RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 10 Novembre 2022
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 18/10021 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6JO2
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Mai 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 17/01046
APPELANT
Monsieur [P] [D]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Arnaud FREULET, avocat au barreau de METZ et du LUXEMBOURG
INTIMEE
CAISSE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES EXPERTS-COMPTABL ES ET DES COMMISSAIRES AUX COMPTES (CAVEC)
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097 substitué par Me Olivia HOUY-BOUSSARD, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 02 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre
M. Raoul CARBONARO, Président de chambre
M. Gilles REVELLES, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour initialement prévu le 09 septembre 2022 prorogé au 30 septembre 2022, au 14 octobre 2022 puis au 10 novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre et Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par M. [P] [D] d’un jugement rendu le 29 mai 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l’opposant à la caisse d’assurance-vieillesse des experts-comptables et des commissaires aux comptes (la Cavec).
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [D], (le cotisant) exerce en France une activité d’expert-comptable, en qualité de travailleur indépendant et est affilié auprès de la Caisse d’assurance vieillesse des experts comptables et des commissaires aux comptes (la Cavec) depuis le 1er juillet 2000. Il est également salarié depuis le 1er décembre 2011 salarié de la société luxembourgeoise [5]. Considérant qu’il relevait du statut de travailleur migrant au sens du droit communautaire, il a sollicité de la Cavec le remboursement des cotisations versées depuis le 1er décembre 2011 et la fin rétroactive au 1er décembre 2011 de son affiliation à la Cavec, en raison du principe d’unicité de la législation applicable, ainsi que des règles communautaires de détermination de la législation de sécurité sociale. Après avoir vainement saisi la caisse de ces demandes, il a saisi le 27 octobre 2016 la commission de recours amiable de la caisse, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, lequel par jugement du 29 mai 2018, a :
– déclaré M. [D] recevable en son recours, mais mal fondé,
– rejeté l’intégralité des demandes de M. [D],
– condamné M. [D] a versé à la Caisse d’assurance vieillesse des experts comptables et des commissaires aux comptes la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté les demandes de M. [D] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le jugement lui ayant été notifié le 2 août 2018, M. [D] en a interjeté appel le 28 août 2018.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son conseil, l’appelant demande à la cour de :
– annuler le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 29 mai 2018,
– annuler la décision de la Cavec du 1er décembre 2012 jusqu’au 31 décembre 2015 pour la somme de 51 510 euros,
– ordonner le remboursement des cotisations indûment versées depuis le 1er décembre 2012 jusqu’au 31 décembre 2015, soit la somme de 51 510 euros,
– prononcer la désaffiliation de M. [D] de la Cavec à compter du 1er janvier 2012 jusqu’au 31 décembre 2015,
– condamner la Cavec au titre de l’article 700 du code de procédure civile au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par le requérant.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son conseil, la Cavec demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré,
– condamner M. [D] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner également aux entiers dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l’audience pour un plus ample exposé des moyens développés et soutenus à l’audience.
SUR CE, LA COUR
1. Sur la demande de remboursement des cotisations versées à la CAVEC
L’appelant est en France expert-comptable, inscrit en cette qualité au tableau de l’ordre des experts-comptables de Lorraine et affilié à la caisse d’assurance vieillesse des experts-comptables et des commissaires aux comptes et il est, notamment, gérant majoritaire de la société [6] et donc travailleur indépendant relevant à ce titre du régime social des indépendants au sens de la législation française. Il soutient qu’il est salarié depuis le 1er décembre 2011 de la société [5] au Luxembourg et qu’il relève donc dans ce pays du régime social des salariés et des artisans et commerçants.
Il lui a été réclamé par la Cavec des cotisations afférentes au régime complémentaire obligatoire de retraite que gère cette caisse, cotisations dont il a contesté l’exigibilité au motif qu’il n’en était pas redevable, compte tenu de ce qu’il relève en application des règles de droit européen du régime luxembourgeois de sécurité sociale, en soutenant en substance que le le champ d’application du règlement CE 883/2004, ne se borne pas à viser les seuls régimes légaux contributifs marqués par un haut degré de solidarité, mais également les régimes de retraite complémentaires de même nature que celui que gère la Cavec et que les dispositions de droit interne issues des articles L.644 – 1 et R.641 -1 du code de la sécurité sociale ainsi que les statuts de la Cavec sont contraires aux dispositions européennes en ses articles 1, 2, 3, 11 et 13, qui doivent prévaloir sur le droit national. Il revendique en conséquence le bénéfice de la loi de l’Etat du Luxembourg, Etat membre dans lequel il exerce une activité salariée. Il se prévaut également de la délivrance par le Centre commun de sécurité sociale d’un certificat A1 le 24 juin 2012 et d’un certificat A1 le 18 janvier 2018, dont il soutient que les mentions et pièces jointes s’imposent aux institutions des autres Etats membres faute d’avoir été retirées ou déclarés invalides par l’État membre dans lequel ils ont été établis.
L’intimée réplique que le règlement CE 883/2004 du 29 avril 2004 n’est pas applicable au litige en rappelant que le régime obligatoire de retraite dont elle assure la gestion a été créé par la collectivité des professionnels en vue d’assurer l’efficience de leur régime de retraite complémentaire dans le cadre d’une solidarité strictement interprofessionnelle, faisant valoir que les textes de droit européen excluent les dispositions conventionnelles sous réserve de certaines exceptions non applicables au litige et qui supposent que l’État membre concerné ait suivi une procédure de déclaration aux institutions européennes et de publication au Journal Officiel de l’Union Européenne.
Subsidiairement, elle invoque le règlement d’application selon lesquelles les activités marginales ne sont pas prises en compte aux fins de détermination de la législation applicable alors que l’appelant est dans l’incapacité de justifier de son activité salariée au Luxembourg. Elle conteste en outre la valeur probante des certificat produits et invoqués par le demandeur. Elle ajoute que les actes et la démarche de l’appelant consistant à soutenir qu’il est salarié et commerçant/artisan au Luxembourg et à interpréter les règles de droit communautaire de façon à échapper à la solidarité qui sous-tend la mise en place du régime de retraite et de protection complémentaire qu’elle gère et qui relève de règles d’ordre public est constitutif d’un abus de droit, qui, ainsi caractérisé, lui permet de mettre en oeuvre le redressement. Elle affirme que la demande de désaffiliation à la Cavec n’est fondé sur aucun principe juridique ou texte le permettant.
Le règlement CEE numéro 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, entré en vigueur le 1er mai 2010, énonce notamment dans son préambule que :
– les règles de coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale s’inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes et devraient contribuer à l’amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi,
– il convient de respecter les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale et d’élaborer uniquement un système de coordination,
– dans le cadre de cette coordination, il convient de garantir à l’intérieur de la communauté aux personnes concernées l’égalité de traitement au regard des différentes législations nationales,
– le principe général de l’égalité de traitement est d’une importance particulière pour les travailleurs qui ne résident pas dans l’Etat membre où ils travaillent, y compris les travailleurs frontaliers,
– il convient de soumettre les personnes qui se déplacent à l’intérieur de la communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre afin d’éviter les cumuls de législations nationales applicables et les complications pouvant en résulter,
– en vue de garantir le mieux possible l’égalité de traitement de toutes les personnes occupées sur le territoire d’un État membre, il est approprié de déterminer comme législation applicable, en règle générale, la législation de l’Etat membre dans lequel l’intéressé exerce son activité salariée ou non salariée.
– le principe de l’unicité de la législation applicable revêt une grande importance et il convient de le promouvoir davantage.
L’article 1 du règlement comprend différentes définitions des termes employés et énonce que le terme « législation » désigne pour chaque Etat membre, les lois, règlements et autres dispositions légales et toutes autres mesures d’application qui concernent les branches de sécurité sociale visées à l’article 3 paragraphe 1 (lequel traite du champ d’application matériel du règlement, comprenant en particulier les prestations de vieillesse et précise que le règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, soumis ou non à cotisations) ; toutefois, le texte précise encore cette définition en disposant que ce terme exclut les dispositions conventionnelles autres que celles qui servent à la mise en oeuvre d’une obligation d’assurance résultant des lois et règlements visés au point précédent ou qui ont fait l’objet d’une décision des pouvoirs publics les rendant obligatoire ou étendant leur champ d’application, pour autant que l’Etat membre concerné fasse une déclaration en ce sens, notifiée au président du Parlement européen et au président du conseil de l’union européenne, cette déclaration étant publiée au Journal Officiel de l’union européenne.
Il se déduit de ces dispositions que les dispositions conventionnelles sont donc en principe exclues du champ d’application du règlement sauf celles rentrant dans les exceptions énoncées ci-dessus, avec cette indication pour la deuxième exception visant les dispositions conventionnelles ayant fait l’objet d’une décision des pouvoirs publics les rendant obligatoire ou étendant leur champ d’application – ce qui pourrait viser effectivement le régime d’assurance vieillesse complémentaire géré par la Cavec, lesquelles sont issues d’une consultation référendaire organisée auprès des assurés, régime rendu obligatoire par décrets aux termes des articles L.641 – 1 et suivants du code de la sécurité sociale – le texte prévoit qu’il est nécessaire pour l’État membre instituant cette législation de mettre en ‘uvre une procédure particulière de déclaration et de publication au Journal Officiel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce du régime de la Cavec au sujet duquel il n’est ni allégué, ni prouvé qu’il a fait l’objet d’une telle procédure.
Par suite, le régime d’assurance vieillesse complémentaire, au titre duquel ont été appelées les cotisations contestées par l’appelant, ne peut être considéré comme une législation au sens du règlement européen 883/2004, en sorte que l’intéressé n’est pas fondé à se prévaloir des dispositions de ce règlement et spécialement de son article 13, qui lui permettrait de demander l’application de la législation luxembourgeoise de sécurité sociale, ce texte disposant en son paragraphe 3 la personne qui exerce normalement une activité salariée et une activité non salariée dans différents états membres est soumise à la législation de l’Etat membre dans lequel elle exerce une activité salariée.
C’est donc à juste titre que la Cavec n’a pas tenté de faire en sorte que soit mise à en ‘uvre la procédure de contestation du certificat communautaire A1 prévue à l’article 5 du règlement d’application 987 /2009 relatif à la valeur juridique des documents et les justificatifs établis dans un autre Etat membre en cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, puisqu’en raison de la non-application au litige des dispositions du règlement de base ledit certificat ne s’impose pas à cet organisme.
Surabondamment, il y a lieu de constater que l’appelant ne produit aucun document attestant de la réalité de son activité salariée depuis le 1er décembre 2011 au sein de la société Luxembourgeoise [5], en se retranchant sur son affirmation de la valeur probante obligatoire du certificat A1, au sujet duquel il doit être relevé qu’il ne mentionne que les soins des prestations de santé ainsi qu’à titre provisoire les prestations particulières servies en cas d’accident du travail et maladies professionnelles et ne fait aucune mention d’un quelconque régime de retraite complémentaire ou non. Il y a lieu de souligner l’absence dans les pièces produites par le cotisant de contrat de travail, de bulletins de paie de sorte que la nature de ses fonctions, le montant de sa rémunération et ses horaires de travail sur le territoire du Luxembourg sont inconnus et qu’il ne peut être en mesure de répondre aux objections de la Cavec tirées de l’article 14 paragraphe 5 ter du règlement d’application selon lequel les activités marginales ne sont pas prises en compte aux fins de la détermination de la législation applicable au titre de l’article 13 du règlement de base régissant l’exercice d’activités dans deux ou plusieurs Etats membres.
Il n’y a pas lieu d’examiner le moyen tiré du constat éventuel d’un abus de droit, ce d’autant plus qu’il résulte de l’article L.243-7-2 du code de la sécurité sociale qu’une telle constatation peut être utile à l’institution qui l’invoque pour mettre en oeuvre un redressement, avec le cas échéant une pénalité. Or, au cas particulier, le litige ne concerne pas un redressement, mais l’action d’un cotisant qui conteste le fondement de cotisations qu’il a déjà payées. La notion d’abus de droit n’a donc pas s’appliquer.
2. Sur la demande de désaffiliation de la CAVEC
Si l’appelant réclame sa « désaffiliation » de la Cavec, selon les mêmes moyens, examinés plus avant, que ceux exposés pour obtenir le remboursement des cotisations qu’il estime avoir indûment versées, il convient de constater qu’il n’allègue aucun texte ne permettant une tel effet juridique, ce d’autant plus que l’affiliation à la Cavec est liée à son inscription à l’ordre des experts comptables en France, état de fait dont il ne conteste pas la réalité.
Dès lors, il convient de confirmer la décision du premier juge et de débouter M. [P] [D] de ses demandes.
3. Sur l’article 700 du code de procédure civile
M. [P] [D] sera condamné à payer à la Cavec la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.
4. Sur les dépens
M. [P] [D], succombant en cette instance, devra en supporter les dépens engagés depuis le 1er janvier 2019.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 29 mai 2018 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes,
CONDAMNE M. [P] [D] à payer à la Caisse d’assurance vieillesse des experts comptables et des commissaires aux comptes la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
CONDAMNE M. [P] [D] aux dépens de la procédure d’appel engagés depuis le 1er janvier 2019.
La greffière La présidente