COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53B
16e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 10 NOVEMBRE 2022
N° RG 21/05735 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UXTK
AFFAIRE :
[E] [J]
[F] [B] épouse [J]
C/
S.A. SOCIETE GENERALE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Juillet 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE
N° RG : 19/01778
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 10.11.2022
à :
Me Anne-Sophie REVERS, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Frédérique LEPOUTRE de la SCP B.L.S.T., avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [E] [J]
né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 7] (Haïti)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Madame [F] [B] épouse [J]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 7] (Haïti)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentant : Me Rochfelaire IBARA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1826 – Représentant : Me Anne-Sophie REVERS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES
APPELANTS
****************
S.A. SOCIETE GENERALE
N° Siret : B 552 120 222 (RCS Paris)
[Adresse 3]
[Localité 5]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Frédérique LEPOUTRE de la SCP B.L.S.T., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 709 – N° du dossier 182199
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller faisant fonction de Président,
Madame Florence MICHON, Conseiller,
Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 6 décembre 2013, faisant suite à une offre de prêt acceptée le 3 décembre 2013, la Société Générale a consenti à M. [J] et Mme [B] épouse [J] un prêt d’investissement d’un montant de 167 453 euros, sur 7 années, remboursable en 84 mensualités de 2 245,97 euros, hors assurance, et au taux d’intérêt de 3,44% l’an hors frais et assurance, destiné à financer l’acquisition d’une licence de taxi.
Des échéances du prêt étant impayées, la Société Générale a prononcé l’exigibilité anticipée du prêt, le 27 juillet 2018, puis, après vaine mise en demeure, a assigné M. [J] et Mme [B] épouse [J] en paiement, selon acte du 24 janvier 2019.
Par jugement contradictoire rendu le 16 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
condamné solidairement M. [J] et Mme [B] épouse [J] à payer à la Société Générale la somme de 102 663,02 euros assortie des intérêts :
au taux conventionnel de 7,44 % sur la somme de 64 474,60 euros à compter du 7 septembre 2018,
au taux légal sur la somme de 2 068,69 euros à compter [de son] jugement,
dit que les intérêts échus pour une année entière depuis la demande en justice (24 janvier 2019), commenceront eux-mêmes à produire des intérêts à compter du 24 janvier 2020′;
rejeté la demande de délais de paiement formée par M. [J] et Mme [B] épouse [J]’;
débouté M. [J] et Mme [B] épouse [J] du surplus de leurs demandes’;
condamné in solidum M. [J] et Mme [B] épouse [J] à payer à la Société Générale la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
ordonné l’exécution provisoire [de son] jugement’;
condamné M. [J] et Mme [B] épouse [J] au paiement des entiers dépens de l’instance, avec distraction au profit de Maître Lepoutre, avocat associé de la SCP BLST, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le 16 septembre 2021, M. [J] et Mme [B] épouse [J] ont relevé appel de cette décision.
Par ordonnance rendue le 6 septembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 6 octobre 2022.
Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe le 15 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. [J] et Mme [B] épouse [J], appelants, demandent à la cour de :
les déclarer en leur appel, fins et demandes reconventionnelles en les jugeant bien fondés (sic) ;
Y faisant droit,
infirmer, dans son entier dispositif, le jugement n°19/01778 du tribunal judiciaire de Nanterre du 16 juillet 2021,
statuant à nouveau,
décharger chacun d’eux des condamnations prononcées contre chacun d’eux y compris à titre solidaire en principal, intérêts, frais et accessoires’;
prononcer la nullité du prêt à eux consenti par la Société Générale pour erreur sur les caractéristiques essentielles dudit prêt’;
prononcer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et leur substitution aux intérêts légaux à compter de la mise en amortissement du prêt’;
condamner, à titre reconventionnel, la Société Générale à leur porter et payer la somme de 150’000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement alternatif des dispositions des articles 1832 et 1147 du code civil en réparation de leur préjudice de perte de chance d’éviter la déchéance du terme et le risque de surendettement’;
condamner, la Société Générale en tous les dépens à porter et payer à M. [J] la somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le10 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la Société Générale, intimée, demande à la cour de :
déclarer M. [J] et Mme [B] épouse [J] mal fondés en leurs demandes, fins et conclusions’;
confirmer le jugement rendu le 16 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre, en ce qu’il a : condamné M. [J] et Mme [B] épouse [J] à lui payer la somme de 102 663,02 euros augmentée des intérêts au taux conventionnel de 7,44 % sur la somme de 64 474,60 euros à compter du 7 septembre 2018 et au taux légal sur la somme de 2068,69 euros à compter du 16 juillet 2021, dit que les intérêts échus pour une année entière depuis la demande en justice commenceront eux même à produire des intérêts à compter du 24 janvier 2020, rejeté la demande de délais de paiement formée par M. [J] et Mme [B] épouse [J], débouté M. [J] et Mme [B] épouse [J] du surplus de leurs demandes, condamné M. [J] et Mme [B] épouse [J] à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, condamné M. [J] et Mme [B] épouse [J] aux entiers dépens,
Y ajoutant,
condamner M. [J] et Mme [B] épouse [J] à lui payer la somme de 2 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
ordonner la capitalisation des intérêts qui seront échus depuis plus d’un an par application de l’article 1154 du code civil’;
condamner M. [J] et Mme [B] épouse [J] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Frédérique Lepoutre, avocat associé de la SCP BLST, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 10 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, sur l’étendue de la saisine de la cour
La cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, pour autant qu’elles sont soutenues par des moyens développés dans la discussion, et qu’elle ne répond aux moyens que pour autant qu’ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions.
