Harcèlement moral du salarié

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Harcèlement moral du salarié
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B

————————–

ARRÊT DU : 16 juin 2022

PRUD’HOMMES

N° RG 20/01152 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPPJ

SAS LYNX SECURITE

c/

Monsieur [B] [W]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 janvier 2020 (R.G. n°F 19/00059) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGOULEME, Section Activités Diverses, suivant déclaration d’appel du 26 février 2020,

APPELANTE :

SAS LYNX SECURITE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 2]

Représentée par Me Michel PUYBARAUD de la SCP MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant

Assistée de Me HONTAS de la SELARL HONTAS ET MOREAU, plaidant

INTIMÉ :

[B] [W]

né le 12 Mai 1977 de nationalité Française

Profession : Agent de sécurité, demeurant [Adresse 1]

Représenté et assisté par Me Damien TUYERAS, avocat au barreau de CHARENTE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 30 mars 2022 en audience publique, devant Monsieur Eric Veyssière, président chargé d’instruire l’affaire, et monsieur Hervé Ballereau, conseiller qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Monsieur Hervé Ballereau, conseiller

Madame Elisabeth Vercruysse, vice-présidente placée

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 6 février 2002, la société Sécuri France a engagé M. [B] [W] en qualité d’agent de sécurité.

Il était affecté au site du magasin Géant Casino de [Localité 4] (Charente).

Le contrat de travail a successivement été transféré aux sociétés Samsic Sécurité (2008), Sécuritas (2010), CIPS (23/06/2015) et enfin Lynx Sécurité (1er novembre 2017).

Au dernier état de sa relation de travail, M. [W] occupait le poste d’agent de sécurité incendie.

Par courrier adressé à son employeur le 25 février 2018, M. [W] se plaignait de subir des faits qu’il estimait constituer un harcèlement moral.

A compter du 3 avril 2018, M. [W] a été placé en arrêt maladie.

Le 1er juin 2018, il était proposé à M. [W] de reprendre le travail sur d’autres sites sur un poste d’agent de sécurité de filtrage.

Le salarié a refusé ces propositions.

Le 18 juin 2018, le médecin du travail a déclaré M. [W] inapte à son poste de travail.

La société Lynx Sécurité a convoqué M. [W] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 10 août 2018.

Le salarié a refusé les postes de reclassement proposés par l’employeur qui impliquaient un changement de lieu de travail.

Le 14 août 2018, M. [W] a été licencié pour inaptitude sans possibilité de reclassement.

Le 15 mars 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angoulême aux fins de :

voir constater qu’il a été victime de harcèlement moral

voir juger son licenciement nul

voir condamner la société Lynx Sécurité au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts et indemnités.

Par jugement du 9 janvier 2020, le conseil de prud’hommes d’Angoulême a :

constaté que M. [W] a été victime d’actes de harcèlement moral,

dit que son licenciement est nul,

fixé la moyenne des salaires à la somme de 1 774,71 euros bruts,

condamné la société Lynx Sécurité à verser à M. [W] les sommes suivantes

– 28 400 euros nets à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et financier subi,

– 3 549,42 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 354,94 euros de congés payés y afférents,

– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

débouté la société Lynx Sécurité de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

prononcé l’exécution provisoire de plein droit selon les dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail,

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire pour le surplus.

Par déclaration du 26 février 2002, Société Lynx Sécurité a relevé appel du jugement.

Par ses dernières conclusions du 17 février 2022, la société Lynx Sécurité demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de débouter M. [W] de toutes ses prétentions.

Elle demande la condamnation de M. [W] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société appelante fait valoir en substance que :

– En application de l’article 3.2 de l’accord conventionnel du 28 janvier 2011 qui dispose que ‘tout litige portant sur la période précédant le transfert est de la responsabilité de l’entreprise sortante’, elle ne peut être tenue responsable d’agissements auxquelles elle est étrangère puisqu’à l’époque des dits agissements, l’employeur était la société CIPS ; le transfert du contrat de travail est exclusivement régi par cet accord conventionnel et non par les dispositions de l’article L1224-1 du code du travail ;

– Les allégations de M. [W] sur le fait qu’il ait fait l’objet de propos racistes sont inexactes; le témoignage de M. [Y] sur de tels faits est dépourvu de valeur probante puisque ce salarié a été licencié le 27 juin 2016 par la société CIPS et qu’il ne faisait pas partie des équipes transférées à la société Lynx Sécurité ; le témoignage de M. [P] n’est pas plus probant puisque ce salarié a travaillé avec M. [W] jusqu’en 2010, soit 7 ans avant la reprise du marché par la société Lynx Sécurité ;

– Il est faux de soutenir que la société Lynx Sécurité aurait pu choisir les salariés qu’elle reprenait au moment du transfert de marché, alors qu’elle était tenue d’une obligation conventionnelle de reprise des salariés de l’entreprise sortante ; M. [W] a d’ailleurs bien été repris à compter du 1er novembre 2017 ; en outre, les propos prêtés au gestionnaire de la galerie marchande n’engagent pas la responsabilité de l’employeur ;

– M. [W] ne fait pas état de fait précis pour la période postérieure à sa reprise par la société Lynx Sécurité, s’agissant notamment de l’attitude qu’aurait eu à son égard son supérieur hiérarchique, M. [X] ; ce dernier ne peut être à l’origine de l’arrêt de travail de M.[W] puisqu’il était en formation de longue durée et absent du site depuis le 26 mars 2018;

– Des mesures de prévention du harcèlement moral ont été mises en oeuvre au sein de l’entreprise par voie d’affichage, sur l’intranet de l’entreprise et par voie de documents remis aux salariés, notamment le règlement intérieur ; en outre, informée du signalement fait par M.[W], la société a organisé une réunion et un rapport a été établi par M. [E] ; ce rapport ne met pas en évidence de faits précis pouvant relever d’un harcèlement moral ; l’enquête du CHSCT a révélé que M. [W] se mettait à l’écart de lui-même du reste de l’équipe ; plusieurs salariés attestent du comportement de M. [W] qui dénigrait et critiquait ses collègues suite au licenciement de M. [Y];

– Les éléments médicaux versés aux débats par le salarié ne peuvent être reliés à un comportement fautif de l’employeur ;

– M. [W] a été rendu destinataire de 22 propositions de reclassement qu’il a toutes refusées;

– Le conseil de prud’hommes a condamné l’employeur à payer une indemnité pour licenciement nul exprimée en net, ce qui n’est pas conforme aux dispositions de l’article L1235-3-1 du code du travail ; le salaire brut devant servir de base au calcul des indemnités allouées est de 1.441,39 euros et non 1.774,71 euros comme cela a été retenu.

Aux termes de ses dernières conclusions du 10 septembre 2020, M. [W] demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société Lynx Sécurité à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [W] fait valoir en substance que :

– Le chef de sécurité du site, M. [X], avait à son égard et plus généralement à l’égard des salariés noirs un comportement et des propos totalement inadaptés et injurieux, ce dont attestent des collègues de travail, M.M. [I], [Y], [P], qui tous font état de propos à caractère raciste tenus régulièrement par leur supérieur hiérarchique ;

les faits se sont accentués lorsque M. [W] a établi en octobre 2017 une attestation au profit de M. [Y] dans le cadre d’une procédure prud’homale qu’il avait engagée, l’employeur ayant à partir de ce moment tout fait pour évincer M. [W] ;

– Aucune mesure de protection n’a été prise à son égard ; il a été victime de plus en plus souvent de faits de harcèlement moral ; M. [X] faisait preuve de favoritisme envers d’autres salariés au détriment de M. [W], notamment quant aux jours de repos ; il s’est en outre retrouvé isolé du reste de l’équipe, ce dont atteste son collègue M. [I] qui subissait le même sort ;

– Son médecin traitant certifie l’avoir suivi pour un état anxio-dépressif réactionnel à une situation de stress au travail ; il relate une tristesse, des pleurs, un repli sur soi, des troubles du sommeil, une perte de confiance en soi, de l’anxiété ;

– Il n’a retrouvé un emploi qu’au mois de décembre 2019 soit 16 mois après son licenciement; son salaire de référence a été calculé sur la base des indications portées sur l’attestation pôle emploi qui fait ressortir une moyenne de 1.774,71 euros.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

1- Sur la demande en nullité du licenciement pour harcèlement moral :

L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.

En vertu de l’article L1152-1du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.

L’article L1154-1 du même code, dispose que ‘lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ‘.

En vertu de ce dernier texte, le salarié doit présenter à la cour des éléments précis et concordants ; ce n’est qu’à cette condition que le prétendu auteur du harcèlement doit s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.

L’employeur ne peut se prévaloir de l’inaptitude médicalement constatée comme constituant un motif de rupture dès lors que cette inaptitude est consécutive à des faits de harcèlement moral.

Enfin, il résulte des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail que le licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul.

En l’espèce, Monsieur [W] produit l’attestation rédigée par un ancien collègue de travail, M. [I], qui indique ‘avoir entendu et vu M. [X] [N], chef de l’équipe incendie sur le site de Géant Casino à [Localité 4] (…) avoir eu des propos à caractère racial tel que ‘vous les noirs, ce n’est pas que vous puez mais vous sentez mauvais’ et ça à plusieurs reprises (…) De plus, M. [X] a toujours fait du favoritisme et donné plus d’avantages aux autres collègues qu’à M. [W] ou moi-même, notamment sur les jours de repos et les weekend de quatre jours (…)’.

Ce témoin évoque une situation d’isolement progressif du reste de l’équipe de travail dont il aurait été victime au même titre que M. [W].

M. [Y], ancien collègue de travail, atteste ‘avoir entendu et vu M. [X] (…) avoir eu des propos injurieux voir raciale envers certains agents incendie. Des propos courants, tels que cas soss, les galériens, les miséreux, les analphabètes, les noirs ça pue. La gouine pour le personnel féminin (…)’.

Ce témoin évoque encore des échanges qu’il a pu avoir avec M [X] au sujet du favoritisme réservé à certains agents, et n’avoir eu comme réponse que : ‘Je fais ce que je veux, je suis le chef de poste’.

Il affirme que M. [X] souhaitait voir M. [W] évincé du site Géant Casino, en ces termes: ‘Les blacks, les arabes, ça va pas être possible’.

M. [P], qui indique avoir travaillé sur le site Géant Casino de 2002 à 2010, atteste avoir entendu de la part de M. [X] des propos injurieux visant certains agents, à raison de leur orientation sexuelle réelle ou supposée, ou encore de leur origine ethnique.

Ce témoin expose encore que lors de la reprise du marché par la société Lynx Sécurité, il a souhaité rester au service de la société Sécurifrance pour ne plus être au contact de M. [X].

Dans une attestation rédigée le 13 novembre 2018, M. [H] [E], collègue de travail, fait état d’une réunion préparatoire à la reprise du marché du site ‘Géant Casino’ par la société Lynx Sécurité, lors de laquelle aurait été évoquée l’éviction de M. [W], pour avoir témoigné en faveur d’un collègue de travail précédemment licencié, M. [Y], dans le cadre de l’instance initiée par ce dernier devant le conseil de prud’hommes.

Le témoin ajoute que le responsable de la société Lynx Sécurité, M. [U], recevant individuellement tous les agents avant la reprise, a évoqué en présence de M. [W] le souhait du client de ne plus le voir intervenir sur le site, sans que la moindre explication objective ne puisse être donnée malgré les demandes du salarié.

M. [E] évoque dans une autre attestation datée du 30 juillet 2020 des propos à caractère raciste entendus de la part de M. [X], qui, désignant un autre agent du site de race noire, le dénommait ‘le sans papier’.

Il évoque encore les ‘injustices’ exprimées par M. [W] face à l’attitude développée à son égard par M. [X] et la volonté de ce dernier de l’exclure de l’équipe.

M. [W] verse également aux débats la copie d’un message électronique adressé à son employeur le 25 février 2018, dans lequel il évoque des faits de harcèlement moral dont il indique avoir été l’objet et dans lequel il demande des explications sur l’intention de la direction de l’évincer du site de [Localité 4].

Dans un rapport daté du 5 mars 2018, adressé par courriel à la société Lynx Sécurité et à M.[W], M. [E], responsable adjoint du secteur de la Charente, évoque ‘beaucoup d’irrégularités dans le comportement de certains agents. Un manque de savoir être qui transpire notamment dans l’équipe SSIAP’ et le fait que M. [W] et un autre salarié, M. [I], ‘se sentent mis de côté et discriminés’, faisant souvent leurs rondes seuls alors que le restant de l’équipe fonctionne avec deux agents. M. [E] évoque encore le fait que M. [W] a été amené à dénoncer le comportement de certains de ses collègues, tel que le visionnage de films à caractère pornographique durant le service.

M. [E] évoque encore le comportement du chef de poste, M. [X], qui adopterait un comportement qu’il qualifie de ‘déloyal et manipulateur’.

Dans sa réponse adressée le 22 mars 2018, l’employeur, s’il rejette toute volonté d’exclusion de MM. [W] et [I], évoque différents entretiens menés par le responsable de l’entreprise avec les salariés concernés, notamment M. [X], ayant fait ressortir un problème de communication avec ce dernier.

M. [W] produit un courrier adressé le 4 avril 2018 par le médecin du travail à son médecin traitant, qui fait état de l’expression par le salarié d’une ‘déstabilisation médico-professionnelle à laquelle il se trouve confronté depuis plusieurs mois dans un contexte de tensions internes au sein de son équipe de travail ainsi qu’avec sa hiérarchie et les répercussions sur son état de santé dans ce contexte difficile’.

Dans un autre courrier adressé le 20 avril 2018 à l’employeur, le médecin du travail évoque ‘l’importance de la symptomatologie présentée, exprimée et constatée (complétée par les constats médicaux dont m’a fait part le médecin traitant assurant le suivi thérapeutique de M.[W])’ et ‘la spécificité des facteurs mis en cause dans cette fragilisation médico-professionnelle majeure’, pour conclure à l’impérieuse nécessité, au terme de l’arrêt de travail alors en cours, d’émettre ‘un avis d’inaptitude médicale à la reprise sur le site et au poste de travail actuel’, ajoutant que ceci ‘s’imposera pour préserver l’état de santé de l’intéressé et éviter une ré-aggravation symptomatique ou la survenue d’un épisode aigu surajouté’.

Le médecin du travail invitait encore l’employeur à mettre en oeuvre un entretien ‘ouvert et constructif ‘ avec le salarié.

La réponse adressée le 10 juillet 2018 par le médecin du travail à l’employeur au sujet des possibles postes de reclassement, confirmait que ‘les constats d’un historique et d’une qualité relationnelle dégradés (entre collègues au sein de l’équipe affectée au sein du site Géant Casino [Localité 3] Nord et avec son supérieur hiérarchique sur ce site)’ le conduisaient à ‘déconseiller formellement, sur le plan exclusivement médical, l’affectation au site de [Localité 5]’.

Le médecin traitant de M. [W] évoque dans un certificat rédigé le 5 septembre 2018, un suivi depuis le mois de février 2018 pour un état anxio-dépressif réactionnel à une situation de stress pouvant entrer dans le cadre de troubles de l’adaptation avec anxiété et humeur dépressive, ajoutant que cette situation fait suite à des difficultés dans le cadre du travail’ avec des éléments diagnostic tels que tristesse, pleurs, repli sur soi, troubles du sommeil, perte de confiance en soi, anxiété et adynamie, nécessitant une psychothérapie de soutien et la prescription d’un traitement anxiolytique.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Il incombe dès lors à l’employeur de prouver que les agissements évoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que le licenciement est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En premier lieu, la société Lynx Sécurité soutient que ‘le Conseil a méconnu la circonstance que les faits dont se prévaut M. [W] ont été commis antérieurement à la reprise du marché par la SAS Lynx Sécurité’.

Outre qu’il doit être relevé que cette affirmation est rédigée à l’indicatif et non au conditionnel et s’il est constant que la seule perte d’un marché n’emporte pas application des dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail, il doit être observé que la société Lynx Sécurité n’a pas jugé utile d’appeler à la cause le précédent employeur du salarié, la société CIPS, alors qu’il résulte des pièces susvisées que les actes supposés de harcèlement moral, qui ont certes pu commencer antérieurement au 1er novembre 2017, se sont poursuivis jusqu’à l’avis d’inaptitude du 18 juin 2018, auquel a fait suite l’engagement de la procédure de licenciement par la société Lynx Sécurité.

L’argument soulevé par l’employeur manque donc en fait et en droit.

Au demeurant et en second lieu, il doit être relevé que le témoignage de M. [E] évoque une volonté d’éviction de M. [W], contemporaine de la reprise du marché du site ‘Géant Casino’ par la société Lynx Sécurité, de même que l’attestation de M. [I] évoque le comportement de M. [X] ‘sur le site de Géant Casino à [Localité 4] au sein de la société Lynx Sécurité Europe’.

Surabondamment, le courriel de M. [W] du 25 février 2018 dans lequel le salarié évoque la volonté de son éviction par M. [X] est bien postérieur à la reprise du marché, de même que l’intervention de M. [E], mais également celle du médecin du travail auprès de la direction de l’entreprise, sont également postérieures à la reprise du marché.

Tous ces éléments confirment la poursuite des agissements dénoncés par le salarié.

S’agissant du comportement prêté au supérieur hiérarchique du salarié, s’il est reproché à ce dernier de ne pas faire état de faits précis, ce que contredit la reproduction par plusieurs témoins de propos circonstanciés, notamment à caractère raciste, entendus de la part du chef de poste, il n’est pas justifié, par des éléments objectifs et vérifiables, que les dits propos soient imaginaires et que la réalité des agissements dénoncés par le salarié soit sujette à caution.

A ce titre, les témoignages dont se prévaut l’employeur, s’ils tendent à faire reposer sur M.[W] la responsabilité de l’isolement progressif qu’il dénonce, n’évoquent nullement la question de sa relation hiérarchique avec M. [X] et n’apportent pas la moindre contradiction quant aux propos à caractère xénophobe ou raciste qu’a pu tenir ce dernier en désignant, entre autres, le salarié intimé.

Il en va de même d’un compte rendu de visite du CHSCT en date du 25 mai 2018, qui évoque au conditionnel le fait que MM. [W] et [I] ‘se mettraient à l’écart d’eux-mêmes et se disent harcelés et diffamés’ tout en indiquant de manière pour le moins contradictoire que ‘l’ensemble de l’équipe semble soudée’, sans aucune analyse des faits de harcèlement dénoncés par le salarié à l’employeur depuis le 25 février 2018 et notamment, aucune audition de M. [X] et des membres de son équipe.

Enfin, si la société Lynx Sécurité, critique les éléments médicaux produits par le salarié comme ne permettant pas, selon elle, d’établir un lien de causalité avec des faits de harcèlement moral, elle ne s’explique nullement sur la nature des mesures de prévention qu’elle devait prendre dès qu’elle a été informée de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, ainsi que la nature des mesures immédiates propres à le faire cesser.

Or, de ce point de vue, aussi bien les alertes constituées par le courriel du salarié du 25 février 2018, que le rapport établi par M. [E] le 5 Mars 2018 que les termes du courrier adressé par le médecin du travail le 20 avril 2018, ne pouvaient que provoquer la mise en oeuvre par l’employeur de mesures concrètes propres à satisfaire à son obligation légale de sécurité, dont il n’est pourtant pas justifié.

Au résultat de l’ensemble de ces éléments, le licenciement pour inaptitude de M. [W] apparaît être la résultant d’un harcèlement moral et c’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a jugé le dit licenciement entaché de nullité.

En application des dispositions de l’article L 1235-3-1 du code du travail, dès lors que le licenciement est entaché de nullité, il doit être alloué au salarié une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

A cet égard, compte-tenu des circonstances de la rupture, de l’ancienneté du salarié (16 ans et six mois), du salaire moyen de référence précédant la période de maladie (1.740,66 euros brut), c’est à juste titre que les premiers juges ont condamné la société Lynx Sécurité à payer à M. [W] la somme de 28.400 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Si M. [W] avait travaillé pendant la période de préavis dont il est fondé à se prévaloir, dès lors que son licenciement est nul, il aurait perçu deux mois de salaire, soit la somme de 3.481,32 euros brut (1.740,66 x 2).

Il convient donc, infirmant le jugement entrepris sur le quantum de cette indemnité, de condamner la société Lynx Sécurité à payer à M. [W] la dite somme de 3.481,32 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 348,13 euros brut au titre des congés payés y afférents.

2- Sur les dépens et frais irrépétibles :

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la société Lynx Sécurité, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Dès lors qu’elle succombe, elle sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande en revanche de condamner la société Lynx Sécurité à payer à M. [W] à titre d’indemnité pour frais irrépétibles, la somme de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris, excepté sur le quantum de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la société Lynx Sécurité à payer à M. [W] les sommes suivantes :

– 3.481,32 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 348,13 euros brut à titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

Y ajoutant,

Condamne la société Lynx Sécurité à payer à M. [W] la somme de 2.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Lynx Sécurité de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Lynx Sécurité aux dépens de première instance et d’appel.

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière

 


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