Redressement de l’URSSAF : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00529

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Redressement de l’URSSAF : 17 novembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/00529

JMA/LD

ARRET N° 676

N° RG 21/00529

N° Portalis DBV5-V-B7F-GGIN

[A]

C/

S.A.S. [Z] YVES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 janvier 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de SAINTES

APPELANTE :

Madame [I] [A]

née le 12 Avril 1992 à [Localité 3] (17)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Ayant pour avocat plaidant Me Christelle SERRES-CAMBOT de la SELARL ACTE JURIS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

INTIMEE :

S.A.S. [Z] YVES

N° SIRET : 332 875 194

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Ayant pour avocat plaidant Me Emmanuelle MONTERAGIONI-LAMBERT de la SCP CABINET D’AVOCATS FLICHE-BLANCHÉ & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 03 Octobre 2022, en audience publique, devant:

Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Valérie COLLET, Conseiller

Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société [Z] Yves est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de filets et articles de pêche. Elle emploie environ 20 salariés dont plusieurs à domicile.

Elle a embauché Mme [I] [A] en qualité de travailleur à domicile à compter du 8 octobre 2013 mais aucun contrat de travail écrit n’a été régularisé entre les parties. Dans ce cadre, la société [Z] Yves livrait à Mme [I] [A] à son domicile des pièces que celle-ci devait assembler dans un temps défini sur la base duquel elle était rémunérée, puis la société [Z] Yves venait récupérer les produits réalisés au domicile de la salariée.

Le 18 juin 2018, la société [Z] Yves a remis à Mme [I] [A] pour signature un contrat de travail écrit auquel était annexé un tableau des temps d’exécution des tâches.

Mme [I] [A] a refusé de signer ce contrat.

Le 4 février 2019, Mme [I] [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Saintes de diverses demandes à l’encontre de la société [Z] Yves.

Par décision en date du 9 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Saintes s’est déclaré en partage de voix et l’affaire a été renvoyée à son audience de départage du 7 décembre 2020.

A cette audience, et en l’état de ses dernières prétentions, Mme [I] [A] demandait de voir :

– requalifier la relation de travail l’unissant à la société [Z] Yves en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein sur la base de 35 heures hebdomadaires au taux horaire brut du SMIC soit 1 498,49 euros bruts par mois ;

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail existant entre elle et la société [Z] Yves aux torts de cette dernière ;

– condamner la société [Z] Yves à lui payer les sommes suivantes :

– 53 945,64 euros bruts à titre de rappel de salaire outre 5 394,56 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– 10 489,43 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 2 996,98 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 299,69 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

– 2 247,74 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

– 1 500 euros à titre d’indemnité pour absence de visite médicale ;

– 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement en date du 18 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Saintes a :

– débouté Mme [I] [A] de l’intégralité de ses demandes ;

– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– condamné Mme [I] [A] aux entiers dépens.

Le 16 février 2021, Mme [I] [A] a relevé appel de ce jugement en ce qu’il :

– l’avait déboutée de l’ensemble de ses demandes et ainsi déboutée de ses demandes tendant à voir :

– requalifier la relation de travail l’unissant à la société [Z] Yves en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein ;

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail existant entre elle et la société [Z] Yves ;

– condamner la société [Z] Yves à lui payer :

– un rappel de salaire outre les congés payés afférents ;

– une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– une indemnité compensatrice de préavis ;

– une indemnité de licenciement ;

– une indemnité pour absence de visite médicale ;

– une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– l’avait condamnée aux entiers dépens.

Par conclusions reçues au greffe le 14 mai 2021, Mme [I] [A] demande à la cour :

– de réformer le jugement entrepris en ce qu’il :

– l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et ainsi déboutée de ses demandes tendant à voir :

– requalifier la relation de travail l’unissant à la société [Z] Yves en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ;

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail existant entre elle et la société [Z] Yves aux torts de cette dernière ;

– condamner la société [Z] Yves à lui payer un rappel de salaire outre les congés payés afférents, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, une indemnité de licenciement et une indemnité pour absence de visite médicale ;

– condamner la société [Z] Yves à lui verser une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– a laissé les dépens à sa charge ;

– et, statuant à nouveau :

– de requalifier la relation de travail l’unissant à la société [Z] Yves en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein sur la base de 35 heures hebdomadaires au taux horaire brut du SMIC soit 1 498,49 euros bruts par mois ;

– de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail existant entre elle et la société [Z] Yves aux torts de cette dernière, résiliation s’analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– de condamner la société [Z] Yves à lui payer les sommes suivantes :

– 106 392,79 euros bruts à titre de rappel de salaire outre 10 639,28 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– 10 489,43 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 2 996,98 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 299,69 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

– 2 996,98 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

– 1 500 euros à titre d’indemnité pour absence de visite médicale ;

– 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions reçues au greffe le 9 août 2021, la société [Z] Yves sollicite de la cour qu’elle confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, déboute Mme [I] [A] de l’ensemble de ses demandes, et condamne cette dernière à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 5 septembre 2022 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 3 octobre 2022 à 14 heures pour y être plaidée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

– Sur la demande de Mme [I] [A] tendant à la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet :

Au soutien de son appel, Mme [I] [A] expose en substance :

– qu’en l’absence d’écrit le contrat de travail est présumé avoir été conclu à temps complet, étant rappelé que selon l’article L 7413-2 du Code du travail, les travailleurs à domicile bénéficient des dispositions législatives et réglementaires applicables aux salariés ;

– qu’en outre il résulte des articles L 7421-1 et 2 et R 7421-1 à 3 du Code du travail que lors de la remise à un travailleur de travaux à exécuter à domicile, l’employeur est tenu d’établir, en deux exemplaires au moins, un bulletin ou un carnet sur lequel doit figurer notamment la nature et la quantité de travail à laquelle il est donné, les temps d’exécution, les prix de façon, ou les salaires applicables et que lors de la livraison du travail achevé, mention est faite sur ce carnet ou sur ce bulletin de la somme des prix à façon, frais et retenues ainsi que de la somme nette à payer au travailleur compte-tenu de tous ces éléments ;

– qu’en cas de non-respect de ces dispositions par l’employeur, le contrat de travail est présumé à temps complet ;

– qu’encore la fixation du salaire horaire et des temps d’exécution des travaux est prévue par les articles L 7422-1 à L 7422-3 et les articles R 7422-1, R 7422-4 et R 7422-5 du Code du travail ;

– qu’en l’espèce aucun contrat de travail n’a été signé entre elle et la société [Z] Yves ;

– qu’aucune information ne lui a été donnée dès le départ de la relation de travail sur la quantité de travail qui lui serait fournie, le temps d’exécution ou les tarifs applicables, ces éléments ayant été découverts au fur et à mesure ;

– qu’aucune date des livraisons n’était prédéterminée, celles-ci s’étant faites selon le bon vouloir de la société [Z] Yves ;

– que le tableau d’exécution et de temps auquel fait référence la société [Z] Yves ne lui a été transmis que dans le courant de l’année 2018 ;

– que ce document a été établi par la société [Z] Yves elle-même, sans respecter les dispositions du Code du travail qui prévoient notamment en ses articles L 7422-1 et suivants que la détermination des temps d’exécution se fait soit par la convention collective ou l’accord de branche, soit par l’autorité administrative et en tout état de cause par un tiers à l’entreprise qui par nature est plus objectif ;

– qu’elle a toujours soutenu que les temps de travail étaient sous-estimés par la société [Z] Yves et étaient irréalisables pour permettre une rémunération au SMIC horaire ;

– qu’ainsi le tableau établi par la société [Z] Yves mentionne que le montage d’un havenet T35 peut être réalisé en 7,14 centièmes soit 4 minutes, ce qui est insuffisant ;

– qu’en appliquant les temps d’exécution fixés par ce tableau

à l’ensemble de ses bons mensuels qui listaient les travaux qu’elle avait effectués depuis 2017, elle a observé que l’ensemble de ses heures ne lui avait pas été réglé ;

– que tel fut le cas par exemple pour le mois de novembre 2017 ;

– que, dans deux rapports, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a relevé que les détenus de la maison d’arrêt de [Localité 4] qui travaillaient pour le compte de la société [Z] Yves n’étaient pas payés conformément aux temps de travail qu’ils effectuaient ;

– qu’en réalité elle était payée à la pièce, sans prise en considération du temps de réalisation ;

– que par ailleurs la société [Z] Yves ne lui a jamais réglé les frais d’atelier ;

– qu’ainsi au total, elle justifie d’une part de ce que l’employeur n’a pas respecté les prescriptions légales concernant la détermination du temps de travail et l’ampleur de la tâche et d’autre part que les temps de travail retenus par la société [Z] Yves ne correspondaient pas à la réalité, l’ensemble devant entraîner la requalification de son contrat de travail à temps complet ;

– qu’elle peut donc prétendre à un rappel de salaire calculé sur la base de ce temps complet.

En réponse, la société [Z] Yves objecte pour l’essentiel :

– qu’elle avait embauché Mme [I] [A] en octobre 2013, sans contrat de travail écrit ;

– qu’en juin 2018, elle avait remis à Mme [I] [A] pour signature un contrat de travail écrit qui reprenait l’ensemble des éléments contractuels appliqués jusqu’alors mais en y intégrant des frais d’atelier ;

– qu’à ce contrat avait été annexée une fiche de temps en centième pour l’exécution de chaque pièce ;

– qu’elle avait également alors demandé à Mme [I] [A] les documents nécessaires au calcul des frais d’atelier ;

– que le 19 juin 2018 Mme [I] [A] lui a notifié son refus de signer ce contrat ;

– qu’à partir de juillet 2018 Mme [I] [A] a cessé de travailler pour son compte, refusant notamment une livraison en septembre puis en octobre 2018 ;

– qu’elle a alors proposé à Mme [I] [A] une rupture conventionnelle de son contrat de travail, proposition à laquelle celle-ci n’a pas répondu ;

– qu’elle a alors mis en demeure Mme [I] [A] de reprendre son poste ce que celle-ci a refusé, faisant valoir notamment qu’elle travaillait pour d’autres entreprises depuis janvier 2018 ;

– que ni la convention collective applicable, celle de l’industrie textile, ni l’autorité administrative ne pouvaient déterminer les temps d’exécution pour des produits qu’elle est la seule à fabriquer ;

– qu’en tout état de cause le non-respect des dispositions évoquées par Mme [I] [A] conduirait uniquement à considérer que le contrat de travail de cette dernière est présumé à temps complet ;

– que cette présomption peut être renversée, étant ajouté qu’elle démontre que Mme [I] [A] n’a jamais travaillé pour son compte à temps complet ;

– qu’en outre Mme [I] [A] qui réclame la requalification de son contrat de travail en contrat à temps complet ne justifie pas avoir été à sa disposition permanente, étant rappelé qu’elle lui avait indiqué travailler pour d’autres employeurs depuis son embauche en 2017 ;

– que c’est en vain que Mme [I] [A] fait état de la situation de détenus de la maison d’arrêt de [Localité 4] et la compare avec la sienne puisqu’elle n’est pas l’employeur de ces derniers et ceux-ci ne font pas le même travail qu’elle ;

– qu’elle a établi un décompte du nombre d’heures de travail effectuées par Mme [I] [A] qui fait apparaître qu’elle est mal fondée à solliciter une rémunération à hauteur d’un temps complet ;

– qu’en outre la demande chiffrée de rappel de salaire formée par Mme [I] [A] ne tient pas compte des salaires qu’elle a perçus à hauteur de 14 233,96 euros bruts en 2017 et 2018.

L’article L 7411-1 du Code du travail énonce que les dispositions de ce code sont applicables aux travailleurs à domicile.

De ces dispositions il s’infère notamment qu’en l’absence d’écrit, le contrat de travail à durée indéterminée liant un employeur à un salarié à domicile, comme en l’espèce, est présumé à temps complet.

Cependant cette présomption, tout comme celle dont Mme [I] [A] se prévaut au motif de divers manquements qu’elle impute à la société [Z] Yves, est une présomption simple qui laisse donc à celle-ci la possibilité de rapporter la preuve que le contrat l’ayant liée à Mme [I] [A] est un contrat à temps partiel, étant rappelé que cette preuve peut être rapportée par tous moyens.

En l’espèce, dans le but de rapporter cette preuve, la société [Z] Yves verse aux débats les pièces suivantes :

– sa pièce n°13 : il s’agit d’un courrier en date du 13 janvier 2019, rédigé par Mme [I] [A] et M. [J] [L], son compagnon, dont il ressort notamment que la salariée ne travaillait plus pour la société [Z] Yves depuis février 2018 et travaillait pour ‘d’autres entreprises depuis janvier 2018’ et encore que ce n’était ‘pas la première fois’ qu’elle travaillait ‘ailleurs’ en même temps que pour le compte de la société [Z] Yves puis plus avant que ‘plusieurs fois’ elle n’avait ‘quasiment rien eu dans le mois’, cela s’entendant comme aucun travail à réaliser dans le mois et enfin qu’elle considérait qu’elle n’avait ‘aucun travail minimum à fournir chaque mois’ à l’entreprise, aucun papier n’ayant ‘été signé à ce sujet’ ;

– sa pièce n°14 : il s’agit d’une attestation établie par M. [P] [G], ancien salarié de la société [Z] Yves durant la période de juin 2010 à juillet 2018, lequel déclare qu’il avait été chargé de distribuer le travail à domicile et en particulier pour Mme [I] [A], puis que celle-ci lui avait indiqué qu’elle travaillait pour d’autres employeurs et que, après juin 2017, il ne devrait livrer le travail que le vendredi après-midi, ‘le seul moment où ils (Mme [I] [A] et M. [J] [L]) ne travaillaient pas ailleurs’ ;

– sa pièce n°15 : il s’agit d’une attestation établie par Mme [X] [R], salariée de l’entreprise depuis 1996 et en charge de la distribution et des livraisons du travail à domicile. Celle-ci corrobore les déclarations de M. [P] [G] en ce qui concerne le travail de Mme [I] [A] pour d’autres entreprises et la très faible disponibilité de celle-ci pour recevoir ces livraisons à compter de l’automne 2017 ;

– sa pièce n°24 : il s’agit d’un ensemble de bulletins de salaire de Mme [I] [A] au verso desquels figure, pour chacun, un tableau mentionnant, pour le mois considéré, les types d’articles montés, le nombre d’articles montés pour chaque type d’articles et la rémunération par article, par type d’articles et totale pour le mois ;

– sa pièce n°40 : il s’agit d’un ensemble de documents échangés entre la société [Z] Yves et la direction de la maison d’arrêt de [Localité 4] dont il ressort certes que des détenus de cet établissement pénitentiaire ont réalisé, dans le cadre de leur détention, des travaux qui ont été facturés par ce dernier à la société [Z] Yves mais qui toutefois ne permettent ni de considérer que celle-ci avait jamais été l’employeur de ces détenus ni de connaître la nature de ces travaux et de les comparer à ceux que Mme [I] [A] a effectués pour le compte de l’entreprise, ni les temps de leur exécution, ce dont il se déduit que les rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté dont fait état la salariée n’apportent aucun éclairage dans le cas de l’espèce ;

– sa pièce n°16 : il s’agit d’un document intitulé ‘récapitulatif heures travaillées sur les trois dernières années’, lequel mentionne mois par mois un nombre d’heures de travail pour chacune des années 2016 à 2018 et fait ressortir une durée de travail moyenne mensuelle de 64,33 heures en 2016, de 44, 5 heures en 2017 et seulement 5,43 heures en janvier 2018 puis 2,82 heures en mars 2018 puis plus aucune heure de travail au cours du reste de l’année 2018.

La cour observe que les données figurant dans ce document correspondent strictement aux temps de travail qui ont été portés au fil du temps sur les bulletins de salaire de Mme [I] [A]. Certes celle-ci conteste la réalité de ces temps de travail, faisant valoir qu’ils ont été calculés en méconnaissance des temps réels de travail que la réalisation des tâches que lui confiait l’employeur lui imposait. Toutefois à cet égard, Mme [I] [A] ne verse aucun élément de nature à donner crédit à sa thèse, les attestations (ses pièces n° 20 et 21) qu’elle produit elle-même n’en faisant pas même expressément état, alors que la société [Z] Yves produit diverses attestations (ses pièces n°23-ancien dirigeant de l’entreprise, 25, 37 et 38-anciens salariés à domicile de l’entreprise) dont il ressort que les temps de fabrication retenus par l’employeur et qui servaient de base de calcul de la rémunération des travailleurs à domicile employés par l’entreprise étaient conformes à la réalité.

En outre la société [Z] Yves verse aux débats, sous sa pièce n° 46, un tableau mentionnant les différents types de produits dont la fabrication avait été confiée à Mme [I] [A], le détail des actions correspondant à la réalisation de chaque produit et le temps retenu par l’employeur pour la réalisation de chaque produit ainsi que, pour chaque type de produit, le nombre de pièces à réaliser en une heure.

La société [Z] Yves produit également, sous sa pièce n°48, un tableau intitulé ‘produits confectionnés par Mme [A]’ qui mentionne, mois par mois de la période ayant couru de septembre 2014 à décembre 2017, les différents types de produits dont la fabrication avait été confiée à Mme [I] [A], le détail des actions correspondant à la réalisation de chaque produit et le temps retenu par l’employeur pour la réalisation de chaque produit, le nombre d’articles par type de produits ainsi que la rémunération versée par type de produits et la rémunération totale du mois concerné.

Ces éléments sont très précis et leur mise en perspective avec les pièces précitées conduit la cour à retenir que la société [Z] Yves justifie bien de la durée exacte de travail de Mme [I] [A], de ce que cette durée correspondait bien à un temps partiel et encore de ce que la salariée n’était pas obligée de se tenir à sa disposition permanente mais pouvait réaliser aux temps et selon la charge qui lui convenaient le travail que la société [Z] Yves lui confiait, ce qu’au demeurant elle ne conteste pas et ne saurait contester après avoir écrit qu’elle avait, durant la relation de travail, travaillé pour le compte d’autres employeurs, qu’elle n’était tenue d’aucune obligation à l’égard de la société [Z] Yves en termes de charge de travail, que celle-ci ne lui fournissait pas assez de travail et après avoir refusé de travailler pour le compte de la société [Z] Yves à ce motif (pièce employeur n°13).

En conséquence de quoi la cour déboute Mme [I] [A] de sa demande de requalification de son contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ainsi que de sa demande subséquente de rappel de salaire.

– Sur la demande de Mme [I] [A] tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société [Z] Yves, et ses demandes subséquentes :

Au soutien de son appel, Mme [I] [A] expose en substance :

– que les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts doivent être d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail ;

– qu’en l’espèce, bien qu’ayant été embauchée en octobre 2013, elle n’a jamais passé la moindre visite médicale ;

– que bien qu’elle ait travaillé à domicile l’employeur était tenu à son égard d’une obligation de sécurité ;

– qu’elle n’a jamais été en mesure de déterminer les modalités de sa rémunération, qu’elle n’a pas été réglée de la totalité de ses heures de travail, que la société [Z] Yves n’a jamais respecté les règles légales relatives à l’indemnisation des frais d’atelier et accessoires, qu’aucun élément ne lui a été donné sur la quantité de travail, le temps d’exécution, ou les modalités de livraison ;

– qu’il s’agit de manquements de la société [Z] Yves suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire de son contrat de travail, laquelle s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et justifie que lui soient versées les indemnités de rupture dues en pareille hypothèse ainsi que des dommages et intérêts pour absence de visite médicale.

En réponse, la société [Z] Yves objecte pour l’essentiel :

– que Mme [I] [A] avait une parfaite connaissance des conditions de sa rémunération au minimum du SMIC ;

– qu’il ressort des bulletins de paie de Mme [I] [A] qu’elle a toujours été rémunérée au taux horaire du SMIC ;

– qu’en réalité Mme [I] [A] ne se plaint pas de ne pas avoir été payée au niveau du SMIC mais de ce qu’elle ne parvenait pas à réaliser le nombre de pièces suffisant pour atteindre le taux horaire du SMIC ;

– que dans les faits Mme [I] [A] était rémunérée à la pièce et elle lui livrait à son domicile une certaine quantité de pièces ;

– qu’à l’occasion de ces livraisons, une fiche de distribution de travail était remise à Mme [I] [A], fiche sur laquelle étaient indiqués le nombre de pièces et le travail à effectuer ;

– que Mme [I] [A], comme les salariés placés dans la même situation qu’elle, renseignent dans un cahier qu’ils conservent le nombre de pièces qu’ils ont réalisées dans le mois et ce cahier est comparé à celui que l’entreprise conserve, ce qui permet d’établir une fiche informatique qui est annexée au bulletin de paie du salarié ;

– que pour établir ce bulletin de paie, le nombre de pièces réalisées est converti en temps de travail selon un tableau des temps de fabrication propre à chaque catégorie de pièces ;

– que ce tableau des temps a été élaboré au fil du temps avec la participation des salariés et mentionne depuis 2018 des temps de travail en centièmes ;

– qu’elle verse aux débats des attestations de salariés qui y exposent que les temps d’exécution de leurs tâches sont conformes aux temps de fabrication en centièmes prévus par le tableau des temps ;

– qu’elle a donc respecté les règles légales visées par Mme [I] [A] ;

– qu’elle n’a jamais promis à Mme [I] [A] une rémunération nette de 1 000 euros par mois ;

– que, s’agissant des frais d’atelier, Mme [I] [A] ne lui a pas communiqué de justificatifs relatifs à ces frais pour la période de 2017 et ce malgré ses demandes ;

– qu’elle ne pouvait donc lui régler ces frais sans risquer un redressement URSSAF ;

– que les décomptes produits par Mme [I] [A] au sujet de la rémunération qu’elle aurait dû percevoir sont erronés puisqu’elle applique les tarifs de 2018 à la période antérieure à cette année ;

– que, s’agissant de la demande de Mme [I] [A] au sujet de l’absence de visite médicale, il convient de relever que depuis le 1er janvier 2017, la visite médicale d’embauche n’est plus obligatoire et que Mme [I] [A] n’effectuait aucune tâche dangereuse.

Il est de principe que, pour prospérer, l’action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail doit reposer sur des manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations contractuelles pour empêcher la poursuite du contrat

En l’espèce, c’est à tort que Mme [I] [A] soutient qu’elle n’a jamais été en mesure de déterminer les modalités de sa rémunération puisque, étant rappelé qu’elle était rémunérée de son travail à la pièce, elle disposait chaque mois d’un bulletin de salaire qui mentionnait son temps de travail qu’elle pouvait mettre en perspective avec les travaux qu’elle avait effectivement réalisés pour l’entreprise, bulletin de salaire auquel au demeurant, comme cela ressort de la pièce n°24 de l’employeur dont la fiabilité n’est pas contestée par l’appelante, se trouvait annexé un listing des articles montés et le salaire unitaire correspondant au montage de chacun de ces articles.

Ensuite, pour tenter de démontrer qu’elle n’a pas été payée de la totalité des temps de travail pourtant retenus par la société [Z] Yves, Mme [I] [A] verse aux débats ses pièces n° 25 à 32.

La cour observe en premier lieu que pour déterminer ses temps de travail effectifs par mois pour la période de septembre 2014 à janvier 2018, Mme [I] [A] se réfère à des temps de travail aux centièmes qui n’ont été adoptés par l’entreprise et proposés à la salariée qu’en juin 2018, ce dont il se déduit, eu égard à l’effet multiplicatif dû au grand nombre d’articles montés, que le résultat de ses calculs, lesquels font ressortir quelques heures de travail non rémunérées par mois, est erroné. La même observation doit être faite au sujet de sa pièce n°31 de la salariée et de sa pièce n°32 qui porte sur le calcul de sa rémunération à l’heure. En outre il ressort de la pièce n°30 que l’écart entre les temps de travail ‘calculés avec le tableau de Mme [Z] [F]’ et le nombre d’heures porté sur les bulletins de paie est minime et parfois en faveur de la salariée.

Encore, étant précisé que pour apprécier la gravité des manquements de l’employeur il doit être tenu compte de la réactivité du salarié, à suivre l’analyse de la salariée, les manquements de la société [Z] Yves auraient perduré tout au long de la relation de travail alors que Mme [I] [A] ne soutient ni a fortiori ne démontre qu’elle ait jamais alerté l’employeur de ces prétendus manquements avant la mi 2018 et que ce dernier ait ignoré ses alertes.

Les mêmes observations doivent être faites au sujet du défaut de règlement des frais d’atelier dont au demeurant la société [Z] Yves a proposé la régularisation en 2018, et aussi au sujet d’un défaut d’information sur la quantité de travail, le temps d’exécution ou les modalités de livraison.

Aussi la cour retient que les manquements sus-évoqués dont Mme [I] [A] fait grief à la société [Z] Yves soit ne sont pas établis soit en toute hypothèse ne sont pas d’une gravité suffisante pour avoir empêché la poursuite de la relation de travail entre les parties.

Par ailleurs il n’est pas contesté que tant au stade de son embauche que durant l’ensemble de la période d’emploi, la société [Z] Yves n’a pris aucune disposition qui aurait permis à Mme [I] [A] de bénéficier d’une visite médicale auprès de la médecine du travail.

Or une fois encore, si sur ce plan il peut être admis que la société [Z] Yves a manqué à ses obligations à l’égard de Mme [I] [A], son manquement ne revêt pas le caractère de gravité qui pourrait justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [I] [A], celle-ci ayant durant de nombreuses années constaté la défaillance de l’employeur sans jamais réagir, étant ajouté à ce sujet que la salariée qui supporte la charge de la preuve ne justifie d’aucune manière, tant dans son principe que dans son montant, du préjudice dont elle réclame réparation à hauteur de 1 500 euros.

En conséquence de quoi, la cour déboute Mme [I] [A] de ses demandes formées au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail et à titre d’indemnité pour absence de visite médicale.

– Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Succombant en toutes ses demandes, Mme [I] [A] sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.

En revanche il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société [Z] Yves l’intégralité des frais par elle exposés et non compris dans les dépens. Aussi, la société [Z] Yves sera déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel, la cour confirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société [Z] Yves de sa demande sur ce même fondement au titre des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et, y ajoutant :

– Déboute la société [Z] Yves de sa demande en paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’appel ;

– Condamne Mme [I] [A] aux entiers dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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