Sur la déchéance du terme
Les appelants soutiennent que le prononcé de la déchéance du terme est irrégulier, faute de mise en demeure préalable valable. Ils font valoir, à cet égard, que :
la lettre recommandée adressée par la Société Générale à M. [J] le 2 juillet 2018 d’avoir à régler la somme de 35 397,75 euros ne fait référence ni au concours consenti ni aux échéances impayées, de sorte qu’elle ne constitue pas un acte portant une interpellation suffisante au sens de l’article 1344 du code civil,
la lettre de déchéance du terme adressée le 27 juillet 2018 à M. [J] comporte pour seule mention une demande de règlement de la somme de 104 410,63 euros sous huit jours, sans justification de cette somme,
Mme [J], co-débiteur solidaire, n’a pas été mise en demeure préalablement à la déchéance du terme.
La Société Générale considère que la notification de la déchéance du terme est régulière. Contrairement à ce qu’affirment les appelants, elle a bien adressé, soutient-elle, des mises en demeure détaillées à M. [J] avant de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt.
Quant à Mme [J], elle n’avait aucune obligation de la mettre en demeure préalablement au prononcé de la déchéance du terme : Mme [J] n’a en effet pas signé le prêt en qualité de co-emprunteur mais en tant que conjointe, eu égard au régime matrimonial des époux, raison pour laquelle elle s’est contentée de l’aviser de la situation de son mari.
Ceci étant exposé, lorsque le contrat de prêt d’une somme d’argent prévoit que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier, sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle.
La Société Générale a adressé à M. [J] :
une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, datée du 12 avril 2018 et reçue le 17 avril 2018, le mettant en demeure d’avoir à lui régler une somme de 26 918,85 euros, dans les huit jours de sa réception, représentant le solde de l’échéance du mois d’avril 2017 et les échéances des mois de mai 2017 à mars 2018 du prêt n°214006003009, et attirant son attention sur le fait qu’aux termes du contrat, le non règlement d’une seule échéance peut entraîner l’exigibilité du concours en cause,
une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, datée du 2 juillet 2018 et reçue le 5 juillet 2018, le mettant en demeure d’avoir à lui régler une somme de 35 397,75 euros, dans les huit jours de sa réception, au titre des échéances non réglées du concours à lui octroyé, et lui rappelant que, aux termes du contrat correspondant, le non règlement d’une seule échéance peut entraîner l’exigibilité du concours,
une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, datée du 27 juillet 2018, et reçue le 28 juillet 2018, l’informant que, faute de régularisation de sa situation, malgré la lettre relance du 2 juillet 2018, elle se prévalait de l’exigibilité anticipée du concours octroyé, et le mettait en demeure de lui rembourser, dans les huit jours, la somme de 104 410,63 euros, outre les intérêts de retard au taux contractuel après déchéance du terme jusqu’à complet paiement.
Les références du prêt en cause, identiques à celles mentionnées sur le tableau d’amortissement du prêt susvisé, figurent bien sur le premier courrier adressé à M. [J], de même que les échéances impayées, et il a ensuite été rappelé, dans les courriers suivants, le concours octroyé.
