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N° de minute : 75/2022
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 13 Octobre 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : N° RG 19/00078 – N° Portalis DBWF-V-B7D-QIM
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Août 2019 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :13/301)
Saisine de la cour : 11 Septembre 2019
APPELANT
M. [N] [F]
né le 12 Juillet 1963 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Stéphane LENTIGNAC membre de la SELARL SOCIETE D’AVOCAT DE GRESLAN-LENTIGNAC, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
LA COMMUNAUTE DU PACIFIQUE prise en la personne de son Directeur Général en exercice
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Frédéric DESCOMBES membre de la SELARL D’AVOCATS D&S LEGAL, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de M. Philippe DORCET, Président de chambre, président, M. François BILLON, Conseiller, M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.
Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE
ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************
Monsieur [N] [F] a été engagé par le Secrétariat Général de la COMMUNAUTE DU PACIFIQUE SUD (ci-après dénommée la CPS) à durée déterminée depuis le 21 mars 1998 en qualité de formateur en informatique et assistant de développement. Par la suite sa situation a évolué puisqu’il est devenu ingénieur et technicien support système puis analyste développeur de systèmes jusqu’au mois de décembre 2011. Le 28 juillet 2010, il était affecté dans un nouveau service « Conception de gestion de projet » du 1er janvier au 31 décembre 2011.
Suite à un avis de vacance de poste d’analyste développeur du système au sein de la section « Technologies de l’information et de la communication » du Secrétariat général, M. [F] présentait sa candidature qui n’était pas retenue mais attribuée à un de ses collègues de travail. Il lui était alors proposé un poste identique par avenant du 29 juin 2012, son contrat étant renouvelé pour une période de 18 mois et son salaire fixé à la somme de 724.579 XPF.
L’intéressé remettait finalement sa démission par courrier du 07 août 2013 à effet du 06 novembre 2013 et saisissait le Tribunal du travail de Nouméa aux fins de voir requalifier son contrat de travail en contrat à durée indéterminée et dire que sa démission devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La CPS soulevait l’incompétence de la juridiction se prévalant à titre principal de l’immunité de juridiction résultant de son statut d’organisme international et à titre subsidiaire soutenait qu’en toute hypothèse le litige relevait de la compétence du tribunal administratif. Par jugement du 29 novembre 2016 confirmé le 22 février 2018 par la cour d’appel, le Tribunal du travail de Nouméa se déclarait compétent pour connaître du litige.
M. [F] confirmait par suite ses demandes ajoutant que la CPS avait porté atteinte à son droit à des relations de travail empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence. Il réclamait les sommes de 2.673.678 XPF et 267.367 XPF (indemnité de préavis et congés sur préavis), 1.336.839 XPF (indemnité légale de licenciement),10.794.712 XPF(indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 7.000.000 XPF (atteinte à son droit à des relations de travail respectueuses et sans violence), 5.397.356 XPF (conditions vexatoires du licenciement) outre 500 000 XPF de frais irrépétibles.
Par jugement en date du 13 août 2019, le tribunal retenait que les dispositions du Code du travail de Nouvelle-Calédonie étaient applicables au litige et requalifiait le contrat de M. [F] en contrat de travail à durée indéterminée. Il déclarait irrecevables deux pièces produites par le demandeur et rejetait la demande de requalification de la démission en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par requête en date du 11 septembre 2019, la CPS relevait appel de cette décision.
Dans ses dernières écritures en date du 12 août 2021 déposées à l’audience, la défenderesse considère que les règles internes à la CPS, règles contractuelles et distinctes de celles du code du travail, sont seules applicables au litige. Elle fait valoir qu’en sa qualité de fonctionnaire international, l’appelant était soumis à des règles exorbitantes du droit commun sans équivalent en droit privé lesquelles n’autorisent aucune requalification ou démission pour comportement fautif de l’employeur.
A titre subsidiaire, elle soutient que le salarié a piraté la boîte mail de son supérieur hiérarchique pour obtenir un mail du 21 décembre 2011 (pièces n 8 et 9) s’agissant de données confidentielles puisque destinées au comité de sélection, lesdites pièces devant être confirmées irrecevables.
Pour ce qui regarde les faits de discrimination et de harcèlement que M. [F] impute à sa hiérarchie, elle relève que la salarié n’a émis aucune réserve lors de son départ et ne démontre rien, attendant plusieurs mois avant de rompre son contrat pour aller travailler au Gouvernement : sa démission est donc claire et non équivoque.
Elle conclut en conséquence au débouté de toutes les demandes et sollicite la somme de 450.000 XPF au titre des frais irrépétibles.
M. [T] dans ses dernières écritures en date du 29 avril 2021 redéposées lors de l’audience, maintient que seul le droit du travail calédonien est applicable et que la « Communauté du Pacifique Sud » a violé la loi en lui faisant signer des contrats à durée déterminée non conformes de sorte que son contrat de travail doit être réputé à durée indéterminée.
Il fait également valoir que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de l’article L113-1 du Code du travail selon lesquelles les relations de travail doivent être empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence de sorte. Il en résulte que sa démission doit s’analyser en une prise d’acte et produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il relève qu’il était dénigré pour son travail par son supérieur hiérarchique ainsi qu’il résulte d’un courriel du 21 décembre 2011, obtenu sans fraude précise-t-il, adressé par ce dernier aux membres du comité de sélection chargé d’étudier les candidatures relatives à l’avis de vacance de son poste. Choqué et en perte de confiance, il a dû recourir à une thérapie avec un psychiatre précisant que les actes de harcèlement et de discrimination de la part de ses collègues ont duré jusqu’en 2012.
Son employeur, avisé par courrier du 21 décembre 2012 du comportement de son supérieur, n’aurait rien fait pour faire cesser ces comportements ne donnant aucune suite aux entretiens qu’il avait eus en décembre 2012. Des manquements d’une telle gravité justifieraient de plus fort que sa démission soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il demande 7 000 000 XPF de dommages et intérêts outre 500 000 XPF sur le fondement de l’article 700 du CPCNC
SUR QUOI LA COUR
Sur le droit applicable :
L’article L 111-1 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose : « Les dispositions du présent livre sont applicables a tous les salariés de Nouvelle-Calédonie et aux personnes qui les emploient. Elles ne portent pas atteinte aux stipulations des contrats individuels de travail plus favorables pour les salariés ».
La Cour d’appel de Nouméa (arrêt 9 mai 2012) puis la Cour de cassation (13 mai 2014) ont jugé dans une affaire [Z] que les dispositions du Code du travail invoquées par le requérant sont parfaitement applicables à un litige entre la CPS et un contractuel sauf dispositions plus favorables du règlement de l’organisation ce que cette dernière n’établit pas.
Sur la requalification du contrat de travail :
L’article L 123-2 du Code du travail dispose : « La durée totale du contrat à durée déterminée ne peut excéder un an, compte tenu, le cas échéant de ses renouvellements ». Cette durée peut être portée, à titre exceptionnel à trois ans dans les cas prévus aux 1 , 3 , 4 , 8 et pour le 10 du même article dans la limite de trois renouvellements maximum.
Selon les dispositions de l’article Lp 123- 18 du code du travail est réputée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles Lp123-2 et Lp123-3 du code du travail.
La CPS conteste cette analyse en rappelant qu’elle n’est pas un employeur classique «”. et dispose d’un réel statut particulier de sujet de droit international tel que reconnu par l’Etat français aux termes d’une loi 2006-611 du 29 mai 2006.’
Cet argument sera néanmoins écarté puisqu’ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, les règles du code du travail de Nouvelle-Calédonie s’appliquent à la CPS dans ses rapports avec M. [F] indépendamment de son statut.
Les règles internes de la CPS ont certes vocation à s’appliquer mais uniquement dans la mesure où elles seraient plus favorables à celles du droit commun ce dont la défenderesse échoue à rapporter la preuve.
Dès lors, de jurisprudence constante, la multiplicité du recours successif aux contrats à durée déterminée pour exercer des fonctions similaires revient à pourvoir durablement un emploi permanent. Toute utilisation du contrat à durée déterminée ayant pour objectif ou aboutissant de fait à l’occupation durable à «’un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise’» est illégale (Soc – 26 mai 2004)’et il convient d’en tirer “comme conséquence la requalification en contrat à durée indéterminée’» (TTN – 21 avril 2015).
La durée totale du contrat de travail à durée déterminée de M. [F] étant de 15 ans, il est constant que l’employeur n’a pas respecté le droit applicable : le contrat de travail sera donc requalifié en contrat à durée indéterminée.
Sur la recevabilité du mail du 21 décembre 2011 et sa traduction (pièce 8 et 9) :
Selon une jurisprudence constante, pour que le salarié puisse reproduire une preuve sans autorisation de son employeur, celle-ci doit être strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense et le salarié doit en avoir eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions (Soc, 30 juin 2004, n 02-41.720 ou Soc. 22 mars 2011, n° 9-43. 307) de sorte qu’il ne saurait invoquer des documents confidentiels qui n’étaient pas à sa libre disposition.
