Droits des Artisans : 28 octobre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/05301

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Droits des Artisans : 28 octobre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/05301

8ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°453

N° RG 19/05301 –

N° Portalis DBVL-V-B7D-QAGC

Mme [G] [E]

C/

M. [H] [P]

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 OCTOBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 07 Juillet 2022

devant Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET et Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère, magistrats tenant l’audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Octobre 2022, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 21 Octobre précédent, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [G] [E]

née le 1er Janvier 1961 à [Localité 5] (MAROC)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3]

Comparante et représentée par Me Clémentine PICORIT substituant à l’audience Me Anne-Laure BELLANGER, Avocats au Barreau de NANTES

INTIMÉ :

Monsieur [H] [P], Artisan exerçant en nom propre

demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Matthieu KONNE, Avocat au Barreau de NANTES

Suivant contrat de travail à durée déterminée du 6 octobre 1996, M. [P], qui exerce une activité de nettoyage courant des bâtiments, a engagé Mme [G] [E] en qualité d’agent spécialisé de propreté, la relation contractuelle étant régie par la Convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés .

A compter du 1er septembre 1997, le contrat s’est poursuivi à durée indéterminée et à temps partiel.

Le 1er janvier 2008, Mme [E] est devenue Chef d’équipe, statut agent de maîtrise, à temps complet.

Par deux avis de la médecine du travail des 15 mai 2014 et 2 juin 2014, Mme [E] a été déclarée en « Inaptitude définitive au poste sans mutation ni reclassement dans l’entreprise ».

Par courrier du 6 juin 2014, Mme [E] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 12 juin 2014. Elle a également été informée par son employeur de son impossibilité d’être reclassée.

M. [P] a notifié à Mme [E] son licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle par courrier recommandé en date du 16 juin 2014.

Suite à son licenciement, Mme [E] a sollicité en vain des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice lié à l’application d’une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels de 10 % sur sa rémunération de base.

Le 19 mai 2017, Mme [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes aux fins de :

‘ Condamner M. [P] à lui payer les sommes suivantes :

– 46.087,55 € à titre de dommages-intérêts,

– 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour est saisie d’un appel formé le 2 août 2019 par Mme [E] à l’encontre du jugement prononcé le 5 juillet 2019, par lequel le conseil de prud’hommes de Nantes a :

‘ Dit que Mme [E] était en mesure de connaître ses droits depuis le 1er janvier 2014 puisque M. [P] avait arrêté de pratiquer le prélèvement forfaitaire pour les frais professionnels de 10 %,

‘ Dit que Mme [E] aurait dû engager une contestation de l’exécution de son contrat de travail dans un délai de 2 ans soit en décembre 2015,

‘ Débouté Mme [E] de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Condamné Mme [E] aux dépens éventuels.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 31 octobre 2019, suivant lesquelles Mme [E] demande à la cour de :

‘ Infirmer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

‘ Dire que l’application de l’abattement forfaitaire spécifique était illégale en l’absence du consentement de Mme [E],

‘ Dire non prescrites les demandes de Mme [E],

‘ Condamner M. [P] à lui verser la somme de 46.087,55 € net au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour perte de chance, de la manière suivante :

– 22.852,80 € net au titre de la pension de retraite,

– 10.117,01 € net au titre de la pension de retraite complémentaire,

– 10.257,12 € net au titre de la pension d’invalidité,

– 1.902,24 € net au titre de la pension d’invalidité complémentaire,

– 958,38 € net au titre des indemnités journalières sécurité sociale,

‘ Condamner M. [P] à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 13 janvier 2020, suivant lesquelles M. [P] demande à la cour de :

‘ Le recevoir en ses demandes et les dire bien fondées,

‘ Débouter Mme [E] de toutes demandes, fins et conclusions contraires,

A titre principal,

‘ Constater que l’action de Mme [E] est prescrite,

‘ Dire les demandes présentées prescrites,

‘ Confirmer lu jugement entrepris,

A titre subsidiaire,

‘ Dire que les demandes de Mme [E] sont infondées,

‘ La débouter de l’ensemble de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire,

‘ Dire que les demandes de Mme [E] ne sont pas justifiées et que les calculs opérés sont erronés,

‘ La débouter de l’ensemble de ses demandes,

En toute hypothèse,

‘ Condamner Mme [E] à lui verser la somme de 3.000 € à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 5 mai 2022.

