Abus de l’internet au travail : proportionnalité de la sanction

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Abus de l’internet au travail : proportionnalité de la sanction

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Quelle que soit la faute du salarié, l’employeur a l’obligation d’adopter une sanction proportionnée adoptée conformément aux antécédents disciplinaires du salarié et à la nature de la faute.  Par ailleurs, l’employeur doit aussi établir la fréquence de ces consultations et leur date pour qualifier l’abus.


 

Affaire La Poste 

Un salarié de la Poste a contesté avec succès son licenciement (faute grave) pour avoir utilisé son ordinateur professionnel à des fins personnelles ainsi que la consultation sur le lieu et le temps du travail de sites à caractère sexuel.

Les éléments médicaux à prendre en compte  

La présence de ces clichés, dont le nombre est réduit et qui datent tous de près d’un an avant le licenciement, ne peut certes être approuvée mais est à mettre en relation avec les éléments médicaux dont le salarié a fait état à plusieurs reprises et qui sont attestés par un certificat médical qu’il produit, où le médecin indique que le salarié  ‘présente des troubles en rapport avec la stérilité et la sexualité nécessitant un traitement intermittent à la demande’. 

Par ailleurs, s’agissant des sites consultés, ainsi que le conseil de M. [I] le relève, ni le constat d’huissier ni la pièce 12 invoquée par la société (qui est seulement une liste d’adresses de sites, sans plus de précision et dont seulement certains ont un nom ‘évocateur’) ne permettent de retenir la date des consultations et leur fréquence telles que mentionnées dans la lettre de licenciement, étant observé que cette liste a été établie à la suite d’une demande portant sur les années 2015 et 2016 (pièce 13 société) et donc dans une période très éloignée de la date du licenciement, la cour relevant en outre que la lettre de licenciement ne permet pas plus de dater ces consultations.

Aucun antécédent disciplinaire

Le représentant du personnel a relevé que le salarié n’avait aucun antécédent disciplinaire, ce qui n’est pas contesté par l’employeur, et a interrogé la direction sur l’inefficacité des filtres de barrage installés sur les ordinateurs.

Proportion des sanctions 

Le règlement intérieur de la société comporte une annexe 1 relative à la nature et échelle des sanctions, prévoyant avant le licenciement la possibilité d’une exclusion temporaire par le biais d’une mise à pied disciplinaire pouvant aller jusqu’à trois mois.

En considération de ces éléments, des faits établis à l’encontre du salarié, des documents médicaux qu’il produit, de l’évaluation de sa qualité de servir, de son ancienneté et de l’absence d’antécédent disciplinaire, la sanction du licenciement était disproportionnée aux faits retenus.

Le licenciement pour faute grave

L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise.


 

 

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRÊT DU : 29 JUIN 2022

PRUD’HOMMES

N° RG 19/02179 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-K7JJ

Monsieur [P] [W] [I]

c/

[…]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 mars 2019 (R.G. n°F 17/01357) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 17 avril 2019,

APPELANT :

Monsieur [P] [W] [I]

né le 27 Mars 1966 à [Localité 3] de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Iwan LE BOEDEC, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

[…], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 356 000 000

représenté par Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 juin 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d’instruire l’affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

Monsieur Rémi Figerou, conseiller

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [P] [W] [I], né en 1966, a été engagé par la […] à compter du 5 janvier 1998 en qualité d’agent analyste programmeur, catégorie cadre, position III, niveau 2, relevant de la ‘convention commune’ soit du statut des salariés de droit privé.

Le lundi 27 mars 2017, un technicien du service d’entretien des matériels, M. [X], est intervenu sur le poste informatique de M. [I] et a procédé, d’une part, à une extraction des données du poste de travail sur un disque dur externe et, d’autre part, à l’importation de ces données sur un ordinateur de remplacement.

Le 29 mars 2017, la société a notifié à M. [I] une mise à pied à titre conservatoire en lui précisant qu’il recevrait une convocation à un entretien préalable.

Par lettre datée du 4 avril 2017, M. [I] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 avril 2017.

Le 13 avril 2017, la société La Poste a convoqué M. [I] devant la commission consultative paritaire pour une réunion fixée le 25 avril 2017.

Deux des membres de la commission (sur trois) se sont prononcés en faveur d’un licenciement pour faute grave.

M. [I] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 10 mai 2017 ainsi rédigée :

« Monsieur,

Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d une faute grave.

En effet, le 27/03/2017, un technicien de nos services de maintenance est intervenu sur votre poste de travail pour procéder à la sauvegarde de vos données sur un disque externe avant l’installation d’un nouvel ordinateur. Vous étiez présent au moment de ce transfert. Lorsque le technicien a transféré le dossier ‘mes images’, il a vu des images d’enfants et d’adolescents nus qui l’ont choqué.

Il est parti avec votre ancien poste de travail et l’intégralité de son contenu. Il a mis ce poste à I’abri pour qu’il n’y ait aucune intervention dessus et a informé sa hiérarchie de la situation.

La Direction a fait constater le 28/03/2017, par Huissier de Justice, la présence de ces photos d’enfants et d’adolescents nus sur votre poste de travail téléchargés pendant et sur le lieu de travail. A cette occasion, ont été découverts sur votre poste de travail divers raccourcis de sites internet à caractère érotique et pornographique, ‘érection’, ‘éjaculation toute petite’, ‘exhibition amateur’, ‘éjaculation éducationnel petite’,’manifestation de garçons nus..’, ‘jambes poilues’.

Egalement le 28/03/2017 une alerte a été réalisée auprès de la déontologie qui a diligenté une enquête. Le 29/03/ vous avez été mis à pied à titre conservatoire.

Le Directeur de la sécurité a adressé l’état de vos connexions lnternet sur 90 jours pendant votre temps et sur votre lieu de travail ; le nombre de ces connexions est impressionnant (plus de 1500 soit en moyenne 16 connexions journalières).

Les noms suggestifs démontrent le non respect de la charte d’utilisation du matériel informatique et leur caractère explicitement indécent et choquant :

– ‘gros sexe’

– ‘grosse bite masturbation’

– ‘grosse bite noire baise petite fille noire’

– ‘jeunes bites’

– ‘femme se fait mettre la bite de son chien’

– ‘bite de cheval pour zoophile’

– ‘soumis duo de bites / jeunes bites’

[…]

Cette conduite, notamment par le nombre de connexions, et le temps journalier qui y est consacré, met en cause la bonne marche du service.

Par lettre recommandée avec accusé de réception, vous avez été convoqué à un entretien préalable le 12/04/2017 auquel vous vous êtes présenté accompagné.

A cette occasion, vous avez reconnu avoir un comportement déplacé ainsi que la consultation de ces photographies pendant et sur votre lieu de travail.

Conformément aux dispositions de la Convention commune, nous avons recueilli l’avis de la Commission Consultative Paritaire le 25/04/2017 qui s’est prononcée à la majorité favorablement à un licenciement pour faute grave.

Les explications que vous avez fournies lors de la procédure disciplinaire ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation au regard des faits que vous avez commis.

De par vos actes et votre conduite pendant et sur votre lieu de travail, vous avez :

– détourné le matériel informatique mis à votre disposition pour usage professionnel en enregistrant et téléchargeant des photographies à caractère érotique, en cela vous avez contrevenu à l’article 10 du Règlement intérieur de La Poste qui prévoit pour l’usage du matériel et des ressources de La Poste que l’agent « (…) ne doit pas utiliser ce matériel à d’autres fins, et notamment à des fins personnelles, sauf autorisation préalable de sa hiérarchie et/ou sauf si un tel usage est prévu par La Poste ”

– manqué au respect de la charte relative à l’accès et à l’utilisation des systèmes d’information de La Posté qui interdit formellement « d’utiliser ces capacités de stockage pour stocker et ou partager des données non professionnelles (musique, photos, vidéos, documents…)

– manqué au respect des lois et règlements en vigueur en ayant eu accès à des sites internet à caractère érotique/ pornographie pendant, et sur votre lieu de travail.’

A la date du licenciement, M. [I] avait une ancienneté de 19 ans et 4 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [I] a saisi le 31 août 2017 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 22 mars 2019, a :

– dit que le licenciement de M. [I] pour faute grave est justifié,

– débouté M. [I] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. [I] à verser à la […] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par déclaration du 17 avril 2019, M. [I] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 décembre 2019, M. [I] demande à la cour d’annuler le jugement dont appel et, en tout état de cause, de le réformer en ce qu’il a dit que son licenciement reposait sur une faute grave et, statuant à nouveau, de :

– dire que son licenciement ne repose pas sur une faute grave et qu’il est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamner la […] à lui verser les sommes suivantes :

* 69.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit l’équivalent de 20 mois de salaire,

* 13.400 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1.340 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 29.536,93 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

* 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’intimée aux dépens et aux éventuels frais d’exécution forcée.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 octobre 2019, la […] demande à la cour de’constater la régularité de la motivation du jugement rendu et de débouter en conséquence M. [I] de sa demande d’annulation dudit jugement présentée à titre principal et, en tout état de cause, de :

– constater que le licenciement de M. [I] repose sur une faute grave,

– confirmer le jugement rendu en toute ses dispositions,

– débouter M. [I] de toutes ses demandes,

– y ajoutant, condamner M. [I] à lui verser la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel outre les dépens de la présente procédure et éventuels frais d’exécution.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 14 juin 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d’annulation du jugement pour défaut de motivation

M. [I] sollicite l’annulation du jugement dont appel pour défaut de motivation. Il fait valoir que le conseil de prud’hommes dans son jugement, semble faire référence à la pièce n°12 communiquée par l’employeur, alors même que celle-ci n’a pas été consultée ni analysée.

Selon le salarié, cette pièce dresse une liste établie par l’employeur mais ne permet pas de prouver la matérialité des faits. Il fait valoir également que le procès verbal de constat d’huissier décrit la liste des sites consultés (pièce n°11 communiquée par l’employeur), mais ne permet pas plus d’établir une liste des sites consultés par le salarié et de prouver le téléchargement par ce dernier d’images d’enfants et d’adolescents nus.

La société considère qu’il n’existe pas de défaut de motivation.

Elle fait valoir que la pièce contestée par le salarié retrace bien l’historique des consultations de sites Internet qu’il a réalisées sur son poste de travail, que le salarié confond motivation du jugement et analyse des éléments probants versés aux débats et que le conseil ne s’est pas déterminé sur les seules allégations de l’employeur mais en fonction des règles légales et des éléments versés au débat et en réalisant une appréciation de ces éléments.

***

Aux termes de l’article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé.

Le contenu du jugement déféré ne permet pas de retenir un défaut de motivation et ainsi que le fait valoir l’intimée, la critique émise par M. [I] concerne en réalité l’appréciation de la valeur probante des pièces versées aux débats faite par le conseil de prud’hommes.

Il n’y a donc pas lieu d’annuler le jugement rendu le 22 mars 2019.

Sur le licenciement

Sur la nature de la mise à pied

M. [I] demande à la cour de requalifier la mise à pied dont il a fait l’objet en sanction disciplinaire et, en application du principe non bis in idem de retenir que les faits qui lui ont été reprochés, déjà sanctionnés, ne peuvent fonder le licenciement invoquant à la fois le délai qui s’est écoulé entre la notification de cette mise à pied et sa convocation à l’entretien préalable au licenciement, la durée de la mise à pied et le fait qu’il n’y a eu aucune investigation ni preuve complémentaire après cette notification.

La société soutient que la mise à pied est bien une mise à pied à titre conservatoire et non disciplinaire.

Elle fait valoir qu’il n’est nullement imposé que la mise à pied à titre conservatoire soit prononcée dans la lettre de convocation à l’entretien préalable. Elle soutient également que cette mise à pied à titre conservatoire était nécessaire pour les besoins de l’enquête.

***

D’une part, la lettre adressée le 29 mars 2017 par l’employeur fait expressément référence au caractère conservatoire de la mesure de mise à pied prise à l’encontre du salarié et le délai écoulé entre ce courrier et celui emportant convocation à l’entretien préalable au licenciement, soit en réalité 4 jours ouvrables, n’est pas excessif.

D’autre part, la durée de la mise à pied s’explique par l’obligation de l’employeur de convoquer le salarié à un entretien préalable, puis de réunir une commission consultative paritaire afin de recueillir préalablement son avis sur la sanction envisagée, de convoquer à cette réunion tant les membres de cette commission que le salarié, en laissant à ce dernier un délai pour pouvoir être assisté par un défenseur de son choix.

Enfin, le fait que d’autres investigations n’ont pas été menées après la notification de la mise à pied n’est pas de nature à priver cette mesure de son caractère conservatoire.

Il n’y a donc pas lieu à l’application du principe non bis in idem.

Sur les faits invoqués à l’appui du licenciement pour faute grave

L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise.

La lettre de licenciement fait état de ‘la présence de photos d’enfants et d’adolescents nus sur le poste de travail qui auraient été téléchargées pendant et sur le lieu de travail, de divers raccourcis de sites à caractère érotique et pornographique, d’un nombre impressionnant de connexions (1.500 en 90 jours, soit 16 connexions en moyenne par jour) ayant des noms suggestifs au caractère indécent et choquant dont une liste est dressée’.

Il sera relevé en premier lieu que la Charte informatique de la Poste prohibe l’utilisation des capacités de stockage des équipements pour stocker des données non professionnelles et précise que l’utilisation des sites internet à des fins privées doit être limitée en volume, en durée et que l’accès à des sites non autorisés par les lois et règlements ou contraires à l’ordre public constitue une faute professionnelle.

Le règlement intérieur prévoit dans son article 10 que les salariés ne doivent pas utiliser le matériel qui leur est confié à d’autres fins que professionnelles et renvoie dans son article 12 à la Charte.

S’agissant de la nature et de la réalité des faits reprochés au salarié, si, dans le cadre de la présente procédure, M. [I] conteste l’ensemble des faits qui lui ont été reprochés, la retranscription du compte rendu d’entretien préalable et de la réunion de la commission consultative paritaire du 25 avril 2017, qu’il ne critique pas, démontrent qu’il a reconnu au moins pour partie ces faits puisqu’y sont mentionnées les déclarations suivantes :

– au cours de l’entretien : ‘J’ai eu un comportement déplacé. J’avais un besoin de me rassurer en allant voir des photos d’hommes nus’ (…) ‘Fin 2015-2016 je n’allais pas bien j’ai d’ailleurs un traitement médical et un suivi médical sur ce sujet. J’ai des problèmes intimes avec mon épouse qui m’angoissaient. J’ai des complexes physiques par rapport à mon corps qui font que je ne me sentais pas bien. Le fait de regarder des sites pornographiques et des images me rassuraient. J’étais très angoissé.’ (…) ‘Je ne me souviens pas de ce qu’il y avait exactement sur les photos mais j’ai conscience qu’il ne fallait pas avoir ça sur mon poste. Je suis honteux de ce que j’ai fait. Je ne recommencerai pas.’ ;

– au cours de la commission paritaire : ‘j’avais un mal-être, besoin de me rassurer, je l’ai fait occasionnellement, je le regrette sincèrement, je suis honteux. J’ai téléchargé les enfants nus de manière involontaire [propos également tenus au cours de l’entretien préalable]. Je ne suis pas un pervers sexuel, pas un pédophile, j’en ai parlé au médecin du travail (…). [à propos de la liste établie par le service de sécurité – pièce 12 de l’intimée] Je ne suis pas allé sur certains sites que je trouve choquants mais peut-être que des pages publicitaires se sont ouvertes suite à ces connexions. Par exemple «zoophilie » ne correspond pas à mes recherches. (…) Je suis certain de n’avoir jamais téléchargé de photos d’enfants. Quand on ouvre un site sur internet, il y a des liens qui s’ouvrent automatiquement. Si on regarde l’historique pour un site ouvert, il y avait sept liens ouverts, voire plus. Les allusions à ‘grosse bite’ et ‘petite bite’ sont liées à ma situation médicale’.

De ces déclarations, il doit être considéré que M. [I] a reconnu avoir utilisé son ordinateur professionnel à des fins personnelles ainsi que la consultation sur le lieu et le temps du travail de sites à caractère sexuel.

La question de savoir s’il a volontairement téléchargé des images d’enfants nus est dès lors dépourvue d’incidence sur la qualification de ces agissements, incontestablement fautifs dès lors que, s’il s’en était abstenu, de telles photographies n’auraient bien évidemment pas pu figurer dans le dossier ‘Images’ de son ordinateur.

Le constat d’huissier, conforté par l’attestation de M. [X], mentionne la présence de 6 photographies :

– la 1ère contient trois clichés dont un seul paraît correspondre à un jeune enfant nu,

– la 2de montre un individu, grand adolescent, également nu,

– la 3ème est une photographie de jeunes gens nus sur une plage,

– la 4ème est un cliché d’un jeune homme torse nu, portant un boxer,

– la 5ème est la photographie de deux jeunes garçons, dont pour l’un, n’est visible que le torse, l’autre portant ce qui semble être un slip de bain,

– enfin, sur la 6ème, figurent trois jeunes hommes nus dans une douche.

La présence de ces clichés, dont le nombre est réduit et qui datent tous de près d’un an avant le licenciement (avril à août 2016), ne peut certes être approuvée mais est à mettre en relation avec les éléments médicaux dont M. [I] a fait état à plusieurs reprises et qui sont attestés par un certificat médical qu’il produit, établi le 21 avril 2017, où le médecin indique que M. [I] ‘présente des troubles en rapport avec la stérilité et la sexualité nécessitant un traitement intermittent à la demande, et ce, depuis le 25.01.2016″. Ce certificat avait été remis à la commission paritaire. Deux ordonnances prescrivant des médicaments en rapport avec des troubles de l’érection sont également versées aux débats par M. [I].

Par ailleurs, s’agissant des sites consultés, ainsi que le conseil de M. [I] le relève, ni le constat d’huissier ni la pièce 12 invoquée par la société (qui est seulement une liste d’adresses de sites, sans plus de précision et dont seulement certains ont un nom ‘évocateur’) ne permettent de retenir la date des consultations et leur fréquence telles que mentionnées dans la lettre de licenciement, étant observé que cette liste a été établie à la suite d’une demande portant sur les années 2015 et 2016 (pièce 13 société) et donc dans une période très éloignée de la date du licenciement, la cour relevant en outre que la lettre de licenciement ne permet pas plus de dater ces consultations.

Ainsi, s’il est effectivement établi que M. [I] s’est, durant le temps de travail, connecté à des sites à caractère pornographique, la fréquence de ces consultations et leur date ne sont pas démontrées par l’employeur.

Les griefs invoqués par l’intimée ne sont donc que partiellement établis.

*

S’agissant de la sanction des faits reprochés au salarié, au cours de la séance de la commission consultative paritaire, le manager de M. [I], M. [B] qui l’assistait, ainsi que le rapporteur ont souligné qu’il n’y avait que 6 clichés et pas de photographies d’actes sexuels.

M. [B] a précisé que le travail de M. [I], qui était dans son équipe depuis 7 ou 8 ans, était bien fait et réalisé dans les délais ; il a ajouté qu’après avoir constaté que M. [I] consultait trop de sites à caractère économique et financier, il en avait fait la remarque au salarié qui avait modifié son comportement ; il a enfin évoqué la disproportion entre la sanction envisagée et l’acte réellement commis par le salarié.

Les entretiens d’évaluation des années 2014 à 2016 que M. [I] verse aux débats confortent les déclarations de son manager.

Le représentant du personnel a relevé que M. [I] n’avait aucun antécédent disciplinaire, ce qui n’est pas contesté par l’employeur, et a interrogé la direction sur l’inefficacité des filtres de barrage installés sur les ordinateurs.

Le règlement intérieur de la société comporte une annexe 1 relative à la nature et échelle des sanctions, prévoyant avant le licenciement la possibilité d’une exclusion temporaire par le biais d’une mise à pied disciplinaire pouvant aller jusqu’à trois mois.

En considération des éléments ci-avant retenus, des faits établis à l’encontre du salarié, des documents médicaux qu’il produit, de l’évaluation de sa qualité de servir, de son ancienneté et de l’absence d’antécédent disciplinaire, la sanction du licenciement est disproportionnée aux faits retenus.

Il sera en conséquence retenu que le licenciement qui lui a été notifié n’est justifié ni par une faute grave ni par une cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes pécuniaires du salarié

M. [I] sollicite le paiement de la somme de 13.400 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 1.340 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ainsi que de la somme de 29.536,93 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, et enfin 69.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de son licenciement.

Au soutien de cette dernière demande, il fait valoir qu’âgé de 53 ans, il n’a pas retrouvé d’emploi et a un enfant à charge et qu’en outre, ainsi qu’il en résulte de son courrier du 3 octobre 2017, la société a fait preuve de déloyauté en fournissant des informations péjoratives sur lui à d’éventuels recruteurs.

La société considère que les demandes du salarié sont infondées dans leur principe, le licenciement pour faute grave étant privatif des indemnités de rupture et conclut au débouté de M. [I].

***

Au vu des bulletins de paie de M. [I], le salaire de référence doit être fixé à la somme de 3.350,74 euros bruts.

Selon l’article 69 de la convention collective applicable, l’indemnité compensatrice de préavis est équivalente à 4 mois (3 + 1 lorsque le salarié est âgé de plus de 50 à 55 ans).

En conséquence, dans la limite de ses demandes, il sera alloué à M. [I] les sommes de 13.400 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de 1.340 euros bruts pour les congés payés afférents.

*

En application de l’article 70 de la convention collective applicable, le montant de l’indemnité de licenciement est égal à la moitié de la rémunération mensuelle brute pour chacune des douze premières années d’ancienneté et au tiers de cette même rémunération pour chacune des années suivantes.

La somme due à ce titre sera donc fixée à 28.671,16 euros.

*

Il ressort des pièces produites par M. [I] que s’il a été pris en charge par Pôle Emploi à compter du 22 mai 2017, il a créé sa propre entreprise de programmation informatique dès le mois d’août 2017.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [I], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 21.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.

En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite d’un mois d’indemnités.

Sur les autres demandes

La société La Poste, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à M. [I] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déboute M. [P] [I] de sa demande d’annulation du jugement déféré,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [P] [I] ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse,

Condamne la société La Poste à payer à M. [P] [I] les sommes suivantes :

– 13.400 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et 1.340 euros bruts pour les congés payés afférents,

– 28.671,16 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 21.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par la société La Poste à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [P] [I] depuis son licenciement dans la limite d’un mois d’indemnités,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société La Poste aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


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