Le courriel du 21 décembre 2011 produit par le salarié était adressé par son supérieur aux seuls membres du comité de sélection : il y détaillait les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas le renouvellement du contrat de travail de M. [F] précisant notamment que ce dernier était impoli, incapable de travailler sur plusieurs projets, manquait de compétences et souffrait de problèmes d’hygiène corporelle.
D’évidence, cette pièce n’a pu être obtenue avec l’autorisation de la CPS et dans l’exercice des fonctions du salarié. Il s’agissait manifestement d’un mail confidentiel qui n’était pas en lecture libre. Au vu de sa qualité d’ingénieur système, il ne saurait être exclu que ce document a été obtenu par recours à un artifice ou une ruse. En toute hypothèse, il se garde d’indiquer dans quelles circonstances il a obtenu ce document.
Dans ces conditions, le mail litigieux et sa traduction (pièces n 8 et 9) sont irrecevables.
Sur la rupture du contrat de travail :
En cas de démission sans réserve, la remise en cause de celle-ci pour des faits imputables à l’employeur ne peut avoir les effets d’une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si le salarié justifie qu’un différend antérieur ou contemporain de la démission l’avait opposé à l’employeur (Cass. soc, 19 décembre 2007, n 06-42. 550, Bull civ n 218). Les faits qui sont alors invoqués doivent constituer des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l’employeur.
Ainsi en est-il de comportements délibérés rendant impossibles la poursuite des relations contractuelles comme la modification unilatérale du contrat de travail (Cass soc, 9 avril 2008, n 07-40. 668), le non-paiement du salaire (Cass soc, 6 juillet 2004, n 02-42.642), des agissements constitutifs de violences morales et psychologiques (Cass soc, 26 janvier 2005, n 02-47.296).
Or la lettre de démission du 7 août 2013 ne comporte aucune réserve et ne reproche aucun manquement à la CPS. Il s’en déduit simplement qu’il existait un différend antérieur ou contemporain avec certains collègues et un membre de sa hiérarchie. Ce que démontrent les courriels produits des 21 décembre 2012 et 8 avril 2013 adressés à [W] [S] dans lesquels il se plaint de son isolement professionnel et fait état d’une discrimination à raison de sa nationalité de la part de ses collègues. Il se plaignait de ne pas avoir été réhabilité et du manque de clarification entre M.[S] et M. [Y] son supérieur hiérarchique.
Il échoue nénamoins à établir un harcèlement, ce dernier consistant en agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits, à sa dignité ou altérer sa santé physique ou psychique. Les termes du mail de 2011apparaissent isolés et en toute hypothèse insuffisants pour établir des actes répétés à son endroit qui seraient imputables à sa hiérarchie. Quant à l’attitude hypocrite durant les entretiens d’évaluation, cette appréciation, purement psycholgique ne saurait constituer un acte de harcèlement.
En outre, il ne produit que les mails qu’il a rédigés sans rapporter la preuve qu’il était dénigré par ses supérieurs auprès d’autres collègues ou qu’il faisait l’objet d’une discrimination. Sur ce point, les feuilles de soins remises par le Dr [R] psychiatre en février 2013, décembre et novembre 2012 sont insuffisantes pour établir qu’il avait été victime de harcèlement de discrimination ou de dénigrement répétés de la part de son employeur.
Enfin, pour mémoire, il lui a été attribué un poste identique à celui sur lequel il avait postulé en 2011, bien loin du harcèlement ou de la discrimination dénoncés, étant observé qu’il avait été reçu par son chef de service en mars 2013 à propos des dénigrements dont il faisait l’objet dans le courriel précité de décembre 2012 soit sans relancer son employeur pendant plus d’un an.
Dans ces conditions, il n’établit pas de manquements fautifs suffisamment graves de la CPS pouvant justifier la requalification de sa démission en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout comme il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son droit à des relations de travail empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence.
Sur le préjudice moral :
M. [F] n’établit pas avoir subi un préjudice moral lié la découverte de l’écrit de son supérieur adressé aux membres du comté de direction auquel il fait allusion dans ses propres écrits de décembre 2012 et avril 2013). En l’absence de tout élément de nature à établir qu’il a dû consulter un médecin entre décembre 2011 et décembre 2012 et sans rapporter la preuve d’un lien entre ses consultations chez le Docteur [R] et les faits qu’il dénonce, il sera débouté de sa demande.
Sur les frais irrépétibles :
Il n’apparait pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont engagés, compte-tenu de leur situation respective.
Sur les dépens :
En matière sociale, il n’y a pas lieu de statuer sur les dépens, la procédure étant gratuite en application de l’article 880-1 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré du tribunal du travail en date du 13 août 2019.
Le greffier,Le président.