A l’égard de M. [J], la déchéance du terme a donc bien été précédée d’une mise en demeure préalable, indiquant au débiteur le délai dont il disposait pour faire échec à sa mise en oeuvre, et la décision de la banque lui a été expressément notifiée. La déchéance du terme est donc régulière.
A Mme [J], la Société Générale a adressé une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, datée du 21 septembre 2018 et reçue le 24 septembre 2018, intitulée, comme l’a relevé le tribunal, ‘exigibilité anticipée’, mentionnant l’existence d’échéances impayées, comprenant copie des courriers adressés à M. [J] et la mettant en demeure de lui rembourser, dans les 8 jours, la somme de 105 541,49 euros due à ce jour, selon décompte joint en annexe, outre les intérêts de retard au taux contractuel après déchéance du terme jusqu’à complet paiement.
Il n’est ni soutenu ni établi que Mme [J] a été destinataire, à l’instar de son époux, d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, et faute d’une telle mise en demeure, c’est à tort que le premier juge a considéré que la lettre du 21 septembre 2018 susvisée, qui informait Mme [J] des échéances impayées et de la déchéance du terme en découlant, valait déchéance du terme à son égard, et permettait en conséquence sa condamnation solidairement avec son époux.
Devant la cour, la Société Générale prétend que Mme [J] n’avait pas la qualité d’emprunteur, mais uniquement celle de conjoint de l’emprunteur.
Cependant, d’une part, cette position de la Société Générale est totalement contradictoire, étant rappelé qu’elle a assigné Mme [J] devant le tribunal pour obtenir sa condamnation au paiement du solde du prêt, solidairement avec son époux, et qu’elle demande en cause d’appel la confirmation de la condamnation solidaire prononcée en première instance, et d’autre part, elle est contredite par les pièces produites aux débats, par la Société Générale elle-même.
En effet, tant dans l’offre préalable que dans le contrat de prêt, Mme [J] apparaît comme co-emprunteur solidaire de son époux, ainsi qu’il ressort de la désignation du ‘client’ en ces termes : ‘ M. [J] [ suivent la date et le lieu de naissance] et Mme [J] née [B] [suivent la date et le lieu de naissance], mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, demeurant ensemble [suit l’adresse], agissant solidairement entre eux et considérés comme un seul débiteur dans les termes de l’article 1200 du code civil’, et au regard d’une telle désignation, qui émane de la banque rédacteur de l’acte, la circonstance que la signature de Mme [J], dans le contrat de prêt, se trouve sous la mention ‘le conjoint’, et non pas sous la mention ‘le co-emprunteur’ est sans emport. Par ailleurs, dans son courrier du 21 septembre 2018 susvisé, la Société Générale rappelle en préambule à Mme [J] qu’elle a souscrit le 6 décembre 2013 avec M. [J] un prêt de 167 453 euros, et la met en demeure d’en régler le solde.
Mme [J] étant co-emprunteur solidaire, avec son époux, et la mise en demeure de l’un des co-emprunteurs n’emportant pas ipso facto, comme le rappelle justement la partie appelante, la mise en demeure de l’autre co-emprunteur, la Société Générale, pour que la déchéance du terme soit valablement prononcée à son égard, devait lui adresser, préalablement, une mise en demeure comportant l’indication du délai dont elle disposait pour faire obstacle à la déchéance du terme. Faute pour la Société Générale d’avoir satisfait à cette exigence, Mme [J] ne peut être condamnée au paiement du solde du prêt, qui n’est pas exigible à son égard.
Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu’il a condamné Mme [J] solidairement avec M. [J].
