ARRÊT N°
PF
R.G : N° RG 20/00787 – N° Portalis DBWB-V-B7E-FLXK
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C/
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COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS
ARRÊT DU 04 NOVEMBRE 2022
Chambre civile TGI
Appel d’une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE ST PIERRE en date du 31 JANVIER 2020 suivant déclaration d’appel en date du 09 JUIN 2020 RG n° 18/02904
APPELANTS :
Madame [S] [B] [G] épouse [V]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Nathalie CINTRAT, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001678 du 18/05/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Saint-Denis)
Monsieur [S] [U] [V]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : Me Nathalie CINTRAT, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001678 du 18/05/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Saint-Denis)
INTIMÉ :
Monsieur [T] [Y] [V]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Marie LOUTZ, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/3206 du 03/11/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Saint-Denis)
DATE DE CLÔTURE : 23 Juin 2022
DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 26 Août 2022 devant Madame FLAUSS Pauline, Conseillère, qui en a fait un rapport, assistée de Mme Véronique FONTAINE, Greffier, les parties ne s’y étant pas opposées.
Ce magistrat a indiqué, à l’issue des débats, que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 04 Novembre 2022.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère
Qui en ont délibéré
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 04 Novembre 2022.
* * *
LA COUR :
Les parcelles cadastrées [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] sur la commune [Localité 5] se situent les unes derrière les autres, desservies par l'[Adresse 3] en ligne perpendiculaire au [Adresse 10].
M. [T] [Y] [V] (M. [T] [V]) dispose d’un titre de propriété des parcelles [Cadastre 8] (645 m2) et [Cadastre 9] (725 m2) suite à la vente de la nu propriété de celles-ci par Mme [H] le 2 octobre 1980 et au décès de l’usufruitier.
M. [V] [S] [U] est propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 6] (625 m2) conformément à l’acte de vente de celle-ci par M. [V] [A] [S] [R] en 1982.
Par acte d’huissier du 25 octobre 2018, M. [T] [V] a assigné M. [U] [V] et Mme [G] [B] épouse [V] (les époux [U] [V]) aux fins de voir démolir les constructions qu’ils ont édifiées sur la parcelle [Cadastre 9] aux Avirons, d’ordonner l’expulsion de M. [P], actuel occupant des lieux, outre la condamnation de ce dernier et des époux [U] [V] au paiement d’une indemnité d’occupation.
Par jugement du 31 janvier 2020, le tribunal a notamment:
– condamné les époux [U] [V] à enlever les constructions édifiées sur la parcelle [Cadastre 9] et à remettre en état les lieux dans le délai de 3 mois suivant la signification du présent jugement, sous astreinte, passé ce délai, de 100 € par jour de retard, et ce pendant 3 mois,
– condamné les époux [U] [V] à payer à M. [T] [V] la somme de 4.800,00 € à titre de dommages et intérêts,
– condamné in solidum M. [U] [V] et Mme [G] [B] épouse [V] aux dépens de l’instance en ce compris le coût du procès-verbal d’huissier de justice et d’expertise judiciaire.
– ordonné l’exécution provisoire
Par déclaration du 9 juin 2020, les époux [V] ont formé appel du jugement.
Ils sollicitent de la cour de:
– infirmer le jugement dans les dispositions les concernant,
Statuant à nouveau,
– Juger qu’ils sont devenus propriétaires de la parcelle [Cadastre 9] aux Avirons par l’effet de la prescription acquisitive;
– débouter M. [T] [V] de ses demandes;
– condamner M. [T] [V] aux dépens de première instance et d’appel.
Les époux [U] [V] soutiennent qu’ils occupent de bonne foi une maison qu’ils ont fait édifier dans les années 1980, après avoir occupé un bâtiment en bois sous tôle, ainsi qu’en atteste le prêt qu’ils ont souscrit à cette fin en 1985, l’installation d’une fosse septique réceptionnée en 1986 et un compte rendu de chantier de 1985. Ils énoncent que si leur adresse est tantôt mentionnée au 3 [Adresse 3] et tantôt au 1 de la même impasse, c’est toujours le même bâtiment qu’ils y ont occupé. Ils ajoutent avoir payé la taxe d’habitation et la taxe foncière pour cette parcelle depuis 1984 et que la facturation de leur électricité est bien au 1 [Adresse 3].
M. [T] [V] demande à la cour de:
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement contradictoire et en premier ressort rendu par le Tribunal judiciaire de St Pierre (Réunion) le 31 janvier 2020 (RG n° 18/02904).
– condamner les époux [U] [V] aux entiers dépens de l’instance.
– débouter les époux [U] [V] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
– rejeter toutes demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires.
Il expose que les époux [U] [V] ont sciemment construit sur la parcelle lui appartenant, qu’ils ne peuvent dès lors être regardés de bonne foi et qu’il est bien fondé à solliciter la destruction de la construction qu’ils y ont édifiée.
Il conteste l’existence d’une prescription acquisitive au profit des époux [U] [V] dès lors que ceux-ci n’ont été domiciliés au [Adresse 2], correspondant à la parcelle [Cadastre 9] qu’à compter de 1997, alors qu’en 2018 et 2019, il était taxé sur celle-ci. Il déduit en outre du relevé de propriété de 2003 versé aux débats par les époux [U] [V] que la mention Z y figurant atteste de ce qu’ils ont construit sur la propriété d’autrui. Il souligne que dès 1995, ils avaient tenté en vain de faire donation de la parcelle [Cadastre 9], ce qui avait été refusé par la conservation des hypothèques.
Au soutien de sa demande indemnitaire, il relève que les époux [U] [V] ont construit une maison sur sa parcelle, laquelle a été successivement occupée par eux puis donnée en location à un artisan qui a pollué le terrain par l’implantation d’épaves de voitures. Il souligne qu’il a entrepris de nombreuses démarches amiables en vue de trouver une solution au litige.
***
Par arrêt du 13 mai 2022, la cour a révoqué l’ordonnance de clôture et invité les parties à :
. Présenter leurs observations sur les constatations de l’expert [E] ayant réalisé le rapport d’expertise en bornage objet de la pièce 20 de l’intimé;
. Produire le permis de construire PC n°97 401 84 A.0026 mentionné en pièce 3 des appelants.
Les appelants ont maintenu leurs demandes et soutenu que la maison qu’ils ont construite en 1985 correspond bien à celle constatée par M. [E] sur la parcelle [Cadastre 9] sur une photographie datant de 1989.
L’intimé a repris ses demandes ; il a indiqué que le rapport de M. [E] avait été approuvé par les parties et qu’il doutait de l’existence du permis de construire de la construction critiquée.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu les dernières conclusions des époux [U] [V] du 15 juin 2022 et celles de M. [T] [V] en date du 15 juin 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties;
Vu l’ordonnance de clôture intervenue le 23 juin 2022;
Vu l’article 2272 du code civil, lequel prévoit que le délai requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans;
Vu l’article 2261 du même code, lequel dispose que la prescription doit être continue, non interrompue, publique, paisible, non équivoque et à titre de propriétaire;
A titre liminaire, la cour relève que, par jugement du bornage du 20 septembre 2021, le tribunal judiciaire de St Pierre a déterminé la limite des parcelles [Cadastre 9] et [Cadastre 6] située de telle sorte que la maison occupée par les époux [U] [V] est entièrement implantée sur la parcelle [Cadastre 9] sur une emprise d’environ 20 m x 20 (pièce 20 M. [T] [V]).
Eu égard à la surface ainsi occupée par les époux [U] [V] (près de 400 m2) au regard de la surface totale de la parcelle [Cadastre 6] dont ils sont propriétaires (625 m2), les appelants ne peuvent valablement soutenir qu’ils n’ont pas eu conscience d’implanter leur construction sur le terrain d’autrui.
Cette mauvaise foi est confortée par le fait qu’il résulte de l’attestation notariée versée aux débats (pièce 13 M. [T] [V]) que les époux [U] [V] ont tenté de faire donation de la parcelle [Cadastre 9], ce qui n’a pu être régularisé par suite d’un rejet d’enregistrement des services de la publicité foncière.
La bonne foi n’étant toutefois pas une condition d’usucapion, il convient de déterminer si les époux [U] [V] ont prescrit la parcelle [Cadastre 9] par trente ans.
