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N° S 17-80.491 FS-D
N° 3162
CG10
9 JANVIER 2018
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
–
M. André X…,
contre l’arrêt de la cour d’appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 10 janvier 2017, qui, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, l’a condamné à 1 000 euros d’amende ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 14 novembre 2017 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, M. Ricard, M. Parlos, Mme Ménotti, M. Cathala, conseillers de la chambre, M. Barbier, M. Talabardon, M. Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Croizier ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle LE BRET-DESACHÉ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CROIZIER ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 24, alinéa 8, et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 132-1 et 132-20 du code pénal, préliminaire et 593 du code de procédure pénale ;
“en ce que la cour d’appel a confirmé le jugement entrepris sur la culpabilité et l’infirmant sur la peine, a condamné le prévenu à la peine délictuelle de 1 000 euros d’amende ;
“aux motifs que, sur l’action publique, sur les exceptions de nullité, la défense soulève la nullité du soit-transmis du 9 mars 2015 au motif qu’il ne s’agit pas de réquisitions interruptives de prescription au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881/…/ ; que cette réquisition articule et qualifie précisément la provocation et l’outrage à raison desquels l’enquête est ordonnée et si l’alinéa de l’article 24 visé est l’alinéa 8 et non l’alinéa 7 comme il aurait dû, il s’agit d’une erreur purement matérielle qui n’entache en rien la compréhension des faits poursuivis, le mandement de citation visant lui le bon alinéa ; que la cour confirmera le rejet de cette exception de nullité ; que devant la cour le prévenu qui ne conteste pas la nature raciste de la caricature reconnaît avoir fait une erreur en la reprenant sur son blog mais affirme qu’il n’a pas voulu attenter à l’intégrité de Mme A… voulant simplement manifester sa colère à la suite de la condamnation disproportionnée de Mme B… ; que s’il n’est pas contesté que la caricature n’est pas le fait du prévenu mais émane de Charlie Hebdo, le journal l’accompagnait du titre « Rassemblement Bleu raciste » faisant clairement apparaître sa réprobation à la suite des propos racistes du journal Minute ; qu’en titrant son blog « parodie de justice » avec en exergue la seule caricature en singe du garde des Sceaux, en mettant en cause l’équité du système judiciaire et surtout la personnalité de Mme A… « peut-être va-t-on assister à la construction d’un bûcher pour punir ce crime de lèse- majesté ) commis sur la personne de notre garde des Sceaux ! Peut- être va t-on ramener la tête de cette infâme criminelle dans un carton à Mme A… pour apaiser son courroux », M. X… a délibérément voulu porter atteinte à la considération de cette dernière lui imputant la décision contestée et en se servant, pour appuyer son propos, d’un support dont il reconnaît le caractère raciste ; qu’il a ainsi créé pour ses lecteurs un amalgame immédiat et direct entre une représentation dégradante provoquant à la haine raciale et la personne à qui il impute une injustice judiciaire à savoir Mme A…, faits constitutifs du délit de provocation à la discrimination raciale ; qu’au vu de ces éléments la cour confirmera le jugement sur la culpabilité ; que sur la peine, compte tenu de l’absence d’antécédent judiciaire du prévenu et des circonstances qui ont présidé à la rédaction de l’article, la cour limitera à 1 000 euros le montant de l’amende délictuelle sans pour autant l’assortir, même partiellement d’un sursis, étant rappelé que la peine encourue est de 1 an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ;
“1°) alors que, selon les dispositions de l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881, le délit de provocation indirecte à la haine ou à la violence raciale envers une personne ou un groupe de personnes n’est constitué que si son auteur a entendu susciter un sentiment de haine ou de violence ; que la seule publication d’un dessin raciste ne constitue pas, en l’absence d’incitation à la haine raciale, une provocation au sens de l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 ; qu’en l’espèce, le prévenu a été poursuivi pour avoir publié la caricature de Charlie Hebdo représentant Mme A… en singe ; que, si ce dessin, dont l’auteur n’a pas été poursuivi, ce qu’entendait justement critiquer le prévenu en vertu de sa liberté d’expression, a pu heurter le garde des Sceaux, il ne contient, en soi, aucune exhortation à la haine à son encontre ; que, la cour d’appel a cependant considéré, d’une part, que le prévenu avait, par le titre de son blog, à savoir « Parodie de justice », et les propos accompagnant le dessin, propos pourtant non poursuivis, délibérément voulu porter atteinte à la considération du garde des Sceaux en lui imputant la décision de condamner Mme B… à la peine de neuf mois d’emprisonnement et à 50 000 euros de dommages-intérêts pour avoir publié un dessin similaire à celui publié par Charlie Hebdo, d’autre part, qu’il avait appuyé « son propos d’un support dont il reconnaît le caractère raciste », enfin qu’il avait publié « une représentation dégradante provoquant à la haine raciale » ; qu’en prononçant ainsi, en opérant une requalification déguisée de la provocation à la haine raciale en injure raciale, la cour d’appel qui, en outre, a relevé que les faits étaient constitutifs d’une provocation à la discrimination raciale, alors que le prévenu était poursuivi et condamné pour provocation à la haine raciale, a violé, par fausse application, l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 ;
“2°) alors que selon les dispositions de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, par un tribunal impartial et indépendant ; qu’en l’espèce, lors de la lecture du rapport, la présidente de la cour d’appel a indiqué au prévenu qu’il avait eu une intention raciste en publiant le dessin de Charlie Hebdo, avant de lui déclarer que ce dessin constituait une provocation à la haine, ce que le conseil du prévenu a relevé dans des conclusions ; que la présidente de la cour d’appel a donc affiché un parti pris pour la culpabilité du prévenu ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale ;
“3°) alors que l’article 132-1 du code pénal impose au juge d’individualiser la peine ; que le montant de l’amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a condamné le prévenu à la peine d’amende de 1 000 euros sans la justifier au regard de ses ressources et de ses charges ; qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen” ;
Vu l’article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu que, selon ce texte, le délit de provocation qu’il prévoit n’est caractérisé que si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de la procédure que M. X… a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef susvisé pour avoir mis en ligne, en illustration d’un texte intitulé “parodie de justice”, un dessin représentant un singe sous les traits de Mme D… A… ; qu’il a relevé appel, ainsi que le ministère public, du jugement qui l’a déclaré coupable ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l’arrêt énonce, par motifs propres et réputés adoptés, que le prévenu a voulu porter atteinte à la considération de Mme A… en lui imputant, en sa qualité de garde des sceaux, la responsabilité du prononcé d’une condamnation disproportionnée contre une militante du Front national qui avait diffusé un dessin qui la comparait également à un singe, qu’il s’est servi pour appuyer son propos d’un support, déjà publié dans un autre contexte par le journal Charlie Hebdo, support dont il reconnaît lui-même le caractère raciste, et qu’il a ainsi créé pour ses lecteurs un amalgame immédiat et direct entre une représentation dégradante provoquant à la haine raciale et la personne du garde des sceaux, à qui il imputait une injustice judiciaire ;