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15 décembre 2022
Cour d’appel de Pau
RG n°
20/02616
PS/SB
Numéro 22/4500
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 15/12/2022
Dossier : N° RG 20/02616 – N° Portalis DBVV-V-B7E-HVV5
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
Association SAUVEGARDE DE L’ENFANCE A L’ADULTE DU PAYS BASQUE
C/
[M] [A]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 15 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 21 Septembre 2022, devant :
Madame CAUTRES-LACHAUD, Président
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
Association SAUVEGARDE DE L’ENFANCE A L’ADULTE DU PAYS BASQUE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Maître DUALE de la SELARL DUALE – LIGNEY – BOURDALLE, avocat au barreau de PAU et Maître DUBERNET DE BOSCQ, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMEE :
Madame [M] [A]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître LARREA, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 15 OCTOBRE 2020
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE BAYONNE
RG numéro : F 19/00150
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [M] [A] a été embauchée le 3 septembre 2012 par l’association Sauvegarde de l’enfance à l’adulte du Pays Basque, ci après l’association SEAPB, en qualité de psychologue, statut cadre, classe 3, niveau 1, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des «’établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées’».
Son temps de travail a été porté de 7 h par semaine à 24 h par semaine par avenant du 1er février 2013, puis à 28,90 h par semaine par avenant du 22 avril 2013.
Le 21 décembre 2016, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 30 décembre 2016.
Le 4 janvier 2017, elle a été licenciée pour faute grave.
Le 3 janvier 2018, elle a saisi la juridiction prud’homale.
Par jugement du 15 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Bayonne a :
– constaté que dans le cadre de l’enquête pénale diligentée par le Procureur de la République suite à la plainte pour dénonciation calomnieuse déposée par Mme [A], le directeur de l’association SEAPB a déclaré avoir été informé de suspicion de lien intime et le responsable de la Maison d’arrêt de [Localité 10] [et] a confirmé que personne n’avait constaté de geste intime entre Mme [M] [A] et ‘M’,
– dit que le licenciement de Mme [A] ne repose pas sur une faute et est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné l’association SEAPB à payer à Mme [A] les sommes de :
. 5.116, 52 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 511,65 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
. 5.542,88 euros brut à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
. 25.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– dit que les rumeurs véhiculées au sein de l’association SEAPB quant à une relation qu’aurait entretenue Mme [A] avec un mineur qu’elle suivait lui ont causé un préjudice moral et une atteinte à sa réputation professionnelle,
– condamné l’association SEAPB à payer à Mme [A] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral et l’atteinte à sa réputation professionnelle,
– ordonné à l’association SEAPB de délivrer à Mme [A]’:
. un bulletin de salaire pour les sommes allouées suite à la rupture du contrat de travail,
. un certificat de travail,
. une attestation destinée à Pôle Emploi, sous astreinte de 15 euros par document et par jour de retard passe 1e délai de 20 jours à compter de la notification de cette décision,
– ordonné l’exécution provisoire de la décision pour le paiement des indemnités de préavis, de congés payés sur préavis, et conventionnelle de licenciement,
– condamné l’association SEAPB aux dépens,
– condamné l’association SEAPB à payer à Mme [A] une indemnité de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 10 novembre 2020, l’association SEAPB a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 1er février 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, l’association SEAPB demande à la cour de :
– réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
– en conséquence :
– dire et juger que le licenciement de Mme [A] repose sur une faute grave,
– et débouter en conséquence Mme [A] de ses demandes relatives au paiement des indemnités de rupture (indemnité de licenciement, préavis et congés payés sur préavis) et à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– dire et juger que Mme [A] n’est pas fondée dans sa demande de dommages et intérêts pour « préjudice moral et atteinte à sa réputation professionnelle »,
– et débouter en conséquence Mme [A] de la demande indemnitaire formée de ce chef,
– débouter Mme [A] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Mme [A] à lui restituer la somme de 9.667,68 € perçue au titre de l’exécution provisoire,
– condamner Mme [A] au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner Mme [A] aux entiers dépens
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 20 avril 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, Mme [M] [A] demande à la cour de’:
– constater que dans le cadre de l’enquête pénale diligentée par le procureur de la République, suite à la plainte pour dénonciation calomnieuse qu’elle a déposée, le directeur de l’association SEAPB a déclaré avoir été informé d’une suspicion de lien intime tandis que le responsable de la maison d’arrêt de [Localité 10] a confirmé que personne n’avait constaté de geste intime entre le mineur M. et elle ;