Sur la demande de nullité du prêt, et les demandes subsidiaires relatives aux intérêts
Selon la partie appelante, l’établissement prêteur a omis de mentionner, dans l’acte de prêt, le taux de période, et a commis des erreurs dans la détermination tant du taux nominal que du ‘taux effectifs globaux’ (sic). L’offre de prêt acceptée par les consorts [J], fait-elle valoir, ne comporte pas l’indication du taux de période du prêt litigieux, alors que cette mention est d’ordre public, et s’impose au professionnel du crédit à peine de nullité de la stipulation de l’intérêt du prêt, le défaut d’indication du taux de période causant nécessairement un grief aux emprunteurs dès lors qu’ils ne sont pas en mesure en raison de cette lacune de vérifier la régularité et la conformité du TEG appliqué par la banque. Le prêteur a également commis des erreurs dans la détermination du TEG, qui aux termes de l’article L.313-2 alinéa 1 du code de la consommation doit être déterminé comme il est dit à l’article L.313-1 du même code, et mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt proposé aux consommateurs, le prêteur ayant stipulé un taux dont le calcul ne prend pas en compte le coût total de l’assurance prêt et les frais de dossier, contrairement à ce qu’exigent les dispositions des articles L.314-1 et L.314-25 du code de la consommation, et à une jurisprudence constante selon laquelle l’assurance décès invalidité contractée à l’occasion d’un prêt et imposée par le prêteur qui en fait une condition de l’octroi du prêt doit être prise en compte dans le calcul du TEG.
L’irrégularité qui en résulte est assimilée au défaut de stipulation du TEG, qui est sanctionné par la substitution ab initio de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel. Enfin, le prêteur ‘semble avoir appliqué l’année lombarde pour le calcul des intérêts des prêts litigieux’ (sic), alors qu’il est de jurisprudence constante que le taux d’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile.
Ainsi, selon les appelants, la Société Générale a manqué à son obligation d’information en communiquant une information qu’elle savait erronée sur les caractéristiques essentielles du prêt, taux nominal, TEG et taux de période, afin de déterminer les emprunteurs à souscrire l’acte de prêt au préjudice de leurs intérêts, et ces irrégularités formelles et substantielles ont vicié leur consentement. La rétention dolosive du prêteur de deniers ne peut être sanctionnée que par la nullité du prêt litigieux, sur le fondement de l’erreur sur les caractéristiques essentielles de l’acte de prêt, et à défaut d’annulation, la cour doit prononcer la déchéance du droit aux intérêts contractuels, avec substitution des intérêts légaux à compter de la mise en amortissement du prêt.
La Société Générale, outre qu’elle développe un moyen tenant à l’irrecevabilité de ces demandes comme étant nouvelles en cause d’appel, sans formuler au dispositif de ses conclusions une prétention correspondante, de sorte que la cour n’a pas à répondre sur ce point, objecte que le taux de période est bien mentionné, sur les documents contractuels, et que les appelants ne démontrent pas la réalité des irrégularités qu’ils allèguent s’agissant de la fixation du TEG.
Elle conclut en conséquence au rejet de la demande.
A titre liminaire, il est rappelé que le contrat de prêt en cause est un contrat destiné au financement de l’activité professionnelle de M. [J].
En application de l’article R.313-1 II du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au présent litige, le taux de période doit être expressément communiqué à l’emprunteur.
Tel a bien été le cas en l’espèce, contrairement à ce que prétend la partie appelante, tant l’offre de prêt que le contrat de prêt mentionnant le taux de période, soit 0,35%.
Le moyen ne peut donc prospérer.
En application de l’article L. 313-4 du code monétaire et financier , dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, applicable au litige, le taux effectif global, déterminé selon les modalités prévues par les dispositions du code de la consommation communes au crédit à la consommation et au crédit immobilier, doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de crédit.
En l’occurrence, tant l’offre que le contrat de prêt indiquent que le TEG ressort à 4,19% l’an.
La partie appelante, à qui il revient de prouver l’inexactitude alléguée, ne justifie en rien que le TEG indiqué est erroné, et notamment qu’il ne prend pas en compte le coût de l’assurance du prêt et des frais de dossier. La cour relève que l’offre et le contrat de prêt mentionnent l’un et l’autre que le taux de cotisation pour l’assurance s’élève à 0,39% l’an calculé sur 167 453 euros, que l’offre de prêt précise quel est le montant des frais de dossier ( 250 euros) et que dans l’un et l’autre des actes le taux effectif global est indiqué comme ressortant à 4,19% l’an ‘ compte tenu de l’ensemble des conditions financières énoncées aux présentes’, et la partie appelante n’apporte aucune démonstration de ce que les coûts susvisés ne seraient, contrairement à ce qui est indiqué, pas pris en compte dans le calcul.
Le moyen tiré de l’irrégularité du TEG ne peut en conséquence, lui non plus, prospérer.
S’agissant de l’application de ‘ l’année lombarde’, il sera tout d’abord rappelé que dans un prêt consenti à un professionnel, les parties peuvent convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base que l’ année civile.
Ensuite, il sera relevé qu’en tout état de cause, il appartient à l’emprunteur de démontrer ce qu’il allègue s’agissant de la base de calcul des intérêts, et qu’en l’occurrence, les appelants se contentent de formuler l’hypothèse ( cf ‘le prêteur semble avoir appliqué l’année lombarde’), selon laquelle les intérêts auraient été calculés sur la base d’une année de 360 jours et non de 365 jours, sans en apporter d’aucune manière la démonstration, qu’il s’agisse du taux d’intérêt conventionnel ou du taux effectif global, lequel, lui, doit être calculé sur la base de l’ année civile.
Le moyen, là encore, est écarté.
Aucune des irrégularités dénoncées par les appelants n’étant établie, ni la demande de nullité du prêt, sur le fondement d’un vice du consentement, erreur ou dol, ni la demande de déchéance du droit aux intérêts, ni celle de substitution des intérêts légaux aux intérêts conventionnels ne peuvent prospérer.
Sur la demande de dommages et intérêts
A l’appui de leur demande de dommages et intérêts à hauteur de 150 000 euros, pour perte de chance de ne pas contracter, les appelants reprochent à la banque d’avoir manqué à son obligation de conseil et au devoir de mise en garde dont elle était tenue à leur égard. Ils font valoir , tout d’abord, que ni l’un ni l’autre n’était un emprunteur averti, l’expérience acquise par M. [J] dans le domaine du transport de personnes et de la réglementation routière, en sa qualité de chauffeur de taxi, ne lui conférant pas la qualité d’emprunteur averti dans la gestion d’une entreprise de taxi et des opérations bancaires.
Ensuite, ils soutiennent que les mensualités de 2 300,22 euros qu’ils devaient rembourser étaient, au regard de leurs revenus, totalement irréalistes, et qu’ils ont pourtant été abusivement maintenus dans l’illusion de ce que leur situation financière leur permettrait de rembourser le prêt.
La Société Générale leur oppose que M. [J] a la qualité d’emprunteur averti, dans la mesure où il exerce son activité d’artisan taxi depuis le 24 janvier 2001, en qualité d’entrepreneur individuel, et que cette longue expérience professionnelle lui a nécessairement permis d’appréhender les conséquences de ses engagements financiers. En outre, il disposait de nombreux avoirs financiers et divers placements, qui montrent qu’il avait une parfaite connaissance des questions bancaires, tant sur le plan personnel que professionnel. Par ailleurs, fait-elle valoir, le risque d’endettement excessif résultant de l’octroi du prêt n’est nullement établi, alors que leur épargne totale s’élevait, en 2013, à la somme de 165 151,34 euros.
A titre liminaire, il sera observé que c’est à mauvais escient que la partie appelante reproche au tribunal une omission de statuer sur sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation de conseil et à son devoir de mise en garde, dès lors que le premier juge a expressément indiqué, dans les motifs de sa décision, après avoir rappelé les termes de l’article 768 du code de procédure civile, que ‘si les défendeurs [ M. et Mme [J]] se prévalent, dans le corps de leurs écritures, d’un manquement de la banque à son devoir de mise en garde et sollicitent à ce titre paiement d’une somme de 150 000 euros, cette prétention ne figure pas au dispositif de leurs conclusions’, et que ‘le tribunal n’en est dès lors pas saisi’, et que la partie appelante ne prétend pas avoir formulé cette demande dans le dispositif de ses écritures, puisqu’elle se borne à se prévaloir du fait qu’elle avait ostensiblement développé ses demandes reconventionnelles aux fins d’indemnisation aux termes des moyens visés à l’appui de ses conclusions récapitulatives. Aucune atteinte au principe du contradictoire, ni aux droits de M. et Mme [J] à un procès équitable ne résulte en effet de l’application de la règle prévue par l’article 768 du code de procédure civile. Et en toute hypothèse, cette demande est examinée en appel.
Au nom du principe de non-immixtion, le banquier dispensateur de crédit n’est pas débiteur d’un devoir général de conseil à l’égard de son client, sauf dans l’hypothèse où il s’est engagé, par un contrat, à lui fournir un conseil, ce qui n’est ni soutenu ni établi en l’espèce. En conséquence, la demande indemnitaire de M. et Mme [J] ne peut prospérer sur le fondement d’un manquement de la Société Générale à son devoir de conseil.
Le banquier dispensateur de crédit est tenu, lors de la conclusion du contrat, de mettre en garde l’emprunteur non averti contre les risques d’endettement excessif né de l’octroi du crédit lorsque le crédit sollicité est inadapté à ses capacités financières.
La Société Générale, qui soutient que Mme [J] n’est pas emprunteur, point sur lequel la cour ne la suit pas, n’apporte aucun élément concernant la situation de cette dernière, permettant de retenir qu’elle serait un emprunteur averti.
S’agissant de M. [J], il est certes artisan taxi depuis 2001 comme en justifie la banque, mais il n’est pas établi qu’il dispose, de ce fait, des connaissances utiles pour appréhender les conséquences de la souscription du prêt en cause, et les placements financiers que met en avant la banque ne sont pas, au vu de l’attestation établie par son Service Recouvrement qu’elle verse aux débats ( qui fait état d’un livret de développement durable, d’un ‘livret d’épargne Plus Société Générale’, d’un plan d’épargne logement et d’un contrat ‘Sequoia’), des produits financiers complexes révélant une connaissance approfondie des placements bancaires.
M. et Mme [J], en l’absence de démonstration de ce qu’ils sont des emprunteurs avertis, sont en conséquence susceptibles d’être créanciers d’une obligation de mise en garde de la part de la banque, sous réserve qu’ils établissent qu’à l’époque de la souscription du prêt litigieux, leur situation financière le justifiait, et donc qu’ils apportent la preuve que leur situation financière et patrimoniale à cette époque dépassait leurs capacités de financement.
Il sera rappelé, à cet égard, que les capacités financières de l’emprunteur sont appréciées au jour de la conclusion du contrat, à partir de ses revenus, des éléments de son patrimoine, et des revenus escomptés de l’opération financée.
M. et Mme [J] annoncent un revenu total imposable de 31 590 euros pour l’année 2011, et un revenu total imposable de 20 582 euros pour l’année 2013, mais ne produisent aucun justificatif à cet égard, ni ne fournissent aucune indication, et a fortiori aucun justificatif, concernant la composition de leur patrimoine.
La banque pour sa part verse aux débats une attestation de son Service Recouvrement, dont il ressort qu’à la date du 3 août 2013, M. [J] disposait d’une épargne totale de 165 151,34 euros, correspondant aux différents avoirs qu’elle détenait en ses livres à la date de l’emprunt, et les appelants sur lesquels pèse la charge de la preuve n’y apportent pas un démenti en administrant utilement la preuve contraire.
Dans ces conditions, il n’est pas démontré que le crédit sollicité était inadapté aux capacités financières des emprunteurs, qui ne sont pas fondés, en conséquence, en leur demande d’indemnisation au titre d’une obligation de mise en garde dont la banque n’était pas débitrice.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d’appel sont à la charge de M. [J], seul.
Le jugement déféré est en outre infirmé en ce qui concerne la condamnation de Mme [B] épouse [J] sur le fondement de l’article 1 200 euros du code de procédure civile.
Il n’est pas inéquitable, à hauteur d’appel, de laisser la Société Générale d’une part, et M. [J] d’autre part, supporter la charge des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés, Mme [B] épouse [J] ne réclamant quant à elle aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel, aux termes du dispositif des conclusions des appelants.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu le 16 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre en toutes ses dispositions frappées d’appel, excepté en ce qu’il a condamné Mme [F] [B] épouse [J] solidairement avec M. [J] à payer à la Société Générale la somme de 102 663,02 euros assortie des intérêts au taux conventionnel de 7,44 % sur la somme de 64 474,60 euros à compter du 7 septembre 2018 et au taux légal sur la somme de 2 068,69 euros à compter [de son] jugement, condamné Mme [B] épouse [J] in solidum avec M. [J] à payer à la Société Générale la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné Mme [B] épouse [J] au paiement des entiers dépens de première instance ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
Déboute la Société Générale de toutes ses demandes en paiement à l’encontre de Mme [F] [B] épouse [J], y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en première instance et en appel ;
Déboute M. [E] [J] et Mme [F] [B] épouse [J] de toutes leurs autres demandes en cause d’appel ;
Déboute la Société Générale et M. [E] [J] de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne M. [E] [J] aux dépens de l’appel, qui pourront être recouvrés directement par son conseil dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ,
– signé par Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,