Retenues sur salaire : 10 mai 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/01911

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Retenues sur salaire : 10 mai 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/01911

ARRET

[B]

C/

Organisme CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DE L’OISE

copie exécutoire

le 10/05/2023

à

Me METIN

Me VAUTRIN

EG/IL/

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 10 MAI 2023

*************************************************************

N° RG 22/01911 – N° Portalis DBV4-V-B7G-INLE

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 21 MARS 2022 (référence dossier N° RG )

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [L] [B]

né le 29 Juillet 1982 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté, concluant et plaidant par Me David METIN de l’AARPI METIN & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES

ET :

INTIMEE

Organisme CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DE L’OISE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée, concluant et plaidant par Me Gwenaelle VAUTRIN de la SELARL VAUTRIN AVOCATS, avocat au barreau de COMPIEGNE

DEBATS :

A l’audience publique du 08 mars 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

– Mme Eva GIUDICELLI en son rapport,

– les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l’arrêt sera prononcé le 10 mai 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 10 mai 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [B], né le 29 juillet 1982, a été embauché par la Caisse d’allocations familiales de l’Allier par contrat à durée indéterminée à compter du 6 mars 2006, en qualité de conseiller technique en action sociale.

Par avenant à effet du 1er janvier 2009, son contrat a été transféré à la Caisse d’allocations familiales de Creil devenue Caisse d’allocations familiales de l’Oise (la caisse ou l’employeur) en octobre 2011.

Son contrat est régi par la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale.

L’employeur dispose d’un effectif de plus de 10 salariés.

Le 9 novembre 2010, M. [B] a été victime d’un accident du travail dont les séquelles ont engendré un taux d’incapacité permanente de 80 %.

Il a été reconnu travailleur handicapé le 13 avril 2012 et a repris le travail à temps partiel le 20 mai 2014.

Il a été déclaré inapte à son poste suivant avis du médecin du travail du 19 décembre 2018 précisant que tout reclassement ou maintien du salarié serait gravement préjudiciable à sa santé et à sa sécurité.

Par courrier du 8 janvier 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 15 janvier 2019.

Par courrier du 18 janvier 2019, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

S’estimant victime de discrimination et de harcèlement moral justifiant la nullité de son licenciement, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Creil le 8 décembre 2020.

Par jugement du 21 mars 2022, le conseil de prud’hommes a :

– reçu la demande formulée par le défendeur d’écarter les conclusions et pièces de la partie demanderesse communiquées le 8 novembre 2021,

– rejeté la demande du défendeur,

– dit que le licenciement intervenu le 18 janvier 2019 pour inaptitude d’origine professionnelle était fondé,

– débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté la Caisse d’allocations familiales de ses demandes plus amples ou contraires,

– dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que chaque partie conservait la charge de ses propres dépens.

Par conclusions remises le 13 janvier 2023, M. [B], régulièrement appelant de ce jugement, demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Creil en ce qu’il :

‘ a dit que son licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle était fondé,

‘ l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,

‘ a dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ a dit que chaque partie conservait la charge de ses propres dépens,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Creil en ce qu’il a :

‘ débouté la Caisse d’allocations familiales de ses demandes plus amples ou contraires,

Statuant à nouveau,

– juger qu’il a subi des agissements de harcèlement moral commis par son employeur,

En conséquence, condamner la CAF de l’Oise à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du harcèlement moral commis par l’employeur,

– juger qu’il a subi des agissements discriminatoires en raison de son handicap,

En conséquence, condamner la CAF de l’Oise à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des agissements discriminatoires commis par l’employeur,

– juger que la CAF de l’Oise a manqué à son obligation légale de sécurité,

En conséquence, condamner la CAF de l’Oise à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– juger que le licenciement pour inaptitude professionnelle doit être requalifié en licenciement nul en raison du harcèlement moral et des agissements discriminatoires qu’il a subis,

En conséquence, condamner la CAF de l’Oise à lui verser la somme de 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

– fixer la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 1221,04 euros,

– condamner la CAF de l’Oise à lui verser la somme de 23 486 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes en application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil ;

– condamner la CAF de l’Oise aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 13 février 2023, la Caisse d’allocations familiales de l’Oise demande à la cour de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Creil le 21 mars 2022 ;

En conséquence,

– débouter M. [B] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

Dans tous les cas,

– condamner M. [B] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [B] aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur l’existence d’un harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, M. [B] présente les faits suivants comme constitutifs d’agissements répétés de harcèlement moral ayant conduit à une dégradation de son état de santé et ayant compromis son avenir professionnel : non-respect de son anonymat sur le procès-verbal du CHSCT du 12 décembre 2013, isolement au sein du service, maintien d’un environnement de travail hostile, mise sous pression infondée à l’occasion d’une absence.

Il se prévaut :

– du contenu du compte-rendu CHSCT du 12 décembre 2013 présentant les aménagements prévus pour son retour,

– du témoignage de sa compagne sur les conditions de son retour au travail et la dégradation de son état de santé,

– du témoignage de Mme [S], membre élue du CHSCT, sur l’insuffisance des aménagements mis en ‘uvre par l’employeur, et la dégradation de son état de santé,

– des extraits de compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation mentionnant des difficultés dans les conditions de travail liées à la situation de handicap,

– des courriers d’échange avec l’employeur concernant 14 jours d’absence en 2017 et leurs conséquences pécuniaires, l’employeur ayant opéré une retenue sur salaire de la totalité sur un seul mois,

– de divers documents médicaux tels que les fiches d’aptitude délivrée par le médecin du travail et une ordonnance médicale du 2 août 2017.

L’employeur considère que M. [B] n’établit pas la matérialité des agissements de harcèlement moral dont il se prétend victime quant à son isolement et à son maintien dans un environnement hostile au regard de l’ensemble des actions menées en sa faveur pour adapter son poste de travail, et que la dégradation de son état de santé n’est pas prouvée.

S’il ressort des pièces versées aux débats que l’employeur a mis en ‘uvre les aménagements nécessaires à la reprise du travail de M. [B] en mai 2014 sans qu’il puisse lui être reproché d’avoir manqué au respect due à la vie privée de ce dernier lors du CHSCT du 12 décembre 2013 ou de l’avoir isolé de son service en l’installant au rez-de-chaussée dans un bureau adapté en l’absence de dégradation de ses conditions de travail au cours des deux années ayant suivi son retour, il en va autrement de la suite de la relation de travail qui a vu la prise en compte du handicap du salarié par l’employeur s’infléchir jusqu’à ne plus veiller à ses besoins et durcir ses positions.

Ainsi, alors que la fiche d’aptitude du 29 septembre 2016 préconise le rembourrage de l’accoudoir du fauteuil de bureau et un repose-bras, que le salarié a réitéré cette demande dans ses entretiens d’évaluation de 2016 et 2017, que le médecin du travail en a rappelé la nécessité dans son courrier à l’employeur du 4 janvier 2018, aucune solution satisfaisante n’avait été trouvée plus de deux ans après la préconisation.

De même, au titre du maintien d’un niveau d’aménagement de l’environnement de travail adapté à la situation de handicap de M. [B], Mme [S], élue au CHSCT, témoigne de l’absence de point d’eau potable disponible et de toilettes adaptées du fait d’un groom défectueux près du bureau de ce dernier ainsi que de l’absence d’une procédure d’évacuation d’urgence incluant les personnes à mobilité réduite, jusqu’à ce qu’une visite d’inspection des locaux le 18 juin 2018 permette de résoudre ces difficultés, et le salarié fait lui-même état de problèmes dans l’utilisation des sanitaires dans son entretien annuel d’évaluation de 2017.

La prescription d’un antidépresseur par le Docteur [Z], neurologue, le 2 août 2017 est à mettre en lien avec cette situation au regard du témoignage de Mme [S] au terme duquel elle dit avoir «souvent trouvé M. [B] dans un état de mal être avec l’angoisse de venir travailler alors qu’il n’avait jamais eu ces réactions depuis qu’il avait repris ses fonctions en mai 2014», et du rapport de la SAMETH, service d’accompagnement dans l’emploi, qui indique dans le cadre de l’étude de poste réalisée le 13 février 2018, que la situation de santé du salarié s’étant aggravée, le médecin du travail l’a sollicitée afin d’accompagner l’employeur dans le recherche de solutions de maintien.

Concernant le traitement de l’absence de 14 jours en décembre 2017, finalement prise en congé sans solde, en raison d’une panne d’ascenseur dans l’immeuble du salarié l’empêchant de venir travailler, les échanges de courriers de ce dernier avec l’employeur montrent une crispation dans la relation de travail autour des aménagements que la situation de handicap de M. [B] suppose.

Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Concernant le maintien dans un environnement de travail préjudiciable à la santé du salarié, l’employeur ne démontre l’existence d’aucun empêchement susceptible de l’exonérer de ses obligations.

Quant au traitement de l’absence de 14 jours du salarié sans arrêt de travail, l’employeur soutient, pour le justifier objectivement, qu’en accordant à ce dernier un congé sans solde a posteriori, il a nécessairement tenu compte de sa situation particulière, mais qu’il relevait de son pouvoir de direction de lui demander des explications sur son absence et d’en tirer les conséquences en terme de rémunération.

Or, il ressort du bulletin de paie de février 2018 que l’employeur a opéré une retenue sur salaire de l’intégralité des jours non travaillés excédant la quotité saisissable et réduisant le salaire net à 201,23 euros au-delà du minimum vital prévu par l’article R.3252-5 du code du travail.

S’il relevait effectivement de son pouvoir de direction de déduire de la rémunération de M. [B] les jours non travaillés en décembre 2017, l’employeur ne pouvait pratiquer de la sorte sans donner l’impression d’appliquer une sanction pécuniaire, au demeurant interdite en droit du travail.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le harcèlement moral invoqué par M. [B] est caractérisé et sera justement indemnisé à hauteur de 8 000 euros.

Il convient donc d’infirmer le jugement entrepris de ce chef.

2/ Sur l’existence d’une discrimination à raison du handicap

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison de son handicap.

L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

L’article L.1222-9 du même code, issu de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, dispose notamment :I.-Sans préjudice de l’application, s’il y a lieu, des dispositions du présent code protégeant les travailleurs à domicile, le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.
Est qualifié de télétravailleur au sens de la présente section tout salarié de l’entreprise qui effectue, soit dès l’embauche, soit ultérieurement, du télétravail tel que défini au premier alinéa du présent I.
Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe.
En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen. Lorsque la demande de recours au télétravail est formulée par un travailleur handicapé mentionné à l’article L.5212-13 du présent code ou un proche aidant mentionné à l’article L.113-1-3 u code de l’action sociale et des familles, l’employeur motive, le cas échéant, sa décision de refus.

En l’espèce, M. [B] affirme qu’il a été victime de discrimination à raison de son handicap en ce que l’employeur n’a pas procédé aux aménagements raisonnables de son environnement de travail impliqués par son handicap, notamment en lui refusant de télé travailler, et ne l’a plus fait bénéficier d’augmentation individuelle de sa rémunération.

Il verse aux débats :

– un extrait du compte-rendu d’entretien annuel de 2018 mentionnant l’absence de prise en compte de son handicap,

– des échanges avec l’employeur sur sa demande de modification de ses horaires,

– des documents relatifs à la mise en place d’un support de bras préconisé par le médecin du travail,

– des documents relatifs à la mise en place du télétravail,

– les protocoles d’accord relatif au travail à distance des 28 novembre 2017 et 8 janvier 2018,

– divers documents relatifs à l’évaluation de la qualité de son travail.

L’employeur conteste tout manquement dans l’aménagement de l’environnement de travail du salarié estimant avoir répondu à ses besoins spécifiques sur l’accès au poste de travail, aux toilettes et à la cantine ainsi que sur le matériel et l’accompagnement nécessaires, ainsi que dans l’adaptation de ses horaires de travail sous réserve du pouvoir de direction, et dans son évolution salariale au regard de son taux de progression entre 2009 et 2018 plus favorable que l’augmentation moyenne.

L’employeur n’ayant jamais refusé à M. [B] les adaptations d’équipement ou d’horaires de travail requis par son handicap, même si la concrétisation de ces aménagements a parfois tardé ou n’a pas été satisfaisante, les faits invoqués à ce titre ne peuvent être retenus comme laissant présumer l’existence d’une discrimination.

De même, au vu du tableau comparatif 2009-2018 du pourcentage d’augmentation des salaires hors ancienneté produit par l’employeur, il n’apparait pas que l’augmentation individuelle de la rémunération du salarié a été impactée par sa situation de handicap.

En revanche, il ressort des pièces produites que le salarié a formé une demande de mise en place du télétravail par courriel du 19 octobre 2017 en raison de problèmes de déplacement domicile-travail du fait de son handicap, que cette demande a été relayée par le médecin du travail le 4 janvier 2018 afin notamment de permettre une meilleure prise en charge par le kinésithérapeute, que l’employeur lui a refusé cet aménagement par courrier du 7 février 2018, et que le médecin du travail a proposé le 6 décembre 2018 le télétravail comme alternative possible au constat de l’inaptitude puis a rendu un avis d’inaptitude avec dispense de reclassement le 19 décembre 2018.

Ces éléments présentés par le salarié, qui dénotent une absence de prise en compte de sa situation particulière afin de lui assurer des conditions de travail équivalentes aux autres salariés, laissent présumer l’existence d’une situation de discrimination à raison du handicap.

L’employeur justifie le refus de mise en place du télétravail par l’absence d’un accord collectif local ou d’une charte sur ce sujet en 2017, un cadre de mise en ‘uvre défini par l’accord de branche incompatible avec la situation de M. [B], et des conditions de sécurité-incendie qui n’auraient pas été remplies à son domicile en cas de panne de son ascenseur.

Or, si l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail prévoyait la nécessité d’un accord collectif local ou d’une charte préalable à la mise en place du télétravail dans l’entreprise, la loi de ratification du 29 mars 2018, en vigueur au 31 mars 2018, a supprimé cette exigence.

Dès lors, l’absence d’accord collectif local ou de charte ne pouvait justifier que l’employeur continue à ne faire aucune tentative de mise en ‘uvre du télétravail pour M. [B] malgré les préconisations du médecin du travail, et ce d’autant que le protocole d’accord de l’Union des caisses nationales de Sécurité sociale du 8 janvier 2018 prévoyait la possibilité de déroger à l’alternance présentiel/distanciel quand le télétravail est de nature à favoriser l’emploi des salariés en situation de handicap et quand il est préconisé par le médecin du travail afin de maintenir le salarié en activité.

De même, si la question de la sécurité du salarié à son domicile en raison de pannes d’ascenseur pouvant empêcher son évacuation en cas d’incendie pouvait être pertinente en réponse à sa demande du 19 octobre 2017, quoique le délai de réponse pose question sur la force de cet argument, elle ne pouvait plus justifier à elle seule, sans un nouvel examen de la situation du salarié, l’absence de réponse à la préconisation du médecin du travail afin d’éviter que l’inaptitude de M. [B] ne soit constatée.

L’employeur ne rapportant pas la preuve que le maintien de son refus de mise en ‘uvre du télétravail était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, l’existence d’une discrimination à raison du handicap doit être retenue et justement indemnisée à hauteur de 10 000 euros.

Il convient donc d’infirmer le jugement entrepris de ce chef.

3/ Sur l’existence d’un manquement à l’obligation de sécurité

M. [B] soutient que l’employeur a manqué à son obligation de préservation de sa santé en tardant à mettre en ‘uvre les préconisations du médecin du travail, en lui refusant le télétravail, en omettant d’organiser une visite de reprise à la suite de son arrêt de travail du 6 novembre au 10 décembre 2017, et en le laissant travailler dans un bureau présentant des risques pour sa santé physique.

L’employeur répond qu’il a tout mis en ‘uvre pour adapter le poste de travail du salarié, notamment quant au support de bras, que le refus de mise en place du télétravail était justifié, et que n’ayant pas été informé de la date de reprise de M. [B] à l’issue de son arrêt-maladie, il ne pouvait organiser la visite de reprise. Il ajoute que le salarié ne justifie d’aucun préjudice distinct.

L’article L.4121-1 du code du travail dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L.4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

En l’espèce, s’il ressort du courriel du médecin du travail du 13 décembre 2017 que l’employeur a satisfait à ses obligations relatives à l’organisation de la visite de reprise du salarié et que la dangerosité du déplacement des plaques de plafond du bureau n’est pas démontrée, il est établi par les précédents développements que malgré plusieurs demandes tant du salarié que du médecin du travail, l’équipement adapté pour soulager ses douleurs au bras à son poste de travail n’a jamais pu lui être fourni, et que l’absence de démarches pour lui aménager des temps de télétravail préconisés par le médecin du travail n’était pas justifiée.

