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14 juin 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/16019
Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 16
ARRET DU 14 JUIN 2022
(n° 63 /2022, 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/16019 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCTKV
Décision déférée à la Cour : Sentence du 21 juillet 2020 rendue par le tribunal arbitral de PARIS – RG n° 25518
DEMANDEUR AU RECOURS :
Monsieur [L] [I]
né le 4 décembre 1971 à [Localité 7]
demeurant : [Adresse 2]
représenté par Me Manzan EHUENI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1333
DEFENDEURS AU RECOURS :
Madame [D] [X]
née le 8 janvier 1982 à [Localité 6] (35)
demeurant : [Adresse 3]
représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477
assistée de Me Arnaud PELPEL, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : E1668
INTERVENANTE VOLONTAIRE :
S.A.R.L. RURBAN COOP représentée par Me [W] [C], SELARL ARCHIBALD, en sa qualité de mandataire liquidateur
Ayant son siège social : [Adresse 4]
représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477
assistée de Me Arnaud PELPEL, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : E1668
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre, et M. François MELIN, conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre
M. François MELIN, conseiller
Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Madame Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
La Scop Rurban Coop, coopérative d’activité et d’emploi (ci-après C.A.E) constituée sous forme de coopérative de production (Scop), a été créée le 17 décembre 2011 et son siège social se trouve au [Adresse 1].
M. [L] [I] a été embauché par la Scop Rurban Coop à compter du 1er août 2016 en qualité de conseil en management et communication dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée “d’entrepreneur salarié associé”.
Il est devenu associé le 19 décembre 2016 et membre de la commission stratégie dénommée le ‘Codir’, à compter du 4 avril 2017.
Il a été exclu du Codir le 22 avril 2018, Mme [D] [X], gérante, justifiant sa décision par l’absence de contribution constructive et d’engagement de M. [L] [I] au bon fonctionnement de la coopérative.
M. [L] [I] a fait l’objet d’une exclusion du ‘sociétariat’ lors de l’assemblée générale extraordinaire du 25 juin 2018. Dans son rapport, la gérante a justifié l’exclusion de M. [L] [I] par les agissements déloyaux de ce dernier à l’égard d’un client, l’association INEA, ayant nuit à l’image, à la crédibilité et au sérieux de la coopérative et par le comportement de ce dernier à l’égard de la gérance.
M. [L] [I] a été convoqué par courrier du 15 octobre 2018, à un entretien préalable fixé le 2 novembre 2018 en vue un éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire puis a été licencié par courrier du 26 novembre 2018 pour motif personnel.
La Scop Rurban Coop, représentée par Mme [D] [X], ès qualités de gérante et Mme [D] [X] agissant en son nom propre ont saisi la commission d’arbitrage le 6 décembre 2018.
Par sentence arbitrale du 21 juillet 2020, le tribunal arbitral de la commission d’arbitrage de la confédération générale des sociétés coopératives ouvrières de production composé de trois arbitres, M. [H], arbitre rapporteur, Mme [Z] et M. [J], arbitres, a :
– condamné M. [L] [I] à payer la somme de 500 euros à la CAE Rurban Coop au titre du préjudice moral et d’image,
– condamné M. [L] [I] à payer la sommes de 250 euros à Mme [D] [X] au titre de préjudice moral et d’image,
– débouté M. [L] [I] de l’ensemble de ses demandes,
– ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Pour statuer ainsi les arbitres ont retenu que M. [L] [I] avait publiquement dénigré son entreprise et la gérante et qu’il avait utilisé des données à caractère confidentiel, soit les adresses personnelles des associés obtenues dans le cadre de ses fonctions au sein de l’organe de direction de la société, en les détournant de leur fonction afin d’adresser par courrier un droit de réponse à l’ensemble des associés. Pour débouter M. [L] [I] de ses demandes, ils ont jugé que ni Mme [X], ni la société n’avaient commis d’actes susceptibles de porter atteinte à la réputation de M. [L] [I] concernant sa gestion d’un système d’information ou sur la protection des données et qu’il n’apportait pas la preuve d’une faute personnelle de la gérante.
M. [L] [I] a fait appel de cette sentence le 6 novembre 2020.
Par jugement du 16 décembre 2020, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société Rurban Coop et désigné Maître [W] [C], ès qualités de liquidateur.
