N° RG 21/02173 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K32I
C3
N° Minute :
délivrée le :
la SELARL EYDOUX MODELSKI
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 23 MAI 2023
Appel d’un jugement (N° RG 18/03923)
rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble
en date du 26 avril 2021
suivant déclaration d’appel du 10 mai 2021
APPELANTE :
S.A. CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE RHÔNE-ALPES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Alban VILLECROZE, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
M. [P] [S]
né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE et plaidant par Me Cécile MAGGIULLI, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller
DÉBATS :
A l’audience publique du 27 mars 2023 Mme Clerc président de chambre chargé du rapport en présence de Mme Blatry, conseiller assistées de Mme Anne Burel, greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon offre préalable du 24 décembre 2011, acceptée le 8 janvier 2012, la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes (ci-après désignée CERA) a accordé à M. [P] [S] et à son épouse Mme [F] [I], deux prêts immobiliers’:
un prêt à taux zéro d’un montant de 34.200€ remboursable après un différé d’amortissement de 36 mois, en 276 mensualités de 84,’39€, puis en 84 mensualités de 199,46€ (mensualités avec assurance),
un prêt n°8972062 PH Primolis 3 phases d’un montant de 145.444,77€ au taux d’intérêt fixe annuel de 4,850’%, remboursable après une période de différé d’amortissement de 36 mois, en 180 mensualités de 829,98€, puis en 96 mensualités de 895,26€ et 84 mensualités de 776,20€ (mensualités intégrant l’assurance).
M. [S], artisan charpentier indépendant, a adhéré le 1er décembre 2011 pour chacun de ces deux prêts, au contrat d’assurance groupe proposé par CNP Assurances pour garantie des risques décès, perte totale et irréversible d’autonomie, et incapacité totale de travail’après avoir régularisé son bulletin individuel de demande d’adhésion et son questionnaire de santé ; il a été admis pour la couverture de ces risques selon une quotité de 100’%.
Ayant été victime d’un accident domestique survenu à son domicile le 19 mai 2013 (chute d’un toit) et se trouvant dans l’incapacité totale de poursuivre son activité professionnelle, M. [S] a bénéficié de la prise en charge par CNP Assurances d’une partie des échéances de prêt au titre de la garantie incapacité temporaire du 17 août 2013 (compte tenu du délai de franchise) jusqu’au 19 juillet 2017.
Il a été placé en invalidité par la Sécurité Sociale le 6 juin 2016 et perçoit une pension d’invalidité depuis juillet 2016.
CNP Assurances a sollicité le 20 juillet 2017 conformément aux dispositions prévues à la notice d’assurance, un examen médical de son assuré auprès du docteur [H] afin de vérifier la persistance des conditions nécessaires à sa prise en charge.
Au vu des résultats de cet examen médical, par courrier du 3 août 2017, CNP Assurances a notifié à M. [S] son refus de prise en charge au motif qu’il avait été déclaré apte à exercer partiellement une autre activité professionnelle.
Suivant acte extrajudiciaire du 31 octobre 2018, M. [S] a assigné devant le tribunal de grande instance de Grenoble, CNP Assurances et la CERA pour voir en substance juger d’une part, que la clause définissant l’incapacité totale de travail est une clause abusive et condamner l’assureur à prendre en charge le remboursement des prêts depuis le 19 juillet 2017, et d’autre part que la banque a manqué à son obligation d’information et de conseil étendue et voir celle-ci condamnée à lui payer l’intégralité des échéances de prêt depuis le 19 juillet 2019 jusqu’au solde, et subsidiairement voir condamner celle-ci à l’indemniser de sa perte de chance devant être fixée à 90’%, et ce sans préjudice des frais irrépétibles et des dépens.
A la suite de symptômes apparus en septembre 2919, M. [S] s’est vu diagnostiquer une maladie maligne en novembre 2019 qui a donné lieu à la prise en charge du remboursement des prêts par CNP Assurances au titre de la garantie ITT.
