Redressement de l’URSSAF : 16 décembre 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/02079

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Redressement de l’URSSAF : 16 décembre 2022 Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/02079

16/12/2022

ARRÊT N°2022/501

N° RG 21/02079 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OET6

FCC/AR

Décision déférée du 01 Avril 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de TOULOUSE ( F 19/00979)

LOBRY S.

S.A.S. T6 GROUPE

C/

[F] [J]

CONFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 16 12 22

à Me Jean-marc DENJEAN

Me Karim CHEBBANI

1CCC POLE EMPLOI

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU SEIZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***

APPELANTE

S.A.S. T6 GROUPE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 3]

Représentée par Me Karim CHEBBANI de la SELARL CABINET CHEBBANI, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIME

Monsieur [F] [J]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Jean-marc DENJEAN de la SCP CABINET DENJEAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant F. Croisille-Cabrol, conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. Brisset, présidente

A. Pierre-Blanchard, conseillère

F. Croisille-Cabrol, conseillère

Greffier, lors des débats : A. Ravéane

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. Brisset, présidente, et par A. Ravéane, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [F] [J] a été embauché par la SARL T6 Logistique selon un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 2 mai 2014 en qualité de chauffeur SL classé au groupe 7 de la catégorie ouvriers roulants de la convention collective nationale des transports routiers.

Suite à la fusion de sociétés, son contrat de travail a été transféré en mai 2017 à la SAS T6 Groupe.

Par LRAR du 27 octobre 2017, l’employeur a demandé au salarié de restituer au plus tard le 1er décembre 2017 le véhicule de service de type tracteur poids lourd mis à sa disposition, qu’il utilisait pour revenir à son domicile le week end. Par lettre remise en main propre du 11 novembre 2017, M. [J] s’est opposé à cette demande. Par LRAR du 17 novembre 2017, la société l’a mis en garde sur la nécessité de se conformer à cette obligation. M. [J] a réitéré son refus par LRAR du 25 novembre 2017 dans lequel il faisait état de plusieurs griefs dont des « comportements vulgaires et déplacés » du responsable d’exploitation M. [Y], courrier auquel la société a répondu par LRAR du 4 décembre 2017.

La SAS T6 Groupe a convoqué M. [Y] à un entretien qui s’est déroulé le 11 décembre 2017, puis a convoqué MM. [Y] et [J] à un entretien contradictoire prévu le 18 décembre 2017, entretien qui en fait n’a pas eu lieu.

Par LRAR du 22 décembre 2017, la SAS T6 Groupe a convoqué M. [J] à un entretien préalable fixé le 5 janvier 2018 en même temps qu’elle lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

Par LRAR du 27 décembre 2017, la société T6 Groupe a informé M. [J] qu’il n’était pas mis à pied, cette mention dans sa lettre de convocation à un entretien préalable étant une erreur.

Par LRAR du 15 janvier 2018, la société T6 Groupe a notifié à M. [J] son licenciement pour faute grave.

Le 14 février 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse. Après radiation du 20 juin 2019 et réinscription le 21 juin 2019, M. [J] a demandé des dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de licenciement, des repos compensateurs et la remise des documents de fin de contrat sous astreinte.

Par jugement de départition du 1er avril 2021, le conseil de prud’hommes de Toulouse a :

– dit que le licenciement de M. [F] [J] est nul,

– condamné la société T6 Groupe à payer à M. [J] les sommes suivantes :

* 4.996,56 € au titre de l’indemnité de préavis, outre 499,65 € de congés payés afférents,

* 2.394,18 € à titre d’indemnité de licenciement,

* 19.986,24 € à titre d’indemnité pour licenciement nul,

– donné acte à la société T6 Groupe de la remise à M. [J] d’un chèque de 1.214,81 € correspondant à l’indemnité de repos compensateur réclamée par ce dernier,

– dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire au sens de l’article R.1454-28 du code du travail s’élève à 2.457,01 €,

– rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire en ce qu’elle ordonne le paiement de sommes au titre de rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14 du code du travail,

– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire pour le surplus,

– ordonné à la société T6 Groupe de remettre à M. [J] les documents de fin de contrat rectifiés en tenant compte du présent jugement, dans un délai de 30 jours à compter de sa signification, sous astreinte de 75 € par jour de retard,

– condamné la société T6 Groupe à payer à M. [J] la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société T6 Groupe aux entiers dépens.

La société T6 Groupe a relevé appel de ce jugement le 4 mai 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs critiqués.

Par conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 26 janvier 2022, auxquelles il est expressément fait référence, la société T6 Groupe demande à la cour de :

– réformer le jugement,

– débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. [J] à verser à la société T6 Groupe la somme de 3.000 € à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [J] aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence, M. [J] demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [J] est entaché de nullité et condamné la SAS T6 Groupe au paiement de sommes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de licenciement et de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau :

– condamner la société T6 Groupe à verser à M. [J] les sommes suivantes :

* 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

* 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société T6 Groupe aux entiers dépens.

MOTIFS

En premier lieu, la cour relève que, dans sa déclaration d’appel, le salarié n’a pas fait appel sur la question des repos compensateurs, le conseil ayant donné acte à la société T6 Groupe de la remise à M. [J] d’un chèque de 1.214,81 € correspondant à l’indemnité de repos compensateur, et que dans ses conclusions d’appel il ne fait aucune demande, de sorte que la cour n’est saisie d’aucune demande à ce titre.

1 – Sur le licenciement :

La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise, d’une gravité telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.

Lorsque l’employeur retient la qualification de faute grave dans la lettre de licenciement, il lui incombe de rapporter la preuve matérielle des faits reprochés à son salarié.

Selon l’article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance de l’article L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Il s’en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis, et n’est constituée que lorsqu’il est établi que l’intéressé avait connaissance de la fausseté de ces faits.

La lettre de licenciement de M. [J] est ainsi motivée :

‘Le 29 mai 2017, une fusion des sociétés du groupe T6 est intervenue et a abouti à la création de la société T6 Groupe, dont vous dépendez actuellement.

Cette situation s’est accompagnée d’un changement de direction.

Dans ce cadre, un certain nombre de nouvelles modalités ont été mises eu ouvre pour améliorer l’organisation de l’activité et se conformer plus encore aux contraintes légales.

En ce qui vous concerne, le 27 octobre 2017, nous vous avons fait part de ce que nous ne pouvions plus vous laisser prendre le tracteur poids lourds qui constitue votre véhicule de service pour regagner votre domicile dans l’Aude après vos heures de services dans la mesure où une telle situation était susceptible d’entraîner un dépassement de la durée journalière de conduite maximale autorisée et que d’autre part, une telle modalité, pouvait en l’état générer un redressement URSSAF dès lors qu’elle n’était pas déclarée comme un avantage en nature.

Pour ces deux raisons, nous vous avons indiqué que nous mettions un terme à cette organisation, à compter du 1er décembre 2017, afin de vous laisser un délai suffisant pour vous organiser.

En dépit du caractère objectif et fondé de notre demande, vous nous avez adressé une lettre le 11 novembre 2017 pour contester cette mesure, en nous indiquant que vous ne pouviez pas « être en pleine coopération s ‘agissant de la mise en place de cette mesure qui est irrégulière et illicite (…)».

Face à votre refus, nous vous avons adressé une lettre le 17 novembre 2017 afin d’apporter une réponse construite à votre contestation et vous éviter de vous placer dans une situation d’insubordination objective.

En réponse, vous nous avez adressé une lettre le 25 novembre 2017 aux termes de laquelle, s’agissant de la problématique afférente à la restitution du camion le week-end et l’organisation des transports, vous nous avez fait part de difficultés de santé que nous ignorions jusqu’alors et qui pouvaient laisser à penser, à vous lire, que nous ne seriez pas en capacité d’assumer vos fonctions, à tout le moins dans le cadre de cette organisation.

Naturellement, nous avons immédiatement sollicité une visite devant la médecine du travail, laquelle vous a déclaré apte, sans la moindre réserve.

Par ailleurs, aux termes de votre lettre du 25 novembre 2017, vous avez accusé votre supérieur hiérarchique, M. [G] [Y] de faits particulièrement graves puisque selon vous, M. [Y], en sa qualité de responsable d’exploitation, se serait rendu coupable de façon récurrente de faits de harcèlement moral.

Dans votre lettre, vous évoquiez notamment le cas de Mme [O] [Z] mais aussi et de façon très imprécise les comportements similaires qu’aurait adopté M. [Y] vis-à-vis de divers membres du personnel, poussant ces derniers à quitter la société.

Enfin, dans cette même lettre, vous nous accusiez notamment d’avoir demandé à divers membres du personnel de ne pas vous adresser la parole ou encore d’avoir commis des faits qualifiable de harcèlement moral à votre encontre du fait d’un désaccord sur la date à laquelle nous procéderions aux élections du délégué du personnel que selon vous, nous aurions dû organiser dans le mois suivant votre demande.

En d’autres termes, vous nous indiquiez alors que nous aurions laissé de façon fautive, l’un de nos préposés, en l’occurrence M. [Y], commettre des faits de harcèlement, que nous aurions commis nous-mêmes des faits similaires à votre encontre et que de surcroît, nous commettrions un délit d’entrave, en refusant d’organiser des élections des délégués du personnel.

Vous avez adressé votre lettre en copie à l’Inspection du travail.

Après avoir examiné consciencieusement l’ensemble des griefs contenus dans votre lettre du 25 novembre 2017, nous vous avons adressé une lettre le 4 décembre 2017, afin de répondre à chacune de vos allégations.

S’agissant des accusations graves portées à l’encontre de M. [Y], nous vous apporté une réponse précise, en l’état des informations dont nous disposions.

Cela étant, conformément à notre obligation de sécurité visant à protéger la santé de nos salariés, nous vous avons indiqué que si l’imprécision de vos allégations ne nous permettait pas d’agir même à titre conservatoire à l’encontre de M. [Y], la gravité de vos accusations nous obligeait néanmoins à chercher à éclaircir cette situation.

Nous vous avons donc demandé de nous apporter par retour de courrier toutes les précisions nécessaires sur les faits que vous dénonciez en nous indiquant si vous en aviez été directement victime ou directement témoin.

Dans l’attente de votre réponse, nous avons également convoqué M. [Y] à un entretien individuel afin de recueillir ses explications.

Cet entretien s’est déroulé le 11 décembre 2017.

Lors de celui-ci, nous avons exposé, point par point, à M. [Y] les faits que vous dénonciez.

Une attestation de M. [V] ;

Une attestation de M. [W] ;

Dans la mesure où nous vous avions d’ores et déjà convoqué à l’entretien préalable du 5 janvier 2018, nous avons examiné avec attention les pièces produites par vous afin qu’elles puissent également nourrir notre discussion lors de l’entretien préalable.

Lors de cet entretien, au cours duquel vous étiez assisté de M. [U], vous avez réitéré vos accusations à l’encontre de M. [Y].

Nous vous avons fait remarquer que les allégations contenues dans votre lettre du 25 novembre 2017 étaient particulièrement imprécises et que vous n’aviez absolument pas précisé depuis lors, comme nous vous le demandions, si vous aviez été victime directement de tels faits ou si vous en aviez été le témoin direct.

Vous n’avez apporté aucune réponse à cet égard et votre lettre du 29 décembre 2017 n’en contenait aucune non plus.

Lors de l’entretien, vous avez particulièrement insisté sur le cas de Mme [Z] pour lequel vous nous aviez fait parvenir une attestation de cette dernière outre un récépissé de dépôt de plainte.

A cet égard, nous vous rappelons que Mme [Z] n’a jamais été salariée de l’une quelconque des sociétés du groupe.

Mme [Z] était salariée de la société Bouj’express avec laquelle nous collaborons.

Nous ignorons précisément les difficultés éventuelles qui sont intervenues entre Mme [Z] et M. [Y].

Nous savons qu’une plainte a été déposée et nous en ignorons le contenu comme la suite qui a été donnée.

La société Bouj’express ne nous a adressé aucune réclamation concrète à la suite de ces faits.

L’attestation que vous avez demandé à [Z] d’établir ne contient aucune précision à cet égard sauf à viser un harcèlement moral, sans le moindre fait concret.

Cette attestation évoque uniquement les conversations téléphoniques que Mme [Z] aurait eues avec moi et dont elle fait une retranscription tout à fait subjective.

J’ai en mémoire la conversation que j’ai eue avec Mme [Z] à cette période et je nie souviens parfaitement lui avoir dit que si des faits graves s’étaient produits, nous prendrions les mesures qui s’imposaient mais qu’en revanche, nous ne pouvions prendre une mesure disciplinaire à l’encontre de qui que ce soit sans preuves ou faits étayés.

Or, nous n’avons jamais eu de preuves concrètes ni même d’ailleurs de faits concrets et précis à examiner.

Vos explications lors de l’entretien préalable nous ont permis de comprendre que vous n’en aviez pas non plus et que vous n’aviez d’ailleurs pas été témoin de ces faits.

Ensuite, lors de l’entretien préalable, nous avons évoqué les attestations de Messieurs [W] et [V].

S’agissant de M. [V], celui-ci prétend avoir été contraint de régulariser une rupture conventionnelle avec notre société en raison du comportement qu’il aurait constaté de la part de M. [Y] « à multiples reprises », « envers le personnel en place, chauffeurs, personnels administratifs, sous-traitants et collaborateurs ».

M. [V] énonce que « les anecdotes sont nombreuses pour décrire le comportement discriminatoire, odieux, raciste, traitant M. [J] [F] de « tête de noeud, fouteur de merde. »

Aucune de ces « anecdotes » n’est pourtant relatée de façon précise et quant aux qualificatifs prétendument employés par M. [Y], il semblerait que vous n’en ayez pas été directement témoin ou victime dans la mesure où vous-même, vous ne nous en avez jamais parlé.

De surcroît, nous ne pouvons qu’émettre les plus grandes réserves sur ce témoignage. car, au delà de son imprécision, M. [V] ne nous a jamais, par le passé. fait part de tels faits.

De la même manière, c’est tout à fart librement et amiablement que nous avons régularisé une rupture conventionnelle avec M. [V] sans que celui-ci nous fasse part de la moindre difficulté.

S’agissant de M. [W], celui-ci nous a spontanément adressé une lettre de démission sans la moindre réserve quant à ses conditions de travail ou quant à d’éventuelles difficultés avec M. [Y].

Nous ne pouvons donc qu’être surpris de l’attestation établie à votre demande et selon laquelle M. [W] aurait démissionné en raison de « la mauvaise ambiance » et du « comportement vulgaire et désagréable » de M. [Y].

Quoiqu’il en soit, cette attestation ne contient aucun fait précis.

En d’autres termes, contrairement à ce que vous affirmez, aucun des éléments que vous avez produit dans la perspective de l’entretien préalable ne permet de corroborer vos accusations.

Vos explications lors de l’entretien préalable ne nous ont pas permis de considérer que vos accusations étaient réellement fondées.

De surcroît, vous n’avez jamais répondu à la question que nous vous avions posée depuis notre lettre du 4 décembre 2017 afin de déterminer si vous aviez été directement témoin ou victime de faits commis par M. [Y].

Nous relevons enfin que vous avez refusé de participer à un entretien auquel nous vous avions convoqué, ce qui ne permet pas de considérer vos accusations comme fondées en l’état dès lors qu’en agissant ainsi vous avez refusé de les soutenir en présence de la personne que vous accusez.

Ainsi et en premier lieu, vous avez porté à l’encontre de votre supérieur hiérarchique des accusations extrêmement graves sur la base de simples rumeurs que vous vous êtes contenté de colporter sans avoir été personnellement témoin ou victime de faits précis.

Vous avez dénoncé ces faits auprès de votre employeur mais également auprès de l’Inspection du travail.

Vous savez pertinemment que si nous n’avions pas été prudent en essayant au préalable d’obtenir des éléments objectifs sur une telle situation, vos dénonciations auraient été susceptibles d’entraîner des sanctions disciplinaires lourdes à l’encontre de votre supérieur hiérarchique, tout autant que des poursuites pénales.

Nous avons tenté objectivement d’éclaircir cette situation en vérifiant si vos dénonciations reposaient sur des faits concrets.

Vous ne nous avez communiqué aucune précision sur les éléments précis qui justifiaient de telles accusations et vous avez clairement refusé toute confrontation avec M. [Y] .

Une telle attitude, consistant à colporter des rumeurs sans avoir pris soin de vérifier leur exactitude, sont dénigrantes pour votre supérieur hiérarchique mais également pour notre société qui selon vous, aurait laissé de tels faits se produire en parfaite connaissance de cause.

Nous relevons d’ailleurs que vous ne nous aviez jamais fait part de tels faits avant que nous ne prenions la décision de vous demander de restituer votre camion à l’issue de vos heures de service.

Nous pouvons donc légitimement considérer que vos accusations à l’encontre de M. [Y] sont intervenues en réaction à cette mesure pourtant tout à fait objective.

Quoi qu’il en soit, et quelles que soient les raisons qui vous ont poussé à agir ainsi, de tels faits sont constitutifs d’une faute grave, en ce que votre attitude ne permet d’envisager la poursuite de votre contrat de travail, même durant un éventuel préavis

Incidemment, nous relevons que vous avez agi avec nous selon le même procédé qu’avec M. [Y] dans la mesure où dans votre lettre dans votre lettre du 25 novembre 2017, vous nous accusiez en tant qu’employeurs d’avoir personnellement commis des faits de harcèlement moral à votre encontre et vous dénonciez une telle situation à l’inspection du travail, sans prendre la peine néanmoins d’expliquer en quoi nous aurions pu commettre un harcèlement à votre encontre.

Or, nous n’avons jamais commis le moindre acte susceptible d’être qualifié comme tel et vous n’avez jamais d’ailleurs précisé en quoi nous aurions pu commettre de tels faits.

Lors de l’entretien préalable, vous n’avez aucunement évoqué des éléments pouvant justifier que nous aurions commis un harcèlement moral à votre encontre, allant même jusqu’à dire que vous n’aviez « rien contre moi ».

Quoiqu’il en. soit, de telles accusations, en ce qu’elles sont gratuites, sont préjudiciables à notre société.

En second lieu, votre refus de déférer à notre convocation pour un entretien. contradictoire caractérise une insubordination manifeste.

Vos explications embarrassées sur votre présence dans l’entreprise ou votre attente, depuis votre camion, d’instructions sont de mauvaise foi et sont contredites absolument par vos propres sms.

Vous avez sciemment refusé de vous présenter à une convocation que nous vous avions adressée, ce qui est une insubordination justifiant de plus fort votre licenciement pour faute grave…. »

Il résulte des termes de cette lettre, qui fixe les limites du litige, que la société T6 Groupe reproche à M. [J] deux faits distincts :

– la dénonciation auprès de l’employeur et de l’inspection du travail d’accusations extrêmement graves à l’encontre de son supérieur hiérarchique sur la base de simples rumeurs colportées sans qu’il ait été personnellement témoin ou victime de faits précis,

– le refus de déférer à une convocation pour un entretien contradictoire caractérisant une insubordination.

M. [J] conteste la validité de son licenciement en faisant valoir qu’il a été licencié pour avoir dénoncé et témoigné de faits de harcèlement moral de sorte qu’il bénéficie de la protection prévue par l’article L. 1152-2 du code du travail, qu’il dénonçait des faits commis par M. [Y] vis à vis de nombreux salariés de l’entreprise, mais aussi subis par lui-même, que l’employeur ne rapporte pas la preuve de sa mauvaise foi c’est-à-dire de sa connaissance de la fausseté des faits allégués, alors qu’au contraire, il a dénoncé des faits rapportés par plusieurs personnes qui en attestent.

La société T6 Groupe soutient que dans la lettre du 25 novembre 2017, M. [J] n’a pas dénoncé des faits de harcèlement moral mais des comportements vulgaires et déplacés de la part de M. [Y], en des termes imprécis ne permettant pas de déterminer des faits pouvant être qualifiés de harcèlement moral ; qu’un harcèlement moral a été dénoncé par une salariée d’un sous-traitant, Mme [Z] ; que M. [J] n’a pas été de bonne foi, n’ayant pas été témoin direct, ayant agi en réaction à la demande de restitution du camion mis à sa disposition, ayant eu la volonté d’échapper à un débat contradictoire, et ayant colporté des informations déjà divulguées ; qu’il ne peut donc bénéficier de l’immunité accordée par l’article L. 1152-2 du code du travail.

Or, dans la lettre de licenciement, la société T6 Groupe énonce que dans son courrier du 25 novembre 2017, M. [Y] a accusé son supérieur hiérarchique, M. [G] [Y] « de faits particulièrement graves puisque selon vous, M. [Y], en sa qualité de responsable d’exploitation, se serait rendu coupable de façon récurrente de faits de harcèlement moral.»

M. [J] avait écrit dans ce courrier : «Les comportements vulgaires et déplacés de votre responsable d’exploitation M. [G] [Y] en présence de divers membres du personnel, voir à leur encontre (employés de bureau, chauffeurs, etc…..) ont même poussé plusieurs personnes à démissionner ou un autre une rupture conventionnelle a été faites, à noter aussi qu’il s’occupe de gérer du personnel au nom de l’entreprise Bouj’express et qu’avant qu'[O] [Z] ne démissionne et aille porter plainte contre lui pour harcèlement moral sur personne handicapée (….) je lui avais conseillé avant toute chose de vous contacter afin de vous faire part de ce problème, chose qu’elle a faite à deux reprises et auxquelles aucune suite n’a été donné (vous m’avez même reproché d’être derrière tout ça.)

Les nouveaux chauffeurs embauchés avaient comme consigne d’éviter de me parler parce que je n’étais qu’un « fouteur de merde » et que je leur créérais des problèmes (propos rapportés par ces mêmes chauffeurs qui dès qu’ils ont eu l’occasion de parler avec moi et qu’ils se sont rendu compte qu’au contraire je les ai aidés). »

Par ailleurs, suite aux demandes de précisions et explications de l’employeur, M. [J] a transmis par courrier du 29 décembre 2017 des documents confortant ses accusations :

– l’attestation de M. [V], cariste, faisant état du «comportement verbal inadmissible de M. [Y] envers le personnel en place», d’anecdotes « nombreuses pour décrire le comportement discriminatoire, odieux, raciste, traitant M. [J] de « tête de noeud », fouteur de merde … », ajoutant que « sous pression délétère », il a été contraint de demander une rupture conventionnelle pour éviter de subir une forme d’ «harcèlement » ;

– un courrier de M. [W], attestant avoir démissionné à cause de l’ambiance et du comportement vulgaire et désagréable de M. [Y] ;

– la plainte pour harcèlement moral déposée par Mme [Z], salariée détachée au sein de la société T6 Groupe,à l’encontre de M. [Y] qui était toujours en train de l’intimider et de lui mettre la pression ; l’attestation établie par cette personne, certes non régulière en la forme mais suffisamment fiable, dans laquelle elle mentionne que le responsable de la société T6 Groupe a fait pression sur elle pour qu’elle ne dépose pas plainte.

Ces documents, qui complètent et éclairent les faits relatés dans le courrier du 25 novembre 2017, confirment que M. [J] dénonçait des agissements de M. [Y] injurieux et discriminatoires, et des pressions ayant eu pour conséquence des ruptures de contrat, ainsi qu’une plainte. De plus, dans son courrier M. [J] a bien expressément mentionné un « harcèlement moral » évoqué par Mme [Z] ; il a donc bien lui-même dénoncé à la société T6 Groupe des faits de harcèlement moral. Quant à la lettre de licenciement, elle indique expressément que M. [J] a dénoncé des faits de « harcèlement moral ».

Cette dénonciation ne pourrait fonder le licenciement de l’intéressé pour faute qu’à la condition que l’employeur rapporte la preuve qu’il était de mauvaise foi, connaissant la fausseté des agissements dénoncés.

La société T6 Groupe fait valoir que M. [J] n’a pas, à l’évidence, agi de bonne foi, car il n’a pas été témoin direct ou victime des faits, dénoncés de manière imprécise, qu’il n’a fait que colporter des rumeurs. Toutefois, elle ne démontre pas qu’il ne pouvait pas avoir connaissance du comportement habituel de M. [Y], parce qu’il était chauffeur longue distance et qu’ils n’avaient pas vocation à se côtoyer, alors qu’ils avaient nécessairement des contacts, M. [Y] étant chef d’exploitation et supérieur hiérarchique de M. [J]. De plus, ce dernier pouvait légitimement relater des faits concernant d’autres salariés, alors qu’il disposait de documents de preuve les concernant et que l’employeur, informé par Mme [Z] de ses problèmes avec M. [Y], n’avait pris aucune mesure utile. En outre, il mentionne avoir lui-même été l’objet du comportement déplacé de M. [Y].

Par ailleurs, la fausseté des faits dénoncés ne peut résulter de ce que le salarié était en litige avec l’employeur au sujet de l’utilisation du camion de l’entreprise pendant les week-ends, d’autant qu’il a effectivement restitué le véhicule, ou encore du témoignage d’une seule salariée Mme [B] qui affirme apprécier M. [Y] et n’avoir jamais eu d’incident avec lui.

Enfin, il n’apparaît pas que M. [J] aurait voulu échapper à un débat contradictoire avec M. [Y].

En effet, en réponse à la convocation pour ce débat, il a informé son employeur par SMS qu’il se présenterait assisté d’un conseiller (en l’occurrence M. [U], salarié de l’entreprise et ancien dirigeant de la société T6 Logistique), ce qui lui a été refusé et explique qu’il ne s’est pas présenté.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la société T6 Groupe ne rapporte pas la preuve que les faits dénoncés par M. [J] sont faux et qu’il avait connaissance d’une telle fausseté, si bien qu’il doit bénéficier de la protection établie par l’article L. 1152-2 du code du travail.

Dès lors, sans qu’il soit utile d’examiner le second grief énoncé dans la lettre de licenciement, la cour constate que le premier grief consistant à avoir dénoncé des faits de harcèlement moral ne pouvait pas fonder le licenciement.

En conséquence, il y a lieu de confirmer la décision du conseil de prud’hommes qui a dit que, conformément aux dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail, le licenciement de M. [J] est nul et a condamné la société T6 Groupe au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis (4.996,56 €), des congés payés afférents (499,65 €), et de l’indemnité de licenciement (2.394,18 €), dont les montants ne sont contestés par aucune des parties.

En revanche, le jugement déféré sera infirmé en ce qui concerne l’évaluation du préjudice subi par le salarié du fait de son licenciement nul à 19.986,24 €, correspondant à 8 mois de salaire mensuel (2.498,28 €), dommages et intérêts dont le montant est critiqué par les deux parties, le salarié demandant à ce qu’il soit porté à 30.000 € et l’employeur à ce qu’il soit « ramené à la proportion légale minimale ».

En vertu de l’article L. 1235-3-1 du code du travail issu de l’ordonnance du 22 septembre 2017, en cas de licenciement nul pour harcèlement moral, l’indemnité allouée ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois, lesquels s’élèvent, selon l’attestation Pôle emploi, à 15.052,59 €.

M. [J] avait 3 ans d’ancienneté lors du licenciement ; né le 20 septembre 1962, il était âgé de 55 ans ; il a retrouvé un emploi pérenne avec une rémunération équivalente en mai 2018 soit peu de temps après. La cour lui allouera donc des dommages et intérêts de 15.500 €.

En application des articles L 1235-4 et L 1235-5 du code du travail, si le licenciement du salarié est nul pour harcèlement moral, et si le salarié a une ancienneté d’au moins 2 ans dans une entreprise d’au moins 11 salariés, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du jugement, dans la limite de 6 mois d’indemnités.

Il convient donc d’office d’ordonner le remboursement par l’employeur au Pôle emploi des indemnités chômage à hauteur de 6 mois, ajoutant au jugement.

2 – Sur les demandes accessoires :

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a ordonné la remise des documents de fin de contrat rectifiés, sauf à dire qu’aucune astreinte n’est justifiée, et a condamné la société T6 Groupe au paiement de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société employeur devra en outre verser la somme complémentaire de 1.000 € pour les frais non compris dans les dépens exposés devant la cour et supporter les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a évalué le préjudice subi par M. [J] du fait du licenciement nul à la somme de 19.986,24 € et a fixé une astreinte assortissant la délivrance des documents de fin de contrat rectifiés, ces dispositions étant infirmées,

Statuant à nouveau de ces chefs et ajoutant au jugement,

Condamne la SAS T6 Groupe à payer à M. [J] les sommes suivantes :

-15.500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

– 1.000 € à titre d’indemnité complémentaire sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en appel,

Dit n’y avoir lieu à astreinte assortissant la délivrance des documents de fin de contrat rectifiés,

Ordonne le remboursement par la SAS T6 Groupe au Pôle emploi des indemnités chômage versées à M. [J] du jour du licenciement au jour du jugement à hauteur de 6 mois,

Condamne la SAS T6 Groupe aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.

La greffière La présidente

A. Raveane C. Brisset.

 


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