Dans ses conclusions notifiées le 9 mars 2022, M. [I] demande à la cour de ;
-Déclarer recevables et bien fondées ses demandes, fins et conclusions et y faisant droit de :
-Infirmer la sentence arbitrale rendue le 21 juillet 2020 par le tribunal arbitral Et statuant à nouveau,
-Condamner solidairement la société Rurban Coop et Mme [D] [X] à lui payer les sommes de :
-32.500 euros au titre de son préjudice économique équivalent à la moyenne de son chiffre d’affaires annuel réalisé en 2016, 2017 et 2018, en tant qu’entrepreneur salarié et associé au sein de la société coopérative,
-16 250 euros au titre du préjudice lié aux conséquences des manquements de la gérance de Rurban Coop sur le développement de son activité économique, montant équivalent à 6 mois de chiffre d’affaires sur la même base que celle utilisée pour la demande précédente,
– 6 950 euros équivalent au total de sa contribution de 2016 à 2018 relatifs aux manquements de la gérance de Rurban Coop au regard de ses engagements concernant les services mutualisés et appuis à l’activité des entrepreneurs salariés
-15.000 euros au titre du préjudice moral et d’image,
-4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile dont distraction au profit de Maître EHUENI, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et sous réserve de renonciation à percevoir l’aide juridictionnelle ainsi qu’aux entiers dépens.
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Dans ses conclusions notifiées le 14 mars 2022, Mme [D] [X] et la Selarl Archibald en qualité de liquidateur judiciaire de la société Rurban Coop demandent à la cour de :
– Déclarer recevable et fondée l’intervention volontaire de la Selarl Archibald représentée par Me [W] [C] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Rurban Coop
– Déclarer irrecevables les demandes de M. [L] [I] envers Mme [D] [X], celle-ci n’ayant agi qu’en qualité de représentant légal de Rurban Coop, actuellement en liquidation,
– Confirmer la sentence arbitrale en ce qu’elle a débouté M. [L] [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l’encontre tant de Mme [D] [X] que de Rurban Coop,
– Infirmer la sentence arbitrale en ce qu’elle a condamné M. [L] [I] à payer à Rurban Coop la somme de 500 euros uniquement et à Mme [D] [X] la somme de 250 euros uniquement au titre de leur préjudice moral et d’image,
Statuant à nouveau :
– Condamner M. [L] [I] à verser à Mme [D] [X] et à la Selarl Archibald représentée par Me [W] [C] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Rurban Coop, chacune, la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral et d’image
Y ajoutant :
– Condamner M. [L] [I] à verser à Mme [D] [X] la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par bulletin transmis par voie électronique le 18 mai 2021, la cour
a invité les parties, au visa des dispositions de l’article L.622-21 du code du commerce, à présenter leur observations sur le moyen relevé d’office tiré de l’irrecevabilité des demandes de condamnation présentées par M. [L] [I].
Par note en délibéré transmise par voie électronique le 23 mai 2022, M. [L] [I] a demandé à la cour de prononcer les condamnations à l’encontre de la seule personne de Mme [D] [X].
Par note en délibéré transmise par voie électronique le 25 mai 2022, les intimés ont conclu à l’irrecevabilité des demandes, relevant que M. [I] ne formulait que des demandes de condamnation sans solliciter la fixation des créances.
MOTIFS
Selon l’article 1489 du code de procédure civile, « La sentence n’est pas susceptible d’appel sauf volonté contraire des parties ».
L’article 47 des statuts de la Scop, intitulé « Arbitrage », prévoit que :
« Toutes contestations qui pourraient s’élever pendant le cours de la coopérative ou de sa liquidation, soit entre les associés ou anciens associés de la coopérative, soit entre les associés ou anciens associés eux-mêmes, soit entre la coopérative et une autre société coopérative ouvrière de production, au sujet des affaires sociales, notamment de l’application des présents statuts et tout ce qui en découle, ainsi qu’au sujet de toutes affaires traitées entre la coopérative et ses associés ou anciens associés ou une autre coopérative, seront soumises à l’arbitrage de la Confédération générale des coopératives ouvrières de production.
Les sentences arbitrales sont exécutoires, sauf appel devant les juridictions compétentes ».
Il appartient donc à la cour de statuer sur l’appel principal formé par M. [L] [I] et l’appel incident soulevé par Mme [D] [X] et la Selarl Archibald en qualité de liquidateur judiciaire de la société Rurban Coop à l’encontre de la sentence arbitrale rendue à [Localité 5] le 21 juillet 2020 par la commission d’arbitrage de la confédération générale des SCOP.
Sur le préjudice économique et le préjudice moral et d’image
Moyens des parties
Aux termes de sa note en délibéré du 23 mai 2022, en réponse au bulletin de la cour du 18 mai 2022, M. [L] [I] a précisé limiter ses demandes de condamnations à l’encontre de la seule personne de Mme [D] [X].
A l’appui de ses demandes, M. [I] invoque notamment:
– les allégations et accusations sans fondement diffusées par Mme [X], gérante de la coopérative Rurban Coop, qui nuisent à son développement économique en portant atteinte à son intégrité professionnelle et à ses compétences au regard des systèmes d’information et plus particulièrement de la protection des données,
– des erreurs de gestion courante récurrentes et des manquements au regard de ses engagements concernant les services mutualisés et appuis à l’activité des entrepreneurs salariés.
Les intimés répliquent que Mme [X] n’a agi qu’en qualité de représentante légale de Rurban Coop et jamais en son nom propre et qu’en conséquence les demandes formées à son encontre son irrecevables. Ils ajoutent que les demandes ne sont pas justifiées.
Réponse de la cour
Aux termes des dispositions de l’article L.622-21 du code du commerce ‘ I- Le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ..’
Il résulte des dispositions des articles L.223-22 du code du commerce que les gérants sont responsables individuellement ou solidairement selon les ca, envers la société ou envers les tiers, notamment des fautes commises dans leur gestion.
La recevabilité d’une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier contre le gérant d’une société mise en procédure collective pour des faits antérieurs au jugement d’ouverture est subordonnée à l’allégation d’un préjudice personnel résultant d’une faute du dirigeant séparable de ses fonctions et qui lui est personnellement imputable.
En l’espèce, si M. [L] [I] indique dans sa note en délibéré limiter ses demandes de condamnation à l’encontre de Mme [X] uniquement, il ressort néanmoins de ses écritures qu’il invoque non pas des fautes commises par celle-ci en son nom propre mais des fautes commises par cette dernière dans l’exercice de ses fonctions de gérant.
Il en résulte donc, en application des principes précités, que ses demandes de condamnation dirigées contre Mme [X], prise en sa qualité de gérante de la société, sont irrecevables.
Sur le préjudice résultant de l’atteinte à l’image
Moyens des parties
Pour demander à la cour de porter le montant des dommages et intérêts alloués au titre du préjudice résultant de l’atteinte à l’image aux sommes de 10.000€ pour Mme [D] [X] et de 10.000€ pour la société Rurban Coop, les intimés soutiennent que M. [I] a harcelé moralement la gérante, qu’il a menacé de la dénoncer à de hautes autorités en se basant sur de fausses accusations, qu’il a tenu des propos diffamatoires sur la société et la gérante, devant des clients et potentiels clients, ce qui a nui à l’image et à la réputation de ces derniers. Ils lui reprochent également d’avoir utilisé et divulgué les adresses postales personnelles des associés par la captation d’un fichier confidentiel ce qui a contraint la société à procéder à un signalement auprès de la CNIL et à mettre en demeure l’intéressé le 22 juin 2018.
Pour s’opposer aux demandes, l’appelant conteste la réalité d’agissements délictueux commis à l’égard de la société et de Mme [X]. Il demande à la cour de déclarer irrecevable la saisine du tribunal arbitral dont le support essentiel constitue des infractions pénales pour lesquels, de surcroît une action pénale est en cours. Il explique que son intention était d’informer la gérante et les membres du Codir des risques encourus par la Scop, à défaut du respect de certaines obligations légales. L’appelant conteste en outre le caractère confidentiel des données utilisées et diffusées, relevant en particulier que les coordonnées personnelles des associés sont disponibles dans les statuts de la société et dans des documents publiés auprès du greffe du tribunal de commerce.
Il conclut d’une part que les agissements qui lui sont reprochés à tort, n’ont eu pour seul objectif que d’améliorer le fonctionnement de la gestion de la société ce qui dérangeait la gérante et a conduit à son licenciement et à son exclusion et d’autre part que la preuve d’un préjudice n’est pas rapportée.
Réponse de la cour
En l’espèce, il ressort des conclusions des intimés (pages 9 et 10) que ceux-ci fondent leurs demandes de dommages et intérêts présentées à l’encontre de M. [L] [I] sur les infractions de:
– harcèlement moral, délit prévu et réprimé par l’article 222-33-2 du code pénal,
– dénonciation calomnieuse, délit prévu et réprimé par l’article 226-10 du code pénal,
– diffamation non publique, délit prévu et réprimé par les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et R.621-1 du code pénal,
– faux et usage de faux, infraction prévue et réprimée par l’article 441-1 du code pénal,
– la violation des dispositions du réglement général sur la protection des données, entré en vigueur le 26 mai 2018.
Or, comme le relève justement l’appelant, ces dispositions ne sont pas applicables devant les juridictions civiles qui ne jugent pas des infractions.
Il y a donc lieu de constater, non pas l’irrecevabilité de la saisine du tribunal arbitral comme le demande l’appelant dans les motifs de ses conclusions, mais que les demandes de dommages et intérêts présentées par Mme [D] [X] et la société Rurban Coop, représentée par son liquidateur, à l’encontre de M. [L] [I], sont mal fondées.
Il s’ensuit que Mme [D] [X] et la société Rurban Coop, représentée par son liquidateur doivent être déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts. Le jugement est infirmé sur ce point.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Aucune considération d’équité ou d’ordre économique ne justifie en l’espèce application de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d’appel seront fixés au passif de la liquidation judiciaire de la société Rurban Coop.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement.
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [D] [X] et la société Rurban Coop représentée par la Selarl Archibald, ès qualités liquidateur judiciaire, de leurs demandes.
Déclare irrecevables les demandes présentées par M. [L] [I] contre Mme [D] [X].
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Fixe les dépens de première instance et d’appel au passif de la liquidation judiciaire de la société Rurban Coop.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE