Épuisement professionnel : 31 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00430

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Épuisement professionnel : 31 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00430

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 MAI 2023

N° RG 22/00430

N° Portalis DBV3-V-B7G-U75Q

AFFAIRE :

[Z] [K]

C/

S.A.S.U. EUROSILICONE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F 19/00262

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Amélie BEHR

Me Julie BELMA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [Z] [K]

[Adresse 1]

[Localité 3] / FRANCE

Représentant : Me Amélie BEHR, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0351

APPELANTE

****************

S.A.S.U. EUROSILICONE

[Adresse 4]

[Localité 2] / FRANCE

Représentant : Me Julie BELMA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E2040

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Avril 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Z] [K] a été engagée par la société Eurosilicone suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14 juin 2010 en qualité de responsable clientèle, statut cadre, position 2, indice 100.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Le 12 mars 2018, Mme [K] a fait l’objet d’arrêts de travail pour maladie, prolongés à plusieurs reprises jusqu’au 30 juin 2018 avec une courte période de reprise.

Le 10 juillet 2018, Mme [K] a envoyé une lettre recommandée à son employeur ayant comme objet : ‘démission’.

Le 1er mars 2019, Mme [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt afin de voir dire que sa démission produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que d’obtenir la condamnation de la société Eurosilicone au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de diverses sommes liées à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.

Par jugement prononcé le 20 janvier 2022, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a dit que la rupture du contrat de travail de Mme [K] était une démission, en conséquence, l’a déboutée de toutes ses demandes, a débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a mis les dépens à la charge de Mme [K].

Le 10 février 2022, Mme [K] a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 9 mai 2022, Mme [K] demande à la cour d’infirmer le jugement critiqué en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

– juger que sa démission produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– fixer son salaire moyen mensuel à la somme de 6 733,21 euros,

– en conséquence, condamner la société Eurosilicone à lui verser les sommes suivantes :

* une indemnité conventionnelle de licenciement de 20 199 euros,

* une indemnité complémentaire de préavis de 20 199 euros,

* une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre de l’article L. 1235-3 du code du travail d’un montant de 40 400 euros,

– en tout état de cause, condamner la société Eurosilicone à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 6 700 euros en réparation de son préjudice personnel pour atteinte à sa santé au travail,

– condamner encore la société Eurosilicone à lui verser un rappel de rémunération variable d’un montant de :

* 7 880 euros brut au titre du second semestre 2017, outre l’indemnité de congés payés afférente de 788 euros,

* 11 894,64 euros au titre de l’année 2018, outre l’indemnité de congés payés afférente de 1 189,46 euros,

– avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les sommes ayant le caractère de salaire et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes,

– ordonner à la société Eurosilicone la remise de bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle emploi conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la notification du jugement à intervenir,

– condamner la société Eurosilicone à lui verser une indemnité de 3 000 euros pour frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la condamner, en outre, aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 23 mars 2023, la société Eurosilicone demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et y ajoutant, de débouter Mme [K] de l’ensemble de ses demandes plus amples ou contraires et de la condamner à lui payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 28 mars 2023.

MOTIVATION

Sur la qualification de la rupture du contrat de travail

La salariée indique que dans sa lettre de démission elle a imputé expressément la responsabilité de la rupture aux manquements de l’employeur, que par voie de conséquence, la rupture de son contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’employeur fait valoir que la salariée a démissionné, qu’elle avait souhaité une rupture conventionnelle qui ne lui a pas été accordée et que n’ayant obtenu satisfaction, elle s’est mise en arrêt maladie. Il conteste les manquements qui lui sont reprochés, ceux-ci ne constituant pas des manquements graves empêchant la poursuite du contrat de travail.

En l’espèce, la lettre de démission de la salariée impute expressément plusieurs manquements à l’employeur, elle s’analyse donc en prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission et la charge de la preuve des faits pèse sur le salarié.

La salariée invoque dans sa lettre les manquements suivants à l’encontre de l’employeur :

l’ignorance par la hiérarchie de ses alertes sur ses conditions de travail dégradées depuis 2017,

le dénigrement de ses résultats 2017 sans prise en compte de ses efforts pour surmonter les dysfonctionnements,

le discours culpabilisateur de la direction qui a refusé de prendre en compte ses difficultés personnelles et sa détresse,

l’absence de toute information claire sur ses ventes et sa rémunération variable,

les effets délétères de ce contexte sur sa santé et sur sa confiance envers l’entreprise.

S’agissant du manquement 1), la salariée verse deux courriels datant d’octobre et novembre 2017 au sujet de problèmes de livraison de plusieurs clients, ces échanges étant factuels et n’étant pas formalisés sous forme d’alerte de la hiérarchie. La salariée produit également un courrier de son conseil du 12 mars 2018 dans lequel elle évoque des dysfonctionnements internes de l’entreprise, des problèmes de ruptures récurrentes de stocks pour des références d’implants, outre un courriel du 23 avril 2018 intitulé ‘ras le bol’ adressé à sa hiérarchie dans lequel elle dénonce les difficultés rencontrées depuis des mois par rapport aux problèmes de stock. Il y a lieu de considérer qu’elle a bien alerté sa hiérarchie mais tardivement à compter de la fin du premier trimestre 2018. Son contrat de travail étant suspendu à compter du 12 mars 2018 pendant une période de quatre mois à l’exception d’une courte reprise, il ne peut être tenu rigueur à son employeur de ne pas avoir tenu compte de son alerte concomitante. Ce manquement n’est donc pas établi.

