C 2
N° RG 21/01439
N° Portalis DBVM-V-B7F-KZSH
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET
la SELAS ABAD & VILLEMAGNE – AVOCATS ASSOCIÉS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 09 FEVRIER 2023
Appel d’une décision (N° RG 19/00161)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 25 février 2021
suivant déclaration d’appel du 24 mars 2021
APPELANTE :
Madame [A] [S]
née le 31 Août 1969 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Anaïs BIANCHI, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEES :
S.E.L.A.R.L. [M] & ASSOCIES, représentée par maître [X] [M], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société ENERBEE
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Sébastien VILLEMAGNE de la SELAS ABAD & VILLEMAGNE – AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de GRENOBLE
UNEDIC délégation de l’AGS CGEA d'[Localité 6], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 décembre 2022,
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, assisté de Mme Carole COLAS, Greffier, a entendu les parties en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 09 février 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 09 février 2023.
EXPOSE DU LITIGE’:
Mme [A] [S], née le 31 août 1969, a été embauchée le 2 mai 2016, par la société Enerbee suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’ingénieur matériaux, statut cadre, position 2.3, coefficient 150 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques (SYNTEC).
La société Enerbee a pour activité le développement d’une technologie permettant de récupérer l’énergie d’un objet en mouvement.
Le lieu de travail de Mme [A] [S] était fixé dans les locaux de la société à [Localité 7].
Le temps de travail était aménagé dans le cadre d’un forfait hebdomadaire de 38 heures 30.
Au dernier état de sa relation de travail, la salariée percevait une rémunération brute mensuelle de 4 175 euros bruts.
Début décembre 2016, Mme [A] [S] a sollicité de son employeur l’autorisation de travailler le mercredi matin depuis son domicile en raison de la situation de handicap d’un de ses enfants nécessitant la présence d’un parent au domicile.
La société Enerbee a accepté cette demande pour une durée d’un mois.
Mme [A] [S] a été placée en arrêt maladie du 30 janvier au 3 février 2017, ainsi que le’9’février 2017 et le 30 mars 2017.
Le 10 avril 2017, Mme [A] [S] a présenté à la société Enerbee une demande d’autorisation de travail à distance pendant deux jours, motivée par un accident cardiaque subi par son père. La société Enerbee a refusé cette demande.
Mme [A] [S] a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie du 11 au 14 avril 2017. Elle a ensuite bénéficié de congés payés jusqu’au 27 avril 2017.
Par courrier remis en main propre contre décharge en date du 25 avril 2017, la société Enerbee a adressé à Mme [A] [S] une mise en garde.
Le 25 juin 2017, Mme [A] [S] a sollicité le bénéfice d’un congé de présence parentale à compter du 10 juillet 2017.
La société Enerbee a accepté ce congé de présence parentale par courrier du 27 juin 2017.
Le 5 juin 2018, Mme [A] [S] a sollicité le bénéfice d’un congé de présence parentale du’11 juin 2018 au 31 août 2018.
La société Enerbee a fait droit à cette demande et Mme [A] [S] a repris le travail le’6’septembre 2018.
Le 21 septembre 2018, Mme [A] [S] a rencontré son employeur afin de solliciter la récupération d’heures de travail ainsi que la régularisation de frais de déplacement. Ses demandes ont été refusées.
Le 24 septembre 2018, Mme [A] [S] a été placée en arrêt maladie, renouvelé sans discontinuer jusqu’à la fin de la relation contractuelle.
Par courrier en date du 15 octobre 2018, Mme [A] [S] a informé son employeur qu’elle avait subi un accident du travail le 21 septembre 2018, invoquant une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.
Le 19 octobre 2018, la société Enerbee a établi une déclaration d’accident du travail auprès de la caisse primaire d’assurance maladie, qui a refusé, le 4 février 2019, la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident déclaré.
Par requête en date du 18 février 2019, Mme [A] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.
Le 25 mars 2019, à l’issue de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a déclaré Mme [A] [S] «’Inapte au poste. L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi’».
Par courrier recommandé en date du 4 avril 2019, Mme [A] [S] a été convoquée par la société Enerbee à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 16 avril 2019, auquel la salariée ne s’est pas présentée.
Par lettre en date du 19 avril 2019, la société Enerbee a notifié à Mme [A] [S] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Dans le cadre de l’instance engagée le 18 février 2019, Mme [A] [S] a contesté ce licenciement et demandé à voir constater un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, outre l’annulation de la mise en garde du 25 avril 2017.
La société Enerbee s’est opposée aux prétentions adverses.
Par jugement en date du 25 février 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:
– dit que la SA Enerbee n’a commis aucun manquement grave de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [S],
– dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [A] [S] repose sur une cause réelle et sérieuse,
– dit que la SA Enerbee n’a pas manqué à son obligation de sécurité envers Mme [A] [S],
– constaté que la mise en garde notifiée le 25 avril 2017 n’est ni injustifiée ni discriminante,
– débouté Mme [A] [S] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la SA Enerbee de sa demande reconventionnelle,
– laissé les dépens à la charge de Mme [A] [S].
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 26 février 2021 par Mme [A] [S] et le 8 mars 2021 par la société Enerbee.
Par déclaration en date du 24 mars 2021, Mme [A] [S] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.
Par jugement en date du 28 décembre 2021, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Enerbee. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 26 avril 2022, la SELARL [M], prise en la personne de Maître [M] étant désignée en qualité de mandataire judiciaire
L’AGS-CGEA d'[Localité 6] ainsi que la SELARL AJP en qualité d’administrateur judiciaire, régulièrement cités par actes des 21 et 25 avril 2022 remis à personne s’étant déclarée habilitée à le recevoir, n’ont pas constitué avocat.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 octobre 2022, Mme'[A]'[S] sollicite de la cour de’:
Vu les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail,
Vu les dispositions de l’article L. 1221-1 du code du travail,
Vu les dispositions du code du travail visées,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées communiquées,
Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la société Enerbee de sa demande reconventionnelle,
Statuant à nouveau,
Juger que Mme [A] [S] a été victime de discrimination en lien avec sa situation familiale et son état de santé,
Juger que la société Enerbee a méconnu son obligation de sécurité ainsi que son devoir de prévention envers Mme [A] [S],
Ordonner l’inscription de la somme de 15 000 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, à l’état des créances de la société Enerbee au profit de Mme'[A]'[S].
A titre principal,
Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [S] aux torts exclusifs de la société Enerbee et lui faire produire les effets d’un licenciement nul,
A titre subsidiaire,
Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [S] aux torts exclusifs de la société Enerbee et lui faire produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre infiniment subsidiaire,
Juger nul le licenciement notifié à Mme [A] [S],
A titre encore plus subsidiaire,
Juger le licenciement de Mme [A] [S] comme étant sans cause réelle et sérieuse
En tout état de cause,
Ordonner l’inscription des sommes suivantes à l’état des créances de la société Enerbee, au profit de Mme [A] [S]:
– 12 525,00 € brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 1 252,50 € brut au titre des congés payés afférents
– 35 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul à titre principal et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamner Maître [M], ès qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la société Enerbee à régulariser les documents de fin de contrat de Mme [A] [S] sous astreinte de’100 € par jour de retard à partir du prononcé de la décision à intervenir et se réserver le droit de liquider l’astreinte.
Annuler la mise en garde notifiée le 25 avril 2017 et ordonner l’inscription de la somme de’1’000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la notification d’une sanction injustifiée et discriminatoire, à l’état des créances de la société Enerbee au profit de Mme [A] [S].
Debouter la société Enerbee de l’intégralité de ses demandes.
Ordonner l’inscription de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à l’état des créances de la société Enerbee, au bénéfice de Mme [A] [S].
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 3 novembre 2022, la’SELARL [M] & Associés prise en la personne de Maître [X] [M], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Enerbee, sollicite de la cour de’:
Vu l’article L. 1225-63 du code du travail,
Vu l’article L. 1222-9 du code du travail,
Vu l’article 1124 du code civil,
Vu la jurisprudence précitée,
Vu les pièces versées aux débats.
Confirmer le jugement de première Instance en ce qu’il a retenu que la société Enerbee ne s’est livrée à aucun acte discriminant et n’a commis aucun manquement grave de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [S],
En conséquence,
Débouter Mme [A] [S] de sa demande de résiliation judiciaire,
Débouter Mme [A] [S] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul, et à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a retenu que le licenciement pour inaptitude de Mme [A] [S] n’est pas consécutif à des actes discriminants ou à des manquements de son employeur à son obligation de sécurité et de prévention,
Fn conséquence, Débouter Mme [A] [S] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul et à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a retenu que la société Enerbee a respecté son obligation de sécurité et son devoir de prévention envers Mme [A] [S]
En conséquence, Débouter Mme [A] [S] de sa demande d’indemnisation à hauteur de’15’000 € nets
Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a retenu que la mise en garde notifiée le’25 avril 2017 n’est ni injustifiée ni discriminante,
En conséquence,
Débouter Mme [A] [S] de sa demande d’indemnisation à hauteur de 1.000 € nets.
Débouter Mme [A] [S] de l’ensemble de ses demandes
Reconventionnellement,
Condamner Mme [A] [S] à verser la SELARL [M] prise en la personne de Maître'[M] es qualité de liquidateur de la société Enerbee, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Mme [A] [S] aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 3 novembre 2022.
L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 7 décembre 2022, a été mise en délibéré au’9’février 2023.
EXPOSE DES MOTIFS’:
1 ‘ Sur les prétentions liées à l’obligation de sécurité et de prévention
L’employeur a une obligation s’agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s’exonérer que s’il établit qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
L’article L. 4121-1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2017-1389 du’22 septembre 2017 prévoit que :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
A compter du 1er octobre 2017, la référence à la pénibilité a été remplacée par un renvoi à l’article L. 4161-1 du code du travail.
L’article L. 4121-2 du code du travail prévoit que :
L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Mme [A] [S] avance que ses conditions de travail se sont dégradées compte tenu de la discrimination subie en lien avec sa situation familiale et de l’absence de mise en oeuvre d’une politique de prévention des risques professionnels.
1.2 ‘ Sur la discrimination en lien avec la situation familiale
L’article L. 1132-1 du code du travail pose en principe qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de sa situation de famille ou de sa grossesse, de son sexe ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
Selon l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :
– constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable,
– constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,
– la discrimination inclut tout agissement lié à l’un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
En application de l’article L.1132-4 du code du travail, sont nuls de plein droit toute disposition ou tout acte contraire au principe de non-discrimination.
L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n°2008-496 du’27’mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, Mme [A] [S], avance que ses conditions de travail se sont dégradées à partir de l’année 2016, qu’elle a subi une hostilité de son employeur et une surcharge de travail, révélées par les faits suivants’:
– le refus de l’employeur de renouveler l’autorisation de travailler à son domicile le mercredi matin au titre de l’aménagement de poste sollicité pour son fils souffrant de handicap, et de l’autoriser à travailler à domicile les deux jours suivants l’hospitalisation de son père victime d’un arrêt cardiaque,
– la notification d’une mise en garde qualifiée de sanction disciplinaire discriminatoire,
– le fait de ne pas avoir bénéficié de la distribution d’actions de la société,
– les critiques de son travail par sa hiérarchie
– une surcharge de travail liée à l’absence d’adaptation de son poste en dépit d’un congé de présence parentale.
Mme [A] [S] ne présente aucun élément de fait susceptible d’établir que la société a procédé à une distribution d’actions dont elle n’aurait pas été bénéficiaire.
De même, elle n’établit pas avoir subi des critiques par sa hiérarchie. En effet, sans produire d’élément de preuve complémentaire, Mme [A] [S] s’appuie sur la seule attestation de M. [H], salarié, qui reste trop imprécise pour établir la réalité des critiques alléguées, le témoin se limitant à déclarer «’Elle [Mme [S]] m’a dit à plusieurs reprises que les managers ne faisaient preuve d’aucun soutien ni d’aucune compréhension. Son travail était souvent critiqué de manière non constructive. J’étais présent à plusieurs réunions lorsque cela avait lieu’».
En revanche, Mme [A] [S] établit la matérialité des faits suivants.
D’une première part, il résulte d’un courrier de l’employeur en date du 25 avril 2017 que la salariée, qui avait obtenu l’autorisation de son employeur pour travailler depuis son domicile 0,5 jour par semaine jusqu’à la fin du mois de janvier 2017, en raison de la situation de son fils, s’est vu refuser le renouvellement de cette autorisation «’pour des raisons liées au bon fonctionnement de la société’», sans autre précision.
S’agissant d’une salariée qui occupe un poste éligible à un mode d’organisation en télétravail, au visa des dispositions de l’article L. 1222-9 du code du travail, il incombe à l’employeur de motiver son refus de renouveler l’autorisation de télétravail 0,5 jours par semaine.
Il résulte du même courrier en date du 25 avril 2017, que la société Enerbee a refusé, le’10’avril’2017, la demande d’autorisation de travailler à domicile pendant deux jours avec la proposition de «’prise d’un jour de congé payé (ou RTT) et un jour d’absence autorisée et rémunérée’».
Mme [A] [S] justifie qu’à cette date, son père, M. [P] [J], était hospitalisé à l’hôpital de [Localité 8] après une admission aux urgences le 6 avril 2017.
Ces deux décisions de refus sont donc établies.
D’une deuxième part, il est établi que Mme [A] [S] a reçu notification d’une mise en garde par courrier en date du 25 avril 2017.
Aux termes de ce courrier visant les demandes d’autorisation de télétravail, l’employeur détaille les arrêts de travail de la salariée depuis le 30 janvier 2017, lui rappelle que le lieu de travail est fixé au siège de l’entreprise et lui reproche «’un manque d’assiduité évident, vos journées de travail étant parfois inférieures à 7 heures’».
Les termes de ce courrier font donc expressément référence aux arrêts de travail pour maladie de Mme [A] [S] pour lui reprocher un manque d’assiduité, de sorte que cette sanction se révèle directement liée à l’état de santé de la salariée.
D’une troisième part, Mme [A] [S] démontre que la charge de travail de son poste n’a pas fait l’objet d’évaluation régulière par l’employeur.
Or, l’article 3 du contrat du 2 mai 2016’définit la durée du travail comme suit’:
«’Compte tenu de la nature de sa fonction, le Salarié relève de la catégorie «’réalisation de missions’» de la convention collective. A ce titre, le Salarié a toute latitude pour déterminer les amplitudes de ses journées de travail, conformément aux règles définies par le règlement RTT de la Société et les textes légaux et conventionnels en vigueur, sans compromettre le bon déroulement de sa mission.
Pour une année civile complète d’activité et sur la base d’un droit intégral à congés payés, le Salarié bénéficiera’:
– d’un maximum de jours de travail fixé à 219 jours,
– avec un minimum de 9 jours d’aménagement et de réduction du temps de travail,
La rémunération du Salarié est forfaitaire et inclut les heures supplémentaires jusqu’à’38’heures 30 par semaine. Au-delà de cette durée, les dépassement significatifs d’activité, expressément autorisés par le responsable hiérarchique, donnent lieu à des demi-journées de repos complémentaires.
[‘]
Le responsable hiérarchique du salarié examinera régulièrement avec lui sa charge de travail. En cas d’absence pour maladie ou accident, le Salarié devra immédiatement en aviser la Société et en justifier par la production d’un certificat médical dans les 48 heures.’».
Si cette clause ne s’analyse pas en une clause de forfait annuel en jours, à défaut de décompter le temps de travail en jours et de fixer le nombre de jours que le salarié s’engage à effectuer chaque année, il demeure que cet aménagement imposait un examen régulier de la charge de travail par le responsable hiérarchique avec la salariée.
Suivant avenant du 30 mai 2017, les parties ont modifié l’organisation du temps de travail dans les termes suivants’:
«’Compte tenu de la nature des tâches qui lui sont confiées et de la liberté dont elle jouit pour les mener à bien les tâches qui lui sont confiées, la Salariée ne peut se conformer à un horaire prédéfini.
Son temps de travail est donc organisé dans le cadre d’un forfait hebdomadaire de’38’heures’30’dans la limite de 220 jours travaillés par année civile (incluant la journée de solidarité, compte non tenu des congés d’ancienneté conventionnels), conformément aux dispositions de l’accord de branche du 22 juin 1999 étendu par arrêté du 21/12/1999 (chapitre 2 article 3). [‘]’».
L’article 3 du chapitre II de l’accord du 22 juin 1999, relatif aux réalisations de mission, dispose’:
«’Ces modalités s’appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète. Tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale. De plus, en fonction de l’activité de l’entreprise, un accord d’entreprise doit préciser les conditions dans lesquelles d’autres catégories de personnel peuvent disposer de ces modalités de gestion.
Compte tenu de la nature des tâches accomplies (responsabilités particulières d’expertise technique ou de gestion qui ne peuvent s’arrêter à heure fixe, utilisation d’outils de haute technologie mis en commun, coordination de travaux effectués par des collaborateurs travaillant aux mêmes tâches…), le personnel concerné, tout en disposant d’une autonomie moindre par rapport aux collaborateurs définis à l’article 3, ne peut suivre strictement un horaire prédéfini.
La comptabilisation du temps de travail de ces collaborateurs dans le respect des dispositions légales se fera également en jours, avec un contrôle du temps de travail opéré annuellement (chapitre III).
Les appointements de ces salariés englobent les variations horaires éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10 % pour un horaire hebdomadaire de 35 heures.
La rémunération mensuelle du salarié n’est pas affectée par ces variations.
Les dépassements significatifs du temps de travail, commandés par l’employeur, au-delà de cette limite, représentant des tranches exceptionnelles d’activité de 3,5 heures, sont enregistrés en suractivité. Le compte de temps disponible peut être utilisé pour enregistrer ces suractivités qui ont vocation à être compensées par des sous-activités (récupérations, intercontrats…) par demi-journée dans le cadre de la gestion annuelle retenue.
Ces salariés ne peuvent travailler plus de 219 jours pour l’entreprise, compte non tenu des éventuels jours d’ancienneté conventionnels. Le compte de temps disponible peut être utilisé pour enregistrer les jours accordés aux salariés concernés par ces modalités. Toutefois, ce chiffre de 219 jours pourra être abaissé par accord d’entreprise ou d’établissement, négocié dans le cadre de l’article L. 132-19 du code du travail.
Le personnel ainsi autorisé à dépasser l’horaire habituel dans la limite de 10 % doit bénéficier d’une rémunération annuelle au moins égale à 115 % du minimum conventionnel de sa catégorie.
L’adoption de ces modalités de gestion du temps de travail ne peut entraîner une baisse du salaire brut de base en vigueur à la date de ce choix.’».
Ainsi, ces dispositions prévoient, d’une part, une convention horaire sur la base hebdomadaire de trente-huit heures trente, avec une rémunération forfaitaire au moins égale à 115 % du salaire minimum conventionnel, d’autre part, un nombre maximum de jours travaillés dans l’année de sorte qu’elles définissent une convention de forfait en heures assortie de la garantie d’un nombre maximal annuel de jours de travail, distincte d’une convention de forfait en jours.
En conséquence, cette organisation du temps de travail, mise en place à compter du 30 mai 2017, nécessitait également un contrôle du temps de travail opéré annuellement qui n’a pas été réalisé.
Enfin, Mme [A] [S] justifie de la réception de plusieurs courriels professionnels de son employeur sollicitant des diligences de sa part courant juin 2018, pendant la période de congé de présence de parentale.
Il résulte de l’ensemble de ces énonciations que Mme [A] [S] établit l’existence matérielle de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination à son encontre en raison de sa situation de famille et de son état de santé, motifs prohibés.
Le mandataire judiciaire, qui conteste tout agissement discriminatoire de l’employeur à l’encontre de la salariée, ne démontre pas que les faits ainsi établis sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Ainsi, d’une première part, il ressort des éléments échangés entre les parties que l’employeur était informé, d’une part, de l’état de santé de la salariée par la transmission de ses arrêts de travail et d’autre part de ses difficultés liées à la déscolarisation de l’un de ses enfants souffrant d’un handicap, nécessitant une présence accrue à son domicile.
D’une seconde part, l’employeur confirme avoir refusé la demande de renouvellement de télétravail de 0,5 jour par semaine pour des motifs liés au fonctionnement de l’entreprise, sans préciser les contraintes d’organisation et de fonctionnement l’entreprise.
Il s’appuie sur l’attestation rédigée par M. [O] [V], employé de la société Enerbee, qui se limite à déclarer «’En 2017 et 2018, il n’y a pas de télétravail régulier au sein de la société pour les salariés d’Enerbee. Le télétravail n’est toléré que ponctuellement pour une journée isolée en lien avec des contraintes personnelles exceptionnelles (intervention d’un artisan à son domicile, livraison, autre’)’», sans apporter de précisions utiles quant aux contraintes d’organisation de l’entreprise.
Il en résulte que la partie intimée échoue à démontrer que cette décision de l’employeur était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
D’une troisième part, s’agissant du courrier de mise en garde, c’est par un moyen inopérant que la partie intimée fait valoir que la salariée n’avait pas contesté cette sanction.
Elle soutient que «’ce courrier de mise en garde ne visait pas à sanctionner les arrêts de travail de Mme [S], mais son attitude tendant à remettre en cause le pouvoir de direction de son employeur ainsi que son manque d’assiduité’».
Il en ressort que l’attitude reprochée à la salariée consistait à s’être trouvée placée en arrêt de travail pour maladie ensuite des refus de ses demandes de télétravail, aucune autre attitude n’étant mentionnée dans le courrier de mise en garde.
En outre, la partie intimée ne justifie d’aucun retard ou manque d’assiduité, ni absences injustifiées, le seul reproche étant tiré des arrêts de travail pour maladie.
Cette sanction, se révèle donc discriminatoire à raison de l’état de santé de la salariée.
D’une quatrième part, la partie intimée soutient avoir adapté la charge de travail de Mme'[A]'[S] en tenant compte de l’impact des congés de présence parentale sur l’organisation de son activité, en s’appuyant sur deux attestations.
M. [E] [L], ancien employé de la société Enerbee atteste «’Mme [S] a changé de responsable hiérarchique en février 2018, répond alors à [Y] [G] nommé en charge du service R&D pour la technologie Enerbee. Il est assez rapidement apparu que compte tenu des compétences matériaux de Mme [S] et de ses contraintes de présence au travail, nous devions aménager sa contribution afin de l’impliquer efficacement pour la société Enerbee tout en respectant ses disponibilités et en ajustant sa charge de travail.’».
M. [Y] [G], employé de la société Enerbee confirme avoir adapté l’organisation du travail pour tenir compte des congés de présence de parentale de Mme [A] [S]. Il précise «’sachant qu’elle avait des périodes d’absences, nous avons convenu ensemble de ne pas lui donner le rôle de contact direct avec nos fournisseurs de matériaux réguliers [‘] car cette tâche demande un lien contenu au cours de l’année. [A] B était en charge de rechercher des fournisseurs de céramique alternatifs et de réaliser les analyses sur les matériaux bruts et assemblés afin de définir nos conceptions futures. Ces tâches étaient ainsi compatibles avec des absences ponctuelles (1 semaine) ou importantes (3 mois) sans trop impacter la tenue des objectifs de la société.’».
Ces attestations démontrent que l’employeur a tenu compte des contraintes imposées par le congé de présence parentale dans l’organisation de son activité, sans toutefois permettre d’établir ni l’existence d’un contrôle régulier de sa charge de travail ni une adaptation de cette charge à raison de son temps de présence dans l’entreprise.
Ces deux seules attestations ne permettent pas de démontrer que la salariée avait accepté de participer à des conférences téléphoniques pendant son congé de présence parentale tel que le prétend l’employeur.
Et, c’est par un moyen inopérant que la partie intimée fait valoir qu’elle a tenu compte de la situation personnelle de la salariée en acceptant le congé de présence parentale présenté sans que délai légal de prévenance ne soit respecté.
Ainsi, les éléments produits ne permettent pas d’établir que l’absence de suivi de la charge de travail de Mme [A] [S] d’une part, et les sollicitations reçues par celles-ci pendant son congé de présence parentale d’autre part, étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En conséquence, il résulte des énonciations qui précèdent que les faits matériellement établis par Mme [A] [S] ne sont pas justifiés par des éléments étrangers à toute discrimination.
La discrimination à raison de sa situation de famille et de son état de santé est dès lors établie.
1.2 ‘ Sur la prévention des risques professionnels
L’article L. 4121-3 du même code dispose que :
L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le ré-aménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe.
A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement.
Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l’application du présent article doivent faire l’objet d’une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat après avis des organisations professionnelles concernées.
L’article R. 4121-1 du code du travail dispose que’:
L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L 4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.
L’article R. 4141-2 du même code prévoit que’:
L’employeur informe les travailleurs sur les risques pour leur santé et leur sécurité d’une manière compréhensible pour chacun. Cette information ainsi que la formation à la sécurité sont dispensées lors de l’embauche et chaque fois que nécessaire.
En l’espèce, l’employeur n’allègue ni ne justifie avoir défini et mis en ‘uvre de mesures de préventions, s’abstenant notamment de sensibiliser ses collaborateurs aux risques psychosociaux.
La partie intimée verse au débat un document d’évaluation des risques daté du 22 août 2016 et la mise à jour du 22 juin 2018 qui omettent toute mention concernant les risques psychosociaux.
Il est donc établi que la société Enerbee a manqué de définir et de mettre en ‘uvre une politique de prévention des risques psychosociaux.
1.3 ‘ Sur les conséquences financières
Partant, il incombe à l’employeur de réparer le préjudice résultant des manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles.
Mme [A] [S] produit des éléments médicaux qui rendent compte de la souffrance décrite auprès de plusieurs professionnels.
Ainsi, dans un courrier du 5 octobre 2018, le médecin du travail rapporte les propos de la salariée qui décrit «’une angoisse à l’idée de retourner travailler’». Aussi, il ressort de la copie du dossier médical versé aux débats que la salariée lui a rapporté les faits précédemment jugés discriminatoires, en ajoutant «’depuis cela s’est calmé mais impression d’être surveillée, dit que ambiance lourde’».
Le docteur [Z] [F], médecin psychiatre, certifie avoir examiné Mme [A] [S] et rapporte que celle-ci «’affirme présenter depuis plusieurs mois une thymie basse dans le contexte d’une souffrance au travail’».
Mme [U] [C], psychothérapeute, atteste, le 20 mars 2019, recevoir Mme [S] en consultation une fois par semaine depuis’2017, en relevant une situation de «’souffrance au travail’».
Surtout, la salariée produit les arrêts de travail délivrés par son médecin traitant à compter du’24’septembre 2018 précisant le motif d’un syndrome dépressif réactionnel.
Par courrier du 5 mars 2019, ce médecin la renvoie vers un confrère en précisant qu’elle se trouve en arrêt de travail «’pour tableau anxio dépressif réactionnel à des conflits professionnels. La patiente dit être harcelée moralement dans son travail. Elle veut faire le point avec vous.’».
Nonobstant la décision de la caisse primaire d’assurance maladie refusant la reconnaissance du caractère professionnel de ces arrêts de travail, il ressort de ces derniers éléments que la salariée a présenté un état de souffrance en lien, au moins partiellement, avec les actes précédemment jugés discriminatoires.
Les manquements de la société Enerbee sont donc à l’origine d’un préjudice moral subi par la salariée à raison de ses conditions de travail.
Par infirmation du jugement dont appel, il convient de réparer ce préjudice et de fixer la créance de la salariée au passif de la procédure collective suivie contre la société Enerbee à un montant de 8’000 euros.
Par ailleurs, la sanction de mise en garde, précédemment jugée discriminatoire, est annulée par infirmation du jugement entrepris.
Cette sanction discriminatoire, notifiée pendant les congés de la salariée, lui a causé un préjudice distinct qu’il convient de réparer par le versement d’une indemnité de 1’000 euros à titre des dommages et intérêts, par infirmation du jugement déféré, la salariée étant déboutée du surplus de sa demande.
2 ‘ Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat
Conformément aux articles 1224 et suivants du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement, la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut demander au juge la résolution du contrat.
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.
En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce, sauf si le salarié a été licencié dans l’intervalle de sorte qu’elle produit alors ses effets à la date de l’envoi de la lettre de licenciement.
Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail et pour répondre à cette définition, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
La discrimination subie, conjuguée aux manquements de l’employeur à ses obligations de sécurité et de prévention présente une gravité ayant rendu impossible le maintien de la relation contractuelle au regard des risques sur l’état de santé de la salariée.
En conséquence, par infirmation du jugement déféré, la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [S] aux torts de la société intimée à effet du’19’avril’2019, date du licenciement.
Au visa de l’article L. 1132-4 du code du travail, la discrimination étant établie, la résiliation judiciaire emporte les effets d’un licenciement nul.
Il s’ensuit que Mme [A] [S] est fondée à obtenir paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.
Infirmant le jugement déféré, il convient de fixer au passif de la procédure collective suivie contre la société Enerbee une créance au titre d’une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 12 525,00 euros bruts correspondant à 3 mois de salaire, outre 1 252,50 euros bruts au titre des congés payés afférents.
En application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, les dispositions définissant un barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse ne sont pas applicables lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une nullité afférente à des faits de discrimination.
Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Au cas d’espèce, âgée de 49 ans au jour de son licenciement, Mme [A] [S] justifiait d’une ancienneté de deux années entières, déduction faite des périodes de maladie et des périodes de congé de présence parentale prises en compte pour moitié. Sa rémunération mensuelle brute moyenne s’élevait’4’175’euros.
Elle justifie de sa prise en charge par Pôle Emploi depuis son licenciement jusqu’au’25’juin’2021, même si elle apparaît comme ayant participé à la création de la société Sience-Saved, immatriculée n°850’955’170 au registre du commerce et des sociétés de Grenoble le 21 mai 2019.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de fixer la créance de Mme [A] [S] au passif de la procédure collective suivie contre la société Enerbee à un montant de 30’000,00 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, la salariée étant déboutée du surplus de sa demande.
3 ‘ Sur la garantie de l’AGS
Dès lors que les créances de Mme [A] [S] sur la société Enerbee sont antérieures à l’ouverture de la procédure collective, le 28 décembre 2021, il convient de déclarer le jugement commun et opposable l’AGS et de dire que l’UNEDIC délégation de l’AGS CGEA d'[Localité 6] doit sa garantie selon les modalités explicitées au dispositif du présent arrêt, étant précisé qu’en application de l’article L. 3253-17 du code du travail tel que modifié par loi n°2016-1917 du’29’décembre’2016, le plafond de garantie de l’AGS s’entend en montants bruts et retenue à la source de l’article 204 A du code général des impôts incluse.
Enfin, il convient de dire que les intérêts sur les sommes dues sont arrêtés au jour du jugement déclaratif par application de l’article L. 622-28 du code de commerce.
4 ‘ Sur les demandes accessoires
Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de dire que la société Enerbee est tenue aux dépens de première instance et d’appel, qui seront réglés en frais privilégiés de procédure collective.
La partie intimée, partie perdante à l’instance, est donc déboutée de ses prétentions au titre des frais irrépétibles.
L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ni en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions SAUF en ce qu’il a’débouté la SA Enerbee de sa demande reconventionnelle,
Statuant des chefs du jugement infirmé et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [S] aux torts de la société Enerbee à effet du’19 avril’2019′;
DIT que la résiliation judiciaire emporte les effets d’un licenciement nul’;
FIXE au passif de la procédure collective suivie contre la société Enerbee au bénéfice de Mme'[A] [S] les sommes suivantes’:
– 8’000,00 euros nets (huit mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements discriminatoires,
– 1’000,00 euros nets (mille euros) à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant d’une sanction discriminatoire,
– 12 525,00 euros bruts (douze mille cinq cent vingt-cinq euros) au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
– 1 252,50 euros bruts (mille deux cent cinquante-deux euros et cinquante centimes) au titre des congés payés afférents.
– 30 000,00 euros bruts (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
DÉBOUTE Mme [A] [S] du surplus de ses prétentions financières,
DIT que l’Unedic délégation de l’AGS CGEA d'[Localité 6] doit sa garantie dans les conditions des articles L. 3253-6 et suivants et D. 3253-5 du code du travail, étant précisé que les plafonds de garantie de l’AGS s’entendent en sommes brutes et retenue à la source de l’impôt sur le revenu de l’article 204 du code général des impôts incluse’;
DIT que les intérêts légaux sont arrêtés au jour du jugement déclaratif dans les conditions énoncées à l’article L. 622-28 du code de commerce’;
DIT n’y avoir lieu à indemnisation au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT que la société Enerbee est tenue aux dépens de première instance et d’appel, qui seront réglés en frais privilégiés de procédure collective.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président