– dire et juger que le fait d’avoir continué à rendre visite en maison d’arrêt au mineur non accompagné ne peut être considéré comme contraire à la déontologie des psychologues ;
– dire et juger que son licenciement ne repose pas sur une faute et est dépourvue de cause réelle et sérieuse ;
– dire et juger que les rumeurs véhiculées au sein de l’association SEAPB quant à une relation qu’elle aurait entretenue avec un mineur qu’elle suivait lui ont causé un préjudice moral et une atteinte à sa réputation professionnelle ;
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
– condamner l’association SEAPB aux entiers dépens, ainsi qu’au paiement d’une somme de 1.800.€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 août 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
En application de l’article 1235-1 du code du travail, tout licenciement doit être fondé sur une cause à la fois réelle, donc établie, objective, exacte et sérieuse, le juge formant sa conviction au vu des éléments soumis par les parties ; s’il subsiste un doute, il profite au salarié. Par ailleurs, Mme [A] ayant été licenciée pour faute grave, il appartient à l’employeur d’établir que la faute commise par la salariée dans l’exécution de son contrat de travail est d’une gravité telle qu’elle rend impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise pendant le préavis.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce comme suit les motifs du licenciement’:
«’Le manquement aux obligations de notre règlement intérieur en son article 8-01 par une initiative individuelle, réitérée à 8 reprises, en contravention avec le principe de travail en équipe pluridisciplinaire. Vous avez entretenu une relation avec un jeune mineur de notre foyer [8] dans un cadre dépassant votre fonction de psychologue salariée de notre établissement et sans autorisation de votre hiérarchie. Cette relation a été mise en place par vous-même après l’incarcération pour 10 mois du jeune mineur aux motifs de menace de mort, de violences sur des personnes chargées de mission de service public sans incapacité, et de menace de mort réitérée.
Cette situation porte préjudice à l’image de notre association et particulièrement à l’établissement [8] au regard des interrogations portées à notre encontre par la Direction Territoriale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et par le parquet de Bayonne.
Selon les informations reçues de l’administration pénitentiaire via la Direction Territoriale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, le niveau relationnel entre vous-même et le jeune mineur présente des motifs d’interrogation, jetant le doute sur le professionnalisme de l’équipe.
Ces faits sont préjudiciables au fonctionnement du pôle Protection de l’Enfance et de la Jeunesse, notamment en matière de responsabilité dans vos propos et vos positionnements professionnels dans le contexte de votre fonction de psychologue, cadre fonctionnel au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Nous rappelons que notre pôle gère une délégation de service public dans le cadre de la protection des personnes et de l’aide sociale à l’enfance.
Malgré les éléments que vous apportez dans votre courrier de contestation du 30 décembre 2016, reçu par courriel, nous maintenons notre appréciation d’une transgression de votre part à l’éthique de la fonction de psychologue dans son principe n° 5′: intégrité et probité’: la psychologue a pour obligation de ne pas exploiter une relation professionnelle à des fins personnelles, religieuses, sectaires, politiques, ou en vue de tout autre intérêt idéologique. Nous recevons cependant votre propos et celui de votre conseil concernant l’absence d’intention de nuire.’»
Le mineur étranger non accompagné Z, a fait l’objet d’une mesure de garde par l’aide sociale à l’enfance des Pyrénées Atlantiques et a été placé à compter du 8 avril 2016 au foyer [8] à [Localité 4] qui était l’un des lieux de travail de Mme [A]. Il a été déféré le 29 juillet 2016, placé en détention provisoire puis a été condamné le 24 août 2016 à une peine de 10 mois d’emprisonnement dont 3 mois assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve et maintenu en détention, pour des faits de menace de mort et de violences sur personne chargée d’une mission de service public commis au sein du foyer [8] qui seraient intervenus dans un contexte de radicalisation islamiste. Ces faits avaient donné lieu à une note d’incident en date du 21 juillet 2016 et ont été éclairés par des «’notes chronologiques’» en date du 26 juillet 2016 sur lesquelles il est notamment mentionné que le vendredi 8 juillet 2016, à l’occasion d’un trajet en voiture à [Localité 5] avec deux autres mineurs, durant tout le trajet retour, le mineur a imposé l’écoute de sourates du Coran téléchargées sur son téléphone, a interdit de changer et a demandé un silence total. C’est Mme [A], qui avait accompagné seule trois mineurs étrangers à [Localité 5] le 8 juillet 2016. La mesure de garde à l’ASE a été levée le 24 août 2016. Il est à observer que les faits du 21 juillet 2016 étaient postérieurs de quelques jours à l’attentat du 14 juillet 2016 à [Localité 9] et précédaient également de quelques jours les fêtes de [Localité 2] du 27 au 31 juillet 2016, événement alors traité comme étant à haut risque terroriste.
Il est constant que Mme [A] a visité le mineur les 5/9/2016, 19/09/2016, 3/10/2016, 17/10/2016, 24/10/2016, 31/10/2016, 14/11/2016, 28/11/2016.
Dans un courrier au directeur général de la SEAPB du 30 décembre 2016, Mme [A] a indiqué’:
– qu’au retour de [Localité 5] le 8 juillet 2016, un membre de l’équipe lui a demandé si le trajet s’est bien passé. Elle a répondu «’par l’affirmative en indiquant que les jeunes ont mis de la musique et m’ont expliqué ensuite que cela était des sourates. Ce qui a fait l’objet d’un échange entre nous’»’;
– qu’elle était absente pour congés lorsque les notes chronologiques ont été établies et qu’elle a découvert ensuite que ses propos avaient été travestis’;
– qu’à son retour de congés, lors d’une réunion de service au foyer [8] le 9 août 2016, elle a indiqué être «’mal à l’aise’» relativement aux dites notes chronologiques, eu égard à ses obligations déontologiques, qu’elle avait été contactée par un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse aux fins d’établir un écrit clinique sur le mineur et qu’elle avait fait part de sa décision de rencontrer le jeune pour «’rétablir la vérité’»’;
– que par mail du 10 août 2016, elle a informé M. [O] [R], chef de service éducatif du foyer [8], et M. [H] [K], directeur adjoint de l’établissement, de sa demande de permis de visite et lui a transmis son rapport clinique’;
– qu’elle a été convoquée le 11 août 2016 par M. [R] et M. [K] qui lui demandaient de modifier son rapport clinique, «’à leurs yeux trop à décharge’» et ont remis en cause le principe d’une visite en prison’;
– qu’elle a obtenu un permis de visite à titre personnel avec accès au parloir famille et a visité la première fois le mineur le 22 août 2022, sur son temps personnel’;
– qu’elle a adressé le 23 août 2022 un mail à M. [R], M. [K] et M. [U] [JL], directeur du pôle protection de l’enfance et de la jeunesse, pour les informer de cette visite’;
– qu’il n’a pas été énoncé que cette visite du 22 août 2022 était une ultime visite’;
– que M. [K] lui a rendu compte de la condamnation le 25 août 2016′;
– que suite à cette condamnation, elle a décidé de continuer à apporter son soutien psychologique au mineur’;
– que son intervention était connue des éducateurs de l’UEMO de [Localité 10] qui l’ont contactée à plusieurs reprises’;
– que le 28 novembre 2016, le directeur adjoint de la maison d’arrêt l’avait interrogée sur le cadre de ses visites et l’avait informée de «’propos affabulatoires’» du jeune, les amenant à décider de la cessation de ces visites’;
– que par loyauté envers son employeur, elle n’avait pas fait état du travestissement de ses propos auprès des autorités judiciaires’; et que par déontologie, elle s’était attachée à réparer les conséquences psychologiques de ces faits auprès du jeune en assurant un soutien psychologique à titre bénévole et sur son temps personnel en assurant la cohérence de celui-ci en lien avec l’UEMO.
L’association SEAPB produit une attestation du 6 août 2018 de M. [U] [JL], directeur du pôle protection de l’enfance et de la jeunesse de cette association, suivant laquelle :
– le 21 novembre 2016, il a été informé oralement de ses visites par M. [I], directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse Aquitaine Sud, ainsi que de suspicions de liens intimes entre Mme [A] et le mineur, M. [I] indiquant qu’il «’a été interpellé par la direction de l’administration pénitentiaire au sujet de cette psychologue qui, lors de ses visites chaque semaine, serait dans une proximité physique importante avec le mineur’»; il a avisé M. [I] que ces visites n’intervenaient pas dans un cadre professionnel’;
– le 23 novembre 2016, M. [R] lui a relaté que lors d’une audience au tribunal pour enfants de Pau, un éducateur de la PJJ l’avait interpellé concernant le positionnement de Mme [A] lors de ces visites au mineur «’toutes les semaines’», sur lesquelles cet éducateur aurait lui-même été interpellé par des surveillants de la maison d’arrêt’;
– aux alentours du 13 décembre, il a été contacté par téléphone par M. Marié, vice-procureur adjoint au tribunal de Bayonne, qui lui a fait part de suspicions de liens très intimes entre Mme [A] et le mineur. «’En effet, ce dernier se vantait régulièrement auprès des personnels de la maison d’arrêt d’avoir des relations intimes avec Mme [A], et que celle-ci était sa petite amie. Les courriers interceptés décrits par le procureur adjoint démontraient, selon lui, des échanges épistolaires d’une particulière proximité dans les termes et mots employés comme dans les signes et dessins utilisés’».
Les seuls écrits émanant de tiers à l’association SEAPB relativement à ces visites et produits par cette dernière sont’:
– un courrier du 19 décembre 2016 de M. [I] à M. [VB], directeur général de l’association SEAPB, faisant état d’une information préalablement donnée relativement à «’un lien présumé’» entre Mme [A] et le mineur, mentionnant les dates des visites et précisant «’Une carte postale en date du 21 novembre 2016 était adressée par votre salariée au mineur. Ce courrier peut révéler une difficulté de prise de distance dans la relation du psychologue au sujet dans la mesure où la psychologue indique une adresse vraisemblablement personnelle et termine son courrier par “bises”».
– un rapport de 9 pages de la production judiciaire de la jeunesse sur le mineur qui comporte les deux phrases ci-après «’Il se vante auprès des plus vieux que lui, d’avoir une relation suivie avec une adulte qui le visite et qui le connaît bien pour avoir travaillé à [8]. Si au début nous doutons de la véracité de ces “confidences’, aujourd’hui ce n’est plus le cas et nous en somme très inquiets’»’; ce rapport, qui s’achève par les noms de trois personnes mentionnées comme étant pour deux d’entre elles éducateurs référents au quartier mineur ([F] [L] [S] [G]) et pour la troisième, éducateur ([C] [BX]), n’est pas daté ni signé. Il résulte d’une attestation de M. [Y], directeur du centre éducatif fermé Txingudi géré par l’association SEAPB à [Localité 6], que ce document est en possession de la SEAPB pour lui avoir été transmis par ce dernier, ce, nécessairement postérieurement au 24 décembre 2016 puisque le mineur a été placé au CEF à compter de cette date et jusqu’au 20 février 2017 et que le document produit est une copie d’une pièce de son dossier.
Mme [A] comme la SEAPB produisent un mail adressé par la première le 10 août 2016 à M. [R] et M. [K], ainsi rédigé’: «’Suite à notre discussion d’hier, j’ai effectué les démarches auprès du TPE afin d’obtenir un permis de communiquer pour rencontrer (prénom du mineur) au quartier mineur de la maison d’arrêt de [Localité 10] la semaine prochaine. Je vous envoie mon compte rendu sur le jeune…, le nom de l’éducateur qui s’occupe de la détention est M. [BX]. Il m’a semblé complètement perdu dans ses recherches de proposition d’orientation pour l’audience du 24 (à tel point qu’il m’a parlé d’ITEP…). Je peux passer demain quand tu es dispo pour signer l’écrit.’»
Suivant un procès-verbal de police du 22 novembre 2017 établi dans le cadre d’une plainte pour dénonciation calomnieuse déposée par Mme [A], il a été procédé à des vérifications relativement à ces visites. Il est indiqué qu’après renseignement pris auprès des personnels pénitentiaires en charge des parloirs, le major [N] a indiqué qu’aucun d’entre eux n’a été témoin de geste intime entre le détenu Z et Mme [A]. Il a été remis notamment la photocopie d’une carte postale écrite par Mme [A] au mineur.
