Mise à pied disciplinaire : 31 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02218

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Mise à pied disciplinaire : 31 mai 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02218
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 MAI 2023

N° RG 21/02218

N° Portalis: DBV3-V-B7F-UUB5

AFFAIRE :

[L] [B]

C/

Société AMBULANCE AES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 juin 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT-GERMAIN-EN-

LAYE

Section : C

N° RG : 20/00020

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Aurélie ARNAUD

Me Christophe SARIA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [L] [B]

né le 23 Mars 1964 à [Localité 5] (95)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Aurélie ARNAUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0343

APPELANT

****************

Société AMBULANCE AES

N° SIRET : 500 600 002

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Christophe SARIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2046

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 29 mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [B] a été engagé par la société Ambulances Europe Secours (AES), en qualité d’ambulancier 1er degré, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 30 avril 2014.

La société AES est une société d’ambulances. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle de 2 483,04 euros (moyenne des trois derniers mois, selon le salarié et la société).

Par lettre du 20 décembre 2018, un avertissement a été notifié au salarié pour non-respect des consignes concernant le nettoyage des véhicules après le service.

Par lettre du 21 octobre 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé le 12 novembre 2019.

Il a été licencié par lettre du 19 novembre 2019 pour faute grave dans les termes suivants:

« Alors que vous êtes mis à pied à titre conservatoire depuis le 12 novembre 2019 jusqu’à la notification de notre décision, vous vous êtes présenté sur votre lieu de travail les 18 et 19 novembre 2019.

 

Le Dimanche 17 novembre 2019,  vous  nous aviez pourtant adressé un SMS pour annoncer votre  reprise d’activité au 18 novembre 2019, sans attendre la décision de la Direction et sans son accord. Nous vous avions alors rappelé le 18 novembre 2019 à 9h00, par SMS, que vous étiez toujours mis à pied à titre conservatoire jusqu’à la notification de la décision.

 

En vous présentant malgré tout les 18 et 19 novembre 2019 dans l’entreprise, en exigeant du Régulateur, en l’absence du dirigeant, qu’il atteste sur un document de votre présence dans l’entreprise, vous avez manifesté par ce comportement votre refus d’obtempérer à une mesure conservatoire prévue à l’article L. 1332-3 du Code du travail. Nous ne pouvons que le déplorer. Pire, vos arrivées des 18 et 19 novembre 2019 dans l’entreprise ont causé un trouble dans l’entreprise et votre refus de quitter l’entreprise tant que vous n’obtiendrez pas une attestation signée  que  vous  avez  exigée,  en  exerçant  des  pressions  fortes  auprès  de  notre  personnel,  sont  totalement inadmissibles.

Ainsi que nous l’avons exposé lors de l’entretien du 12 novembre 2019, les motifs de ce licenciement sont les suivants :

En date du 4 octobre 2019, alors que vous étiez affecté pour une mission prévue le 5 octobre 2019 à 6h00, vous avez refusé celle-ci auprès du Régulateur et ce, sans avancer de motif valable et alors que vous étiez prévu pour assurer ce transport. Face à votre refus d’obtempérer, et suite à mon intervention, vous avez accepté cette mission mais «à condition de terminer tôt». Il a fallu que nous insistions auprès de vous pour que cette mission soit assurée; ce qui n’est ni normal, ni attendu d’un ambulancier. Vous avez assuré au Régulateur que vous alliez assurer cette mission à 6h00 et ce « uniquement à titre exceptionnel », or, cela fait partie de votre activité et était déjà prévu pour votre planning.

Le 5 octobre 2019, le Régulateur a souhaité vous affecter un transport sanitaire. Au moment d’échanger avec vous pour vous donner les précisions de celui-ci, il a appris avec stupeur que vous étiez en chemin pour rentrer chez vous et ce, sans avoir consulté personne, ni prévenir votre direction ! En effet, vous avez décidé de mettre un terme à votre journée de travail alors que celle-ci n’était pas terminée. Votre comportement a créé un trouble dans le fonctionnement de l’entreprise puisque le temps que vous repreniez votre travail, le patient qui vous attendait est arrivé en retard à sa séance de dialyse. Cette situation est intolérable car préjudiciable.

Enfin, le 16 octobre 2019, vous avez, une nouvelle fois, refusé d’assurer une mission au prétexte que vous n’aviez pas à le faire passé 19h00. Or, cette règle n’existe pas et une nouvelle fois, c’est vous qui modifiez de manière unilatérale votre planning quitte à perturber le service et au détriment des patients et de l’organisation de vos collègues.

C’est d’ailleurs ce que je vous avais rappelé immédiatement par SMS. Malgré tout, vous avez terminé avant le terme votre journée de travail… Nous ne pouvons que le déplorer.

Votre collègue, lors de cette course du 16 octobre 2019, a affirmé ne pas avoir refusé d’exécuter la mission. Il a expliqué  avoir  dû  suspendre  son  activité  en  même  temps  que  vous  car  le  transport  en  ambulance  se  fait obligatoirement à deux.

Lorsque vous refusez une mission ou modifiez les horaires, c’est une ambulance qui est immobilisée. Votre binôme ne peut pas assurer la mission seul. Et ce sont des rendez-vous pris avec les patients ou les hôpitaux qui sont soit annulés, soit retardés.

De même nous vous précisons, suite à la réception ce jour de votre courrier du 18 novembre 2019, qu’il n’existe pas « d’équipe de l’après midi » qui ne travaillerait jamais le matin…

En qualité d’ambulancier, vous n’êtes pourtant pas sans savoir que le planning est établi à l’avance et porté à la connaissance du personnel et ce, pour la bonne marche de l’entreprise. Sauf impératif ou absence dûment justifiée, le salarié n’a pas à modifier le planning établi, ni à travailler selon ses disponibilités, ni ses conditions.

En agissant ainsi en octobre 2019, vous avez fortement perturbé l’enchaînement des missions, et nous ne pouvons le tolérer.

Lors de l’entretien préalable, vous avez fourni un justificatif pour le refus de mission du 16 octobre 2019… soit près d’un mois plus tard. Avant cela, et à aucun moment, vous n’avez jugé utile de justifier auprès de votre employeur de ce comportement qui pourtant avait causé un trouble dans l’entreprise.

C’est régulièrement ainsi que vous agissez : vous gérez votre temps comme vous l’entendez en choisissant les missions qui vous plaisent, en refusant certaines courses ou en quittant plus tôt l’entreprise. Vous refusez de comprendre qu’il vous faut respecter le planning et obtenir l’accord de la Direction avant de quitter votre poste de travail, sans justificatif valable.

Vous refusez la discipline générale de l’entreprise, d’exécuter les tâches prévues dans votre contrat de travail et afférentes à votre profession d’ambulancier et vous résistez à l’autorité de votre employeur.

Nous considérons que ces agissements fautifs relèvent de l’insubordination.

A cause de votre comportement de défiance vis-à-vis de l’employeur devant les salariés et de votre insubordination manifeste, illustrée dernièrement par le refus d’obtempérer à une mesure de mise à pied conservatoire, le fonctionnement de l’entreprise s’en trouve gravement perturbé.

De plus, lors de l’entretien préalable du 12 novembre 2019 au cours duquel vous avez tenté de justifier, très tard, uniquement votre agissement du 16 octobre 2019, vous avez refusé de vous engager personnellement pour faire cesser ces troubles et à améliorer votre comportement pour la bonne marche de l’entreprise.

C’est M. [P] qui a dû prendre un engagement à votre place en se portant garant de vos futurs agissements. Nous ne pouvons que déplorer le fait que cette initiative ne vienne pas de vous et qu’il vous faille un « garant » pour garantir la conformité de votre comportement aux règles et à la discipline de l’entreprise, ainsi qu’aux termes de votre contrat de travail.

Face à votre manque de volonté claire et non équivoque d’exécuter de manière lovale votre contrat de travail en respectant le planning et en exécutant correctement les missions qui vous sont attribuées, nous avons été contraints de vous notifier le 12 novembre 2019, lors de l’entretien préalable, et verbalement, votre mise à pied à titre conservatoire et ce, pour faire cesser ce comportement qui perturbe considérablement la bonne marche de l’entreprise.

Au regard de ce qui précède, il en résulte des manquements volontaires graves de votre part et que vous avez violé les obligations essentielles de votre contrat de travail et tout particulièrement votre obligation d’exécution loyale dudit contrat.

Ces violations vous sont exclusivement imputables et elles justifient pleinement la présente mesure.

En conséquence, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.»

Le 25 janvier 2020, M. [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye aux fins de requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, annuler l’avertissement du 20 décembre 2018 et obtenir diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement du 10 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye (section commerce) a :

– fixé le salaire mensuel moyen de M. [B] à la somme de 2 483,04 euros bruts

– constaté que le licenciement de M. [B] intervenu le 19 novembre 2019 pour faute grave est justifié,

– débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté la société Ambulances Europe Secours de sa demande,

– dit que chaque partie conservera la charge des dépens par elle avancés.

Par déclaration adressée au greffe le 8 juillet 2021, M. [B] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 février 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [B] demande à la cour de :

– le juger recevable en ses conclusions et l’y déclarer bien fondé,

– infirmer le jugement du 10 juin 2021 du conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye en ce qu’il a jugé son licenciement pour faute grave justifié et l’a débouté de ses demandes,

en conséquence,

– annuler l’avertissement du 20 décembre 2018,

– juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave,

– condamner la société Ambulances Europe Secours à lui régler les sommes suivantes :

. 14 898,24 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4 966,08 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 496,60 euros au titre des congés payés y afférents,

. 3 465,91 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

. 546 euros bruts de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire,

. 54,60 euros au titre des congés payés y afférents,

. 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut d’exécution de l’ordonnance de conciliation du 12 mars 2020 et défaut de fiabilité du système de décompte des heures,

. 14 898,24 à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

. 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Ambulances Europe Secours à lui remettre à ses documents de fins de contrats rectifiés et conformes à la décision à venir (attestation Pôle emploi et bulletin de paie valant solde de tout compte), le tout sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt,

– condamner la société Ambulances Europe Secours aux dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Ambulances Europe Secours demande à la cour de :

– constater que le licenciement pour faute grave de M. [B] est justifié,

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Layes du 10 juin 2021 en ce qu’il a débouté M. [B] l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [B] à 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

MOTIFS

Sur l’avertissement du 20 décembre 2018

Le salarié expose que cet avertissement ne repose que sur le fait qu’il n’aurait pas nettoyé son véhicule le 8 novembre 2018, alors que ce jour là son service s’est achevé à 19h45 comme l’indique la feuille d’heures communiquée par la société en pièce 22, et qu’il avait été demandé aux salariés de ne pas procéder à cette tâche, un salarié devant être affecté au nettoyage de tous les véhicules ce jour-là, qu’il n’a jamais eu connaissance du protocole invoqué par la société.

L’employeur objecte que le nettoyage du véhicule fait bien évidemment partie de ses missions et qu’un protocole est tenu à la disposition de tous les salariés.

***

Il ressort des pièces du dossier que la fin de service est intervenue à 19h45 pour une dernière course démarrant à 19h30 et se terminant à 19h40, la prise de service ayant commencé à 10h, soit une amplitude horaire de 9h45, étant rappelé que l’amplitude journalière maximale est de 10h, de sorte que l’allégation du salarié, à laquelle ne réplique pas l’employeur, selon laquelle l’employeur a indiqué au salarié que ce jour-là le nettoyage du véhicule serait effectuée par un autre salarié est étayée.

Par voie d’infirmation il conviendra d’annuler l’avertissement du 20 décembre 2018, la cour relevant qu’aucune demande indemnitaire n’assortie cette demande d’annulation.

Sur le licenciement pour faute grave

Le salarié expose que le litige prend sa cause dans la prise de position du salarié considéré par l’employeur comme étant à l’origine d’une lettre du 5 juillet 2018 signé par 19 salariés dénonçant leurs conditions de travail et une discrimination salariale, que l’avertissement du 8 novembre 2018 lui fait comme seul reproche l’absence de nettoyage de son véhicule, ce qu’il n’avait pas le temps matériel d’effectuer, que son licenciement a déjà été sanctionné par la mise à pied disciplinaire de cinq jours notifiée oralement le 12 novembre 2019 lors de l’entretien préalable à sanction, que c’est donc à juste titre qu’il s’est présenté à son poste au terme de cette mise à pied, que la lettre de convocation à l’entretien préalable n’évoque pas une mise à pied à titre conservatoire, que l’employeur est défaillant à établir.

L’employeur ne réplique pas sur le caractère disciplinaire ou non de la mise à pied notifiée le 12  novembre 2019, son conseil indiquant seulement à l’audience qu’une mise à pied disciplinaire n’aurait certainement pas été notifiée oralement, que dès lors la mise à pied est nécessairement notifiée à titre conservatoire. Sur les griefs, il expose notamment que le planning d’une société concurrente établit qu’il a refusé une mission, la course étant donnée à cette autre société.

Sur la qualification de la mise à pied notifiée le 12 novembre 2019

Aux termes de l’article L.1232-2 du code du travail, l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation.

Aux termes de l’article R.1232-1, la lettre de convocation prévue à l’article L. 1232-2 indique l’objet de l’entretien entre le salarié et l’employeur.

L’objet de la convocation à l’entretien préalable au licenciement étant substantiel le courrier de l’employeur doit mentionner l’objet de l’entretien. (Soc., 19 mars 1998, pourvoi n° 95-43.618, Bulletin 1998, V, n° 160)

La mise à pied prononcée par l’employeur dans l’attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée dans le même temps a un caractère conservatoire. (Soc., 18 mars 2009, pourvoi n° 07-44.185, Bull. 2009, V, p. 81).

Cependant, la mise à pied non suivie immédiatement de l’engagement d’une procédure de licenciement, malgré la qualification de mise à pied conservatoire donnée par l’employeur, présente le caractère d’une sanction disciplinaire et l’employeur ne peut ensuite décider à raison des mêmes faits le licenciement de l’intéressé. (Soc., 19 septembre 2007, pourvoi n° 06-40.155).

Au cas présent, la lettre du 21 octobre 2019 indique que l’entretien du 12 novembre 2019 est un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, mais pas d’un entretien préalable au licenciement. Cette lettre énonce de façon très détaillée les griefs qui seront ensuite repris dans la lettre de licenciement notifiée au salariée le 19 novembre 2019.

Cette lettre indique la possibilité pour le salarié de s’y faire accompagner, ce qu’il a fait puisqu’il a été assisté lors de cet entretien par M. [P] qui a attesté que ‘à la fin de l’entretien M. [I] [le gérant] a conclus une mise à pied de 5 jours pour M. [B] [L]’. Le salarié produit le SMS par lequel il a indiqué, le dimanche 17 novembre 2019, être dans l’attente de la lettre de notification de la mise à pied de cinq jours, et qu’il reprendrait son travail à l’issue, soit le lendemain de l’envoi de ce sms, le 18 novembre 2019, où il établit s’être présenté sur son lieu de travail.

L’employeur n’établit pas avoir notifié au salarié une mise à pied conservatoire ni avoir engagé la procédure de licenciement immédiatement après l’entretien du 12 novembre 2019 au cours duquel la mise à pied du salarié a été prononcée. Au surplus le délai écoulé, supérieur à trois semaines, entre la convocation à l’entretien préalable à sanction et la date de cet entretien, est contradictoire avec le fait que, trois semaines plus tard, l’employeur ait in fine, décidé, selon lui de mettre à pied le salarié à titre conservatoire dans l’attente de son licenciement pour faute grave.

En conséquence il convient, par voie d’infirmation, de qualifier la mise à pied notifiée le 12 novembre 2019 au salarié de mise à pied à titre disciplinaire.

Les faits reprochés dans la lettre de licenciement notifiée au salarié le 18 novembre 2019 ayant de ce fait déjà été sanctionnés par la mise à pied notifiée le 12 novembre 2019, précédemment qualifiée de disciplinaire, le licenciement doit en conséquence être jugé sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

La faute grave étant écartée il convient de faire droit à la demande de rappel de salaire au titre de la mise à pied, soit la somme, non contestée en son quantum par l’employeur, de 546 euros bruts de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, outre 54,60 euros au titre des congés payés afférents.

Le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis qu’il y a lieu de fixer en considération de la rémunération qu’il aurait perçue s’il avait travaillé durant le préavis, soit la somme non contestée en son quantum par l’employeur, de 4 966,08 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 496,60 euros au titre des congés payés y afférents.

Le salarié peut prétendre à une indemnité légale de licenciement qu’il convient de fixer à la

somme de 3 465,91 euros.

En application des dispositions de l’article L. 1235-3, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié, M. [B] ayant acquis une ancienneté de 5 années complètes au moment de la rupture dans la société employant habituellement au moins onze salariés, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre 3 mois et 6 mois de salaire.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié (2 483,04 euros, tel que fixé par le conseil de prud’hommes dont ces motifs ne sont pas critiqués), père de cinq enfants dont un enfant handicapé, de son âge (55 ans), de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, il y a lieu de condamner l’employeur à lui payer la somme de 14 898,24 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d’indemnités.

Sur le défaut d’exécution de l’ordonnance de conciliation du 12 mars 2020 et le défaut de fiabilité du système de décompte des heures

Le salarié fait valoir que le 17 avril 2020 seules les feuilles d’heures et feuilles de route ont été communiquées par la société, ces éléments ne reflétant pas à eux seuls la totalité des horaires du salarié, car elles n’indiquent pas l’heure d’arrivée du salarié à la société et son heure de départ après nettoyage du véhicule, de sorte que seuls les relevés de pointage, que la société a toujours refusé de communiquer, invoquant une ‘difficulté avec le système’, font état des véritables horaires de travail. Il expose qu’il ne formule aucune demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires car il est de ce fait dans l’incapacité de les calculer précisément en raison de l’absence de communication de ces pièces, en violation de l’ordonnance du bureau de conciliation, dont le conseil de prud’hommes n’a pas tiré les conséquences.

L’employeur objecte que le salarié n’est pas en mesure d’effectuer une seule demande au titre des heures supplémentaires, les feuilles de route étant remplies par le salarié lui-même, qui n’a jamais fait la moindre réclamation, qu’il pouvait établir des décomptes à partir de ces éléments, qu’elle n’a pas été en mesure de communiquer les feuilles de pointage en raison d’une difficulté du système, que l’analyse des feuilles d’heures établit qu’il a bénéficié de ses temps de repos.

***

Il n’est pas contesté que par ordonnance du 17 avril 2020, le bureau de conciliation a ordonné à l’employeur de communiquer au salarié les feuilles d’heure, feuilles de route et relevés de pointage de M. [B] de novembre 2016 à novembre 2019.

Seuls les relevés de pointage n’ont pas été produits, cependant que tant les feuilles d’heures, remplies par le salarié lui-même, que les feuilles de route sont versées aux débats, de sorte que le salarié a été mis en mesure de les analyser et d’établir à partir de ces documents une demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.

L’allégation du salarié selon laquelle ces documents ne permettent pas de connaître l’heure d’arrivée du salarié à la société et son heure de départ après nettoyage du véhicule sont dépourvues d’offre de preuve. Au contraire, les feuilles de route mentionnent une heure de début du service, antérieure à l’horaire de la première course, et une heure de fin de service, postérieure à l’horaire de la dernière course. Sur cette base, le salarié était donc en mesure d’établir le décompte de heures de travail effectuées qu’il estimait ne pas avoir été rémunérées.

Par des motifs pertinents que la cour d’appel adopte, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts ‘pour défaut d’exécution de l’ordonnance de conciliation du 12 mars 2020 et défaut de fiabilité du système de décompte des heures’.

Sur le travail dissimulé

Le salarié soutient que les bulletins de paie ne font pas mention de toutes les heures de travail effectuées, que la société, en refusant de communiquer les relevés de pointage, a délibérément dissimulé les heures effectuées, de sorte que le délit de travail dissimulé est constitué.

Cependant, par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont retenu que l’examen des feuilles de route et des bulletins de paie produits ne permet pas constater un écart entre les heures relevées d’une part et d’autre part les heures payées au salarié, qui ne fournit d’ailleurs dans ses écritures aucun exemple de l’écart qu’il allègue.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la remise des documents sociaux

Il convient d’ordonner à la société Ambulances Europe Secours de remettre à M. [B] ses documents de fins de contrats rectifiés et conformes à la décision à venir (attestation Pôle emploi et bulletin de paie valant solde de tout compte), sans qu’il n’y ait lieu d’assortir cette remise d’une astreinte.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu d’infirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Il y a lieu de condamner la société Ambulances Europe Secours aux dépens de première instance et d’appel, et de la condamner à payer au salarié la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter sa demande fondée sur ce texte.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il fixe le salaire mensuel moyen de M. [B] à la somme de 2 483,04 euros bruts, en ce qu’il déboute M. [B] de sa demande de dommages-intérêts pour défaut d’exécution de l’ordonnance de conciliation du 12 mars 2020 et défaut de fiabilité du système de décompte des heures et d’indemnité pour travail dissimulé, et en ce qu’il déboute la société Ambulances Europe Secours de sa demande.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

ANNULE l’avertissement du 20 décembre 2018,

QUALIFIE de disciplinaire la mise à pied notifiée le 12 novembre 2019 à M. [B],

En conséquence,

DIT que le licenciement pour faute grave de M. [B] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Ambulances Europe Secours à payer à M. [B] les sommes suivantes:

– 14 898,24 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 4 966,08 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 496,60 euros au titre des congés payés afférents,

– 3 465,91 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 546 euros bruts de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire,

– 54,60 euros au titre des congés payés y afférents,

ORDONNE d’office à la société Ambulances Europe Secours de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de trois mois d’indemnités,

ORDONNE à la société Ambulances Europe Secours de remettre à à M. [B] ses documents de fins de contrats rectifiés et conformes à la décision à venir (attestation Pôle emploi et bulletin de paie valant solde de tout compte), sans qu’il y ait lieu d’assortir cette remise d’une astreinte,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Ambulances Europe Secours à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Ambulances Europe Secours aux dépens de première instance et d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Mme Aurélie Prache, Présidente et par Mme Marine Mouret, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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