Dès lors, l’employeur a manqué à son obligation de mettre en place une organisation et des moyens adaptés.

Or, si le salarié ne justifie d’aucun préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre de la discrimination du fait du refus de mise en place du télétravail, il ressort de l’étude de poste réalisée par le médecin du travail le 6 décembre 2018 que l’absence de rembourrage du support de bras et de l’accoudoir a causé une aggravation de la douleur du membre supérieur droit du salarié.

Il convient donc d’indemniser ce préjudice, distinct du préjudice découlant du harcèlement moral déjà indemnisé, en accordant à M. [B] 3 000 euros de dommages et intérêts par infirmation du jugement entrepris.

4/ Sur la nullité du licenciement

M. [B] estime que le harcèlement moral qu’il a subi, y compris dans le cadre de la procédure de licenciement émaillée d’incident quant au délai et au lieu de convocation à l’entretien préalable, ainsi que les mesures discriminatoires dont il a fait l’objet ont provoqué son licenciement pour inaptitude.

Il insiste sur le préjudice important qui en résulte du fait de sa situation de handicap le mettant en grande difficulté pour retrouver un emploi alors qu’il avait tout mis en ‘uvre pour se maintenir à son poste à la suite de son accident.

L’employeur répond que la demande de nullité du licenciement ne vise qu’à contourner la règle de prescription en matière de rupture du contrat de travail et qu’aucune demande n’est formulée au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement.

L’article L.1152-3 du code du travail dispose notamment que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions relatives au harcèlement moral est nul.

En application des dispositions de l’article L.1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination est nul.

En l’espèce, l’avis d’inaptitude précisant «inapte définitivement au poste de conseiller technique en lien avec l’accident du travail du 09/11/2010, dans les conditions d’organisation actuelles au sein de la CAF Oise. Tout reclassement ou maintien du salarié serait gravement préjudiciable à sa santé et sécurité. Compte tenu de l’insuffisance finale de tout les aménagements réalisés, il est de son intérêt physique et psychologique d’être orienté vers un milieu protégé et ou activité de conseil au sein d’une association de défense du handicap du fait des connaissances acquises» alors qu’il est établi par les développements précédents que l’employeur a créé une situation de harcèlement moral en ne mettant pas tout en ‘uvre pour maintenir des conditions de travail adaptées, ainsi qu’une situation de discrimination à raison du handicap en refusant un aménagement de travail qui aurait pu permettre le maintien dans l’emploi, la nullité du licenciement doit être prononcée par infirmation du jugement entrepris.

Au vu des bulletins de salaire produits, le salaire moyen est fixé à 1 221,04 euros.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à son handicap, de son ancienneté dans l’entreprise et de l’effectif de celle-ci, la cour fixe à 15 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul.

Le salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d’office des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne Pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

5/ Sur les demandes accessoires

S’agissant de créances indemnitaires, les sommes accordées ci-dessus portent intérêts au taux légal de plein droit à compter du prononcé du présent arrêt.

L’employeur, succombant totalement, supporte les dépens de première instance par infirmation du jugement entrepris, ainsi que les dépens d’appel.

L’équité commande de le condamner à payer 5 000 euros au salarié au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, sa demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

infirme le jugement du 21 mars 2022 en ses dispositions soumises à la cour,

statuant à nouveau et y ajoutant,

prononce la nullité du licenciement pour harcèlement moral et discrimination à raison du handicap,

fixe le salaire moyen à 1 221,04 euros,

condamne la Caisse d’allocations familiales de l’Oise à payer à M. [L] [B] les sommes suivantes :

– 8 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,

-10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la discrimination,

– 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement à l’obligation de sécurité,

– 15 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la nullité du licenciement,

– 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,

ordonne à la Caisse d’allocations familiales de l’Oise de rembourser à l’antenne Pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations,

rejette le surplus des demandes,

condamne la Caisse d’allocations familiales de l’Oise aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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