A ce titre, M. [U] [V], assisté de la SICA Habitat Rural de la Réunion, a réceptionné le chantier de construction d’une maison T4/5 le 7 novembre 1985 sise aux « Avirons » (pièce 3 époux [U] [V]). Le 26 décembre 1986, la SICA a adressé à « M. [V] [Y] [U] [F] de la ligne les Avirons » un « certificat de conformité de la fosse septique concernant la construction de votre logement T4/5″.
Le permis de construire PC n° 97 401 84 A.0026 mentionné au procès-verbal de réception du logement T 4/5 a été obtenu le 28 septembre 1984 pour la construction d’une maison de 67,70m2 sur la parcelle [Cadastre 6] (pièces 27 a et g).
Il ressort de l’examen des photographies IGN des lieux par M. [E], expert désigné pour l’établissement du bornage des parcelles, dans son rapport du 4 juin 2020, montre, entre 1984 et 1989, l’apparition d’une maison sur la parcelle [Cadastre 9] alors que la parcelle [Cadastre 6] est laissée vacante.
L’examen du plan cadastral de 2019 (annexe 1 au rapport) démontre que la disposition contemporaine des constructions est identique à celle de la photographie de 1989, à savoir, l’existence d’une construction sur la parcelle [Cadastre 9] et une parcelle [Cadastre 6] vide d’édifice.
Les attestations versées aux débats (pièces 17 à 22 époux [U] [V]) énoncent que ceux-ci ont toujours habité » à cet endroit depuis 1983 à l'[Adresse 3] », « depuis 1983, 1 [Adresse 3] » « [Adresse 3] depuis 1983 je les eu (sic) toujours connu occupant cette parcelle » « au [Adresse 3] depuis 1983 » « au [Adresse 3] [Adresse 10] en 1983 » « depuis 1983 au [Adresse 10] renommé [Adresse 3] par décision du conseil municipal en date du 28 novembre 1983 ».
Deux témoignages produits en appel (pièce 24 et 25 époux [U] [V]) viennent exposer que les époux [U] [V] habitent bien la maison qu’ils occupent actuellement depuis 1985 et l’un deux précise que les époux [V] se sont d’abord établis dans une petite case délabrée avant qu’ils ne déménagent sur l’autre maison édifiée sur le même terrain fin décembre 1985.
Ces éléments permettent d’établir l’emprise de la construction des époux [U] [V] sur la parcelle [Cadastre 9] depuis le milieu des années 1980. Ils sont confortés par la preuve d’une occupation [Adresse 1], correspondant à la parcelle [Cadastre 9], à raison de la production de facturations d’abonnement EDF des époux [U] [V] à compter de l’année 1998(pièces 12-1 à 12-5). C’est d’ailleurs à compter de la même année que les relevés de taxes foncières mentionnent une taxation des époux [V] sur le bâti au 1 [Adresse 3], en sus de bâtis au 3 [Adresse 3], les relevés antérieurs se bornant taxer une propriété bâtie au [Adresse 3] ou étant taisante sur l’implantation des immeubles taxés (pièces 8 pour la TH -pièces 9 pour la TF).
La possession de la partie de parcelle [Cadastre 9] occupée par les époux [U] [V] a cessé d’être paisible en juillet 2017 lors d’une tentative de bornage amiable des parcelles de M. [T] [V]. (Pièce 4 M. [T] [V]).
Il s’en déduit qu’entre 1985, date de réception par les époux [U] [V] de leur maison édifiée sur la parcelle [Cadastre 9] jusqu’en juillet 2017, les époux [U] [V] ont eu une la jouissance paisible, continue, en qualité de propriétaire, et non équivoque sur cette période.
Cette jouissance ayant duré plus de trente ans, ils ont prescrit la propriété de la parcelle [Cadastre 9].
En conséquence de ce qui précède, le jugement sera infirmé. Les demandes de M. [T] [V] en destruction des ouvrages et indemnité d’occupation seront rejetées.
Vu l’article 696 du code de procédure civile;
L’équité commande de juger que chaque partie supportera les dépens qu’elle a exposés.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
– Infirme le jugement entrepris;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
– Constate l’usucapion de la parcelle [Cadastre 9] sise aux Avirons par M. [U] [V] et Mme [B] [G];
– Déboute M. [T] [V] de l’ensemble de ses demandes;
– Condamne M. [U] [V] et Mme [B] [G], d’une part, et M. [T] [V] d’autre part, à supporter les dépens qu’ils ont exposés.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT