Confidentialité des données : 3 mai 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/00735

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Confidentialité des données : 3 mai 2022 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/00735
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MINUTE N° 22/444

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

– avocats

– délégués syndicaux

– parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRET DU 03 Mai 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/00735

N° Portalis DBVW-V-B7F-HP2G

Décision déférée à la Cour : 11 Janvier 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANTE :

S.A. PIERRETTE TBA

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 306 042 268

ZAC des Savlons

17, rue Sadi Carnot

54220 MALZEVILLE

Représentée par Me Jean-Marc GOUAZE, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIME :

Monsieur [T] [R]

3 C Rue du Tilloloy

60280 BIENVILLE / FRANCE

Représenté par Me Francis METZGER, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 22 Février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. EL IDRISSI, Conseiller

Mme ARNOUX, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

– signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Suivant contrat à durée indéterminée, M.[T] [R] né le 30 octobre 1966 a été engagé par la SA Pierrette TBA à compter du 17 avril 2000 en qualité d’attaché commercial, sa rémunération étant composée d’une partie fixe de 8.000 francs mensuelle brute et d’une partie variable condtionnée à la réalisation d’objectifs définis en commun. La convention collective applicable est celle des industries de la blanchisserie, de la teinturerie et du nettoyage d’Alsace.

Le 30 janvier 2017, M.[T] [R] a été convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 08 février 2017 puis licencié le 15 février 2017.

Contestant son licenciement, M.[T] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Mulhouse, qui par jugement en date du 11 janvier 2021 a :

-dit et jugé que le licenciement est dépourvu d’une cause réelle et sérieuse,

-condamné la SA Pierrette TBA à lui payer la somme de 58.000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la SA Pierrette TBA à rembourser à Pôle Emploi des indemnités versées à M.[T] [R] dans la limite de six mois de salaire, la moyenne de ses trois derniers salaires étant de 4.816,09€ bruts,

-dit et jugé que les intérêts légaux sont dus à compter du 11 janvier 2021,

-ordonné l’exécution provisoire,

-condamné la SA Pierrette TBA à payer à M.[T] [R] la somme de 900€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens.

La SA Pierrette TBA a interjeté appel le 29 janvier 2021.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 09 avril 2021, la SA Pierrette TBA demande d’infirmer le jugement et de débouter M.[T] [R] de l’ensemble de ses demandes.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 07 juillet 2021, M.[T] [R] demande de :

-dire l’appel principal irrecevable et en tout cas mal fondé,

-le rejeter,

-confirmer le jugement,

-dire et juger que les prétendus faits fautifs intervenus au cours de l’année 2016 sont prescrits,

-dire et juger que M.[T] [R] n’a commis aucun manquement justifiant son licenciement,

-dire et juger que le licenciement s’avère dénué de toute cause réelle et sérieuse,

-confirmer le jugement hormis les dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse

sur l’appel incident

-condamner la SA Pierrette TBA à payer à M.[T] [R] la somme de 115.607,72€ de dommages et intérêts

-condamner la SA Pierrette TBA à lui payer la somme de 8.000€ article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 novembre 2021.

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Tout licenciement pour être régulier quant au fond, doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, les deux conditions doivent être remplies simultanément. Une cause réelle est une cause ayant une réalité concrète et vérifiable, elle doit être objective et donc tenir soit à la personne du salarié ou à son aptitude au travail, soit à l’organisation de l’entreprise. Une cause sérieuse est une cause revêtant un caractère de gravité rendant impossible sans dommage pour l’entreprise la continuation du travail.

Selon les dispositions de l’article L1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Les griefs doivent être vérifiables et les faits allégués établis. Les faits invoqués comme constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent être objectivement établis, être imputables au salarié à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail.

En l’espèce, la lettre de licenciement en date du 15 février 2017 est libellée comme suit :

« Les motifs qui nous conduisent à vous licencier sont les suivants :

le contrat de travail est conclu intuitu personae, c’est-à dire en considération de la personne du salarié. Celui-ci est donc tenu d’exécuter personnellement le travail pour lequel il a été embauché et ne peut charger quelqu’un d’autre de l’effectuer à sa place.

En vous faisant aider de façon répétée, au cours de l’exécution de votre contrat de travail, par deux personnes étrangères à l’entreprise, vous avez commis une faute ne permettant pas la poursuite de votre contrat de travail. Vous avez en outre manqué à l’obligation de confidentialité qui pèse sur vous en transmettant des informations commerciales et confidentielles.

Ainsi par exemple, le 30 janvier 2017, vous avez adressé à votre épouse et votre fils, un mail comprenant des renseignements sur des prospects, ce mail était manifestement destiné à être réacheminé à une autre personne, dénommée.

Par ailleurs, vous avez également transmis à plusieurs reprises des documents internes à l’entreprise sur les tarifs pratiqués par la société (issu de notre outil pricing), comme par exemple le 12 novembre 2016 ou encore le 1er décembre 2016 et le 1er février 2017.

A de nombreuses reprises, votre épouse vous a adressé des informations relatives aux entreprises à démarcher, notamment le 26 janvier 2017, 20 octobre 2016 mais aussi les 11 et 27 juillet 2016. Elle vous a également adressé des devis, comme le 6 juillet 2016.

Le 19 décembre 2016, vous avez fait suivre à votre épouse et votre fils un mail relatant des problèmes avec un client.

A plusieurs reprises, vous avez envoyé à votre épouse ou à votre fils des informations sur des contrats comme par exemple une demande d’écussons pour des nouvelles tenues d’une carrosserie (mail du 21/12/2016).

Votre épouse a également rédigé un compte-rendu d’entretien téléphonique que vous aviez eu avec un collaborateur de l’entreprise le 25 janvier 2017 ou alors un mail à adresser à une agence de voyage (mail du 23 mai 2016) ou encore un devis pour un service blue river (mail du 06/07/2016).

Nous ne pouvons tolérer une telle pratique.[…] »

Ainsi, l’employeur reproche au salarié deux types griefs :

-avoir confié des tâches incombant au salarié à son épouse et son fils,

-avoir manqué à son obligation de confidentialité en leur transmettant des informations commerciales et confidentielles,

Selon l’employeur, M.[T] [R] était embauché en qualité d’attaché commercial avec pour mission de prospecter le département du Haut-Rhin. En 2016 et 2017, il a transmis des documents internes à l’entreprise à son épouse et son fils et leur a délégué des tâches, sans pour autant que ceux-ci soient liés contractuellement avec la SA Pierrette TBA.

Pour sa part, M.[T] [R] ne conteste pas que sa fonction consistait à assurer la prospection du secteur géographique et du segment d’activité qui lui avaient été attribués à savoir Mulhouse et Guebwiller. Il s’agissait de cibler et mettre en forme de nombreux et volumineux fichiers envoyés par la société Elis. Eu égard à ses problèmes de santé générant des hospitalisations, il lui a été demandé de rattraper son retard. Son épouse lui a proposé de mettre en place une gestion des fichiers plus optimale. L’employeur a été informé et en a tiré avantage. Il avait été convenu qu’il travaillerait à domicile avec son ordinateur fixe personnel. Il transférait les données sous les adresses personnelles de son épouse ou de son fils. Ne disposant pas du programme excel, il était contraint d’effectuer ses notes de frais sur son ordinateur privé, puis de les envoyer au chef de vente pour validation. Il soutient également que les faits de 2016 sont prescrits.

Sur la prescription des faits antérieurs au 30 novembre 2016

Conformément aux dispositions de l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement des poursuites disciplinaires au delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de ce qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites.

Le point de départ du délai est donc le jour où l’employeur a connaissance du fait fautif, lequel doit s’entendre comme le jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.

En l’espèce, M.[T] [R] soutient que l’employeur ne peut se référer aux faits de 2016, ceux-ci étant prescrits.

Sur quoi, l’employeur affirme avoir eu connaissance de ces faits au début de l’année 2017 et avoir diligenté une enquête interne. Or, il n’en justifie pas se contentant de produire les différents mails auxquels il se réfère, sans pour autant produire l’enquête interne auquelle il se réfère.