Dans un mail du 4 janvier 2017 à M. [JL], M. [K], préalablement informé du contenu du courrier de Mme [A] du 30 décembre 2016 et invité à éclairer la direction générale de l’association, a écrit’:
– qu’il a reçu Mme [A] le 11 août 2016 avec M. [R], lui avait indiqué qu’il considérait que son rapport clinique sur le mineur était de mauvaise qualité et lui avait demandé de le modifier’;
– que cet entretien a également eu pour objet de préparer l’entretien du 22 août de Mme [A] avec le mineur’; il écrit «’Nous nous sommes mis d’accord sur une intervention ayant pour objectif de finaliser la démarche thérapeutique qu’elle avait engagé avec ce jeune lors de son accueil au foyer [8]’».
M. [R] a attesté le 21 mars 2018 «’qu’il a été clairement et à plusieurs reprises énoncé que cette visite devait être unique et que son objectif était de fermer l’espace thérapeutique ouvert avec le jeune et permettre ainsi qu’il puisse dans le futur refaire confiance à un autre psychologue. Mme [A] a confirmé à plusieurs reprises que c’était bien son objectif et non “rétablir la vérité’ et qu’il n’y aurait qu’une seule et unique visite’».
Mme [W] [PM], éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse et ancienne collègue de Mme [A] jusqu’en février 2013, a attesté que dans le cadre d’échanges informels sur leurs pratiques, elle avait su que Mme [A] avait accompagné trois mineurs étrangers non accompagnés à [Localité 5] le 8 juillet 2016, journée qu’elle lui avait décrite comme riche et sans incident. Elle est intervenue le 29 juillet 2016 lors du déférement du mineur et a été particulièrement étonnée de constater qu’il était relaté que le 8 juillet 2016, le mineur aurait imposé l’écoute de versets du Coran et exigé le silence. Elle en a informé Mme [A].
M. [J] [B], éducateur spécialisé, a attesté qu’il était présent au foyer [8] le 8 juillet 2016 lors du retour de [Localité 5] de trois mineurs accompagnés par Mme [A], qu’il avait échangé avec elle sur cette journée qui s’était bien passée.
Mme [EY] [P], et Mme [GK] [DK], éducatrices spécialisées au foyer [8], et la seconde, éducatrice référente du mineur Z, ont attesté que lors d’une réunion d’équipe du 9 août 2016, la question de la déformation des propos de Mme [A] relativement à un prétendu incident du 8 juillet 2016 a été posée. M. [R] a fait preuve d’une attitude coléreuse et considéré qu’il s’agissait là d’un détail. Mme [DK] précise que d’autres éléments du rapport alors lu par M. [R] ont été vainement remis en cause et qu’elle a demandé, en tant que référente, à établir un rapport pour l’audience du 24 août, ce qui lui a été catégoriquement refusé.
Mme [P] a également attesté que Mme [A] l’a informée ensuite de son intention de visiter le mineur et a régulièrement échangé avec elle concernant la situation de ce mineur. Elle a dit soutenir sa démarche qu’elle qualifie de personnelle et bienveillante car il lui semblait important que ce jeune puisse à nouveau avoir confiance au corps thérapeutique et à l’adulte en général pour pouvoir ré adhérer par la suite à un suivi thérapeutique nécessaire.
Mme [DK] a attesté que Mme [A] a demandé l’autorisation de rendre visite au mineur pour «’rétablir la vérité’» mais aussi lui apporter un soutien psychologique, et qu’elle l’a soutenue dans cette démarche.
Mme [X] [TM], éducatrice à la protection judiciaire de la jeunesse à l’UEMO de [Localité 10], a attesté le 18 avril 2017 :
– que M. [V], surveillant du quartier mineur de la maison d’arrêt [Localité 10], lui a relaté avoir été chargé de surveiller les parloirs entre Mme [A] et le mineur et n’avoir à aucun moment constaté un quelconque geste déplacé’;
– que Mme [Z] [L], éducatrice au quartier mineur, lui a expliqué qu’il s’agissait là d’une rumeur et lui a indiqué que faute d’obtenir de réponse du foyer [8], son seul interlocuteur avait été Mme [A], présentée par elle comme «’la seule personne qui peut se regarder en face’»’;
– qu’elle a rencontré le mineur le 8 mars 2017 et a évoqué avec lui le suivi psychologique avec Mme [A]. Il a certifié qu’il n’avait jamais dit avoir entretenu une relation intime avec elle, et s’est montré choqué à cette idée. Il a relaté avoir été interrogé à ce propos au centre éducatif fermé et a conclu en disant que la seule chose qui lui était arrivée de bien en France, c’était le suivi avec Mme [A].
Mme [D] [T], psychologue clinicienne également salariée de la SEAPB, a attesté le 16 avril 2017 qu’elles ont régulièrement échangé autour du suivi psychologique du mineur. Elle est d’avis que, suite à l’incarcération du mineur, Mme [A] a fait preuve d’une «’attitude éthique’» en tentant vainement d’alerter ses supérieurs hiérarchiques quant au détournement de ses propos et précise que «’la décision de maintenir son soutien au mineur alors incarcéré est à l’image de sa pratique professionnelle, bienveillante et humaine. Dans une situation difficile (judiciairement, socialement, cliniquement), elle a continué à penser avant tout à l’intérêt de ce jeune’».
M. [E] [ZN], compagnon de Mme [A], a attesté le 9 mai 2017 qu’il a été informé par cette dernière de son incompréhension face à l’indifférence de sa hiérarchie relativement au travestissement de ses propos au détriment du mineur, l’a soutenue dans sa décision d’utiliser une partie de son temps personnel pour porter bénévolement assistance au mineur durant son incarcération’; elle lui a parlé de chaque visite sans l’ombre d’une ambiguïté, lui a montré les courriers adressés au mineur. Il rapporte en outre qu’en janvier et jusqu’à février 2017, des professionnels du centre éducatif fermé d'[Localité 6] ont contacté sa compagne sur son téléphone portable, qu’ils ont été très surpris que des salariés de l’association SEAPB la contactent nonobstant les motifs de son licenciement. Lorsqu’elle était disponible, elle répondait puis les professionnels lui passaient le mineur. Il lui est arrivé de ne pas répondre car les appels étaient tardifs, vers 22 h, la démarche lui paraissant alors peu adaptée.
Plusieurs autres travailleurs de l’association SEAPB et de la PJJ ont attesté en faveur de Mme [A] et comme observé par le premier juge, rendu hommage à ses qualités professionnelles, son éthique et son engagement.
Nonobstant le mail de M. [K], et l’attestation de M. [R], qui sont tous deux en lien de subordination avec l’association SEAPB, et dont le second est mis en cause de façon concordante par plusieurs salariés pour avoir rapporté à l’autorité judiciaire des faits inexacts concernant le mineur et ne pas avoir accepté ensuite de les remettre en cause, il n’existe pas d’élément suffisant pour considérer que la visite du 22 août 2016 a été convenue comme devant être une dernière visite, ce d’autant qu’à la date du 11 août 2016, l’issue de l’audience de jugement n’était pas connue et il n’était pas permis aux trois interlocuteurs de présumer du terme de la mesure alors exercée par l’association SEAPB.
Contrairement à ce que soutient l’association SEAPB, le fait que le permis de visite émane d’un juge des enfants distinct de celui en charge du suivi du mineur ne permet nullement de conclure à une man’uvre de Mme [A], étant observé que présentée en période de vacations estivales, la demande a nécessairement été traitée par celui des deux juges des enfants qui était en service.
L’article 08-01 du règlement intérieur de l’association SEAPB invoqué dans la lettre de licenciement dispose «’Le personnel est tenu’:
. de contribuer à la bonne marche du pôle, du service ou de l’établissement dans l’optique des actions définies dans le projet de service et son règlement d’exploitation,
. d’assister, sous réserve d’impossibilité majeure, aux réunions prévues et programmées dans le service (réunion de synthèse, de groupe ou de service),
. de participer au travail en équipe,
. de reconnaître l’obligation morale d’un perfectionnement permanent (article 32 de la convention collective du 15 mars 1966),
. de participer à toute entreprise de recherche programmée par le service compétent de l’association ou les autorités de contrôle’».
Il ne peut être reproché à Mme [A] d’avoir manqué au principe de travail en équipe pluridisciplinaire alors que l’association SEAPB n’exerçait plus aucune mesure sur le mineur et que c’est de façon bénévole et sur son temps personnel que la salariée a décidé de continuer à apporter au mineur un soutien psychologique.