Par jugement contradictoire du 26 avril 2021, le tribunal précité, devenu tribunal judiciaire, a’:
débouté M. [S] de sa demande tendant à voir déclarer abusive la cause 17-4 du contrat d’assurance adossé à ses prêts, souscrit le 1er décembre 2011,
débouté M. [S] de sa demande en paiement dirigée contre CNP Assurances,
condamné la CERA à payer à M. [S], à titre de dommages et intérêts, la somme équivalente à 60’% des mensualités des deux prêts en cause, en capital et intérêts, en tout état de cause entre le 19 juillet 2017 et le 8 septembre 2019, et ultérieurement jusqu’à la fin des prêts, des mensualités effectivement à sa charge (le cas échéant si la prise en charge de CNP Assurances, actuellement accordée au titre de l’ITT du fait d’une autre pathologie, devait s’interrompre),
condamné la CERA à payer à M. [S] la somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
débouté la CERA de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la CERA aux entiers dépens de l’instance avec recouvrement par Me Edouard Bourgin conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
débouté les parties de toutes les demandes plus amples ou contraires,
ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Par déclaration du 10 mai 2021 (RG 21/2173), la CERA a relevé appel en intimant uniquement M. [S]’; le 3 juin 2021, la CERA a régularisé une seconde déclaration d’appel (RG 21/2531).
Par ordonnance du 29 juin 2021, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction de ces deux appels, l’instance se poursuivant sous la référence RG 21/2173.
Selon ordonnance de référé du 28 juillet 2021, la juridiction du premier président a débouté la CERA de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré et de sa demande de consignation des fonds et l’a condamnée à payer à M.[S] une indemnité de procédure de 1.200€ et à supporter les dépens.
Dans ses dernières conclusions n°2 déposées le 18 janvier 2022 sur le fondement des articles 1134, 1165 (dans leur version applicable) 1315, 1147, 2222, 2224 du code civil et sous réserve de l’application de l’article 12 du code de procédure civile, la CERA sollicite que la cour’:
infirme le jugement déféré en ce qu’il’:
l’a déboutée de toutes ses demandes,
l’a condamnée à payer à M. [S] à titre de dommages et intérêts, la somme équivalente à 60 % des mensualités des deux prêts immobiliers en cause en capital et intérêts, en tout état de cause entre le 19 juillet 2017 et le 8 septembre 2019 et ultérieurement jusqu’à la fin des prêts, des mensualités effectivement à sa charge (le cas échéant si la prise en charge de la CNP, actuellement accordée au titre de l’ITT du fait d’une autre pathologie, devait s’interrompre),
l’a condamnée à payer à M. [S] la somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
l’a condamnée aux entiers dépens de l’instance,
et par voie de réformation,
rejette l’intégralité des demandes fins et prétentions dirigées à son encontre,
juge qu’elle est étrangère aux reproches formulés par M. [S] sur la rédaction de la notice d’assurance et du bulletin d’adhésion à l’assurance groupe, et sur les décisions de non prise en charge de ses emprunts,
juge toute action en responsabilité à son encontre prescrite,
subsidiairement,
juge qu’aucune faute, ni manquement à une obligation d’information ne peut être retenu à son encontre
encore plus subsidiairement, juge que tout préjudice s’analyserait en une simple perte de chance,
juge que M. [S] ne rapporte pas la preuve de la chance perdue,
en tout état , juge que le préjudice de M. [S] ne peut être équivalent à la chance perdue, ni même à 90% de celle-ci, ni même à 60% tel que retenu par le tribunal,
en tout état de cause,
déboute M. [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions comme étant non fondées,
condamne M. [S] à lui payer la somme de 3.500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamne M. [S] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’appelante soutient en substance que’:
l’action en responsabilité initiée à son encontre par M. [S] est prescrite depuis le 1er décembre 2016, le point de départ du délai quinquennal de prescription quant à un éventuel défaut d’information étant la date de signature du contrat d’assurance, soit le 1er décembre 2011,
elle n’a commis aucun manquement à son devoir d’information et de conseil, car elle a remis à la signature du contrat, un exemplaire de la notice d’information sur l’assurance, la fiche standardisée d’information valant avis de conseil relatif au contrat proposé par CNP Assurances, documents qui ont été soit paraphés soit signés par M. [S],
elle a proposé une assurance adaptée à la situation personnelle et professionnelle de M. [S] et celui-ci ne peut pas soutenir s’être mépris sur les conditions d’application de la garantie incapacité temporaire de travail, la notice d’assurance, seul document contractuel, étant très claire sur ce point’; il est prouvé que M. [S] a reçu toutes les informations et conseils utiles car il a refusé la garantie Perte d’emploi’; en outre, la situation de M. [S] étant tout à fait classique, elle n’était pas tenue à son égard d’un devoir de conseil spécifique,
M. [S] soutient sans l’établir qu’elle était tenue à son égard d’un devoir d’information complet concernant l’adéquation de la proposition d’assurance à sa situation personnelle et professionnelle, sans préciser pour autant les garanties complémentaires qu’elle aurait dû lui proposer’; or, la garantie ITT était parfaitement adaptée à sa situation ainsi qu’en atteste le fait qu’il en a bénéficié pendant presque 4 ans,
la notice d’assurance est rédigée par CNP Assurances et toute difficulté afférente à celle-ci ne peut être imputée à l’établissement prêteur’; il en va de même de la décision de cessation de prise en charge, l’interprétation donnée par CNP Assurances pour retenir que M. [S] ne se trouvait plus en ITT au sens contractuel du terme ne pouvant pas lui être reprochée car elle ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel en la matière,
à considérer qu’un manquement puisse être retenu à son encontre, M. [S] ne peut se prévaloir que d’une perte de chance de ne pas contracter l’assurance en cause’; or il ne justifie pas qu’il aurait pu souscrire un autre contrat lui garantissant une meilleure prise en charge de sa situation s’il avait été mieux informé’; il ne peut donc prétendre à une perte de chance de 60’% comme retenu par le premier juge et encore moins de 90’% comme il le demande.
Dans ses uniques conclusions déposées le 29 octobre 2021 sur le fondement des articles L.112-2, L.141-2 et suivants du code des assurances, 2224 du code civil, M. [S] entend voir la cour’:
à titre principal,
confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la CERA au titre du manquement à l’obligation de conseil et d’information, l’a condamnée à l’indemniser du préjudice subi, et en ce qu’il lui a alloué une indemnité de 2.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné la CERA aux dépens,
réformer le même jugement en ce qu’il a limité son indemnisation à 60’% des mensualités des deux prêts en cause,
statuant à nouveau,
condamner la CERA à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme équivalente à 90’% des mensualités des deux prêts immobiliers en cause, en capital et intérêts, en tout état de cause entre le 19 juillet 2017 et le 8 septembre 2019, et ultérieurement jusqu’à la fin des prêts des mensualités effectivement à sa charge,
en tout état de cause,
condamner la CERA à lui payer la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner la CERA aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Dauphin-Mihajlovic sur son affirmation de droit.
L’intimé réplique essentiellement que’:
son action n’est pas prescrite, le délai de prescription quinquennal ne courant que du jour de la notification du refus d’assurance, soit le 3 août 2017, et l’assignation ayant été délivrée le 31 octobre 2018,
la remise de documents informatifs précontractuels ne suffit pas pour que l’obligation d’information et de conseil soit considérée comme exécutée, cette remise devant s’accompagner de renseignements pour permettre lui permettre d’apprécier l’étendue de la garantie proposée, et le mettre en garde contre l’inadéquation de la garantie proposée et souscrite avec sa situation professionnelle, à savoir un professionnel indépendant , qui tire tous les revenus de son travail, et qui effectue un métier à risque (charpentier),
il a été trompé lors de la souscription du contrat CNP Assurances, proposé et vendu par la CERA car aucune information relative à l’interprétation des garanties souscrites ne lui a été signifiée par le conseiller bancaire, alors qu’il est profane en la matière, et pensait qu’en cas d’incapacité d’exercer son activité professionnelle, les mensualités des prêts seraient prises en charge’; il n’a pas été informé que les garanties étaient subordonnées à l’impossibilité absolue d’exercer une quelconque activité professionnelle ou non, même à temps partiel, et le conseiller lui a donné de fausses informations en lui indiquant qu’il serait couvert s’il ne pouvait plus exercer sa profession’,
la garantie souscrite aboutit ainsi à une absence de garantie’; il incombait à la CERA de lui proposer une garantie complémentaire ou de l’informer pour lui permettre de faire un choix éclairé et de souscrire d’autres contrats d’assurance mieux adaptés, comme un contrat subordonnant la prise en charge au titre de la garantie invalidité à l’impossibilité d’exercer son activité et non toutes professions,
il ne peut lui être reproché de ne pas avoir cherché à accroître les garanties de son contrat d’assurance de prêt car aucun assureur n’a accepté de l’assurer de manière plus étendue compte tenu du risque élevé (état de santé altéré),
le lien de causalité entre le défaut de conseil de la CERA et l’absence de prise en charge des mensualités des prêts au titre de la garantie invalidité permanente est direct et certain’; la perte de chance de ne pas souscrire à ce contrat d’assurance inadapté doit être évaluée à 90’%.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 28 février 2023.
MOTIFS
A titre liminaire, il est précisé que l’objet du litige porte sur la garantie ITT et non pas sur la garantie invalidité comme le conclu M. [S] en page 14 de ses dernières conclusions , le refus de garantie étant à l’origine du procès concernant la garantie ITT comme rappelé dans le courrier de CNP Assurances du 3 août 2017′;
Sur la recevabilité de l’action de M. [S]
Le premier juge a par d’exacts motifs adoptés par la cour dit recevable cette action comme n’étant pas prescrite en rappelant qu’en matière de manquement à l’obligation de conseil sur relativement à l’adéquation de la garantie souscrite aux besoins de l’assuré, le délai quinquennal de prescription commence à courir du jour du refus de garantie opposé par l’assureur.
Le raisonnement de la CERA consistant à faire courir le point de départ de cette prescription quinquennale au jour de la signature du contrat d’assurance est inexact dès lors qu’il ne tient pas compte de la spécificité de l’obligation de conseil et d’information pesant sur l’intermédiaire d’assurance, l’assuré titulaire de l’action en responsabilité n’ayant connu les faits lui permettant d’agir que du jour où l’assureur lui notifie le refus de garantie.
Sans plus ample discussion sauf à devoir paraphraser la motivation du premier juge, le jugement querellé est confirmé sur ce point.
Sur la responsabilité de la CERA
C’est encore par d’exacts et pertinents motifs fondés en fait et en droit adoptés par la cour, que le premier juge a retenu la responsabilité de la CERA.
En effet, est insuffisante la circonstance que celle-ci a remis à M. [S] les documents informatifs précontractuels avant la signature du contrat d’assurance.
Il est acquis à la lecture de ceux-ci qu’il existait une contradiction sur la définition de la garantie ITT entre la fiche standardisée d’information valant avis de conseil et la notice d’information.
Ainsi dans ladite fiche il était mentionné que la garantie ITT est «’l’état qui vous mettrait dans l’impossibilité d’exercer votre activité professionnelle et toute autre activité pouvant vous procurer des revenus avant l’âge de 65 ans’» (soulignement dans le texte) , tandis que dans la notice d’information, il était mentionné «’l’assuré est en état d’ITT lorsqu’à l’expiration d’une période d’interruption continue d’activité de 90 jours, appelée délai de franchise, et avant son 65ème anniversaire, il se trouve par suite d’une maladie ou d’un accident dans l’impossibilité absolue médicalement constatée de
pour un assuré exerçant une activité professionnelle ou en recherche d’emploi au jour du sinistre, d’exercer une activité professionnelle quelconque à temps plein ou à temps partiel’».
Il n’est pas établi que le conseiller de la CERA a stigmatisé cette contrariété entre l’annonce de «’l’impossibilité d’exercer votre activité professionnelle et toute autre activité pouvant vous procurer des revenus avant l’âge de 65 ans’» et l’impossibilité absolue médicalement constatée «’d’exercer une activité professionnelle quelconque à temps plein ou à temps partiel’».
M. [S], profane en matière d’assurance, a pu croire légitimement en l’état du contenu de la fiche standardisée d’information qu’il pouvait être couvert par la garantie ITT dès qu’il se trouverait dans d’impossibilité d’exercer spécifiquement son activité professionnelle de charpentier, sans envisager qu’il lui faudrait en réalité se trouver dans l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle, à temps plein ou à temps partiel, condition beaucoup plus sévère et restrictive.
La circonstance que l’en-tête de cette fiche standardisée comporte la mention «’ce document n’a pas de valeur contractuelle’» ou encore que figure en sa page 3 la formule «’les garanties sont détaillées dans la notice du contrat d’assurance emprunteur qui a seule valeur contractuelle’» n’est pas de nature à atténuer cette croyance.
En effet, M. [S] a coché par deux fois la case «’oui’» aux paragraphes par lesquels il était indiqué d’une part que l’intermédiaire (CERA) et lui-même avaient lors de leurs échanges évoqué les risques liés au non-remboursement total ou partiel du prêt (‘) ou en cas de problème de santé le privant de l’exercice de son activité’, et non pas de la privation de la faculté d’exercer toute activité professionnelle, et d’autre part qu’avaient été également évoquées les garanties proposées (‘).
Ensuite, la CERA se devait de dispenser un conseil et une information renforcés en considération de la situation professionnelle de M. [S] ; en effet, celui-ci étant artisan charpentier et exerçant à titre individuel, était donc particulièrement exposé aux risques d’accidents corporels et à la perte de toute rémunération en cas d’arrêt de travail temporaire dès lors qu’il retirait tous ses revenus de sa seule activité professionnelle.
Pour l’ensemble de ces considérations et constatations ‘ajoutées à celles du premier juge, il est donc établi que la CERA en n’attirant l’attention de M. [S] sur le fait que la garantie ITT ne lui serait pas accordée s’il devait être reconnu apte à exercer « une activité professionnelle quelconque à temps plein ou à temps partiel’» et en ne lui suggérant pas de souscrire une garantie ITT plus adaptée à son profil professionnel , a manqué à son devoir de conseil et d’information.
C’est vainement que la CERA excipe du fait que M. [S] a bénéficié d’une prise en charge au titre de la garantie ITT durant près de 4 ans pour en déduire que cette garantie était parfaitement adaptée à sa situation’; cette circonstance favorable n’occulte pas le fait qu’une fois établi médicalement que M. [S] ne répondait plus à la définition contractuelle de l’ITT, à savoir qu’il était reconnu apte à exercer « une activité professionnelle quelconque à temps plein ou à temps partiel’», et non pas uniquement son activité professionnelle de charpentier, le bénéfice de cette garantie lui a été retiré.
Le jugement est également confirmé sur ce point.
Sur le préjudice
Il est constant que le préjudice subi par M. [S] s’analyse en une perte de chance de ne pas souscrire à ce contrat d’assurance dont la garantie ITT n’était pas adaptée à son cas particulier, à savoir une garantie assurant la perte spécifique de l’exercice de son activité professionnelle.
Cette perte de chance est incontestable, quand bien même M. [S] expose n’avoir pas trouvé un assureur acceptant de «’l’assurer d’une manière plus étendue en raison de son état de santé très altéré’»’; cette situation fait écho à la dégradation de son état de santé après la chute du 19 mai 2013 et la maladie cancéreuse diagnostiquée en novembre 2019′; or, à l’époque de la souscription du contrat d’assurance le 1er décembre 2011, il ne présentait pas ces problèmes de santé et avait vocation à souscrire des contrats plus avantageux pour peu que la CERA attire son attention sur l’inadaptation du contrat de la CNP Assurances qu’elle commercialisait.
C’est à bon droit que le premier juge a évalué cette perte de chance à 60’% afin de tenir compte que de fait, depuis le 8 septembre 2019 il bénéficie du remboursement des échéances des prêts au titre de la garantie ITT au titre de sa maladie’; l’appel incident de M. [S] aux fins de porter ce pourcentage à 90’% est donc rejeté.
Sur les mesures accessoires
Partie succombant dans l’essentiel de ses prétentions, la CERA est condamnée aux dépens d’appel avec recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et doit conserver la charge des frais irrépétibles exposés devant la cour’; elle est condamnée à verser à M. [S] une indemnité de procédure pour l’instance d’appel.
Le jugement entrepris est par ailleurs confirmé en ses dispositions relatives aux mesures accessoires.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Ajoutant,
Condamne la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes à verser à M. [P] [S] la somme de 3.000€ à titre d’indemnité de procédure pour l’instance d’appel,
Déboute la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes de sa demande présentée en appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes aux dépens d’appel avec recouvrement par la SELARL Dauphin-Mihajlovic conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT