Retenues sur salaire : 25 novembre 2022 Cour d’appel de Fort-de-France RG n° 20/00217

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Retenues sur salaire : 25 novembre 2022 Cour d’appel de Fort-de-France RG n° 20/00217

ARRET N° 22/238

R.G : N° RG 20/00217 – N° Portalis DBWA-V-B7E-CGAF

Du 25/11/2022

S.A.S. SOCIETE ANTILLAISE D’INVESTISSEMENT DE LA POINTE D U BOUT (SAIPB)

C/

[L]

COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU 25 NOVEMBRE 2022

Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 20 Octobre 2020, enregistrée sous le n° F 19/00479

APPELANTE :

S.A.S. SOCIETE ANTILLAISE D’INVESTISSEMENT DE LA POINTE D U BOUT (SAIPB)

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Pascale BERTE de la SELARL BERTE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARTINIQUE

INTIMEE :

Madame [F] [L]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par M. [A] [JH] (Délégué syndical ouvrier)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente,

Mme Anne FOUSSE, Conseillère,

M. Thierry PLUMENAIL, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame Rose-Colette GERMANY,

DEBATS : A l’audience publique du 16 Septembre 2022,

A l’issue des débats, le président a avisé les parties que la décision sera prononcée le 25 novembre 2022 par sa mise à disposition au greffe de la Cour conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile.

ARRET : contradictoire et en dernier ressort

****************

EXPOSE DU LITIGE

Mme [F] [L] a été embauchée le 28 avril 2014 par contrat à durée indéterminée de 39 heures hebdomadaires, soit 169 heures mensuelles par la SAIPB La PAGERIE en qualité de responsable réception niveau 4 échelon 1, avec une période d’essai de deux mois moyennant un salaire brut de 2440,12 euros. L’activité de l’entreprise était régie la convention collective café restaurant hôtel du 30 avril 1997.

Par courrier du 8 janvier 2018, Mme [F] [L] formulait une demande d’absence pour une formation CIF devant se dérouler du 2 janvier au 1er décembre 2019.

Le 17 février 2018, l’employeur accédait à sa demande.

Le 2 mai 2018, Mme [F] [L] informait la direction d’une modification des dates de la formation devant être avancée au 22 octobre 2018. Elle formulait par ailleurs une demande de congés payés du 17 septembre au 21 octobre 2019.

Le direction prenait acte de cette modification de point de départ de la formation.

Le 28 août 2019, Mme [F] [L] informait la SAIPB de sa volonté de se consacrer à d’autres projets professionnels et suggérait le recours à une rupture conventionnelle.

Par courrier du 10 septembre 2019 la SAIPB refusait cette rupture conventionnelle compte tenu de la mauvaise conjoncture du secteur et de la baisse du chiffre d’affaires de l’établissement depuis le début de l’année 2019.

Le 1er octobre 2019, la direction constatait l’absence de Mme [F] [L] à son poste et opérait une retenue sur salaire pour la période du 23 au 30 septembre, sur son bulletin de paie de septembre 2019.

Le 8 octobre 2019 Mme [F] [L] adressait à la SAIPB un courrier de prise d’acte de la rupture de son contrat de travail justifié par :

– le non paiement de son salaire du 23 au 30 septembre 2019,

– le retard dans la fourniture de documents administratifs,

– le mal être ayant débuté à l’annonce de sa demande de CIF, suivi d’un harcèlement moral (‘) envers ma personne dont je vous épargne les détails»,

– l’absence de motivation de reprendre le travail «avec de pareils hostilités que je pensais derrière nous après un an d’absence»,

– le remplacement déjà effectué à son poste.

Elle se disait in fine disposée à échanger à ce sujet, et pensait préférable de trouver une entente et de se quitter en bon terme et à l’amiable.

Par courrier du 10 octobre 2019, une réponse était apportée à Mme [F] [L] l’informant qu’une erreur avait été commise, qu’une régularisation était immédiatement opérée sur son compte, que le remplacement était temporaire et prendrait fin à son retour, ainsi que le stipulait clairement le contrat de travail, qu’une rupture conventionnelle n’était pas envisageable et qu’elle était attendue à son poste le 21 octobre 2019.

L’ordre de virement pour régulariser son compte était exécuté le 11 octobre 2019.

Mme [F] [L] maintenait sa prise d’acte par email du 11 octobre 2019.

Mme [F] [L] saisissait le Conseil de Prud’hommes par requête du 3 décembre 2019 aux fins de solliciter le requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis, des dommages et intérêts pour le préjudice moral causé par le harcèlement moral, un rappel de salaire de 561,79 euros.

Par jugement en date du 20 octobre 2020, le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France :

– disait et jugeait que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– en conséquence, condamnait la SAIPB La PAGERIE à payer à Mme [F] [L] les sommes suivantes :

*13006,12 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2167,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– déboutait Mme [F] [L] du surplus de ses demandes,

-condamnait la SAIPB aux entiers dépens.

La SAIPB interjetait appel de ce jugement le 15 décembre 2020 dans les délais impartis.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2022 au défenseur syndical de Mme [F] [L] et remises au greffe le même jour par le rpva, la SAIPB demande à la Cour de :

In limine Iitis

– DECLARER irrecevable la demande de caducité de la déclaration d’appel de Madame [F] [L] en raison de l’incompétence de la formation collégiale de la Cour d’appel ;

– CONSTATER l’absence de remise tardive des conclusions et pièces ;

– CONSTATER la régularité de la signification des conclusions et pièces ;

– CONSTATER la recevabilité de la déclaration d’appel.

A titre principal

– INFIRMER le jugement du 20 octobre 2020 du Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France en ce qu’il a jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat intervenue le 8 octobre 2019 produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Le CONFIRMER en ce qu’il a débouté Madame [L] du surplus de ses demandes, notamment au titre du harcèlement moral ;

Statuant à nouveau :

– JUGER que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail n’est pas intervenue aux torts de l’employeur et revêt donc le caractère d’une démission de Madame [L] ;

– CONDAMNER Madame [F] [L] au paiement du trop-perçu d’un montant de 17.210,96 euros ;

– CONSTATER le non-remboursement de l’avance d’un montant de 561,79 euros ;

– CONDAMNER Madame [F] [L] au remboursement de l’avance d’un montant de 561,79 euros ;

– DEBOUTER Madame [L] de l’ensemble de ses demandes ;

– CONDAMNER Madame [F] [L] à verser à la SOCIETE ANTILLAISE D’lNVESTlSSEMENT DE LA POINTE DU BOUT (SAIPB) la somme de 1.500,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

– Sur la caducité de la déclaration d’appel soulevé par l’intimée,

Elle fait valoir que la Cour d’appel n’a pas le pouvoir de statuer sur cette demande, le conseiller de la mise en état étant seul compétent pour ce faire au visa de l’article 907 et 914, jusqu’à la clôture et ce à peine d’irrecevabilité.

Elle se défend en toute hypothèse d’avoir transmis tardivement ses conclusions d’appel au défenseur syndical de l’intimée, précisant qu’elle avait jusqu’au 15 mars 2021 pour notifier ses conclusions et pièces, ce qu’elle a fait par voie d’huissier le 12 mars 2021.

Elle ajoute que l’huissier n’ayant pu toucher le défenseur syndical à personne, en son absence du domicile le 12 mars 2021, il n’a eu d’autres choix que de procéder par une signification à domicile par le dépôt de l’acte à l’étude en respectant toutes les formalités requises.

– Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail motivée par :

– le non paiement de son salaire du 23 au 30 septembre 2019,

– le retard dans la fourniture de documents administratifs,

– le mal être ayant débuté à l’annonce de sa demande de CIF, suivi d’un harcèlement moral (‘) envers ma personne dont je vous épargne les détails»,

– l’absence de motivation de reprendre le travail «avec de pareils hostilités que je pensais derrière nous après un an d’absence»,

– le remplacement déjà effectué à son poste.

Elle fait valoir que le non paiement résulte d’une erreur de la direction sur la date de retour de la salariée après sa période de formation, reconnue par l’employeur, isolée et régularisée aussitôt.

Elle conteste les accusations de harcèlement moral, soulignant que du 8 janvier 2018 au 22 octobre 2018, date du début de sa formation, la salariée n’a jamais fait part d’un abus de l’employeur dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique, et que les échanges entre les parties ne caractérisent pas des conditions de travail humiliantes ou dégradantes.

Elle soutient avoir embauché une collaboratrice pour la remplacer durant sa formation comme indiqué dans le contrat de cette dernière.

En application de l’article 455 du code de procédure civile il est renvoyé aux conclusions de l’appelante pour le surplus des moyens exposés au soutien de ses prétentions.

Aux termes de ses conclusions en date du 29 janvier 2022 remises au greffe le 31 janvier 2022 et notifiées par lettre RAR en date du 3 février 2022 M. [A] [JH] défenseur syndical de Mme [F] [L], demande à la Cour de :

– déclarer irrecevable et mal fondé l’appel interjeté par la SAIPB pour transmission tardive de ses conclusions à l’intimée,

– dire que la signification de l’acte d’huissier est entachée d’irrégularités,

– juger que les conclusions de l’appelante en date du 29 juin 2021 notifiées le 1er juillet 2021, sont entachées d’irrégularités tenant à rejeter la demande de caducité de la déclaration d’appel de Mme [F] [L] pour transmission tardive de conclusions et de pièces,

– juger Mme [F] [L] recevable en ses demandes,

– y faisant droit,

– confirmer la décision prise dans l’ensemble de ses dispositions

A titre reconventionnel,

– rappeler que les créances salariales portent intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le Conseil de Prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

– condamner la SAIPB à la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la SAIPB de sa demande de trop perçu d’un montant de 17210,96 euros en ce que la demande n’est pas justifiée,

– débouter la SAIPB de ses demandes, fins et conclusions, demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux dépens.

A l’argument de l’incompétence de la Cour pour statuer sur la caducité de la déclaration d’appel, elle répond que le CME ou les juges ne pourront pas rejeter son moyen.

Elle soutient que les conclusions de l’appelante ont été remises le 15 avril 2021 soit tardivement, après avoir tenté en vain de les faire signifier par voie d’huissier le 12 mars 2021, étant précisé que l’acte de signification a été reçu le lundi 15 mars 2021 et que le défenseur n’a récupéré les conclusions que le 17 mars 2021.

Elle soutient par ailleurs que la signification de l’acte d’huissier est entachée d’irrégularités.

Sur le fond et la prise d’acte de la rupture qu’elle demande de requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle évoque le harcèlement moral dont elle a été victime qui a débuté à l’annonce de sa demande de formation. Elle soutient que les différents mails depuis le 27 avril 2018 qu’elle verse aux débats contiennent des reproches pour des manquements qu’elle conteste, des propos discriminatoires; que ses attestations soulignent les pressions dont elle était l’objet, la mise au placard, la rétrogradation, les actes de racisme à son endroit, la direction faisant selon elle régner un climat de terreur au sein de l’hôtel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 18 février 2022.

MOTIFS

– Sur la caducité de la déclaration d’appel

Aux termes de l’article 914 du code de procédure civile, «les parties soumettent au conseiller de la mise en état qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu’à la clôture de l’instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à :

– prononcer la caducité de l’appel ;

– déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel; les moyens tendant à l’irrecevabilité de l’appel doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été ;

– déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 ;

– déclarer les actes de procédures irrecevables en application de l’article 930-1…………..

Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. Néanmoins sans préjudice du dernier alinéa du présent article la cour peut d’office , relever la fin de non recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui ci .

Les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal».

Il est admis que le conseiller de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par des conclusions qui lui sont spécialement adressées.

En l’espèce, force est de constater que Mme [F] [L] n’a pas saisi le conseiller de la mise en état, de conclusions d’incident.

En effet les conclusions de Mme [F] [L] sont adressées à la Cour d’appel de Fort-de-France, demandant dans leur dispositif à la chambre sociale et non au seul conseiller de la mise en état, de déclarer l’appel de la SAIPB LA PAGERIE irrecevable et formulant en outre des demandes au fond (conclusions des 3 avril 2021 et 29 janvier 2022).

Le conseiller chargé de la mise en état n’a donc pas été saisi de conclusions d’incident spécialement adressées pour soulever la caducité de la déclaration d’appel. L’intimée est donc irrecevable en cette demande.

– Sur la prise d’acte de la rupture

Lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire d’une démission.

Si les griefs invoqués par le salarié sont réels et suffisamment graves, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les juges doivent prendre en compte l’ensemble des reproches formulés par le salarié à l’encontre de l’employeur.

La charge de la preuve de la matérialité et de la gravité des faits invoqués repose sur le salarié et lorsqu’un doute persiste sur la réalité des faits allégués il profite à l’employeur.

En l’espèce, la prise d’acte de la rupture de Mme [F] [L] par courrier du 8 octobre 2019 est motivée par les griefs suivants :

– le non paiement de son salaire du 23 au 30 septembre 2019, alors que la salariée avait régulièrement informée son employeur de la modification des dates de sa formation se déroulant du 22 octobre 2018 au 18 octobre 2019,

– le retard dans la fourniture de documents administratifs,

– le mal être ayant débuté à l’annonce de sa demande de CIF, suivi d’un harcèlement moral, de conditions de travail dégradantes et humiliantes envers sa personne,

– le remplacement déjà effectué sur son poste de responsable de réception par Mme [T] [K] à son poste.

* Le premier grief concerne le non paiement du salaire du 23 au 30 septembre 2019.

L’employeur reconnaissait son erreur dès le 10 octobre 2019, de même qu’il aurait dû être alerté sur la fin de la formation de la salariée au vu de ses courriers et de la convention FONGEFIF conclue en mai 2018, contenant les dates de formation.

Il présentait ses excuses à la salariée pour cette erreur et la gêne occasionnée et indiquait procéder au versement du reliquat du salaire déduit dans les meilleurs délais.

Il ressort du dossier que le virement de l’employeur était réalisé dès le 11 octobre 2019.

La cour considère que cet incident bien que fautif était isolé en 4 ans de relation professionnelle et immédiatement régularisé; qu’il s’est accompagné d’excuses de la part de l’employeur et ne revêt pas donc un caractère de gravité suffisant pour justifier à lui seul la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [F] [L].

* le grief du retard dans la fourniture de documents administratifs,

Ce grief n’est pas justifié. Il n’est pas même précisé quels documents demandés à plusieurs reprises n’auraient pas été fournis par l’employeur.

*le remplacement sur son poste

Le contrat de travail de la collaboratrice embauchée pour remplacer Mme [F] [L] en son absence, stipulait une clause d’évolution mentionnant que l’intéressée, verra son poste et ses responsabilités modifiés dans le cadre du remplacement de la Responsable Réception pour une période définie d’un peu plus d’un an à partir de septembre 2018. Pendant cette période, vous aurez donc le titre de responsable réception niveau 4 échelon 1. Vous conserverez la même rémunération mais s’ajoutera une prime d’intéressement en fonction des résultats. Dans le cas ou la Responsable Réception reprend son poste et que vous ne souhaitez pas revenir au poste de Première réception, nous nous engagerons à vous trouver un poste au sein de notre entreprise, adapté à vos compétences…;

Il s’ensuit que le remplacement momentané de Mme [F] [L] en son absence ne pouvait constituer un motif de rupture de son contrat.

* le harcèlement moral, les conditions humiliantes et dégradantes envers sa personne,

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, «Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel».

L’article L 1154-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L 1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral peut prendre la forme de persécutions, de brimades , de mesures vexatoires, d’une mise à l’écart, de mauvaises conditions matérielles de travail , de méthode de management consistant à mettre une pression continuelle.

Mme [F] [L] se plaint d’un mal être ayant débuté depuis l’annonce de sa demande de convention individuelle de formation et de la dégradation de ses conditions de travail. Elle fait état de la volonté de l’employeur de la mettre en difficulté en lui reprochant des manquements qu’elle contestait, de ses remarques déplacées, de ses invectives.

Elle soutient avoir été victime d’insultes raciales de la part de ce dernier, du climat de terreur que la direction faisait régner à son endroit particulièrement. Elle rapporte même avoir été installée dans un bureau avec une table d’enfant à l’arrivée d’un nouveau personnel à la réservation. Elle déplore l’inobservation des régles de prévention et de sécurité en matière de protection de la santé des salariés.

Elle produit pour en attester :

– différents échanges d’email depuis le 27 avril 2018 censés montrer la volonté de l’employeur de la mettre en difficulté en lui reprochant différents manquements ;

– des attestations de collègues (M. [O], Mme [J], Mme [BX], M. [N], Mme [P]) et la réponde de Mme [S], ancienne salariée à une demande d’avis sollicitée par Mme [I] [M] [C] sur son expérience à la Pagerie et les pratiques managériales.

– un dossier médical

– des photos de son bureau

L’échange de mails du 27 avril 2018 ne caractérisent pas en lui même une volonté de mettre la salariée en difficulté. Il y est question d’un incident survenu dans la nuit du 27 au 28 avril 2018 concernant l’ouverture par des clients de barrière extérieure et de porte d’entrée principale et de l’information donnée sur ce point par M [ZG], salarié. Mme [W] adjointe de direction y répondait de la manière suivante. Pour le boitier d’urgence, (boitier vert ) qui a été déclenché par les clients, je demande à [F] de revenir vers toi avec la procédure évoquée ce matin ensemble (réarmement de la porte automatique avec l’aide de la clef spéciale qui se trouve dans la boite à clefs en front office).

Mme [F] [L] indiquait pour sa part en réponse au rapport de la nuit du 27/28 avril 2018 à Mme [W], n’ayant pas de droit pour outlook, je ne peux pas te répondre. Peux tu donc m’envoyer cette procédure sur info@hotel-la pagerie.com, afin de rajouter à cette procédure comment réarmer le système. Note importante : le fait que la réception soit un espace ouvert, cela permet à n’importe qui de passer derrière le bureau et de faire n’importe quoi. Cordialement [F].

La Cour n’observe aucun propos caractérisant un reproche de la part de l’employeur dans l’échange du 27 avril 2018.

Elle produit par ailleurs en pièce 3 un échange de mails du 21 février 2018, ayant pour objet «la création d’un nouveau poste» dans lequel l’employeur lui adresse une proposition de planning destinée à présenter la nouvelle restructuration de son service et la création d’un service Résa. Il est demandé à Mme [F] [L] de donner un avis sur son service dans un souci d’optimisation de la masse salariale à son service . Il lui est indiqué que cette création de poste lui permettra de se concentrer sur ses missions principales qui sont sur le terrain.

La Cour n’observe dans cet échange aucun propos dégradant ou de reproches ou caractérisant un quelconque harcèlement moral .

Mme [F] [L] produit ensuite 5 attestations de collègue.

Celle de M. [O] rappelle le professionnalisme de Mme [F] [L], fait état de pression sur sa collègue par Mesdames [C] et [W], d’invectives et de harcèlement. Il indique avoir occupé le poste de maitre d’hôtel, dont le bureau était proche de la réception; qu’à l’occasion de réunions de chef de services, il aurait assisté à de remontrances déplacées de la part de Mme [RV] [C] et de la part de Mme [E] [W] envers Mme [F] [L], laquelle aurait toujours fait preuve de sang froid à leur endroit.

Il est observé qu’il ne rapporte aucune des remontrances, invectives alléguées empêchant la Cour d’apprécier la matérialité de ce grief.

Mme [J] dont Mme [F] [L] était la chef de service au moment des faits, rapporte avoir travaillé dans différents pays mais avoir fait à son retour en Martinique l’expérience du racisme. Elle soutient également que le harcèlement dont Mme [F] [L] a été victime est indéniable. Qu’elle aurait été humiliée et rabaissée devant son équipe; destinataire d’ordres contradictoires, de blâmes, dans le but de la faire craquer avant son départ en formation; que son bureau a été remplacé par un bureau d’enfant, que sa santé a empiré, se manifestant par des pertes de poids, des arrêts maladie et du stress. Elle fait état de la manière de procéder de Mmes [C] mère et fille, du chantage et des intimidations, du courage de Mme [F] [L] de dénoncer les conditions de travail que des dizaines d’employés n’ont pas osé dire, du turn over plus important à la Pagerie que dans toutes les autres entreprises où elle a travaillé. Elle relate avoir été témoin de propos qu’aurait tenu Mme [C] «ces antillais méritent des coups de bâtons».

Là encore le témoin ne procède que par voie d’affirmation ne précisant pas quels étaient les ordres contradictoires, les blâmes, la nature des intimidations et du chantage qui aurait été opérées par l’employeur .

Mme [BX] soutient que Mme [F] [L] venait se réfugier au service de l’hébergement pour lui confier qu’elle ne pouvait plus tenir et qu’elle était à bout; que certains de ses collègues lui ont fait des dons de jours de CP pour qu’elle puisse partir le plus tôt possible en formation.

M. [N] réceptionniste à la retraite écrit que la direction s’adressait à son personnel comme si c’était une habitation d’autrefois; que Mme [I] [C] directrice de l’hôtel mettait en permanence la pression sur Mme [F] [L], qui représentait effectivement un harcèlement. Souvent elle pleurait ou partait à bout de force suite au harcèlement, à la pression et au stress qui la rendaient malade.

Mme [P] indique avoir assisté à la mise au placard de Mme [F] [L] du début de l’année 2018 jusqu’à son départ, passant d’un poste de chef de réception à réceptionniste puisque son bureau a été supprimé en faveur d’une personne arrivant de métropole. Elle fait état de la pression que lui mettait souvent la direction à la limite du harcèlement de sorte qu’elle venait la voir aux étages en pleurant, le temps de se refaire avant de retourner à son poste. Elle indique que l’employé venant de métropole était même sommée de donner avertissement à [F]; qu’au vu de son état physique et moral certains collègues avaient décidé de lui offrir des récupérations, pour qu’elle puisse partir plus tôt en congé.

Les pressions évoquées par ces témoins ne sont pas plus décrites.

Interrogée par la direction au sujet de son expérience à la Pagerie et des pratiques managériales de la direction Mme [S] ancienne salariée de l’hôtel répondait par mail du 23 juin 2021 à la question «est ce que la direction criait sur le personnel», comme suit : «me concernant il ne se passait pas un mois sans que vous ne criez sur ma personne ou exerciez une pression psychologique et devant les salariés et devant la clientèle. A la question avez vous ressenti du racisme de la part de la direction .’ , Mme [S] répondait que les locaux aimaient l’hôtel mais qu’ils n’étaient pas les bienvenus; que même la clientèle métropolitaine confiait sentir une pointe de racisme ‘ Que tous les salariés le pensaient à l’époque.

Il n’est pas fait état dans ce mail que du ressenti de cette salariée et non de Mme [F] [L].

Le dossier médical de Mme [F] [L] comporte le certificat du docteur [V] en date du 13 janvier 2021, qui certifie avoir reçu en consultation Mme [F] [L] et prescrit un arrêt de travail du 6 au 22 avril 2018 à la suite d’une asthénie en relation avec un conflit professionnel, en sus de l’avis initial d’arrêt de travail en date du 6 avril 2018.

Il est également produit le dossier médical de Mme [F] [L] en date du 6 avril 2018 contenant les conclusions du docteur [Z] lesquelles ne rapportent que le ressenti de la salariée relatif aux pressions vécues.

Ces attestations évoquent toutes et de manière vague l’existence de pression, d’humiliations et de brimades sans les décrire, ni rapporter aucun des propos tenus à l’endroit de Mme [F] [L]. Il n’est en définitive rapporté par le dossier médical que le ressenti de la salariée sur son lieu de travail. Il s’ensuit que la matérialité de ces pressions, humiliations et brimades n’est pas établie, d’autant qu’elles auraient eu lieu plus d’un an avant la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [F] [L] le 8 octobre 2019, sans qu’elle n’ait alerté son employeur, la médecine ou l’inspection du travail sur les méthodes managériales caractérisant selon elle du racisme ou du harcèlement.

La photo produite en photocopie censée représenter un bureau d’enfant dépourvu d’ordinateur est inexploitable et ne permet aucune appréciation de la Cour.

En conséquence, ces éléments ne permettent pas de présumer de l’existence d’un harcèlement moral contre Mme [F] [L] alors que de son côté, l’employeur produit de nombreuses attestations de salariés qui évoquent la bienveillance et le respect avec lequel le personnel est traité ou l’engagement professionnel de cette direction (Mme [R]. M. [H], Mme [NA], Mme [Y], Mme [G], Mme [X], Mme [U], M. [D]).

La prise d’acte de la rupture ne peut en l’espèce être prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’une démission.

Le jugement est donc infirmé en ce qu’il retient que la prise d’acte de rupture de son contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse compte tenu du comportement de l’employeur et condamne en conséquence ce dernier au paiement d’une somme de 13006,02 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et celle de 2167,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis.

– Sur la demande de remboursement d’un trop perçu d’un montant de 17210,96 euros

L’employeur sollicite le remboursement de la somme susvisée, qu’il aurait indûment versé à la salariée . Il soutient que le fait que l’employeur aurait procédé au versement en toute connaissance de cause n’a aucune incidence sur la recevabilité et le bien fondé de l’action en répétition de l’indu.

Il considère encore qu’il revient uniquement au juge , au vu des éléments de preuve qui lui sont soumis par les deux parties, d’apprécier souverainement si le versement des sommes en cause procédait ou non d’une intention libérale de l’employeur.

Il fait valoir que la convention tripartite signée le 30 mai 2018, fait état d’une formation à plein temps , que le salaire a donc été payé sur la base d’un temps complet alors que la formation est passée à temps partiel continu.

Il produit au soutien de ses demandes :

– une convention tripartite en photocopie censé démontrer un accord sur une formation à temps plein ce qui n’est pas contesté,

– un mail récapitulatif de Mme [W] en date du 22 décembre 2020, adressé à Mme [I] [C] qui fait état d’un changement de rythme de la formation laquelle serait passée à temps partiel , d’une base de maintien de salaire à 100 % sur une base fausse et d’un remboursement du fongecif sur la base d’un temps partiel,

– un échange de mails avec le centre de formation par lesquels Mme [W] demande à Mme [B] courant avril, août, septembre 2020 des informations sur le dossier de Mme [F] [L] ou évoque des erreurs en raison d’une prise en charge à hauteur de 100 % de son salaire par l’employeur, mais de remboursement pour un montant de 20199, 41 euros alors qu’était attendue une somme de 37563,81 euros, soit un solde de 17364,40 euros,

– un mail de Mme [B] [FO] en date du 7 septembre 2020 à l’employeur, indiquant que les remboursements ont été effectués en fonction des justificatifs fournis au prorata du temps passé en formation,

L’employeur ne justifie pas avoir formulé cette demande de remboursement en première instance. Force est de constater que le premier juge n’a pas statué sur une telle demande.

A supposer que cette demande ait été formulée, il est relevé que la convention tripartite stipule un taux de prise en charge de la formation à 100 % pour un horaire mensuel de 169 H outre un montant pris en charge à hauteur de 2440, 12 euros ce qui correspond au salaire brut mensuel de Mme [F] [L]. L’accord des parties et notamment de la salariée a été signé sur la base de la prise en charge de son entier salaire et du coût de la formation. Il est encore mentionné une prise en charge totale de des salaires et charges à hauteur de 23 274 euros outre le coût de la formation de 9256,50 euros soit un montant global de 32530,50 euros.

En conséquence, les éventuelles modifications à ce contrat entre le fongecif et l’employeur non soumises à l’accord des parties et notamment à la salariée, ne lui sont pas opposables en application de l’article 1103 du code civil lequel disposent que» Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits».

Ensuite, l’employeur ne produit pas l’ensemble des remboursements effectués mois par mois par le FONGECIF ni le nombre d’heures pris en charge durant la durée totale de la formation .

En conséquence, la demande de remboursement faite à Mme [F] [L] des salaires qui lui ont été versés par l’employeur à charge pour lui d’être remboursés par le FONGECIF au motif d’un nombre d’heures inférieur au temps plein, n’est ni justifiée en son principe ni en son quantum.

Elle sera rejetée.

– Sur la demande de remboursement d’une avance de 561,79 euros,

La SAIPB sollicite le remboursement d’une avance accordée à Mme [F] [L] non remboursée à ce jour.

En application de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

L’employeur produit aux débats une attestation d’un expert comptable en date du 9 décembre 2021, qui indique que le compte 467700 intitulé, ‘Avance [L] [F] laisse apparaître au 31 juillet 2021 un solde de 561,79 euros qui représente le montant d’une avance accordée à Mme [F] [L] non remboursée à ce jour’.

Cette attestation n’est corroborée d’aucune pièce permettant de confirmer le paiement effectif de cette avance et la date d’un tel paiement à l’intéressée.

La demande est donc rejetée étant précisé que l’employeur ne justifie pas avoir formulé une telle demande devant le conseil des prud’hommes lequel n’a pas statué sur celle- ci.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DÉCLARE la demande de caducité de la déclaration d’appel irrecevable,

INFIRME le jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Fort de France le 28 octobre 2020 en ce qu’il a dit et jugé que la prise d’acte de Mme [F] [L] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAIPB La PAGERIE à payer à cette dernière les sommes de 13006,02 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2167,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

STATUANT à nouveau de ces chefs,

DIT que la prise d’acte de la rupture par Mme [F] [L] de son contrat de travail produit les effets d’une démission,

La DEBOUTE de toutes ses demandes,

Y AJOUTANT

DEBOUTE la SAIPB La PAGERIE de ses demandes de remboursement d’avance sur salaire et de trop perçu,

DIT que l’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAIPB La PAGERIE aux entiers dépens de l’appel.

Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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