Mise à pied disciplinaire : 6 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01347

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Mise à pied disciplinaire : 6 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01347
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 06 JUIN 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01347 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDRP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Novembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY CEDEX – RG n° 18/02530

APPELANTE

S.A.S. BECK EXPORT AUTOMOBILE

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

INTIME

Monsieur [F] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136

PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE

POLE EMPLOI

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau du VAL DE MARNE, toque : PC003

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [F] [R], né en 1978, a été engagé par la SAS Beck Export Automobile, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 mars 2000 en qualité de mécanicien.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des services de l’automobile.

Par avenant du 20 janvier 2011, M. [R] a été promu technicien expert responsable d’atelier, échelon 12.

A compter de 2016, M. [E] [X] a été nommé directeur général de la société Beck Export Automobile.

Par courrier du 1er mars 2018, la société Beck Export Automobile a notifié au salarié une mise à pied disciplinaire pour la journée du 14 mars 2018 en raison des motifs suivants : avoir endommagé le portail, être quotidiennement en retard de 30 à 45 minutes.

Par courrier du 14 mars 2018, le salarié a contesté cette mise à pied en demandant, notamment, à visionner les caméras de surveillance. La société y a répondu le 27 mars 2018 en maintenant sa position.

Le 5 avril 2018, M. [R] a été victime d’un accident du travail, reconnu comme tel par la CPAM le 14 mai 2018. Le salarié a été placé en arrêt de travail pour accident du travail du 5 avril au 25 mai 2018 puis en arrêt de travail à compter du 26 mai 2018.

Demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, des rappels de primes (rendement, qualité, d’objectifs, d’habillage), un rappel de salaire au titre de la nullité de la mise à pied disciplinaire, des dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée et des compléments de 13ème mois pour les années 2016 et 2017, M. [R] a saisi le 6 août 2018 le conseil de prud’hommes de Bobigny.

Le 26 mars 2019, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude, précisant que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » et que « au vu de son état de santé, le salarié ne peut pas suivre de formation dans l’entreprise ».

Par lettre datée du 12 avril 2019, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 24 avril suivant, auquel il ne s’est pas présenté.

Par courrier du 15 avril 2019, M. [R] a saisi la CPAM d’une demande de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur.

Le salarié a été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement par lettre datée du 27 avril 2019.

A la date du licenciement, M. [R] avait une ancienneté de plus de 18 ans et la société Beck Export Automobile employait à titre habituel plus de dix salariés.

Le 21 juin 2019, le salarié a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Bobigny qui, par ordonnance du 11 octobre 2019, a condamné la société Beck Export Automobile à payer à M. [R] diverses sommes à titre provisionnel relatives à l’ indemnité de congés payés, à l’ indemnité spéciale de licenciement et à l’ indemnité compensatrice de préavis.

Par jugement du 17 novembre 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et les prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Bobigny a statué comme suit :

– déboute la société Beck Export Automobile de sa demande de sursis à statuer

– prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] au 27 avril 2019, laquelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

– annule la sanction disciplinaire prononcée le 1er mars 2018 à l’encontre de M. [R]

– confirme partiellement l’ordonnance rendue par le conseil de prud’hommes de Bobigny en sa formation de référé, le 11 octobre 2019, dans les dispositions suivantes :

« (‘) 5.984,00 € (cinq mille neuf cent quatre-vingt-quatre euros) à titre d’indemnité compensatrice de préavis » et condamne en tant que de besoin

– Dit que le paiement interviendra en deniers ou quittance valable.

– condamne la société Beck Export Automobile à verser à M. [R] les sommes suivantes:

Avec intérêts de droit à compter du 12 septembre 2018, date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation :

17.478,30 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement,

85,20 € à titre de rappel de salaire afférent à la mise à pied disciplinaire,

8,52 € à titre d’indemnité de congés payés incidente,

669,75 € à titre de rappel de salaire afférents à la prime d’habillage

66,00 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

3.418 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de rendement

341 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

2.749 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de qualité

274 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

Avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement :

35.904 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– ordonne la remise à M. [R] par la société Beck Export Automobile d’une attestation pôle emploi conforme au jugement

– déboute M. [R] du surplus de ses demandes

– déboute la société Beck Export Automobile de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamne aux éventuels dépens de la présente instance.

Par déclaration du 25 janvier 2021, la société Beck Expoirt Automobile a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 23 décembre 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 octobre 2021, la SAS Beck Export Automobile demande à la cour de :

-Déclarer la société Beck Export Automobile et bien fondée en son appel,

-Infirmer le jugement du 17 novembre 2020 rendu par le conseil de prud’hommes de Bobigny en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau

-surseoir a’ statuer jusqu’à la décision du tribunal judiciaire à intervenir relative à l’existence d’une faute inexcusable de la socie’te’ Beck Export Automobile

Subsidiairement :

– Confirmer le jugement en ce qu’il a écarté l’existence du harcèlement moral ;

– Confirmer le jugement en ce qu’il a reconnu que la prime de 13e mois n’avait pas été modifiée

– L’infirmer pour le surplus,

Et statuant à nouveau :

– Rejeter la demande de nullité du licenciement

– Rejeter l’ensemble des demandes de M. [R]

– Annuler la décision de remise à M. [R] d’une attestation pôle emploi conforme au jugement

À titre encore plus subsidiaire

Si par extraordinaire la cour devait entrer en voie de condamnation et devait ne pas reconnaître une cause réelle et sérieuse au licenciement de monsieur [R]

-Limiter alors le montant des dommages intérêts accordés à M. [R] au barème légal fixe’ par l’article L. 1235-3 du code du travail soit entre 3 et 14,5 mois de salaire

-rejeter les demandes de Pôle-emploi en d’allocations chômage et au titre de l’article 700 du code de procédure civile ou tout au moins en limiter le montant

En tout état de cause

– Débouter M. [R] et pôle emploi de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

– Condamner M. [R] à payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 juillet 2021, M. [R] demande à la cour de :

A titre principal :

-infirmer jugement en ce qu’il a débouté M. [R] de sa demande formulée à titre principal aux fins de juger que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul

Statuant à nouveau :

-juger la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul

-condamner société Beck Export Automobile à verser à M. [R] 56.568 € à titre d’indemnité pour licenciement nul

A titre subsidiaire :

-confirmer jugement en ce qu’il a jugé que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société Beck Export Automobile à verser à M . [R] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

-infirmer jugement en ce qu’il a limité le quantum de la condamnation pour indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 35.904 €

Statuant à nouveau :

-confirmer société Beck Export Automobile à verser à M. [R] 56.568 € à titre d’indemnité pour licenciement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En tout état de cause :

-infirmer jugement en ce qu’il a débouté M. [R] du surplus de ses demandes

-infirmer jugement en ce qu’il a débouté M. [R] des demandes suivantes :

403 € à titre de rappel de prime d’objectif

40 € congés payés afférents

1.000 € à titre de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée

92 € à titre de complément 13ème mois 2016

9,20 € titre des congés payés afférents

164 € à titre de complément13ème mois 2017

16,40 € congés payés afférents

Statuant à nouveau :

-condamner société Beck Export Automobile à verser à M. [R]

403 € à titre de rappel de prime d’objectif

40 € congés payés afférents

1.000 € à titre de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée

92 € à titre de complément 13ème mois 2016

9,20 € titre des congés payés afférents

164 € à titre de complément13ème mois 2017

16,40 € congés payés afférents

-confirmer jugement en ce qu’il a :

Débouté société Beck Export Automobile de sa demande de sursis à statuer

Prononcé résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] au 27

avril 2019,

Annulé sanction disciplinaire prononcée le 1er mars 2018 à l’encontre de M. [R]

Confirmé l’ordonnance rendue par le conseil de prud’hommes de Bobigny en sa formation de référé, le 11 octobre 2019, dans les dispositions suivantes :

« (‘)5 .984,00 € (cinq mille neuf cent quatre-vingt-quatre euros) à titre d’indemnité

compensatrice de préavis » et condamne en tant que de besoin

Dit le paiement interviendra en deniers ou quittance valable.

Condamné société Beck Export Automobile à verser à M. [R] les sommes suivantes :

Avec intérêts de droit à compter du 12 septembre 2018, date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation :

17.478,30 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement,

85,20 € à titre de rappel de salaire afférent à la mise à pied disciplinaire,

8,52 € à titre d’indemnité de congés payés incidente,

669,75 € à titre de rappel de salaire afférents à la prime d’habillage

66,00 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

3.418 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de rendement

341 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

2.749 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de qualité

274 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

Avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement :

1.000 € le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Ordonné remise à M. [R] par la société Beck Export Automobile d’une attestation pôle emploi conforme au jugement

Débouté société Beck Export Automobile de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamne éventuels dépens de la présente instance.

