MHD/LD
ARRET N° 234
N° RG 21/00612
N° Portalis DBV5-V-B7F-GGOC
[P]
C/
S.A.S. REX ROTARY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 04 MAI 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 janvier 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de SAINTES
APPELANT :
Monsieur [Y] [P]
né le 18 Août 1978 à SAINTES (17)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Ayant pour avocat plaidant Me François-Xavier GALLET de la SELARL GALLET & GOJOSSO AVOCATS, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
S.A.S. REX ROTARY
N° SIRET : 383 359 510
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
Et ayant pour avocat plaidant Hélène MOISAND-FLORAND de la SELARL Moisand Boutin et Associés, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 6 Mars 2023, en audience publique, devant :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Rex Rotary a pour activité la distribution de solutions documentaires (photocopieurs, télécopieurs, imprimantes etc….).
Elle a embauché M. [Y] [P] dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 5 janvier 2009, ce en qualité de conseiller commercial-représentant statutaire.
Au dernier état de la relation, M. [Y] [P] exerçait les fonctions de responsable consultant au sein de la société Rex Rotary.
M. [Y] [P] a été placé en arrêt de travail à compter du 21 septembre 2018.
Le 18 avril 2019, M. [Y] [P] a été examiné par le médecin du travail lequel a rendu l’avis suivant : ‘Inaptitude au poste de commercial itinérant. Capacités restantes : Tout travail limitant les sollicitations de la colonne vertébrale et le maintien de posture (ex : pas de position assise prolongée, pas de piétinement)’.
Le 29 avril 2019, la société Rex Rotary a adressé un courrier à M. [Y] [P] aux fins notamment de connaître le périmètre géographique dans lequel il souhaitait être reclassé. A ce courrier était annexé un document intitulé ‘liste des établissements du groupe Ricoh’.
Le 27 mai 2019, la société Rex Rotary a convoqué M. [Y] [P] à un entretien préalable à son éventuel licenciement, précisant que cet entretien aurait lieu le 11 juin suivant.
La société Rex Rotary a par la suite annulé cet entretien.
Le 18 juin 2019, la société Rex Rotary a organisé une réunion du comité social et économique de l’entreprise au sujet du reclassement éventuel de M. [Y] [P].
Le 1er juillet 2019, la société Rex Rotary a de nouveau convoqué M. [Y] [P] à un entretien préalable à son éventuel licenciement. Cet entretien a eu lieu le 15 juillet suivant.
Le 18 juillet 2019, la société Rex Rotary a notifié à M. [Y] [P] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement.
Le 10 octobre 2019, M. [Y] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Saintes aux fins, sous le bénéfice de l’exécution provisoire du jugement à intervenir et en l’état de ses dernières prétentions, de voir :
– condamner la société Rex Rotary à lui payer les sommes suivantes :
– 16 408,40 euros au titre de la perte de droits retraite ;
– 5 000 euros au titre du non-respect de la réglementation sur le temps de travail ;
– 6 496,93 euros au titre du maintien de salaire en l’absence de reclassement dans le délai d’un mois après son inaptitude ;
– 5 734 euros à titre de rappel d’indemnité légale de licenciement ;
– 6 383,92 euros à titre de rappel d’indemnités de congés payés ;
– 1 815,61 euros à titre de rappel de congés payés conventionnels ;
– 52 740 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 31 644 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– 10 000 euros en indemnisation de son préjudice de carrière ;
– 31 644 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du jour de la réception de la requête.
Par jugement en date du 27 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Saintes a :
– dit que le statut de VRP était applicable à M. [Y] [P] ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande de perte injustifiée de droits retraite et de sa demande sur le non-respect de la réglementation du temps de travail ;
– condamné la société Rex Rotary à un complément de salaire de 5 197 euros en l’absence de reclassement dans le délai d’un mois après la déclaration d’inaptitude ;
– condamné la société Rex Rotary à un rappel d’indemnité de licenciement de 5 734 euros ‘bruts’ ;
– condamné la société Rex Rotary à un rappel d’indemnités de congés payés de 6 383,72 euros bruts ;
– dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était justifié ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande en indemnisation d’un préjudice de carrière ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé ;
– condamné la société Rex Rotary à verser à M. [Y] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamné la société Rex Rotary aux intérêts au taux légal ‘à compter du jour de la réception de la saisine du conseil de prud’hommes’ ;
– dit que le jugement était exécutoire de droit pour les rémunérations et indemnités mentionnées au 2ème alinéa de l’article R 1454-14 dans la limite de 9 mois de salaire ;
– condamné la société Rex Rotary aux entiers dépens.
Le 24 février 2021, M. [Y] [P] a relevé appel de ce jugement en ce qu’il :
– avait dit que le statut de VRP lui était applicable ;
– l’avait débouté de sa demande de perte injustifiée de droits retraite et de sa demande sur le non-respect de la réglementation du temps de travail ;
– avait dit que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était justifié ;
– l’avait débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– l’avait débouté de sa demande en indemnisation d’un préjudice de carrière ;
– l’avait débouté de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.
Saisi à la requête de la société Rex Rotary, le conseiller de la mis en état a, par ordonnance d’incident du 7 décembre 2021 :
– débouté la société Rex Rotary de sa demande principale tendant à voir prononcer la nullité de la déclaration d’appel ;
– débouté la société Rex Rotary de sa demande subsidiaire tendant à voir constater la caducité de la déclaration d’appel, par application des articles 960, 961 et 908 du Code de procédure civile ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 32-1 du Code de procédure civile à l’encontre de la société Rex Rotary ;
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile en faveur de l’une quelconque des parties ;
– condamné la société Rex Rotary aux dépens de l’incident.
Cette décision a été déférée à la cour qui, par arrêt en date du 26 octobre 2022, a :
– déclaré recevable le 2ème moyen de nullité soulevé par la société Rex Rotary s’agissant du domicile de M. [Y] [P] ;
– confirmé l’ordonnance déférée ;
– et, y ajoutant, a dit que les dépens du déféré suivraient le sort de ceux du principal ;
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions, dites d’appelant n° 2, reçues au greffe le 27 septembre 2021, M. [Y] [P] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :
– a dit que le statut de VRP lui était applicable ;
– l’a débouté de sa demande de perte injustifiée de droits retraite et de sa demande sur le non-respect de la réglementation du temps de travail ;
– a dit que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était justifié ;
– l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– l’a débouté de sa demande en indemnisation d’un préjudice de carrière ;
– l’a débouté de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé ;
– de confirmer les autres dispositions de ce jugement ;
– et, statuant de nouveau, de condamner la société Rex Rotary à lui payer les sommes suivantes :
– 16 408,40 euros au titre de la perte de droits retraite ;
– 5 000 euros au titre du non-respect de la réglementation sur le temps de travail ;
– 1 815,61 euros à titre de rappel de congés payés conventionnels ;
– 31 644 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ;
– 916,19 euros au titre du maintien de salaire après sa déclaration d’inaptitude ;
– 52 740 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 31 644 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– 10 000 euros en indemnisation de son préjudice de carrière ;
– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du jour de l’introduction de la demande et capitalisation ;
– condamner la société Rex Rotary aux entiers dépens.
Par conclusions, dites d’intimée et d’appel incident, reçues au greffe le 23 janvier 2023, la société Rex Rotary demande à la cour :
– in limine litis, et à titre principal :
– de prononcer la nullité de la requête introductive du 4 octobre 2019 régularisée par M. [Y] [P] ;
– de constater la nullité de l’ensemble des actes subséquents et notamment la nullité du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saintes le 27 janvier 2021 ;
– à titre subsidiaire :
– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– dit que le statut de VRP était applicable à M. [Y] [P] ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande de perte injustifiée de droits retraite et de sa demande sur le non-respect de la réglementation du temps de travail ;
– dit que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement était justifié ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande en indemnisation d’un préjudice de carrière ;
– débouté M. [Y] [P] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé ;
– en conséquence, de débouter M. [Y] [P] de ses demandes d’infirmation du jugement entrepris ;
– d’infirmer ce jugement en ce qu’il :
– l’a condamnée à un complément de salaire de 5 197 euros en l’absence de reclassement dans le délai d’un mois après la déclaration d’inaptitude ;
– l’a condamnée à un rappel d’indemnité de licenciement de 5 734 euros ‘bruts’ ;
– l’a condamnée à un rappel d’indemnités de congés payés de 6 383,72 euros bruts ;
– l’a condamnée à verser à M. [Y] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– l’a condamnée aux intérêts au taux légal à compter du jour de la réception de la saisine du conseil de prud’hommes ;
– a dit que le jugement était exécutoire de droit pour les rémunérations et indemnités mentionnées au 2ème alinéa de l’article R 1454-14 dans la limite de 9 mois de salaire ;
– l’a condamnée aux entiers dépens ;
– et, statuant de nouveau :
– de débouter M. [Y] [P] de l’ensemble de ses demandes ;
– en tout état de cause, de condamner M. [Y] [P] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 6 février 2023 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 6 mars 2023 à 14 heures pour y être plaidée.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
– Sur la demande formée in limine litis par la société Rex Rotary tendant à voir déclarer nul le jugement entrepris :
Au soutien de sa demande, la société Rex Rotary expose en substance :
– que selon l’article 58 du Code de procédure civile, la requête doit contenir, à peine de nullité, notamment la profession du requérant ;
– qu’en l’espèce, dans la requête qu’il a introduite le 4 octobre 2019, M. [Y] [P] a indiqué qu’il exerçait la profession de responsable consultant alors qu’à cette date il était gérant de société ;
– que cette situation l’a privée du parfait exercice de ses droits de défense ;
– que cette requête, de même que le jugement entrepris doivent donc être déclarés nuls.
Certes l’article 58 du Code de procédure civile énonce que la requête par lequel le demandeur saisit la juridiction contient à peine de nullité, pour les personnes physiques, notamment la profession du demandeur.
Certes encore il est constant qu’à la date de la requête qu’il a transmise au conseil de prud’hommes de Saintes M. [Y] [P] n’exerçait plus la profession de responsable consultant et que néanmoins c’est cette profession qu’il avait mentionnée dans cette requête.
Cependant l’article 114 du Code de procédure civile dispose :
‘Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public’.
Or en l’espèce la société Rex Rotary ne justifie aucunement de l’obstacle à l’exercice de ses droits pour se défendre qu’aurait constitué sa méconnaissance de la profession exacte de M. [Y] [P] au stade de la requête transmise par ce dernier aux premiers juges, ni même des difficultés en la matière que cette méconnaissance aurait générées.
Aussi la cour déboute la société Rex Rotary de sa demande de ce chef.
– Sur les demandes formées par M. [Y] [P] tendant à voir juger qu’il relevait du statut cadre de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie et ses demandes consécutives :
Au soutien de son appel, M. [Y] [P] expose en substance :
– que le statut de VRP qui lui a été appliqué par la société Rex Rotary est défini par l’article L 7311-3 du Code du travail et, selon la jurisprudence, est réservé aux personnes qui ont pour activité principale la vente ou l’achat de biens matériels ou de prestations de services ;
– or, comme cela s’évince des documents contractuels qu’il a signés, il avait pour activité principale l’encadrement des équipes commerciales placées sous son autorité (4 vendeurs) et ses actions commerciales étaient totalement accessoires à son activité principale d’encadrement et d’animation ;
– que son contrat de travail ne prévoyait aucune activité personnelle de prospection et il ne lui était attribué aucun secteur propre de prospection ni de clientèle spécifique et il accompagnait seulement des commerciaux sur leurs secteurs respectifs et pour des ventes importantes et donc délicates ;
– qu’il ne signait qu’un très petit nombre de ventes et ne développait pas de clientèle ;
– que la cour d’appel de Grenoble a tranché cette question par un arrêt en date du 5 février 2019 qui est devenu définitif, le pourvoi formé par la société Rex Rotary à l’encontre de cet arrêt ayant été rejeté par la Cour de cassation, ce que cette dernière ne pouvait ignorer mais a néanmoins feint de ne pas connaître dans ses premières écritures ;
– que la société Rex Rotary a fait l’objet d’un contrôle puis d’un redressement par l’URSSAF en raison de l’application erronée du statut de VRP ;
– que l’application erronée du statut de VRP à sa situation a permis à la société Rex Rotary d’une part de s’affranchir des règles relatives à la durée du travail et d’autre part a généré à son endroit une perte de droits à la retraite ;
– qu’en outre il aurait dû, en qualité de cadre relevant de la convention collective des cadres et ingénieurs de la métallurgie, bénéficier de jours de congés supplémentaires et qu’à ce titre, tenant compte de la prescription triennale, il peut prétendre à un rappel de 9 jours de congés payés.
En réponse, la société Rex Rotary objecte pour l’essentiel :
– que l’application du statut de VRP est subordonnée à la condition que le salarié exerce une activité de prospection de la clientèle en vue de la prise d’ordre et de commandes mais n’implique pas que le salarié exerce exclusivement une activité de prospection ;
– que, lorsque le contrat de travail prévoit l’application du statut de VRP, c’est celui qui conteste la réunion des conditions d’application de ce statut qui supporte la charge de la preuve ;
– que M. [Y] [P] ne rapporte pas cette preuve, étant observé qu’il n’a jamais contesté son statut de VRP pendant les 10 années de la relation de travail ;
– qu’au demeurant les contrats de travail de M. [Y] [P] stipulent que ses fonctions principales étaient celles d’un représentant statutaire dont les tâches essentielles étaient celles de prospection ;
– que M. [Y] [P] réalisait bien des ventes, étant observé qu’en 2016, M. [Y] [P] se définissait comme un ‘super vendeur’ et indiquait qu’il avait réalisé ‘plus de la moitié du CA des vendeurs’ ;
– qu’elle a réalisé une étude précise de l’activité de M. [Y] [P] laquelle a fait ressortir qu’entre janvier 2017 et janvier 2018, M. [Y] [P] avait consacré 76 % de son temps de travail à la prospection et à la négociation commerciale ;
– que l’application du statut de VRP dépend de l’activité réellement exercée par le salarié et qu’en conséquence M. [Y] [P] ne peut tirer, pour ce qui le concerne, aucune conséquence de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble qu’il cite ;
– que le redressement URSSAF dont fait état M. [Y] [P] n’a aucune portée en l’espèce, celui-ci ayant fait l’objet d’un recours et en outre portant sur des règles de Sécurité Sociale relatives à l’abattement forfaitaire et non sur les règles du droit du travail relatives au statut de VRP.
L’article L 7311-3 du Code du travail dispose :
‘Est voyageur, représentant ou placier, toute personne qui :
1° Travaille pour le compte d’un ou plusieurs employeurs ;
2° Exerce en fait d’une façon exclusive et constante une profession de représentant ;
3° Ne fait aucune opération commerciale pour son compte personnel ;
4° Est liée à l’employeur par des engagements déterminant :
a) La nature des prestations de services ou des marchandises offertes à la vente ou à l’achat ;
b) La région dans laquelle il exerce son activité ou les catégories de clients qu’il est chargé de visiter ;
c) Le taux des rémunérations’.
Il est acquis d’une part que le statut de VRP est d’ordre public et s’impose donc dès lors que les conditions de son application sont réunies, peu important la qualification que les parties ont donnée à leurs rapports et d’autre part que la réalisation de ces conditions s’apprécie en pur fait, étant précisé que ce statut de VRP n’implique pas que le salarié concerné ait pour seule et unique activité celle de prospection.
En l’espèce, les conditions particulières du contrat de travail que M. [Y] [P] verse aux débats (sa pièce n° 1) et qu’il a acceptées le 1er novembre 2010 mentionnent notamment qu’il est ‘engagé comme représentant statutaire’, puis :
– au chapitre intitulé ‘Obligations’ : ‘indépendamment de votre activité de représentant statutaire vendeur de machines que vous exercerez à titre principal, vos fonctions accessoires de responsable consultants consisteront à : Atteindre les objectifs fixés pour votre secteur et vous assurer de l’atteinte des quotas de chacun des vendeurs qui vous sont affectés. Contrôler l’activité des vendeurs placés sous votre responsabilité, en vous faisant accompagner par eux aux fins de formation à l’occasion de votre démarchage personnel, et en les assistant dans leur propre démarchage en participant personnellement à la prise de commande……Participer à toutes les expositions et manifestations promotionnelles….Etablir les éléments administratifs propre à une bonne gestion du secteur…..Appliquer et faire appliquer les obligations spécifiques aux membres du service des ventes et les règles générales de vente’ ;
– au chapitre intitulé ‘Secteur d’activité’ : ‘Vous êtes affecté à notre succursale de [Localité 5], agence de [Localité 6]. Votre secteur est composé des villes, arrondissements ou départements suivants’, puis suit une liste de 38 villes ;
Ces conditions particulières stipulent également l’objectif mensuel que M. [Y] [P] devait atteindre dans son secteur (paragraphe 4) et les conditions de sa rémunération qui était composée d’une part fixe et de commissions (paragraphe 5).
Les éléments figurant dans ces conditions particulières apparaissent conformes à celles d’application du statut de VRP et c’est en parfaite contradiction avec ces éléments que M. [Y] [P] soutient qu’il s’évince des documents contractuels qu’il a signés, d’une part que son activité principale résidait dans l’encadrement des équipes commerciales placées sous son autorité et d’autre part que ses actions commerciales étaient totalement accessoires à son activité d’encadrement et d’animation. En effet, outre que ces conditions particulières
rappellent en tout premier lieu que M. [Y] [P] était ‘engagé comme représentant statutaire’ puis qu’il exercerait son activité de représentant statutaire vendeur de machines ‘à titre principal’ et seulement accessoirement les fonctions de responsable consultants, elles lui fixent l’obligation d’atteindre des objectifs pour son secteur, chiffrent un objectif mensuel pour son secteur, évoquent son ‘démarchage personnel’, puis fixent les modalités de calcul de sa rémunération.
La cour observe en outre que tous les bulletins de salaire qui ont été établis et remis à M. [Y] [P] et que celui-ci produit aux débats mentionnent la qualification VRP.
Aussi, en présence de ces éléments, il appartient à M. [Y] [P] de démontrer que, dans les faits, les conditions d’exercice de son activité au sein de la société Rex Rotary n’étaient pas conformes aux conditions d’application du statut de VRP.
A cette fin, M. [Y] [P] verse aux débats :
– sa pièce n° 25 : il s’agit d’un tableau Excell qui, outre qu’il est difficilement compréhensible et que rien n’en établit l’origine et la fiabilité, ne rend pas compte des rôles respectifs tenus dans chacune des affaires qui y sont énumérées par M. [Y] [P] et les vendeurs dont les noms y sont mentionnés, étant rappelé à cet égard que parmi les fonctions de M. [Y] [P] figuraient celle consistant à contrôler l’activité des vendeurs placés sous sa responsabilité, en se faisant accompagner par eux aux fins de formation à l’occasion de son démarchage personnel et en les assistant dans leur propre démarchage en participant personnellement à la prise de commande.
– sa pièce n° 11 : il s’agit d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Grenoble le 5 février 2019. La cour observe que si le salarié partie à cette affaire avait bien, comme M. [Y] [P], été employé par la société Rex Rotary en qualité de responsable consultant statut VRP, et sollicité le bénéfice de l’application de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, aucune autre similitude entre ce salarié et M. [Y] [P] ne permet une déduction favorable à la thèse de ce dernier. A cet égard la simple lecture de cet arrêt fait apparaître que la décision rendue par la cour d’appel de Grenoble repose sur des moyens de fait propres à l’affaire qui ne se retrouvent pas même sous une forme voisine dans le cas de l’espèce.
– sa pièce n° 24 : il s’agit d’un document intitulé ‘Rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels’ et qui est relatif à l’exercice de la société Rex Rotary clos le 31 mars 2019.
La cour observe que si certes ce rapport mentionne que la société Rex Rotary a fait l’objet d’un contrôle URSSAF au terme duquel des redressements d’un montant total de 2 480 897 euros ont été notifiés et payés par la société, rien n’y est mentionné au sujet des causes de ces redressements et que, à supposer même que ces redressements aient été justifiés totalement ou partiellement par une application erronée du statut de VRP, comme le soutient M. [Y] [P], il ne saurait s’en déduire que dans le cas particulier de ce dernier les conditions d’application du statut de VRP n’ont pas été respectées.
Enfin, et bien qu’elle ne supporte pas la charge de la preuve, la société Rex Rotary d’une part verse aux débats une attestation établie par M. [C] [W], secrétaire général et directeur financier de la société Rex Rotary, qui y déclare : ‘En tant que secrétaire général je supervise notamment la direction des systèmes d’information dont l’ERP trace tous les indicateurs de l’activité de la force de vente. En l’espèce, concernant l’activité de M. [Y] [P], il en résulte que de janvier 2017 à fin janvier 2018, 76 % de son temps de travail a été dédié à la prospection et à la négociation commerciale’. D’autre
part l’employeur vise la pièce n°3 du salarié aux termes de laquelle celui-ci avait écrit, s’agissant du rôle commercial des responsables consultants, notamment : ‘….dans la pratique nous réalisons plus de la moitié du CA des vendeurs (en déclencheurs ou en autonomie sur des vieux clients)…’.
Aussi au total, la cour considère que M. [Y] [P], qui était lié à la société Rex Rotary par un contrat de travail dont les conditions générales (pièce n° 12 du salarié) et les conditions particulières étaient conformes aux conditions d’application du statut de VRP, ne démontre pas que ses conditions effectives d’exercice de son activité au sein de la société Rex Rotary n’étaient pas conformes aux conditions d’application de ce statut.
En conséquence de quoi, la cour déboute M. [Y] [P] de sa demande tendant à voir juger que le statut de VRP ne lui était pas applicable et de ses demandes consécutives en paiement de sommes au titre de la perte de ‘droit retraite’ et au titre du non-respect de la réglementation sur le temps de travail.
– Sur la demande formée par M. [Y] [P] tendant à voir juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ses demandes consécutives :
Au soutien de son appel, M. [Y] [P] expose en substance :
– que la société Rex Rotary qui était débitrice d’une obligation de reclassement à son égard en vertu des dispositions de l’article L 1226-10 du Code du travail a manqué à cette obligation ;
– qu’il a fait l’objet d’une convocation à un entretien préalable le 27 mai 2019, ce dont il se déduit que la société Rex Rotary avait initié la procédure de licenciement avant même d’avoir consulté le comité social et économique de l’entreprise ;
– que cette chronologie des faits démontre que la société Rex Rotary n’avait pas l’intention de rechercher à le reclasser, étant rappelé que la Cour de cassation juge que la concomitance de la procédure de licenciement et de la consultation du CSE rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– qu’en outre, la société Rex Rotary lui a demandé d’indiquer dans quel périmètre géographique il souhaitait être reclassé avant même de lui avoir proposé le moindre poste de reclassement, ce qui était contraire à la chronologie imposée par les dispositions d’ordre public de l’article L 1226-10 du Code du travail ;
– qu’encore la rédaction du procès-verbal de la réunion du comité social et économique montre que celui-ci a été mal informé, ce procès-verbal faisant état d’une inaptitude partielle et ne mentionnant pas même son nom ;
– que donc les membres du CSE n’ont pas disposé de toutes les informations nécessaires pour leur permettre de donner un avis éclairé ;
– qu’à cet égard l’attestation du secrétaire du CSE produite par la société Rex Rotary n’apporte aucune indication sur les documents et informations remis aux membres de ce comité préalablement à leur consultation ;
– que son licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En réponse, la société Rex Rotary objecte pour l’essentiel :
– que selon un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation survenu le 23 novembre 2016, l’employeur peut tenir compte de la position du salarié pour restreindre le périmètre des recherches de reclassement ;
– qu’en l’espèce elle a interrogé M. [Y] [P] à ce sujet et celui-ci lui a répondu par deux fois qu’il n’accepterait un reclassement que dans le périmètre de son domicile et plus précisément dans un rayon de 15 à 20 kms de son domicile ;
– que la seule agence de l’entreprise se trouvant dans ce périmètre était celle de [Localité 6] mais aucun poste n’y était disponible ou compatible avec les préconisations du médecin du travail ;
– que, par ailleurs, la convocation à un entretien préalable du 27 mai 2019 dont fait état M. [Y] [P] lui a été envoyée par erreur et elle a bien procédé, le 18 juin 2019, à la consultation de son comité social et économique lequel a, à l’unanimité, validé ‘le fait que sa direction avait recherché à effectuer des propositions de reclassement dans le cadre de la procédure d’inaptitude constatée par la médecine du travail’ ;
– que, lorsque la situation personnelle d’un salarié est examinée au sein du CSE de l’entreprise, deux procès-verbaux sont rédigés dont l’un est anonymisé, aussi il n’existe aucun doute sur le fait que, le 18 juin 2019, les membres du CSE savaient qu’il s’agissait d’analyser la situation de M. [Y] [P] ;
– qu’elle produit une attestation du secrétaire du CSE dont il ressort que ce comité disposait bien des éléments nécessaires pour analyser la situation de M. [Y] [P].
Selon l’article L 1226-10 du Code du travail, une fois le salarié déclaré inapte, en application de l’article L 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités, le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
En l’espèce, l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail le 18 avril 2019 était rédigé en ces termes : ‘Inaptitude au poste de commercial itinérant. Capacités restantes : Tout travail limitant les sollicitations de la colonne vertébrale et le maintien de posture (ex : pas de position assise prolongée, pas de piétinement)’.
S’il est constant que la société Rex Rotary a convoqué M. [Y] [P] dans un premier temps le 27 mai 2019 pour un entretien préalable à son éventuel licenciement qui devait se tenir le 11 juin suivant, soit avant même d’avoir consulté le comité économique et social de l’entreprise au sujet des possibilités de reclassement du salarié, il est également constant que la société Rex Rotary a de nouveau convoqué M. [Y] [P] à un entretien préalable le 1er juillet 2019, soit à une date postérieure à l’organisation de la réunion de son comité économique et social destinée à examiner les éventuelles possibilités de reclasser ce dernier, laquelle réunion s’était tenue le 18 juin 2019. En outre il n’est pas discuté que celui-ci s’est bien présenté à cet entretien, ainsi que cela est exposé dans la lettre de licenciement, manifestant ainsi son accord à y participer.
La chronologie de ces événements fait notamment apparaître qu’il s’est écoulé plus d’un mois entre la date à laquelle le médecin du travail a rendu son avis d’inaptitude et la date à laquelle la société Rex Rotary a convoqué pour la seconde fois M. [Y] [P] à l’entretien préalable et encore qu’il s’est écoulé 13 jours entre la date de réunion du comité économique et social de l’entreprise et celle de cette seconde convocation à l’entretien préalable. Aussi, la cour considère que, contrairement à ce que soutient M. [Y] [P], cette chronologie ne démontre ni que la société Rex Rotary n’avait pas l’intention de rechercher à le reclasser ni une concomitance de la procédure de licenciement et de la consultation du comité économique et social.
Par ailleurs il est acquis que l’employeur peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte pour limiter le périmètre de sa recherche de reclassement.
Or à cet égard en l’espèce, la société Rex Rotary a adressé à M. [Y] [P] un courrier en date du 29 avril 2019 dans lequel notamment, après avoir rappelé l’obligation de reclassement à laquelle elle était tenue envers lui, elle lui demandait de lui ‘indiquer le périmètre géographique dans lequel [vous êtes] il était susceptible d’accepter un reclassement’, joignant à son courrier la liste des établissements du groupe Ricoh auquel elle appartient.
Suite à ce courrier, M. [Y] [P] a adressé d’abord un courrier en date du 3 mai 2019 rédigé en ces termes : ‘………Par la présente, je vous informe que le périmètre géographique que je suis capable de supporter au vu de mon état de santé est de 15 à 20 kilomètres maximum autour de mon domicile et peut-être pas tous les jours si mon état ne s’améliore pas. Idéalement le moins de trajet en voiture possible’, puis un courriel daté du 16 mai 2019 rédigé comme suit : ‘Pour faire suite au courrier en RAR du 29 avril dernier, je vous confirme comme dit dans mon précédent courrier que je n’accepterai un poste de reclassement que dans le périmètre de mon domicile actuel’.
La société Rex Rotary affirme, sans être contredite sur ces points, d’une part que le seul établissement de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient se trouvant implanté dans les limites géographiques à l’intérieur desquelles M. [Y] [P] avait indiqué qu’il accepterait d’être reclassé, était son agence de [Localité 6] et d’autre part qu’il n’existait aucun poste disponible dans cette agence au cours de la période concomitante de la procédure ayant abouti au licenciement de M. [Y] [P].
Enfin, s’agissant de l’obligation qui, selon les dispositions de l’article L 1226-10 précité, incombe à l’employeur de consulter le comité économique et social et de recueillir son avis, la société Rex Rotary verse aux débats :
– sa pièce n° 1 : il s’agit d’un document intitulé ‘Mardi 18 juin 2019 -procès-verbal’ qui mentionne en première page la liste des présents et en particulier des membres du ‘CSE’ présents, puis en page 2 un ‘ordre du jour’ qui contient un point 7 intitulé ‘Information et consultation sur les propositions de reclassement effectuées dans le cadre de la procédure d’inaptitude constatée par la médecine du travail, en vertu de l’article L 1226-6 du Code du travail’. Cet intitulé est repris en page 5 du document. Dans cette page il est notamment indiqué : ‘Compte-tenu des restrictions formulées par le médecin du travail (absence de sollicitation de la colonne vertébrale et/ou de position assise prolongée et absence de piétinement), aucun poste répondant aux préconisations de la médecine du travail n’a pu être identifié par la direction, tant chez Rex Rotary que chez Ricoh. Le salarié sera donc convoqué en vue de son licenciement pour inaptitude….’, puis in fine : ‘Le CSE valide à l’unanimité le fait que la direction a cherché à effectuer des propositions de reclassement dans le cadre de la procédure d’inaptitude constatée par la médecine du travail, en vertu de l’article L 1226-6 du Code du travail’ ;
– sa pièce n° 8 : il s’agit d’un document identique à celui de la pièce n°1 précitée et sur la première page duquel figure en outre la mention ‘Version confidentiel’. La page n°5 de ce document est rédigée dans les mêmes termes que la page 5 de la pièce n°1 à cette précision près que les mots ‘le salarié’ y sont remplacés par ‘[Y] [P]’ ;
– sa pièce n° 10 : il s’agit d’une attestation rédigée par M. [B] [S], technicien au sein de l’entreprise, lequel était désigné en qualité de secrétaire dans le procès-verbal de la réunion du 18 juin 2019. Ce témoin y déclare : ‘Je soussigné M. [B] [S] atteste sur l’honneur que lors de la réunion du CSE du 18 juin 2019, les membres du CSE et moi-même avons eu tous les éléments pour se prononcer sur l’inaptitude au travail concernant le salarié [Y] [P]’.
La mise en perspective de ces éléments fait apparaître que la société Rex Rotary a bien consulté le comité économique et social de l’entreprise au sujet de la possibilité de reclasser M. [Y] [P] et a recueilli l’avis des membres de ce comité après leur avoir communiqué les éléments leur ayant permis de se prononcer à savoir les éléments relatifs d’une part à l’état de santé du salarié sous la forme d’un rappel des contre-indications émises par le médecin du travail et d’autre part à la vaine recherche de reclassement par l’employeur.
En conséquence de quoi, la cour dit que le licenciement de M. [Y] [P] repose bien sur une cause réelle et sérieuse et déboute M. [Y] [P] de l’ensemble de ses demandes formées à ce titre.
– Sur la demande formée par M. [Y] [P] au titre du harcèlement moral :
Au soutien de son appel, M. [Y] [P] expose en substance :
– qu’en la matière il ne supporte pas la charge de la preuve ;
– que, dans les faits, il a été exclu dès 2017 des concours internes organisés par l’entreprise auxquels il avait toujours participé antérieurement, ce uniquement en raison de ce qu’il avait refusé de signer l’avenant à son contrat de travail qui lui avait été proposé en juin 2016, lequel avenant modifiait l’intitulé de son poste de travail (RO au lieu de RC) mais surtout le mode de calcul de sa rémunération ;
– qu’ainsi, alors qu’il travaillait dans les mêmes conditions que les RO, avec les mêmes responsabilités, les mêmes objectifs, il s’est vu imposer un traitement différent et ce dans le but de lui imposer la signature d’un avenant modifiant sa rémunération ;
– que les actes de l’employeur ont été répétés et sont établis et lui ont causé un stress qui a fini par détériorer sa santé, comme cela ressort de son dossier médical.
En réponse, la société Rex Rotary objecte pour l’essentiel :
– que l’argumentation de M. [Y] [P] ne permet pas d’identifier un quelconque auteur de faits de harcèlement et repose sur des généralités ;
– que M. [Y] [P] affirme, sans aucune justification, que le nouveau plan de rémunération variable qui figurait dans l’avenant qui lui a été proposé et qu’il a refusé de signer lui était défavorable ;
– que le comité d’entreprise qui a été consulté sur le projet de modification du système de rémunération variable a émis à l’unanimité un avis favorable ;
– que, concernant la nomenclature de la paie, les salariés ayant refusé de signer l’avenant litigieux ont été identifiés comme RC, ceux ayant signé cet avenant ont été identifiés comme RO ;
– que cet avenant a été proposé à tous les salariés commerciaux et ainsi à M. [Y] [P] qui pouvait accepter ou refuser de signer ;
– qu’ayant refusé de signer cet avenant, M. [Y] [P] ne peut lui reprocher de ne pas l’avoir fait bénéficier des commissions applicables suivant le nouveau plan de rémunération variable ni de ne pas l’avoir fait concourir aux challenges réservés aux salariés soumis à ce plan ;
– que M. [Y] [P] n’a donc aucunement été victime de harcèlement moral.
Aux termes de l’article L 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L 1153-4 ….. le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, et qu’au vu de ces éléments il incombe alors à la partie défenderesse de prouver que ces
agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, dans le but d’établir des faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral dont il soutient avoir été victime, M. [Y] [P] verse aux débats notamment les pièces suivantes :
– sa pièce n° 14 : il s’agit d’un ensemble de courriels échangés en interne dans l’entreprise au sujet des conditions d’attribution différentes de primes entre les ‘RC’ et les ‘RO’ ;
– ses pièces n° 15 et 16 : il s’agit de courriels dont il ressort en substance qu’en qualité de ‘RC’, M. [Y] [P] ne pouvait pas participer au ‘challenge printemps’ ni à aucun ‘challenge REX’ ;
– sa pièce n° 18-1 : il s’agit d’un document daté du 20 juillet 2018, intitulé ‘Note pour [Y] [P]’, ayant pour objet : ‘Challenges’. Dans cette note, sa rédactrice écrivait : ‘Il existe deux types d’animation chez Rex-Rotary, celles qui sont menées et financées par nos partenaires …. et celles que nous mettons en oeuvre et gérons en interne…….les secondes sont mises en place afin d’accompagner la stratégie définie par la direction générale. C’est dans le cadre de celle-ci que nous avons, il y a deux ans, décidé de modifier les contrats des équipes commerciales. Nous vous avons laissé à tous le temps de la réflexion car il n’était nullement question de mettre une quelconque pression à la signature de ces avenants. Désormais, les animations/challenges internes qui, encore une fois, ont pour objectif d’accompagner la stratégie nationale, ne concerneront que les collaborateurs qui adhèrent et concourent au succès de celle-ci’ ;
– sa pièce n°18-2 : il s’agit du courrier en date du 30 août 2018 que M. [Y] [P] a adressé à l’employeur en réponse à la note précitée, courrier dans lequel en substance le salarié écrivait qu’il estimait faire l’objet d’une inégalité de traitement, subir une perte de chance de bénéficier des gains lors des challenges internes et qu’il était porté atteinte à sa dignité et plus généralement que la situation lui portait préjudice ;
– sa pièce n° 19 : il s’agit d’un courrier rédigé le 17 septembre 2018 par la directrice déléguée aux ressources humaines de l’entreprise en réponse à la lettre précitée de M. [Y] [P] ;
– sa pièce n° 26 : il s’agit d’une attestation établie par M. [I] [U], ancien collègue de M. [Y] [P] dans l’entreprise. Dans cette attestation ce témoin indique en substance qu’il avait subi une pression régulière de la part de l’employeur pour signer le contrat RO qui lui avait été proposé et qui lui était défavorable financièrement ;
– sa pièce n° 20 : il s’agit d’un document intitulé ‘copie du dossier médical de M. [Y] [P]’. Dans ce document le médecin du travail d’abord cite les propos de ce dernier relatifs à son refus de signer une modification de son contrat de travail et aux conséquences de ce refus notamment sur le plan financier, puis énumère les déclarations du salarié relatives à son état psychologique : ‘ruminations, insomnie, sentiment d’injustice…..Se sent dans une impasse ….’.
Il ressort certes de ces pièces que M. [Y] [P] s’est trouvé privé de la possibilité de participer aux animations commerciales internes mises en oeuvre par l’entreprise. Toutefois il est constant d’une part que cette situation était la conséquence de ce que M. [Y] [P] n’entrait pas dans la catégorie (RO) des salariés de l’entreprise que celle-ci, exerçant son pouvoir légitime, avait choisie pour participer à ces animations ou challenges et d’autre part que c’est en raison de son choix personnel de refuser de régulariser un avenant à son contrat de travail prévoyant son intégration dans cette catégorie dite RO que M. [Y] [P] s’est trouvé exclu de la participation à ces challenges, et non pour un ou des motifs tenant à sa personne, étant ajouté que ce dernier ne
justifie d’aucune manière que la modification de son contrat de travail telle que proposée par l’employeur aurait eu, pour ce qui le concerne, des conséquences financières globales défavorables.
Aussi la cour déboute M. [Y] [P] de sa demande en paiement d’une indemnité pour harcèlement moral et de sa demande en paiement d’une indemnité au titre d’un prétendu préjudice de carrière.
– Sur la demande formée par M. [Y] [P] au titre du travail dissimulé :
Au soutien de son appel, M. [Y] [P] expose en substance :
– que la société Rex Rotary lui a délibérément appliqué à tort le statut de VRP afin de pouvoir minorer l’assiette des cotisations sociales et d’éluder la législation sur la durée du travail ;
– que dès lors l’élément intentionnel de la soustraction d’une partie des rémunérations aux cotisations sociales est caractérisé et il peut prétendre au paiement de l’indemnité pour travail dissimulé prévue par l’article L 8223-1 du Code du travail.
En réponse, la société Rex Rotary objecte pour l’essentiel :
– que M. [Y] [P] n’a pas démontré que les conditions d’application du statut de VRP n’étaient pas remplies en l’espèce et ne démontre pas davantage avoir réalisé une seule heure supplémentaire en 10 années de travail.
Ainsi que cela a déjà été exposé, la cour a considéré que M. [Y] [P] ne démontrait pas que ses conditions effectives d’exercice de son activité au sein de la société Rex Rotary n’étaient pas conformes aux conditions d’application du statut de VRP.
En conséquence, la cour déboute M. [Y] [P] de sa demande au titre du travail dissimulé.
– Sur la demande formée par M. [Y] [P] au titre du maintien du salaire passé un mois de la déclaration d’inaptitude :
Au soutien de son appel, la société Rex Rotary expose en substance :
– que la demande de M. [Y] [P] est incompréhensible et imprécise ;
– qu’il n’explique pas ses calculs ;
– que par ses demandes, M. [Y] [P] tente d’obtenir une rémunération complète en plus des indemnités journalières que la Sécurité Sociale lui a déjà versées.
En réponse, M. [Y] [P] objecte pour l’essentiel :
– que sa demande est fondée sur les dispositions de l’article L 1226-4 du Code du travail ;
– qu’il a été déclaré inapte par le médecin du travail le 18 avril 2019 et en conséquence, faute de reclassement ou de licenciement, le paiement de son salaire aurait dû reprendre le 18 mai suivant ;
– qu’il aurait donc dû percevoir, au titre de la période ayant couru entre le 18 mai 2019 et la date de son licenciement, la somme totale de 6 113,19 euros.
L’article L 1226-4 alinéa 1er du Code du travail énonce :
‘Lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est
pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, à l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail’.
En l’espèce il n’est pas discuté que la société Rex Rotary n’a pas repris le paiement des salaires de M. [Y] [P] à compter du 18 mai 2019 comme la loi en l’espèce lui en faisait l’obligation.
En outre il est de principe qu’en l’absence d’une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat que l’employeur doit verser au salarié en vertu des dispositions de l’article L 1226-4 précité et qu’en conséquence les indemnités journalières versées par la Sécurité Sociale ne peuvent être déduite de ce montant. (Cassation Soc. 1er mars 2023 n°21-19.956).
En conséquence la cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Rex Rotary à payer à M. [Y] [P] de ce chef la somme de 5 197 euros et condamne la société Rex Rotary en outre à payer à M. [Y] [P] également de ce chef la somme complémentaire de 916,19 euros.
– Sur la demande de rappel d’indemnité de licenciement formée par M. [Y] [P] :
Au soutien de son appel la société Rex Rotary expose en substance :
– qu’elle a procédé au calcul d’une part de l’indemnité légale de licenciement qui était due à M. [Y] [P] et d’autre part des indemnités de rupture liées au statut de VRP (indemnité spéciale de rupture et indemnité conventionnelle de rupture laquelle s’entend déduction faite des frais professionnels) ;
– que c’est cette dernière qui a été réglée à M. [Y] [P] car la plus favorable à ce dernier.
En réponse, M. [Y] [P] objecte pour l’essentiel :
– qu’en application des dispositions de l’article L 1226-14 du Code du travail, il devait percevoir une indemnité de licenciement égale au double de celle prévue par l’article L 1234-9 ;
– qu’au jour de son licenciement il avait une ancienneté de 10 ans et 6 mois ;
– que la société Rex Rotary prend en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement un salaire abattu en parfaite contradiction avec le droit du travail ;
– qu’il lui reste dû à ce titre, déduction faite de la somme déjà réglée par la société Rex Rotary, une somme de 5 734 euros.
Ainsi que le fait valoir M. [Y] [P], la différence entre son calcul de l’indemnité de licenciement et le calcul fait par la société Rex Rotary résulte de ce qu’ils ne prennent pas en compte le même salaire de référence, l’employeur retenant un salaire réduit du forfait de 30 % pour frais professionnels.
Cependant s’il est acquis que pour le calcul de l’indemnité de licenciement ce sont tous les éléments de rémunération, qu’elle soit fixe ou variable, qu’il y a lieu de prendre en compte, il est également acquis (Cassation Soc. 8 juillet 2010 08-45.281) que doivent être exclues de la base de calcul de cette indemnité les sommes correspondant à des remboursement de frais qui n’ont pas le caractère de salaire et ainsi l’indemnité forfaitaire de 30 % pour frais d’emploi qui constitue une modalité de remboursement de frais professionnels.
En conséquence la cour déboute M. [Y] [P] de sa demande de ce chef.
– Sur la demande de rappel d’indemnité de congés payés formée par M. [Y] [P] :
Au soutien de son appel, la société Rex Rotary expose en substance :
– que le contrat de travail de M. [Y] [P] prévoyait que le montant de l’indemnité de congés payés est égal à la rémunération moyenne perçue au cours de l’année de référence pour une période égale à celle du congé, déduction faite des frais professionnels.
En réponse, M. [Y] [P] objecte pour l’essentiel qu’il a procédé, sur la base des conditions générales de son contrat de travail, au calcul des congés payés qui auraient dû lui être réglés et qu’il est ressorti de son calcul que la société Rex Rotary restait lui devoir à ce titre la somme de 6 383,92 euros.
Les conditions générales du contrat de travail de M. [Y] [P] (sa pièce n° 12) stipulent :
‘Vous bénéficiez d’un congé annuel payé conformément aux dispositions légales en vigueur. Les modalités de ce congé seront convenues entre la société et vous-même, compte-tenu des nécessités de l’entreprise. Ce congé devra être effectif. Le montant de l’indemnité est égal à la rémunération moyenne perçue au cours de l’année de référence pour une période égale à celle du congé déduction faite des frais professionnels. Cette indemnité se cumulera avec les commissions devenant exigibles pendant le congé’.
La cour observe que les calculs opérés par M. [Y] [P] au soutien de sa demande reposent sur les montants de ses rémunérations brutes des années 2015 à 2018 sans déduction de ses frais professionnels et donc en méconnaissance des stipulations de son contrat de travail en la matière.
En conséquence, la cour déboute M. [Y] [P] de sa demande de ce chef.
– Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les prétentions de M. [Y] [P] étant, bien que pour une très faible partie, fondées, la société Rex Rotary sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] [P] l’intégralité des frais par lui exposés et non compris dans les dépens. Aussi, mais en tenant compte de ce que les prétentions de M. [Y] [P] ne sont, que pour une très faible partie, fondées, la société Rex Rotary sera condamnée à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel, la cour confirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société Rex Rotary à verser à M. [Y] [P] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement au titre des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Rejette la demande de la société Rex Rotary tendant à voir déclarer nul le jugement déféré ;
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :
– Chiffré à hauteur de 5 197 euros le montant de la somme due à M. [Y] [P] au titre du droit au maintien du salaire en l’absence de reclassement ensuite de la déclaration d’inaptitude ;
– Condamné la société Rex Rotary à payer à M. [Y] [P] les sommes suivantes :
– 5 734 euros ‘bruts’ à titre de rappel d’indemnité de licenciement ;
– 6 383,72 euros bruts à titre de rappel de congés payés ;
Et, statuant à nouveau sur ces points :
– Condamne la société Rex Rotary à payer à M. [Y] [P] au total la somme de 6 113,19 euros bruts au titre du droit au maintien du salaire en l’absence de reclassement ensuite de la déclaration d’inaptitude ;
– Déboute M. [Y] [P] de ses demandes en paiement à titre de rappel d’indemnité de licenciement et à titre de rappel d’indemnités de congés payés ;
Et, y ajoutant, condamne la société Rex Rotary à verser à M. [Y] [P] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,