditions précisées au dispositif.
Sur le remboursement de frais,
Mme [P] soutient ne pas avoir été complètement remboursée de ses frais à deux occasions. Cependant, l’employeur justifie que les frais lui ont été remboursés conformément à la note de frais qu’elle a établie et signée à chaque fois. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur la demande de dommages et intérêts complémentaire,
Mme [P] sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat. La cour a exclu ci-dessus le harcèlement moral. Si elle retient des manquements, il n’est pas justifié qu’ils aient causé un préjudice qui ne serait pas réparé après octroi des rappels de salaire et des dommages et intérêts au titre de la rupture. Il n’y a donc pas lieu à dommages et intérêts complémentaires de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.
Le jugement sera confirmé sur le sort des dépens de première instance.
Il sera infirmé sur l’indemnité de procédure, la cour procédant à une appréciation globale en considération d’une action au principal bien fondée pour la salarié mais d’un appel partiellement justifié sur les quanta. L’employeur sera condamné au paiement d’une somme totale de 2 000 euros à ce titre ainsi qu’aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Montauban du 3 février 2022 en ce qu’il a condamné l’EURL Goetic à payer à Mme [P] les sommes de :
– 21 978,88 euros à titre de rappel de salaire au titre de la classification,
– 2 809,34 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires,
– 280,93 euros au titre des congés payés afférents,
– 17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1 200 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Le confirme sur les autres chefs du dispositif,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne l’EURL Goetic à payer à Mme [P] les sommes de :
– 20 478,10 euros à titre de rappel de salaire du chef de la classification conventionnelle,
– 2 047,81 euros au titre des congés payés afférents,
– 890,93 euros à titre de rappel de salaire du chef des heures supplémentaires,
– 89,09 euros au titre des congés payés afférents,
– 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonne dans la limite de six mois le remboursement par l’employeur des indemnités Pôle emploi versées à la salariée,
Condamne l’EURL Goetic aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.
La greffière La présidente
A. Raveane C. Brisset
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