– débouter société Beck Export Automobile de l’ensemble de ses demandes

-condamner société Beck Export Automobile à verser à M. [R] 2 .500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais d’appel et la condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 juillet 2021, pôle emploi demande à la cour de :

-Dire et juger pôle emploi recevable et bien fondée en sa demande,

-Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il qualifie le licenciement de dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

-Condamner la société Export Automobile à lui verser la somme de 10.391,94 euros en remboursement des allocations chômage versées au salarié.

-Condamner la société à lui verser la somme de 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

-Condamner la société aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 mars 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 6 avril 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LE DECISION

In limine litis, sur le sursis à statuer

La société Beck Export Automobile sollicite le sursis à statuer en raison de la saisine, par M. [R], du pôle social du tribunal judiciaire d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, liée à son accident du travail du 4 avril 2018. L’appelante soutient que le fondement de l’argumentation du salarié pour justifier de sa demande en nullité de la rupture du contrat de travail repose sur la reconnaissance d’une faute inexcusable, de sorte que le tribunal judiciaire doit d’abord se prononcer sur l’existence ou non de ladite faute.

Le salarié réplique que le fondement de sa demande de nullité de la rupture du contrat de travail n’est pas l’existence d’une faute inexcusable mais d’une situation de harcèlement moral créée du fait d’agissements répétés de l’employeur. M. [R] souligne qu’il n’a formulé aucune demande d’indemnisation au titre de son accident du travail devant le conseil de prud’hommes puisque cette indemnisation relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire. En outre, l’intimé souligne que sa contestation à titre subsidiaire du licenciement pour inaptitude, est quant à elle, fondée sur le défaut de consultation des délégués du personnel et le non-respect de l’obligation de sécurité de l’employeur et non sur la faute inexcusable de son employeur.

Il est constant que le juge peut, dans l’intérêt d’une bonne justice sursoir à statuer, dans l’attente d’une décision de justice lorsque cette décision peut avoir une incidence sur la solution du litige qu’il a à trancher.

En l’espèce, l’appréciation du caractère inexcusable ou non de la faute commise par l’employeur à l’origine de l’accident du travail dont M. [R] a été victime, est sans incidence sur la solution du présent litige.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il n’a pas fait droit à la demande de sursis à statuer de la société appelante.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail:

Pour confirmation du jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail mais pour infirmation en ce qu’il ne lui a pas fait produire les effets d’un licenciement nul, M. [R] soutient qu’il a été victime depuis l’arrivée de M. [X], de faits de harcèlement moral caractérisés par une sanction disciplinaire injustifiée, des refus de congés abusifs, des conditions de travail dégradées et dangereuses et une diminution de sa rémunération.

La société Beck Export Automobile conteste les manquements qui lui sont reprochés, faisant valoir que la sanction et les refus de congés étaient justifiés par des éléments objectifs, contestant avoir manqué à son obligation de sécurité et affirmant que les primes revendiquées par le salarié n’étaient pas dues.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée en justice par le salarié lorsque l’employeur n’exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements qui lui sont reprochés présentent un caractère de gravité suffisant de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Lorsque la résiliation judiciaire est prononcée elle est assimilée dans ses effets à un licenciement sans cause réelle ou sérieuse, ou à un licenciement nul lorsqu’elle résulte notamment d’agissements de harcèlement moral.

La résiliation prend effet au jour où le conseil de prud’hommes la prononce, ou du licenciement si un licenciement est entre temps intervenu.

Aux termes des dispositions de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1154-1 du code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l’application des dispositions de l’article précité, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Aux termes de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent:

1) des actions de prévention des risques professionnels

2) des actions d’information et de formation

3) la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

En l’espèce, le salarié présente, au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral, les éléments de faits suivants:

– une mise à pied disciplinaire notifiée par courrier du 1er mars 2018 selon laquelle son employeur lui reproche d’avoir dégradé un portail avec un véhicule et d’avoir régulièrement voire quotidiennement 30 à 45 minutes de retard.

– une demande de congés du 5 février 2018 pour la période du 30 avril au 14 mai 2018 refusée par l’employeur.

– une demande de congés pour la période du 7 au 19 mai 2018 (correspondant aux dates suggérées par l’employeur suite au refus précité) à nouveau refusée par l’employeur.

– un accident du travail en date du 5 avril 2018, le salarié ayant glissé sur une trappe d’égout descellée.

– trois attestations de salariés de l’entreprise avec photos annexées décrivant des conditions de travail déplorables et l’inertie de la société Beck Export Automobile face à la situation (2 trappes d’égouts descellées, nombre de véhicules en gardiennage excédant la capacité des lieux, pas d’accès aux bennes pneus et ferrailles, ponts pas entretenus ni réparés et présentant un caractère de dangerosité pour les salariés, présence de rats, absence d’extincteurs conformes, lieux insalubres.)

– de la suppression ou de la diminution des primes d’habillage, de rendement mensuel et de contrôle qualité et de 13 ème mois , impactant sa rémunération sur la période de février à mars 2018 d’environ 1 000 euros par mois.

– un avis d’inaptitude en date du 26 mars 2019

– des arrêts maladie ininterrompus à compter du 5 avril 2018 et un certificat médical d’un médecin psychiatre mentionnant un syndrome anxio dépressif sévère qui aux termes des déclarations faites par le salarié au médecin était en lien avec ses conditions de travail.

Ces éléments pris dans leur ensemble, outre les éléments médicaux laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Pour démontrer que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l’employeur soutient que la mise à pied disciplinaire notifiée le 1er mars 2018 repose sur le fait que M. [R] aurait le 31 janvier 2018 percuté et endommagé un portail, accusé un de ses collègues et qu’il arrivait régulièrement voire quotidiennement avec 30 à 45 minutes de retard.

Or, alors que la société Beck Export Automobile affirme dans sa lettre de mise à pied, que les caméras de vidéo surveillance démontrent que M. [R] est l’auteur de la dégradation qui lui est reprochée et que plusieurs salariés en ont attesté par écrit, elle ne justifie pas des extraits de cette vidéo surveillance malgré les demandes qui ont été faites par le salarié à réception de la mise à pied, ni d’attestations circonstanciées permettant d’établir les faits. Les 3 attestations produites, dont 2 ne comportent pas la pièce d’identité de leur auteur, sont en grande partie incompréhensibles et en tout état de cause totalement imprécises, et ne permettant de caractériser ni les faits du 31 janver 2018, ni les accusations qui auraient été portées par M. [R] à l’encontre d’un autre salarié, ni les retards allégués.

S’agissant des congés, la société Beck Export Automobile qui se limite à faire valoir qu’elle accorde les jours de congés en tenant compte de façon équitable des contraintes des uns et des autres, ne justifie aucunement des éléments objectifs qu’elle invoque pour refuser d’accorder au salarié des congés sur la semaine du 9 au 15 mai alors qu’elle lui avait précisément demandé de les poser sur cette semaine là, après avoir refusé de les lui accorder sur la semaine précédente. En outre, la société tout en reconnaissant que les dates de départ et l’ordre des départs doivent effectivement être fixés par l’employeur après consultation des représentants du personnel, ne justifie pas de cette consultation, se contentant d’indiquer, sans plus de précisions, que l’entreprise a toujours essayé d’adopter une grande souplesse afin de donner satisfaction à la majorité du personnel et d’affirmer sans en justifier, avoir été contrainte de décaler la demande de congés du salarié au motif que deux de ses collègues de travail avaient également, et bien avant lui , posé des congés qui avaient été acceptés.

S’agissant des conditions de travail imposées à M. [R] et à l’ensemble des salariés, la société Beck Export Automobile ne justifie pas avoir pris la moindre mesure pour faire travailler ses salariés dans un environnement sécurisé et pour remédier aux problèmes que les salariés lui faisaient remonter. Le fait que les salariés soient régulièrement informés de la nécessité de respecter les consignes de sécurité, par la mise à disposition de différentes notes n’exonère pas l’employeur de ses obligations. Les pièces versées aux débats par l’employeur démontrent que les extincteurs n’ont pas été vérifiés entre juin 2015 et juillet 2018, la tableau de suivi des raticicides établi par l’employeur lui même n’ayant aucune valeur probante;

Concernant en particulier de la bouche d’égout, 3 salariés de l’entreprise attestent que la société Beck Export Automobile avait été informée de la difficulté avant l’accident dont M. [R] a été victime, sans pour autant prendre de mesure.

Si la société Beck Export Automobile produit une facture de travaux de remise en état en date du 13 avril 2018, cette facture est postérieure à l’accident du travail du salarié et a en outre été émise par une société PKS concept qui aux termes de l’extrait K bis produit, n’ a pourtant été immatriculée qu’en février 2019 avec une date de commencement d’activité, dans le cadre d’une création, au 3 octobre 2018, alors par ailleurs que 2 salariés encore présents dans l’entreprise attestent qu’un an après l’accident les réparations n’avaient toujours pas été faites.

S’agissant de la suppression et la diminution de certaines primes, aux termes de l’article 5 du contrat de travail M. [R] devait percevoir, outre sa rémunération fixe mensuelle, une prime de 13 ème mois, une prime de rendement et une prime d’outillage, l’avenant du 20 janvier 2011 précisant quant à lui:

‘ vous conservez naturellement vos primes :

– de rendement mensuel

– de contrôle qualité

– d’habillage de 1,50 euros par jour travaillé

– de 13 ème mois versé en 3 fois et calculée en fonction du salaire de base et du temps de présence dans l’année.’

Il ressort des bulletins de paie versés aux débats que la prime de 13 ème mois a bien été réglée selon les modalités contractuelles précitées, au prorata du temps de présence dans l’entreprise, M. [R] ne démontrant pas qu’il existait un usage depuis 2012 de non proratisation de cette prime.

En revanche, la société Beck Export Automobile qui soutient d’une part que la prime d’habillage a été remplacée par la prise en charge de l’entretien des tenues de travail par l’entreprise, et d’autre part, que des critères précis d’attribution des primes de rendement, d’objectif et de qualité ont été mis en place de façon objective en concertation avec les salariés, ne verse aux débats aucune pièce confirmant ses dires, à l’ exception d’un mail du 12 mars 2018 qui n’est pas adressé au salarié lui même et par lequel elle fixe des objectifs qui ne sont pas quantifiables et qui portent pour les seuls mois de février et mars 2018, et ne justifie d’aucun élément permettant d’établir les modalités de calcul des primes de rendement, d’objectif et de qualité accordées et dont le montant a considérablement diminué.

La société Beck Export Automobile ne justifiant ainsi pas d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour retient, que les faits de harcèlement moral sont établis et présentent un caractère de gravité de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Par confirmation du jugement la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet du 27 avril 2019 et par infirmation, dit que cette résiliation produit les effets d’un licenciement nul.

Sur les conséquences financières:

– dommages et intérêts pour licenciement nul:

Il résulte des dispositions de l’article L 1235-3-1 du code du travail que lorsque le licenciement est entaché d’une nullité, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.

Eu égard à l’ancienneté du salarié qui travaillait depuis plus de 18 ans dans l’entreprise, et à sa situation professionnelle postérieure à la rupture et aux circonstances de celle-ci il y a lieu d’évaluer son préjudice à la somme de 42 000 euros et de condamner la société Beck Export Automobile au paiement de cette somme.

– dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée:

Le salarié ayant par ailleurs fait l’objet d’une mise à pied injustifiée, le jugement est confirmé en ce qu’il a annulé la sanction prononcée et condamné la société à un rappel de salaire de 85,20 euros sur la période de mise à pied, mais infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de la demande de dommages et intérêts faite à ce titre, alors que celui-ci justifie notamment par la production d’un certificat médical d’un état dépressif en lien avec ses conditions de travail.

La cour évalue son préjudice à la somme de 500 euros et condamne la société Beck Export Automobile au paiement de cette somme.

– sur la date d’ancienneté pour le calcul de l’indemnité spéciale de licenciement:

Il est constant que lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, le salarié déclaré inapte à la suite d’un accident du travail a droit à l’indemnité spéciale de licenciement prévue à l’article L1226-14 du code du travail.

Il résulte par ailleurs de l’article 1.13 de la convention collective de l’automobile que les interruptions pour maladie ou accident de la vie courante ne sont prises en compte que dans la limite d’une durée maximale de 6 mois consécutifs.

En l’espèce M. [R] a été en arrêt maladie suite à l’accident professionnel dont il a été victime jusqu’au 28 mai 2018 puis en arrêt maladie jusqu’à l’avis d’inaptitude du médecin du travail en date du 26 mars 2019, pour un syndrome anxio dépressif d’origine professionnelle faisant suite à son accident du travail et à ses conditions de travail et notamment aux faits de harcèlement moral dont il a été victime, de sorte que l’intégralité des périodes de suspension de son contrat de travail qui sont liées à des arrêts de travail d’origine professionnelle doivent être prises en compte pour le calcul de l’ancienneté qui s’élève à 19 années 3 mois et 11 jours.

Le jugement est en conséquence confirmé, sur la base du calcul établi par le salarié et non utilement contesté en ses modalités de calcul par l’employeur en ce qu’il a condamné la société Beck Export Automobile à payer à M. [R] la somme de 17.478,30 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement.

– sur l’indemnité compensatrice de préavis:

L’inaptitude du salarié ayant une origine professionnelle, celui-ci peut prétendre, en application des dispositions de l’article L 1226-14 du code du travail à une indemnité compensatrice de préavis égale à 2 mois de salaires.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné la société Beck export Automobile au paiement de la somme de 5 984 euros, somme qui correspond à la condamnation à titre provisionnelle prononcée par l’ordonnance de référé du 11 octobre 2019.

– sur le rappel de primes:

Le jugement est également confirmé sur la base du calcul établi par le salarié et non contesté dans ses modalités, en ce qu’il a condamné la société Beck Export Automobile au paiement des sommes de:

-669,75 € à titre de rappel de salaire afférents à la prime d’habillage

-66,00 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

-3.418 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de rendement

-341 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

-2.749 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de qualité

-274 € à titre d’indemnité de congés payés incidente,

et en ce qu’il a débouté M. [R] de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime de 13 ème mois.

La société Beck Export Automobile sera également condamnée par infirmation du jugement déféré au paiement de la somme de 403 euros à titre de rappel de la prime d’objectif majorée de 40 euros des congés payés afférents, l’employeur ne produisant aucun élément permettant de déterminer les objectifs et les modalités de calcul de la prime.

– sur les demandes de Pôle emploi:

En application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par l’employeur à Pole Emploi des indemnités de chômage versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi, et de condamner en conséquence la société Beck Expert Automobile à la somme de 10.391,94 euros.

– sur l’article 700 du code de procédure civile:

L’équité commande qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et que la société Beck Expert automobile soit condamnée à payer à M. [R] qui a du engager des frais supplémentaires en cause d’appel, la somme de 2 000 euros, le jugement étant par ailleurs confirmé en ce qu’il a condamné la société à la somme de 1 000 euros au titre des frais engagés en 1ère instance.

La société Beck Expert Automobile et pôle emploi seront de leur coté déboutés des demandes faites à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement en ce qu’il a :

-Débouté la SAS Beck Export Automobile de sa demande de sursis à statuer

-Prononcé résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] au 27

avril 2019,

-Annulé sanction disciplinaire prononcée le 1er mars 2018 à l’encontre de M. [F] [R]

-Condamné la SAS Beck Export Automobile à verser à M. [F] [R] les sommes suivantes:

Avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2018, date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation :

17.478,30 € à titre d’indemnité spéciale de licenciement,

5 984 euros au titre de l’indemnité de préavis.

85,20 € à titre de rappel de salaire afférent à la mise à pied disciplinaire,

8,52 € à titre d’indemnité de congés payés incidente,

669,75 € à titre de rappel de salaire afférents à la prime d’habillage

66,00 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

3.418 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de rendement

341 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

2.749 € à titre de rappel de salaire afférent à la prime de qualité

274 € à titre d’indemnité de congés payés incidente

Avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement :

1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Ordonné remise à M. [F] [R] par la société Beck Export Automobile d’une attestation pôle emploi conforme au jugement

Débouté SAS Beck Export Automobile de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux éventuels dépens de 1ère instance.

– Débouté SAS Beck Export Automobile de l’ensemble de ses demandes

– Débouté M. [F] [R] de sa demande de rappel de salaire au titre de la prime de 13 ème mois.

INFIRME le jugement pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

DIT que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul,

CONDAMNE la SAS Beck Export Automobile à payer à M. [F] [R] les sommes de:

-42 000 à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

-500 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée

-403 euros à titre de rappel de la prime d’objectif

-40 euros des congés payés afférents

-2 000 euros au titre des frais engagés en cause d’appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

ORDONNE le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemintés de chômage versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi, et condamne en conséquence la SAS Beck Export Automobile à payer à Pôle Emploi la somme de 10.391,94 euros.

DEBOUTE la SAS Beck Export Automobile et Pôle Emploi de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la SAS Beck Export Automobile aux dépens d’appel.

La greffière, La présidente.

 


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