De même, nul n’a pu sérieusement imaginer que des visites réalisées lors de «’parloirs famille’» étaient menées dans un cadre professionnel. S’il n’existe aucun élément permettant de déterminer si Mme [A] a informé ou non sa hiérarchie de ces visites et a sollicité ou non son accord, cela ne caractérise pas un manquement professionnel volontaire, étant observé qu’il est attesté par ailleurs que Mme [A] s’est ouverte de ces visites auprès de plusieurs collègues (Mme [T], Mme [DK], Mme [P]).
Enfin, il n’est pas non plus caractérisé de manquement de Mme [A] au code de déontologie des psychologues et notamment à son article 5 « Intégrité et Probité’: le psychologue a pour obligation de ne pas exploiter une relation professionnelle à des fins personnelles, religieuses, sectaires, politiques, ou en vue de tout autre intérêt idéologique». En effet, il résulte des éléments ci-dessus qu’il n’existe aucun élément objectif établissant que Mme [A] a exploité la relation professionnelle avec le mineur à des fins de relations intimes et qu’il n’a existé qu’une rumeur clairement démentie par les vérifications menées et les attestations versées aux débats notamment celle de Mme [X] [TM]. Il est outre à constater que l’employeur a disposé pour décider du licenciement pour seuls éléments matériels de l’écrit extrêmement prudent et réservé de M. [I] du 19 décembre 2016 et, peut-être dès alors, du rapport de la protection judiciaire de la jeunesse prélevé dans le dossier du mineur par le biais du directeur du centre éducatif fermé d'[Localité 6], dont il n’est pas permis de déterminer qui l’a rédigé et qui ne fait état que de confidences que le mineur aurait faites à des détenus plus âgés et rapportées par ces derniers et qui y sont affirmées comme étant crédibles. Il est particulièrement remarquable que les déclarations verbales prêtées à un vice-procureur adjoint de Bayonne n’ont donné lieu à aucun écrit.
Il résulte de ces éléments qu’il n’est pas avéré de faute de Mme [A]. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les conséquences du licenciement
Mme [A] a droit à une indemnité de préavis (deux mois) et une indemnité conventionnelle de licenciement dont les quantum ne sont pas discutés. Le jugement sera donc confirmé sur ces points.
En application de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige et antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, en l’absence de réintégration, le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un salarié qui a plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement plus de 10 salariés est réparé par l’attribution d’une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Mme [A] ne fournit aucun élément relativement à sa situation professionnelle postérieurement à la perte de son emploi et, eu égard à son ancienneté (4 ans) et aux circonstances du licenciement par lequel son intégrité professionnelle a été remise en cause, le premier juge a raisonnablement fixé l’indemnisation à 25.000 €, soit 10 mois de salaire. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Le jugement doit être confirmé en ce qu’il a ordonné la remise sous astreinte de documents de fin de contrat rectifiés.
En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il doit être ordonné d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à la salarié licenciée, du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de deux mois d’indemnités.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice résultant de l’atteinte à la réputation professionnelle
Nonobstant la dénégation de l’association SEAPB, qui n’est étayée que par une attestation de M. [R], chef de service du foyer [8], qui a informé les salariés du licenciement lors d’une réunion de service le 10 janvier 2017, M. [J] [B], éducateur spécialisé au foyer [8], a attesté que les motifs du licenciement ont été révélés par M. [R] lors de cette réunion de service le 10 janvier 2017, en ce compris l’existence d’une relation «’douteuse’» avec le mineur. La diffusion de cette information a porté atteinte à la réputation de Mme [A] auprès de ses collègues. Il s’agit là d’un préjudice distinct de celui résultant du licenciement qui été raisonnablement évalué à la somme de 5.000 €. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
L’association SEAPB, qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en appel, condamnée à payer à Mme [A] une somme de 1.800 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Bayonne du 15 octobre 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Ordonne le remboursement par l’association SEAPB aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Mme [M] [A], du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de deux mois d’indemnités,
Condamne l’association SEAPB aux dépens exposés en appel,
Condamne l’association SEAPB à payer à Mme [M] [A] une somme de 1.800 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande de ce chef.
Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,