Il s’ensuit que la SA Pierrette TBA ayant convoqué M.[T] [R] le 30 janvier 2017, les faits antérieurs au 30 novembre 2016 sont prescrits.

Sur les autres griefs

Le contrat de travail est caractérisé lorsqu’une personne exerce des prestations réelles et effectives, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, en contrepartie desquelles elle touche une rémunération. la SA Pierrette TBA reproche à M.[T] [R] d’avoir confié des tâches lui incombant à son épouse et son fils et de leur avoir communiqué des données confidentielles.

En premier lieu, il résulte des éléments du dossier que sans conteste, Mme [J] [R] a apporté son aide à son époux en lui adressant notamment des informations aux fins de démarcher des entreprises (mail du 26 janvier 2017) et en rédigeant un compte-rendu d’entretien téléphonique le 25 janvier 2017.

Pour autant, bien que cette situation perdurait depuis plusieurs mois, l’employeur a laissé la situation en l’état, sans imposer au salarié d’effectuer seul ses tâches et sans lui adresser ni reproche, ni même faire d’observation sur cet état de fait, ce qui ôte tout caractère fautif à cette organisation certes diligentée de son propre chef par M.[T] [R], mais non pas à l’insu de l’employeur.

En second lieu, M.[T] [R] a effectivement transféré par courriel adressés à [J] [R] et [I] [R] des informations entre le 30 novembre 2016 et le 15 février 2017 dont ceux visés dans la lettre de licenciement les 19 décembre 2016, 21 décembre 2016, 30 janvier 2017, 1er février 2017.

En application de l’article L1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi et aux termes des dispositions de l’article L1121-1 du code du travail « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature et de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

En l’espèce, le contrat de travail de M.[T] [R] stipule en page 3 que « en annexe à ce contrat vous comprendez que nous vous exposions, compte tenu des tâches, qui vous seront confiées, les éléments de confidentialité et de discrétion absolue sur lesquels nous vous demandons de vous engager ».

La cour relève qu’aucun règlement intérieur n’est produit par la SA Pierrette TBA et qu’aucune clause de confidentialité ne figure dans le contrat permettant à l’employeur d’exercer un contrôle sur la diffusion de certaines informations « sensibles ».

Ainsi, M.[T] [R] est tenu à une obligation de discrétion. Cette obligation varie selon la nature des informations en cause, leur degré et la qualité des personnes auxquelles s’adresse le salarié. Par conséquent, l’obligation de discrétion doit concerner des données confidentielles.

Sans conteste, M.[T] [R] a adressé et transféré des courriels concernant son activité professionnelle à son épouse et son fils. Toutefois, ces envois afférents à des prospects, tarifs pratiqués par la société, demandes d’écussons ou difficulté rencontrée avec un client ne comportent srictement aucune donnée confidentielle, n’ont eu aucune répercusion sur la bonne marche de l’entreprise et n’ont pas porté atteinte aux intérêts de l’entreprise.

Les griefs relevés par l’employeur ne sont donc pas caractérisés. Par conséquent, en l’absence de cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, M.[T] [R] est fondé à réclamer à ce titre des dommages et intérêts. Au regard du salaire mensuel brut moyen de M.[T] [R] (4.816,09€), de son ancienneté dans l’entreprise (plus de 16 ans), les premiers juges ont fait une juste appréciation de sa situation, en lui allouant la somme de 58.000€ nets à titre d’indemnité de licenciement. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Tout comme il sera confirmé quant au remboursement par la société Pierrette TBA des indemnités de chômage versées et ce dans la limite de 6 mois.

Sur les demandes accessoires

La SA Pierrette TBA succombant dans le cadre de la présente procédure sera condamné aux dépens et à verser à M.[T] [R] la somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La demande présentée à ce titre par la SA Pierrette TBA sera rejetée.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la SA Pierrette TBA aux dépens et au versement de la somme de 900€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant

Condamne la SA Pierrette TBA à régler à M.[T] [R] la somme de 2.000€ (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA Pierrette TBA aux dépens de la procédure d’appel,

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 03 mai 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,

 


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