Confidentialité des données : 31 mai 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/07507

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Confidentialité des données : 31 mai 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/07507
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à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 31 MAI 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/07507 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OM33

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 OCTOBRE 2019

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F 17/01049

APPELANT :

Monsieur [Y] [U]

né le 25 Janvier 1980 à [Localité 4] (34)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Christophe BEAUREGARD, substitué par Me Isabelle MOLINIERE de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/LEMOINE, avocats au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

SAS MENTA

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Lola JULIE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Assistée par Me Marie-Alice JOURDE de l’AARPI JASPER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 15 Mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 AVRIL 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Madame Caroline CHICLET, Conseiller

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

[Y] [U] a créé et dirigé la SAS MENTA avant de céder une part importante de sa participation et d’en devenir salarié par contrat de travail du 15 décembre 2015.

Il exerçait les fonctions de directeur de la stratégie et de l’innovation avec une reprise d’ancienneté depuis le 5 novembre 2007 et un salaire mensuel brut en dernier lieu de 5 445€.

Le 20 juillet 2017, il était convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé au 28 juillet 2017, et mis à pied simultanément à titre conservatoire.

Il a été licencié par lettre du 25 août 2017 pour les motifs suivants, qualifiés de faute lourde : utilisation illégale de logiciels ; détournement de données ; intrusion sur l’espace de travail dédié au poste appelé ‘Anaconda’ pour copier des fichiers administratifs confidentiels.

Contestant la légitimité de son licenciement, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par jugement en date du 28 octobre 2019, a requalifié le licenciement pour faute lourde en licenciement pour faute grave et a débouté les parties de l’ensemble de leurs demandes.

Le 18 novembre 2019, [Y] [U] a interjeté appel. Dans ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 2 août 2022, il conclut à l’infirmation et à l’octroi de :  

– la somme de 7 574,28€ à titre de salaire de mise à pied conservatoire ;

– la somme de 757,43€ à titre de congés payés sur salaire de mise à pied conservatoire ;

– la somme de 16 500€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– la somme de 1 650€ à titre d’indemnité de congés payés sur préavis ;

– la somme de 17 874,96€ à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– la somme de 99 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

– la somme de 1 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l’absence de portabilité de la mutuelle ;

– la somme de 10 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il demande également de condamner la SAS MENTA à lui payer la somme de 11 100€ à titre de rappel sur les primes d’invention des années 2015 à 2017 et de la condamner sous astreinte à lui remettre les quatre lettres de désignation d’inventeur lui revenant sur les cinq brevets dont il est l’inventeur ou le co-inventeur ainsi que les données personnelles se trouvant dans son ordinateur sous les répertoires C:/Utilisateurs/[Y][U] et/ou C:/Users/[Y][U] et D:/Perso et/ou E:/Perso.

Dans ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 30 juillet 2020, la SAS MENTA demande de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les prétentions adverses.

Relevant appel incident, elle demande d’infirmer le jugement, de dire que le licenciement pour faute lourde est fondé et de condamner [Y] [U] à lui payer les sommes de 350 000€ à titre de dommages et intérêts et de 5 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription des faits :

Attendu qu’aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales ;

Que lorsque les faits ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de la procédure disciplinaire ;

Attendu qu’en l’espèce, il résulte de l’attestation de M. [W], informaticien indépendant chargé de la gestion du système informatique de la société, ajoutée aux courrier et message électronique des 19 et 20 juillet 2017, que la SAS MENTA n’a été informée des faits reprochés qu’à l’occasion ‘d’opérations régulières de surveillance et d’optimisation de cet équipement’, effectuées à compter du 19 juillet 2017 ;

Que M. [W] atteste ainsi que c’est le 19 juillet 2019, après avoir constaté que ‘des volumes de données anormaux transitaient depuis le serveur interne’, qu’il a ‘alerté les responsables et éteint le serveur avec leur accord’ ;

Qu’il précise également que, le 20 juillet, il a constaté, ‘d’une part, la présence de fichier de piratage logiciel dans les espaces réservés à M. [U] sur le serveur ‘Shark’… d’autre part, la présence d’un utilitaire de transfert hubic daté du 12 mars 2017 et enfin la présence de deux fichiers de configuration d’un utilitaire de transfert…’

Que, dans les faits, la SAS MENTA n’a d’ailleurs eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des manquements reprochés qu’après l’engagement des poursuites, à la suite du dépôt des différents rapports d’investigations auxquelles elle a fait procéder, tant à titre privé que sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ;

Attendu qu’il en résulte que la prescription n’était pas acquise lors de l’engagement des poursuites disciplinaires le 20 juillet 2017 ;

Sur les faits reprochés :

Attendu que la faute lourde nécessite la preuve d’une intention de nuire à son employeur ;

Que c’est à l’employeur et à lui seul d’apporter la preuve de la faute lourde invoquée par lui pour justifier le licenciement ;

Attendu que, combinés, l’attestation de M. [W], le constat d’huissier du 20 juillet 2017 et le rapport d’enquête du cabinet David KRIST, spécialisé dans le renseignement informatique, produits par la SAS MENTA, établissent sans ambiguïté :

– que [Y] [U] continuait, nonobstant les instructions qu’il avait reçues et les risques qu’il faisait courir à son employeur, à utiliser des logiciels piratés ;

– qu’il a détourné, dans son seul intérêt et au détriment de la SAS MENTA, un nombre très important (49,58 GO) de données confidentielles lui appartenant vers son serveur informatique personnel ;

– qu’il s’est également introduit sans autorisation dans les messageries personnelles de différents responsables de la société, notamment celles du directeur général, du directeur financier et de la responsable de l’équipe de développement logiciels puis a créé un fichier regroupant leurs identifiants et mots de passe ;

Attendu que M. [W] atteste ainsi avoir constaté que des transferts initiés avec un identifiant normalement utilisé en interne par les serveurs de la société ‘envoyaient depuis le contenu d’un répertoire… sur un compte de stockage en ligne… dont l’identifiant de connexion est [Courriel 6] ;

Qu’il précise en outre avoir constaté la présence de fichiers de piratage dans les espaces réservés de [Y] [U] ainsi que la présence d’un utilitaire de transfert, l’un faisant référence au compte de la société MENTA, l’autre à celui de [Y] [U] ;

Attendu que ces faits sont corroborés par le constat d’huissier du 20 juillet 2017 déterminant les nombreux téléchargements qui ont été opérés ;

Attendu que le rapport du cabinet David KRIST, réalisé à la demande de la SAS MENTA, note enfin dans l’ordinateur de [Y] [U], saisi par l’huissier, des identifiants et des mots de passe de salariés de l’entreprise, des détournements et des vols de données ainsi que des piratages de logiciels à son bénéfice ;

Attendu que [Y] [U] qui, depuis le 12 mai 2017, n’était plus en charge de la gestion informatique de la société, ne peut valablement soutenir que ces transferts résulteraient de la mise en oeuvre de procédures de sauvegarde ;

Que le fait d’être actionnaire de la société ne lui donne pas davantage le droit de s’introduire sur des postes personnels pour y consulter des documents internes et/ou confidentiels ;

Attendu qu’ajouté à l’utilisation illégale de logiciels et à l’intrusion sur des espaces de travail personnels, le fait pour le salarié de s’approprier des actifs de l’entreprise, ce qui conduit à son appauvrissement et lui porte préjudice, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de s’enrichir personnellement, constitue une intention de nuire à son employeur caractérisant une faute lourde ;

Attendu que la faute grave commise exclut le paiement du salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire, ainsi justifiée, des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que n’étant pas démontrée l’existence d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, justifiée par une faute lourde, [Y] [U] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

Sur les autres demandes :

Attendu que la demande de récupération des données personnelles était comprise dans la saisine du conseil de prud’hommes ;

Que les demandes additionnelles à titre de rappel de primes d’invention et de portabilité de la mutuelle, qui se rattachent par un lien suffisant aux prétentions originaires liées à la rupture du contrat de travail, sont recevables par application de l’article 70 du code de procédure civile ;

Sur la récupération des données personnelles :

Attendu que l’ordinateur dans lequel se trouvent les données dont [Y] [U] demande la récupération a été placé sous scellés ;

Que des procédures sont actuellement pendantes devant différentes juridictions ;

Qu’au demeurant, il n’est pas démontré qu’il s’agirait de données qui lui seraient personnelles ;

Attendu que la demande à ce titre sera en conséquence rejetée ;

Sur le rappel des primes d’invention 2015 à 2017 :

Attendu que la demande à titre de rappel de primes d’invention n’implique pas l’examen de l’existence ou de la méconnaissance d’un droit attaché à un brevet, non plus que d’un droit patrimonial sur un logiciel ou sa documentation ;

Attendu que les modalités de la rémunération supplémentaire due au salarié pour une invention sont prévues dans la note de service n° 2016/16-01 du 13 janvier 2016 ;

Que c’est à l’employeur qu’il incombe d’établir qu’il a effectivement payé au salarié la rémunération qu’il lui doit ;

Que lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire ;

Attendu que [Y] [U] produit un décompte de la rémunération qui lui est due, d’un montant de 11 100€ ;

Que, pour sa part, se bornant à soutenir que la prime de brevet n’est en rien afférente à la contestation du licenciement, la SAS MENTA ne produit aucun élément propre à contester le calcul du salarié ;

Attendu qu’il sera donc fait droit à la demande ;

Attendu, de même, que n’étant pas contesté que [Y] [U] est bien l’inventeur ou le co-inventeur des inventions qu’il invoque, il convient de condamner la SAS MENTA à lui remettre les quatre documents attestant de la délivrance des titres de propriété industrielle portant sur les inventions qu’il a réalisées, sans qu’il soit besoin d’assortir cette demande d’une astreinte ;

Sur la portabilité de la mutuelle :

Attendu que [Y] [U], dont la faute lourde a été jugé caractérisée, ne peut prétendre à la portabilité des garanties ‘Incapacité-Invalidité-Décès’ en vigueur dans l’entreprise ;

Sur la demande reconventionnelle de l’employeur :

Attendu que la responsabilité pécuniaire d’un salarié à l’égard de son employeur peut résulter de sa faute lourde ;

Attendu qu’au vu des éléments soumis à son appréciation, notamment l’importance des données confidentielles détournées et la valeur des logiciels, il y a lieu de condamner [Y] [U] à payer à la SAS MENTA la somme de 50 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi ;

* * *

Attendu qu’enfin, l’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour d’appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirmant le jugement et statuant à nouveau,

Dit recevables les demandes de récupération des données personnelles, de rappel de primes d’invention et de portabilité de la mutuelle d’assurance ;

Condamne la SAS MENTA à payer à [Y] [U] la somme de 11 100€ à titre de rappel sur les primes d’invention des années 2015 à 2017 ;

La condamne à remettre à [Y] [U] les quatre documents attestant de la délivrance des titres de propriété industrielle portant sur les inventions réalisées ;

Condamne [Y] [U] à payer à la SAS MENTA la somme de 50 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi résultant des détournements des données informatiques ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne [Y] [U] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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