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice lié à l’application d’une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels

Pour infirmation à ce titre, Mme [E] soutient que sa rémunération a fait l’objet d’un abattement forfaitaire alors qu’elle n’y était pas soumise au regard de son statut et surtout sans son consentement, d’autant que l’employeur a reconnu ne l’avoir jamais proposé à certains salariés. Elle explique que ses pensions d’invalidité et de retraite étant radicalement différentes de ce qu’elle aurait dû percevoir si l’employeur avait respecté ses obligations légales, elle a subi une perte de chance dont elle sollicite la réparation. Elle soutient que ses demandes ne sont pas prescrites.

Pour confirmation, M. [P] soutient pour l’essentiel que l’action de Mme [E] est prescrite depuis le mois de décembre 2015. Il soutient l’absence de fondement des demandes de Mme [E] en ce que tous tous les salariés ont été informés de la mise en place de la déduction forfaitaire spécifique. Il ajoute que si Mme [E] devait avoir subi un préjudice, celui-ci ne pourrait relever que de la perte de chance d’opter ou non pour l’application de la déduction forfaitaire spécifique de 10 %. Enfin, il conteste le montant des réclamations pécuniaires de Mme [E] qu’il juge injustifié.

Sur la prescription

L’employeur ne peut valablement invoquer, pour s’opposer à cette demande de dommages et intérêts, la prescription de celle-ci, en invoquant les dispositions non applicables en l’espèce, de l’article L.3245-1 du code du travail issu de la loi du 14 juin 2013 relatives à la prescription de l’action en paiement ou en répétition du salaire.

La prescription d’une action en responsabilité, résultant d’un manquement aux obligations nées du contrat de travail, comme le soutient en l’espèce Mme [E], ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance. Il est établi que Mme [E] n’a eu connaissance de la réalisation du dommage qu’à l’occasion de la liquidation de sa pension d’invalidité au mois d’avril 2017.

Le moyen tiré de la prescription doit être rejeté.

Sur le fond

Les dispositions de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et de l’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002 modifié par l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005 permettent aux professions prévues à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant des autres dispositifs réglementaires, de bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique dans certaines limites calculée selon les taux fixés par l’article 5 du code général des impôts.

La pratique d’une déduction forfaitaire relève d’une option de l’employeur qui doit être prise au plus tard au moment de la déclaration annuelle des données sociales et appliquée sur l’ensemble des rémunérations de l’année avec régularisation des précomptes sur les bulletins de salaires.

L’employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels lorsqu’une convention ou un accord collectif du travail l’a explicitement prévu ou lorsque le comité d’entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.

A défaut, l’employeur a l’obligation de demander à chaque salarié d’accepter ou non cette option.

En l’espèce, il résulte des pièces produites que l’employeur a pratiqué la déduction forfaitaire spécifique sur les rémunérations de Mme [E] jusqu’au mois de mars 2014 et ne justifie pas de la consultation préalable de la salariée ou d’une instance représentative du personnel ni d’un accord collectif.

Il en résulte que la validation des années de cotisation de retraite s’est faite sur la base d’un salaire brut abattu de 10% ainsi que le confirment les bulletins de salaire de la salariée et ce sans droit légitime.

Cependant, le préjudice de la salariée ne correspond pas exactement à celui qu’elle invoque puisque Mme [E] a également bénéficié de cette retenue et déclaré uniquement 90%des revenus qu’elle aurait dû percevoir à l’administration fiscale.

Mme [E] compare le montant de la retraite qui lui serait versée et le montant de la pension invalidité sur la base des déclarations faites par l’employeur avec l’abattement de 10 % et ceux devant lui être servis sans abattement. Toutefois, il sera rappelé que constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Et la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

En l’espèce, la faute est constituée par la mise en oeuvre d’un dispositif sans qu’ait été recueillie l’acceptation préalable de la salariée et que de fait si cette application a pour effet de procurer des avantages aux deux parties, la salariée percevant un salaire net supérieur à celui sur lequel il est cotisé, elle a pour effet de réduire notamment, les droits à la retraite sur le régime de base servi par la sécurité sociale et de la pension d’invalidité.

Il en résulte cependant que Mme [E] a perdu une chance du fait des agissements fautifs de son employeur de percevoir une meilleure retraite et pension d’invalidité et qu’il y a donc lieu de lui accorder à titre de réparation la somme de 10.000 €.

Sur les frais irrépétibles

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; l’employeur, qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamné à indemniser l’appelante des frais irrépétibles qu’elle a exposé pour assurer sa défense.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

CONDAMNE M. [H] [P] à verser à Mme [G] [E] la somme nette de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice lié à l’application d’une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels ;

et y ajoutant,

CONDAMNE M. [H] [P] à verser à Mme [G] [E] la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

DÉBOUTE M. [H] [P] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [H] [P] aux entiers dépens.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.

 


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