Provocation à la haine : 4 novembre 1997 Cour de cassation Pourvoi n° 96-84.338

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Provocation à la haine : 4 novembre 1997 Cour de cassation Pourvoi n° 96-84.338
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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de Y… ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

– LE A… Patrick,

– LA SOCIETE TELEVISION FRANCAISE 1 (TF1), civilement responsable, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 18 septembre 1996, qui, pour provocation à la haine raciale, a condamné le premier à 30 000 francs d’amende, a ordonné la lecture d’un communiqué et la publication de l’arrêt, a prononcé sur les intérêts civils et a déclaré la seconde civilement responsable ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23 et 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, 121-3 du Code pénal, 10.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, 593 du Code de procédure pénale ;

“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Patrick B… coupable du délit de provocation à la haine raciale et la société TF1 civilement responsable ;

“aux motifs qu’il est constant que le texte de la chanson incriminée contient les éléments constitutifs du délit;

que la seule question est de savoir si, comme les prévenus le soutiennent, ce texte doit être pris au “deuxième degré”;

que ce sens différent du sens littéral peut être le résultat, soit d’une action directe par un avertissement explicite donné par l’auteur au spectateur, soit d’une action indirecte résultant de la mise en scène;

que si l’on peut retenir qu’avant l’émission, un avertissement a été donné, il reste à vérifier si le contenu de l’émission a confirmé cette volonté de distance par rapport à ce qui était donné à voir ou à entendre ou l’a, au contraire, contredit;

qu’il ressort du contexte dans lequel la séquence litigieuse s’est déroulée que, contrairement à ce qui est soutenu par les prévenus, on ne se trouve pas dans un registre purement fantaisiste mais dans un cadre hybride où le débat politique est très présent;

que c’est en effet la mise en cause d’une position politique de Patrick X… qui entame la séquence, une de ses parties centrales est l’entretien avec Jean-Marie Le Pen qui expose ses idées politiques comme il l’entend;

que l’émission se termine avec Karl D… qui pose la question des effets politiques de cette émission, ce que dévalorise Olivier de Z…;

qu’en fait, l’émission a tourné, de façon implicite, à un débat sur les opinions concernant les étrangers;

que, dans ce contexte, la chanson ne saurait apparaître comme une charge contre Jean-Marie Le Pen et le racisme;

qu’elle est une réponse à la position de Patrick X… et des antiracistes;

que, sans doute, elle est parodique, mais rien n’est fait pour prendre une distance à son égard ; qu’il en résulte que les positions de haine raciale sont présentées à égalité avec celles de lutte contre le racisme, voire de façon plus chaleureuse : lutter contre le racisme c’est faire de la politique tandis que la gaieté, “déconner” selon l’expression d’Olivier de Z…, c’est écouter cette chanson sans critiquer;

que c’est là le “second degré” qui ressort de ce qui est, comme dit ci-dessus, une production qui doit être analysée dans son entier, et non pas le fruit d’une improvisation mal dominée;

qu’il en ressort que l’on se trouve bien devant une incitation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale, sans doute insidieuse, mais certaine ;

“1°) alors que la provocation à la discrimination, la haine ou la violence raciale suppose une incitation à porter atteinte à la réputation et la sécurité d’une catégorie de personnes désignée racialement;

qu’il résulte des propres constatations de l’arrêt que la chanson incriminée pastichait un homme public à qui étaient attribuées des opinions raciales;

que si, en l’occurrence, il y avait incitation, elle ne pouvait avoir d’autre sens que celui tendant à discréditer les opinions de l’homme public en question et non point à inciter les spectateurs à prendre de telles opinions au sérieux;

d’où il suit que la cour d’appel, en statuant comme elle l’a fait, a entaché sa décision d’une contradiction de motifs et violé les textes susvisés ;

“2°) alors que l’incitation à la haine raciale doit être directe;

faute de quoi le prévenu se verrait reprocher non pas son propre fait mais celui d’autrui;

qu’en reprochant à la chanson et l’émission incriminées leurs effets au second degré, la cour d’appel a pris pour base du délit non pas un fait pertinent mais une conséquence supposée et nécessairement indirecte;

d’où il suit que la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

“3°) alors que la Cour reconnaît que le sens différent du sens littéral qu’il convient de donner à certains propos, peut être le résultat, soit d’une action directe par un avertissement explicite donné par l’auteur au spectateur, soit d’une action indirecte résultant de la mise en scène;

que la Cour admet qu’avant l’émission au cours de laquelle ont été tenus les propos litigieux, un avertissement a été donné par l’auteur de sa volonté de faire une émission humoristique égratignant certaines personnalités;

qu’en estimant, cependant, que l’infraction de provocation à la haine raciale était caractérisée, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les textes susvisés ;

“4°) alors qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre;

que l’infraction de provocation à la haine raciale exige la volonté certaine et véritable de son auteur d’inciter ses interlocuteurs, spectateurs ou public à commettre les faits réprimés par la loi;

qu’en s’abstenant de rechercher si tel était le cas en l’espèce, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé un des éléments constitutifs de l’infraction, a violé les textes susvisés” ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’au cours d’une émission diffusée sur la chaîne de télévision TF1, l’animateur Patrick C…, grimé sous les traits de Jean-Marie Le Pen, a pastiché une chanson de Patrick X…, en l’intitulant “Casser du noir” et qui comporte les paroles suivantes : “j’peux plus voir les étrangers même en peinture, j’suis pas là pour leur fabriquer un pays, m’en veux pas si ce soir j’ai envie d’casser du noir;

les bronzés, les marrons qu’on tolère et qui restent, qui vous prennent pour des cons et puis qui vous détestent;

les magasins brûlés à la moindre colère… et les journaux qui traînent dans la boue mes amis, ça m’fout tellement la haine que ca m’réveille la nuit, Casser du noir, Casser du noir… Allumez les briquets, on va leur foutre le feu !”;

qu’à la suite de cette émission, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), et la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), incriminant le texte de cette chanson, ont fait citer Patrick C… et Patrick Le Lay, président de la société TF1, devant la juridiction correctionnelle pour répondre du délit de provocation à la haine raciale prévu par l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, ainsi que la société TF1 en qualité de civilement responsable ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de ce délit, les juges relèvent que le texte de la chanson, pris dans son sens littéral, constitue un appel à la haine à l’égard de personnes visées à raison de leur race ou de leur ethnie;

qu’ils retiennent de l’analyse du contenu de l’émission, que, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, rien n’a été fait pour que le téléspectateur ait une interprétation “au second degré” de cette séquence ainsi que du texte incriminé;

qu’ils rappellent qu’il ne s’agit pas d’une émission en direct, mais d’une production préparée et préenregistrée, et énoncent qu’en diffusant une telle séquence, qui n’est pas le fruit d’improvisations mal contrôlées, Patrick Le Lay était “nécessairement conscient de ce qui en ressortait, étant un professionnel averti de la communication”, et qu’il ne saurait “prétendre à aucune bonne foi qui, du reste, n’est pas recevable dans ce domaine” ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs exempts d’insuffisance et de contradiction, les juges ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

 


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