S’agissant du manquement 2), la salariée produit des échanges de courriel concernant ses résultats de l’année 2017, dans lesquels elle déplore d’avoir des résultats en baisse principalement dus aux problèmes logistiques de l’entreprise au dernier trimestre et ne lui étant pas imputables. Cependant, le seul courriel de Mme [N] analysant ses performances est rédigé sur un ton factuel et professionnel, les performances de la salariée étant en baisse et qualifiées de décevantes, l’employeur reconnaissant que son secteur a été particulièrement impacté par les ruptures de stock. Ce manquement n’est donc pas caractérisé, en l’absence de dénigrement de la part de l’employeur.

S’agissant du manquement 3), les pièces versées aux débats par la salariée ne permettent pas de caractériser un discours culpabilisateur de la direction ne prenant pas en compte les difficultés de la salariée alors que les difficultés rencontrées par l’entreprise sont confirmées par son président, concernant des dysfonctionnements internes liés à un changement de système ‘ERP’ en octobre 2017 ainsi par des problèmes de ruptures de stocks et de livraison, ces difficultés n’étant pas spécifiques à la salariée ou à son secteur. Ce manquement n’est donc pas établi.

S’agissant du manquement 4), il ressort du dossier que la salariée considère qu’elle aurait dû bénéficier d’une correction et percevoir un variable supérieur pour le second semestre 2017, mais cette correction n’était pas contractuellement prévue. Les parties ne se sont pas entendues sur le plan de commissionnement de l’année 2018, la salariée ayant refusé une proposition de l’employeur, et l’employeur n’ayant pas refusé de poursuivre la négociation. Ce manquement n’est donc pas avéré.

La salariée produit des éléments médicaux aux débats montrant un état de fatigue important qualifié de ‘burn-out’, toutefois, le lien entre la dégradation de son état de santé et les conditions de travail n’est pas établi.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, les manquements invoqués à l’encontre de l’employeur ne sont pas établis.

Il s’en déduit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par la salariée produit les effets d’une démission. Elle doit donc être déboutée de ses demandes en conséquence : indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité complémentaire de préavis, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ces points.

Sur la demande au titre de la santé

La salariée sollicite une somme de 6 700 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa santé en raison d’un épuisement professionnel.

L’employeur conclut au rejet de la demande, celle-ci n’étant justifiée par aucun élément, ni par un préjudice distinct.

Il ressort des développements qui précèdent que le lien entre la dégradation de l’état de santé de la salariée et ses conditions de travail n’est pas établi. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.

Le jugement attaqué sera confirmé sur ce point.

Sur la rémunération variable

La salariée sollicite des rappels de salaire de 7 880 euros au titre du second semestre 2017, outre 788 euros au titre des congés payés afférents, ainsi que de 11 894,64 euros au titre de l’année 2018, outre 1 189,46 euros au titre des congés payés afférents. Elle fait valoir que les chiffres sont faussés pour l’année 2017 et qu’elle a été empêchée d’atteindre l’intégralité de son objectif par la faute de la société. Elle ajoute qu’aucun accord n’est intervenu au sujet des objectifs 2018 et de sa rémunération variable.

L’employeur conclut au rejet de la demande. Il indique que le plan de commissionnement fixé pour l’année 2017 a été appliqué. Il précise que des négociations ont été ouvertes et n’ont pas abouti par désaccord de la salariée, que la salariée n’a formé aucune contre-proposition.

Le contrat de travail de la salariée prévoit une rémunération fixe, outre une rémunération variable, les modalités de la part variable pouvant être révisées annuellement suivant un avenant au contrat de travail.

Pour l’année 2017, la salariée a signé le 25 avril 2017 un plan de commissionnement et ayant atteint 90% de son objectif, a perçu 120 euros, correspondant à 8 000 euros X0,015 conformément au plan de commissionnement.

La salariée sollicite un complément de variable du fait des aléas qu’elle considère avoir subis et qui ne lui seraient pas imputables. Toutefois, elle a donné son accord au plan de commissionnement qui lui était proposé et qui ne prévoyait pas la possibilité de corrections selon les difficultés rencontrées par l’entreprise. Elle sera donc déboutée de sa demande de versement de variable au titre de l’année 2017.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Pour l’année 2018, les parties n’ont pas trouvé d’accord sur le plan de commissionnement.

A défaut d’accord intervenu entre les parties, il y a lieu de retenir le montant de rémunération variable perçu pour la période précédente.

La société Eurosilicone sera donc condamnée à payer à Mme [K] la somme de 187 euros prorata temporis au titre de l’année 2018, sur la base du variable perçu au second semestre 2017.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande en paiement d’une part variable au titre de l’année 2017 et infirmé sur la demande en paiement d’une part variable au titre de l’année 2018.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société Eurosilicone succombant à la présente instance, en supportera les dépens de première instance et d’appel. Elle devra régler une somme de 500 euros à Mme [K] en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ce qu’il a :

– débouté Mme [Z] [K] de sa demande de voir dire que sa prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’a déboutée de ses demandes en conséquence,

– débouté Mme [Z] [K] de sa demande de rappel de rémunération variable au titre de l’année 2017,

– débouté Mme [Z] [K] de sa demande au titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa santé,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la société Eurosilicone à payer à Mme [Z] [K] une somme de 187 euros au titre de sa part variable pour l’année 2018,

Condamne la société Eurosilicone aux dépens de première instance et d’appel,

Condamne la société Eurosilicone à payer à Mme [Z] [K] la somme de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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