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ARRÊT DU
21 Octobre 2022
N° 1695/22
N° RG 20/01311 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TAQR
SHF/AA
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VALENCIENNES
en date du
11 Mai 2020
(RG F 17/00428 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 21 Octobre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [U] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Jérôme GUILLEMINOT, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
S.A.S. SANTEO
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Dominique HENNEUSE, avocat au barreau de VALENCIENNES
DÉBATS : à l’audience publique du 07 Septembre 2022
Tenue par Gilles GUTIERREZ
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 Octobre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Angelique AZZOLINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 17/08/2022
La SAS Santeo, qui a une activité de location, commercialisation et vente de tout matériel d’oxygène à usage médical, est soumise à la convention collective de négoce et prestations de services dans les domaines médico-techniques ; elle comprend plus de 10 salariés.
M. [U] [M], né en 1985, a été engagé par contrat à durée indéterminée par la SAS Santeo le 10.10.2011, en qualité de technicien N2 à temps complet (151h67 par mois) ; un avenant du même jour relatif à l’attribution d’un véhicule de société a été signé entre les parties.
Par contrat de travail du 06.01.2014, M. [U] [M] a été promu responsable logistique classification N3.2.
Puis le 01.01.2015, Monsieur [M] a été nommé responsable technique, statut cadre, classification N.4..
Enfin le 09.01.2017, un nouvel avenant a prévu les conditions d’attribution d’un véhicule de fonction.
La moyenne mensuelle des salaires de M. [U] [M] s’établit à 3.309,56 €.
M. [U] [M] a été convoqué par lettre du 28.08.2017 à un entretien préalable fixé le 07.09.2017 avec mise à pied conservatoire, puis licencié par son employeur le 12.09.2017 pour faute grave ; il lui était reproché les faits suivants :
‘Il vous est reproché un comportement inadapté se matérialisant, entre autres, en des multiples pressions sur les salariés de la société, des dénigrements de votre hiérarchie et des salariés ainsi qu’une déloyauté qui aboutissaient à perturber le déroulement serein du travail au sein de
l’entreprise.
Les faits :
1. Dénigrement de la hiérarchie et Insultes
Votre subordonné, [E], technicien relate que vous dénigrez de manière régulière et depuis plusieurs mois votre hiérarchie dans des propos non professionnels et insultants, notamment par exemple :
– « voila encore l’autre con » en référence au Président, Monsieur [EZ] [EN] ;
[R], technicien, atteste des mêmes dénigrements, en citant notamment vos propos :
– « putain il lui a acheté une voiture de plus de 40 000 € » en faisant référence au véhicule personnel de votre collègue, [F], épouse du Président.
[E] et [YB], techniciens, confirment que vous profériez des insultes, par exemple:
– « Qu’est-ce qu’elle vient foutre l’autre conne » en référence à [F].
Votre comportement vis-à-vis de votre équipe, en qualité de cadre, est inadmissible et a choqué l’équipe que vous encadrez provoquant une méfiance de l’encadrement et une mauvaise ambiance de travail.
2. Menaces
Vous avez lors d’un échange avec vos subordonnés, [E] et [YB], menacé physiquement [E] :
« Mon point dans la gueule tu le veux ».
[E] a développé de l’eczéma consécutif au stress qu’il subit face à vos agressions envers sa personne.
3. Dénigrement individuel des salariés
Votre agressivité se matérialise par un dénigrement constant, principalement en public, des salariés, notamment par exemple, dans les propos suivants :
Propos relatés par [E], [R], [YB], [C], [O] :
– « C’est un branleur » en référence à [J], technicien,
– « C’est un fainéant » en référence à [N], technicien.
Propos relatés par [R], [YB] et [O] :
– « Quelle bande d’abrutis » en référence aux techniciens,
Les techniciens : « ils ne comprennent rien, ils font de la merde » relaté par [YB] et [P].
Propos relatés par [N], [T], [R] et [O] :
– [F] « ne fout rien et est fainéante » « [F] elle est là mais tu verras elle sert à rien » [F] « ne fout rien et est fainéante »
« [F] est une incapable »
– Vous avez des problèmes d’élocution ; ça ne pourra pas être vous pour les postes téléphoniques » en parlant à [R] et [T].
– « [P] n’est qu’une conne elle raconte de la merde au téléphone » relaté par [YB], [T] et [O]
Les équipes techniques et administrative se sentent rabaissées dans leurs fonctions sans fondement.
4. Pressions psychologiques et indiscrétions
Lors de l’attribution de votre prime en décembre 2016, vous avez divulgué son montant de 1 000 € aux techniciens, [E], [N], [R], [T] et [C] en vous plaignant du fait que vous aviez demandé 3 000 € et que la différence, « mes 2 000 € » selon vos termes, était allée à une association, à « l’école de ses gosses », dénigrant ainsi votre supérieur hiérarchique, provoquant également un sentiment de découragement au sein de l’équipe.
Vous avez imposé à l’équipe administrative, qui ne dépends pas hiérarchiquement de vous, de laisser la porte du secrétariat ouverte pour entendre les conversations des secrétaires ; de plus vous criiez à travers les pièces pour avoir des explications sur la conversation en cours ; ces pressions ont été confirmées par [O], [P] et [R].
En qualité de responsable technique et cadre, vous avez un rôle de conseil et de référent et à ce titre, certains salariés sont revenus vers vous pour obtenir de l’aide ou se plaindre d’une situation mais votre réponse était sans appel en des propos violents rapportés par [YB], [O] et [R], entre autres, par exemple :
– « tu te démerdes »
– « si ça ne te plaît pas, va travailler à Auchan » à [YB] [C] a subi une pression psychologique sur la qualité de son travail, sans critiques constructives ni explications autres que par exemple que :
– « tu as nettoyé la machine dans le noir »
– « je serai à poil ça serait pareille »
Vous vouliez connaître le salaire de [N] ne tolérant pas qu’il gagne plus que vous selon votre conversation avec [R] :
– « tu sais combien il gagne [N] ‘ Moi je sais 2700 net sans ses primes »,
5. Déloyauté et mutinerie
Vous avez confié à [E] dans les propos suivants :
– « Je vais ouvrir mon entreprise tu travailleras pour moi »
Ce comportement caractérise une volonté de nuire à la société en débauchant en interne des salariés formés par notre société ainsi qu’une déloyauté répréhensible et contraire aux clauses de votre engagement contractuel.
Vous avez procédé à une fouille des bureaux de [EZ] [EN] à [Localité 4] pour vérifier le salaire de [N] à son arrivée au sein de la société ; de plus cet état de fait a été confirmé par la société de nettoyage dont le personnel s’est vu demander les clefs de [EZ] [EN] prétextant devoir « faire quelque chose » et cela sans en aviser votre hiérarchie et sans autorisation préalable.
Lors d’un entretien avec [N], en juin 2017, concernant les feuilles de routes, vous avez révélé avoir constitué un dossier contre le Président en cas de contentieux pour n’importe quel motif et l’avez invité à l’imiter.
Vous avez donc consciemment essayé de monter un salarié contre votre hiérarchie avec les désagréments opérationnels possibles et initié une mutinerie au sein de l’entreprise.
En date du 5 septembre 2017, [T], technicien, a eu une intervention chez un patient qui se trouve être votre voisin.
Vous vous êtes invité chez votre voisin dès l’arrivée du technicien et avez procédé à un interrogatoire pour savoir ce qu’il se passait au sein de la société et surtout proférer des intimidations :
– « Vous verrez sans moi cela sera encore pire ; je sais qui s’est plaint ; [J] est encore en arrêt’»
Vous ne pouviez ignorer la présence de la société chez votre voisin, patient de notre entreprise, car nos véhicules d’intervention sont floqués au logo de la société.
Les salariés, relatant ces faits de harcèlement, de dénigrement et d’agressivité, dans des attestations individuelles datées courant août et septembre 2017, somment [EZ] [EN] de procéder à la mise en place de dispositions rapides afin de retrouver une ambiance de travail
saine et sécurisée.
Lors de l’entretien, vous avez admis avoir traversé une période difficile et que vous n’aviez pas la volonté de dénigrer ou harceler mais que c’est votre « façon de parler » attestant ainsi de la véracité des faits rapportés par l’ensemble des salariés ayant subis votre agressivité, vos insultes, menaces et dénigrements.
Les conséquences de ces faits :
Ces faits sont constitutifs d’un harcèlement moral à l’égard de vos collègues de travail, ayant notamment les conséquences suivantes :
– Une ambiance malsaine de travail
– La désorganisation du travail par l’absence des salariés,
– L’atteinte à la santé mentale des salariés.
Nous avons l’obligation selon les dispositions des articles L4121-1 et suivants du Code du Travail, d’assurer la protection et la sécurité physique et morale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement au travail.
Les explications fournies au cours de l’entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité de celle-ci, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.
Le licenciement prend donc effet immédiatement à compter de la date de la présente LRAR, sans indemnité de préavis ni de licenciement.’
Le 19.10.2017, le conseil des prud’hommes de Valenciennes a été saisi par M. [U] [M] en contestation de cette décision, et indemnisation des préjudices subis.
Par ordonnance rendue en référé le 23.10.2018, le tribunal de grande instance de Cambrai a rétracté l’ordonnance prise le 18.10.2017 sur requête de la SAS Santeo ayant autorisé un huissier de justice à consulter diverses données sur les supports informatiques du salarié et à relever tous éléments relatifs à un éventuel détournement de données confidentielles de son ancien employeur ; il a annulé les mesures d’instruction prises sur le fondement de cette ordonnnace.
Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d’appel de Douai le 10.06.2020 par M. [U] [M] à l’encontre du jugement rendu le 11.05.2020 par le conseil de prud’hommes de Valenciennes section Encadrement, notifié le 26.05.2020,
qui a :
Dit que le licenciement pour faute grave de Monsieur [M] [U] est justifié.
Débouté Monsieur [M] [Z] de l’intégralité de ses demandes.
Débouté la SAS Santeo prise en la personne de son représentant légal de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Condamné Monsieur [M] [Z] à payer à la SAS Santeo prise en la personne de son représentant légal la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1 500 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamné Monsieur [M] [U] aux dépens.
Vu les conclusions transmises par RPVA le 26.04.2021 par M. [U] [M] qui demande à la cour de :
– D’INFIRMER le jugement du 11 mai 2020;
A TITRE PRINCIPAL
– DIRE ET JUGER le licenciement intervenu à l’encontre de Monsieur [U] [M] sans cause réelle et sérieuse;
En conséquence.
CONDAMNER la société Santeo au versement des sommes suivantes:
o 4.081,79 € au titre de l’indemnité de licenciement;
o 10.021,54 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;
o 30 000.00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
o 1 696.72 € à titre de rappel de salaires pour la période de la mise à pied conservatoire ayant précédée le licenciement abusif;
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, si par impossible la Cour estimait que le licenciement ne devait pas produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
– DIRE ET JUGER que les faits allégués ne sont pas constitutifs d’une faute grave mais caractérisent une simple cause réelle et sérieuse;
En conséquence:
CONDAMNER la société Santeo au versement des sommes suivantes:
o 4.081,79 € au titre de l’indemnité de licenciement;
o 10.021,54€ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;
o 1 696.72 € à titre de rappel de salaires pour la période de la mise à pied conservatoire ayant précédée le licenciement abusif;
EN TOUT ETATDE CAUSE
– CONDAMNER la société Santeo à verser à Monsieur [U] [M] la somme de 3 500.00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
DEBOUTER Santeo de toutes ses demandes et la CONDAMNER aux entiers dépens de l’instance ;
Vu les conclusions transmises par RPVA le 10.08.2022 par la SAS Santeo qui demande de :
Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions.
En conséquence,
Débouter Monsieur [U] [M] de l’ensemble de ses demandes,
fins et conclusions.
Le condamner à payer à la société Santeo une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le condamner à payer à la société Santeo une somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Le condamner aux entiers dépens.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 17.08.2022 prise au visa de l’article 907 du code de procédure civile ;
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l’audience de plaidoirie.
A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le bien fondé et les conséquences du licenciement :
La lettre de licenciement, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du litige qui peuvent être éventuellement précisés par l’employeur. Dès lors que l’employeur et le salarié sont d’accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de cette rupture, il incombe au juge de trancher le litige en décidant quelle est la partie qui a rompu.
Il appartient au juge d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. En principe, la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du motif n’incombe pas spécialement à l’une ou à l’autre des parties. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. Le doute sur la réalité des faits invoqués doit profiter au salarié.
La faute grave est entendue comme la faute imputable au salarié constituant une violation de des obligations découlant de son contrat de travail ou de ses fonctions, qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis et impose son départ immédiat ; les juges du fond, pour retenir la faute grave, doivent caractériser en quoi le ou les faits reprochés au salarié rendent impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis. Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’incombe pas particulièrement à l’une ou l’autre des parties, il revient en revanche à l’employeur d’apporter la preuve de la faute grave qu’il reproche au salarié ; en cas de doute il profite au salarié.
Lorsque qu’une faute grave n’est pas caractérisée, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l’employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La SAS Santeo fait valoir à l’encontre du salarié un comportement inadapté, des dénigrements contre sa hiérarchie et une déloyauté ayant abouti à perturber le déroulement serein du travail au sein de l’entreprise. Elle estime que ces faits sont constitutifs de harcèlement moral à l’encontre de ses collègues de travail qu’elle devait protéger en application des articles L 4121-1 et s. du code du travail.
En matière prud’homale, la preuve est libre.
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Au préalable, M. [U] [M] oppose la prescription des faits fautifs en relevant que 6 attestations produites par la société ne font pas référence à des faits datés, ce qui ne met pas la juridiction en mesure de vérifier l’application des dispositions de l’article L 1332-4 ou même des articles L 1471.1, L 1332.5 du code du travail et 2224 du code civil ; à tout le moins l’ancienneté des faits devrait permettre de relativiser leur portée.
La SAS Santeo pour sa part estime invoquer des griefs précis et matériellement vérifiables, peu important l’absence de dates dans certaines attestations ; elle observe que certaines portent une date entre le 26.08 et le 06.09.2017 qui est l’époque à laquelle l’employeur en a eu connaissance, et que c’est à la suite de M. [K] que d’autres salariés ont fait connaître leur malaise donc après le 17.07.2017.
Aux termes de l’article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
Il résulte des attestations versées que :
– M. J. [D] (dans une attestation en date du 01.09.2017) invoque le comportement de M. [U] [M] ‘depuis un certain temps’ qui se traduit par des propos blessants ou qui lui ont déplu ; ces faits ne sont pas datés ;
– M. C. [G] (26.08.2017) informe son employeur au nom de toute l’équipe qu’ils subissent des propos désobligeants de la part de son responsable, un manque de respect et une atteinte à la dignité des salariés ; il en donne des exemples ; ces faits ne sont pas davantage datés;
– M. R. [W] (31.08.2017) a constaté les sautes d’humeur du directeur technique, des réflexions sèches et peu encourageantes, un acharnement plus marqué sur certains collègues ; il évoque un comportement répété ;
– M. [X] [K] (29.08.2017) déclare que depuis son retour de congé le 17.07.2017 il subit une animosité de la part de M. [U] [M] en précisant : ‘De plus en discutant avec mes collègues, ils m’ont confirmé que cette animosité été général et certains d’entre eux m’ont dit qu’ils pensaient à démissionné suite à ça. J’ai aussi été témoin de propos très blessant au sujet de certains de mes collègues mais aussi de notre directeur (…)’ ; il constate que suite à ces propos récurrents l’ambiance s’est dégradée : ‘Je venais travailler la boule au ventre dans la crainte d’être pris à partie de dénigrement envers mes collègues ou notre Directeur Mr [EN]’;
– M. D. [A] (06.09.2017) évoque des faits s’étant déroulés le 05.09.2017 ; ces faits sont précisément datés ;
– M. F. [I] (30.08.2017) mentionne des propos désobligeants émanant de M. [U] [M], ainsi que des fait survenus en juin 2017 .
– Mme [L] (29.08.2017) signale un ton agressif et blessant envers les techniciens ;
– Mme [X] [H] (27.08.2017) a constaté à plusieurs reprises que M. [U] [M] parlait de ses collègues de manière inappropriée et sa mauvaise humeur récurrente ;
– Mme [S], agent de service (01.09.2017) évoque le début de sa prestation sans la dater, mais fait état d’incursions du salarié dans le bureau de M. [EN] ;
– M. [SP] [Y] (24.06.2021) mentionne des faits survenus en septembre 2017, M. [U] [M] ayant cherché à le faire témoigner en sa faveur en rapportant des propos négatifs sur son ancien employeur, ce qu’il a refusé.
Il en ressort que M. [K] fait état de faits intervenus à compter du 17.07.2017 le concernant personnellement, qu’il rapproche de faits similaires qui lui ont été rapportés par ses collègues par la suite ; M. [U] [M] précise avoir été en congés du 04 au 28.08.2017, les faits se sont donc passés avant ; M. [K] a rédigé une attestation le 29.08.2017 ce qui démontre que l’employeur était au courant de la dégradation de l’ambiance de travail en raison du comportement de M. [U] [M] au moins à partir de cette date et même un peu avant compte tenu de l’attestation de M. C. [G] du 26 août. Les attestations ont été rédigées par les collègues de M. [U] [M] à partir du 26.08.2017 ce qui démontre qu’à partir de là l’employeur était en possession d’une information précise et complète des événements. Enfin le comportement du salarié tel qu’il est rapporté a manifestement persisté.
La procédure de licenciement a été engagée le 28.08.2017 ; dès lors la prescription de l’article
L 1332-4 du code du travail n’est pas applicable et par ailleurs la société a réagi rapidement après avoir été informée de cette situation.
Ce moyen doit être écarté.
A l’appui de ses allégations, la SAS Santeo invoque pour justifier des griefs contenus dans la lettre de licenciement :
– Un dénigrement de la hiérarchie et des insultes :
MM. [D], [G], [W] rapportent les propos dénigrants répétés de M. [U] [M] vis à vis du président de l’entreprise (comme : ‘voilà encore l’autre con’) et de son épouse (‘qu’est ce qu’elle vient foutre l’autre conne’).
– Des menaces :
M [D] dénonce des propos agressifs à son égard, et M. [W] des réflexions sèches et peu encourageantes.
– Un dénigrement individuel des salariés :
De nombreux propos sont rapportés par ses collègues dont : ‘il me fait chier ce con’ (M [W]), ‘julien est un branleur’ et ‘fabrice est un bon à rien’ (M. [K]), ‘[P] dit que des conneries au téléphone’ (Mme [V]) ; M. [G] révèle ‘quand un technicien demande une information Mr [M] répond mal et d’une façon irrespectueuse qui met très mal à l’aise le salarié’.
– Des pressions psychologiques et des indiscrétions :
A l’égard de ses collègues : M. [K], Mme [V], M. [W].
– De la déloyauté et de la mutinerie :
M. [U] [M] a proposé à M. [D] de venir travailler pour lui quand il aurait son entreprise et a indiqué à M. [I] qu’il avait monté un dossier contre le dirigeant; il s’est plaint de la société qu’il venait de quitter auprès de M. [A] chez un client; Mme [S] atteste qu’il s’est introduit dans le bureau du président en son absence.
De con côté M. [U] [M] critique les attestations délivrées par ses collègues de travail.
Il affirme sans le démontrer que son employeur exigeait que la porte du secrétariat reste ouverte alors que Mme [L] déclare : ‘nous ne pouvons pas fermer la porte du secrétariat car il veut entendre la moindre conversation je me sens épiée’ ; il reconnaît avoir pu se montrer de mauvaise humeur devant Mme [V] et Mme [L].
Il estime que l’attestation de M. [G], qui rapporte des faits précis même si non datés, n’est pas crédible puisqu’il indique que certains collègues rapportent qu’ils souhaitaient démissionner, ce qu’ils ne mentionnent pas dans leurs attestations respectives ; ceci n’est pas suffisant pour décrédibiliser ce témoignage.
Celle de M. [D] serait tout autant non crédible puisqu’il avait lui même recruté la plupart des salariés qui font état d’une bonne ambiance auparavant qui se serait brutalement dégradée.
L’attestation de Mme [S] n’a pas de portée puisqu’il était en droit de pénétrer dans le bureau de M. [EN].
M. [U] [M] fait valoir le doute qui doit lui bénéficier. Il effectuait le même travail que ses collègues avant d’être promu cadre, cette nouvelle fonction l’a conduit leur faire des remarques notamment vis à vis de MM. [D], [I], [B].
Il donne une explication sur l’attestation de M. [I] qui n’apparaît pas cohérente, ce dernier indiquant que M. [M] constituait un dossier contre son employeur ce qui n’a pas de rapport avec des remboursements de frais ; peu important que M. [I] ait pu commettre une erreur professionnelle.
L’attestation de M. [KW], voisin de M. [M], contredit celle délivrée par M. [A] quant au comportement reproché au salarié.
M. [U] [M] déclare que certaines attestations ont été obtenues des salariés sous la pression de l’employeur : il produit des échanges de sms datant de novembre dans lesquels il a demandé à M. [D] de revenir sur son attestation, ce que ce dernier n’a pas voulu faire tant qu’il travaillait pour la SAS Santeo, et il rappelle que M. [A] n’a pas voulu lui répondre lorsqu’il lui a demandé s’il avait subi une pression de l’employeur.
La SAS Santeo ne reproche pas au salarié la plainte déposée par Mme [KK] pour escroquerie qui est postérieure au licenciement.
Les éléments précis et concordants rapportés par l’employeur sont matériellement établis ; ils démontrent l’existence d’un harcèlement moral de la part de M. [U] [M] à l’égard de ses collègues de travail qui étaient sous sa subordination au sein de la SAS Santeo.
Par suite, le comportement harcelant de M. [U] [M] à l’égard de ses collègues est démontré ; ce comportement a contribué à la dégradation des relations de travail et constitue une faute dont la société peut se prévaloir.
M. [U] [M] demande néanmoins que soit pris en compte le contexte particulier de la relation de travail dans l’appréciation de la faute commise.
Il considère ne pas avoir bénéficié d’une formation spécifique au management lorsqu’il est passé cadre en janvier 215 alors qu’il ne possédait qu’une licence en ingénierie mécanique obtenu en 2007 et qu’il n’avait occupé que des fonctions de vendeur dans son parcours professionnel. Sur la familiarité avec son employeur, il constate que celui ci utilisait pareillement un langage relâché et pratiquait des blagues douteuses. Il rappelle l’intensité de sa charge de travail ce qui est mentionné par son ex épouse et sa mère, à tel point que son médecin traitant a constaté chez lui un état de stress permanent qui a dû être soigné à partir de juin 2017. Il justifie de son comportement irréprochable auparavant en produisant ses comptes rendus d’entretien annuel en 2013 et 2015.
Cependant, les nouvelles responsabilités de M. [U] [M] ne l’autorisaient pas à exercer une forte pression sur ses collègues en manquant de considération à leur égard; il ressort du compte rendu d’entretien préalable de 2013 qu’il a pu partir en ‘observation’ pour faire face à ses fonctions managériales ; il ne devait pas adopter un comportement trop familier avec ses collègues ni exercer une forte pression sur eux, peu important le propre comportement du dirigeant à son égard, qu’il connaissait de longue date.
Il est néanmoins démontré qu’à partir de juin 2017 il subissait lui même une forte pression qui l’a déstabilisé ; son employeur n’a pas été suffisamment attentif aux conditions de travail du salarié qui jusque là l’avait pleinement satisfait, le licenciement pour faute grave ne se justifiant pas dès lors que la simple rupture du contrat de travail permettait de protéger le personnel.
Par suite il convient de dire que le comportement de M. [U] [M] constitue une faute simple. Le licenciement sera donc requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse et le jugement infirmé en ce qui concerne les conséquences indemnitaires de cette sanction, étant précisé que M. [U] [M] se prévaut d’un salaire moyen de 3.309,56 € qui n’est pas remis en cause par son employeur.
Il serait inéquitable que M. [U] [M] supporte l’intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS Santeo qui succombe doit en être déboutée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Déclare l’appel recevable ;
Infirme le jugement rendu le 11.05.2020 par le conseil de prud’hommes de Valenciennes section Encadrement ;
Statuant à nouveau,
Dit le licenciement de M. [U] [M] fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Condamne en conséquence la SAS Santeo à payer à M. [U] [M] les sommes de :
o 4.081,79 € au titre de l’indemnité de licenciement;
o 10.021,54 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;
o 1 696.72 € à titre de rappel de salaires pour la période de la mise à pied conservatoire ayant précédée le licenciement abusif;
Dit que ces sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de leur demande ;
Rejette les autres demandes ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Santeo à payer à M. [U] [M] la somme de 2.000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel;
Condamne la SAS Santeo aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER
Angelique AZZOLINI
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK