ARRET
N°
[O]
C/
[F]
le 31 mai 2023
à
Me Gilles
Me Léonard le Pivert
LDS/MR
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 31 MAI 2023
*************************************************************
N° RG 22/03329 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IP52
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 13 JUIN 2022 (référence dossier N° RG F 21/00073)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [Y] [O]
[Adresse 4]
[Localité 3]
concluant par Me Jean-Marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIME
Monsieur [B] [F]
[Adresse 1]
[Localité 2]
concluant par Me Elisabeth LEONARD LE PIVERT de la SELARL LEONARD-LE PIVERT ELISABETH, avocat au barreau de COMPIEGNE
DEBATS :
A l’audience publique du 05 avril 2023, devant Mme Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.
Mme [R] [K] indique que l’arrêt sera prononcé le 31 mai 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme [R] [K] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 31 mai 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
*
* *
DECISION :
M. [O] a été embauché par M. [F], artisan exerçant sous l’enseigne SI.C.DECO (l’employeur), le 15 octobre 2018, en qualité de peintre, par contrat à durée déterminée converti le 1er août 2019 en contrat à durée indéterminée.
M. [F] emploie moins de 11 salariés et applique la convention collective du bâtiment-ouvriers- moins de 10 salariés.
Le 6 novembre 2019, le salarié a été victime d’un accident du travail qui a justifié un arrêt de travail jusqu’au 14 mars 2021.
Le 17 mars 2021, il a été déclaré inapte par le médecin du travail au motif que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée du 20 avril 2021.
Ne s’estimant pas rempli de ses droits au titre de l’exécution du contrat de travail et contestant la légitimité de son licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes de Compiègne le 29 avril 2021.
Ce dernier, par jugement du 13 juin 2022, a débouté le salarié de ses demandes, l’a condamné à payer la somme de 300 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure ainsi qu’aux dépens et a constaté que l’employeur s’engageait à lui rembourser la somme de 78,30 euros au titre des frais de contravention mises à son nom.
M. [O], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par conclusions récapitulatives remises le 1er décembre 2022, demande à la cour d’infirmer le jugement sauf en ce qu’il a constaté l’engagement de l’employeur à lui rembourser une somme et, statuant à nouveau, de :
– fixer son salaire de référence à la somme de 1 523,95 euros,
– déclarer sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour inaptitude,
– condamner l’employeur à lui payer la somme de 4 563 euros à titre de dommages intérêts,
– condamner l’employeur à lui payer au titre des heures supplémentaires la somme de 8 294 euros ainsi que les congés payés y afférents pour 829,40 euros,
– condamner l’employeur à lui payer au titre du repos compensateur la somme de 1 596,36 euros ainsi que les congés payés y afférents pour 159,63 euros,
– ordonner à l’employeur de lui remettre les bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– assortir l’ensemble des obligations des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,
– débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.
M. [F], aux termes de ses dernières conclusions remises le 9 février 2023, demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement, débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes et le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS :
1/ Sur l’exécution du contrat de travail :
1/ Sur la demande au titre des heures supplémentaires :
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.
Selon l’article L. 3121-28 du code du travail, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.
L’article L. 3121-36 du même code dispose qu’à défaut d’accord, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.
En application de l’article L.3121-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif sauf dans le cas où le salarié à l’obligation de passer par le siège de l’entreprise avant de se rendre sur le chantier.
En l’espèce, M. [O] soutient qu’il devait se présenter à l’embauche au dépôt de la société à sept heures du matin, que, comme tous les salariés, il se rendait avec le véhicule de la société sur le chantier au terme de trajets parfois très longs et le soir devait repasser par le dépôt avant de rentrer chez lui, que ces temps de trajet sont du temps de travail effectif qui devaient être payés par la société, y compris en heures supplémentaires, ce qui n’a pas été le cas, le fait qu’il ait perçu des indemnités de trajet ou de grands ou petits déplacements étant indifférent aux débats.
A l’appui de sa demande, il présente un tableau récapitulatif du temps de travail précisant jour par jour les horaires effectués, avec l’heure d’arrivée et de retour à l’atelier, le lieu du chantier, le nombre d’heures de travail quotidien ainsi que le total hebdomadaire.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre en apportant les siens.
L’employeur soutient que toutes les heures comprises entre l’arrivée du salarié au siège de l’entreprise à 8 heures et son retour au même endroit le soir, étaient payées, y compris au besoin en heures supplémentaires, en plus des indemnités de trajet et de déplacement en fonction de la distance, que, de plus, le décompte du salarié est faux en ce qu’il n’a pas décompté son heure de pause de midi, ses récupérations et ses congés.
Il verse aux débats :
– les feuilles d’heures de janvier à novembre 2019, mentionnant le nombre d’heures de travail quotidien et le lieu du chantier d’où il ressort le plus souvent une durée de travail hebdomadaire de 35 heures hormis au cours du 3ème trimestre,
– les fiches de paie de M. [O] mentionnant pour certaines des heures supplémentaires,
– les attestations de trois salariés selon lesquelles ils ont toujours été payés de leurs heures supplémentaires, deux d’entre eux précisant qu’il bénéficiaient d’une pause à midi.
La cour relève que M. [O] ne conteste pas avoir établi les feuilles d’heures, ni les mentions qui y sont portées or, celles-ci ne correspondent pas au tableau qu’il produit qui apparaît dès lors fortement exagéré ce d’autant qu’il n’a pas déduit la pause méridienne d’une heure et qu’il a compté en jours travaillés des jours où il était en repos comme le 19 avril et le 19 juin 2019.
Néanmoins, de la comparaison entre les bulletins de paie et les feuilles d’heures, il résulte que l’intégralité des heures supplémentaires n’a pas été versée en juillet, août, septembre et octobre 2019.
Au vu des éléments produits de part et d’autre, et sans qu’il soit besoin d’ordonner une mesure d’instruction, la cour a acquis la conviction au sens du texte précité que M. [O] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées à hauteur de 496,98 euros.
L’employeur sera donc condamné à lui verser la somme de 496,98 euros plus 49,69 euros au titre des congés payés afférents.
1-2/ Sur la contrepartie obligatoire en repos :
Le contingent annuel d’heures supplémentaires n’ayant pas été dépassé, cette demande est infondée.
2/ Sur la rupture du contrat de travail :
M. [O] soutient que le fait même qu’il ait pu tomber d’une échelle fait présumer le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, que les factures produites par ce dernier sont sans rapport avec les faits et établissent, au contraire, qu’il n’a jamais acheté de harnais de sécurité, ni de casque lesquels sont pourtant des éléments de sécurité absolument essentiels et qu’il ne possède qu’un seul échafaudage alors qu’il travaille sur plusieurs chantiers, qu’en tout état de cause, il n’a pas respecté les dispositions relatives à l’usage des échelles, n’a pas identifié ni évalué les risques auxquels il était exposé à défaut d’avoir élaboré un document unique d’évaluation des risques. Il en déduit qu’il a manqué à l’obligation de sécurité de résultat pesant sur lui dont il ne pourrait s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’une faute exclusive de sa part ce qui n’est pas le cas et que, par conséquent, il est fondé à demander la requalification de son licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [F] affirme s’être toujours conformé aux prescriptions légales en matière de prévention des risques en fournissant aux salariés tous les équipements nécessaires et notamment un échafaudage en aluminium mais que M. [O] a préféré poser une échelle, que sa chute n’est due qu’à sa propre imprudence et sa propre faute et que cela l’exonère de sa responsabilité.
L’employeur, tenu, en application de l’article L. 4121-1 du code du travail, d’une obligation de sécurité, en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise doit en assurer l’effectivité. En cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement pour inaptitude du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il appartient à l’employeur dont le salarié, victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité.
En application de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1 Des actions de prévention des risques professionnels ;
2 Des actions d’information et de formation ;
3 La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’article R. 4121-1 du même code impose à l’employeur de transcrire et mettre à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article précité.
L’article R. 4323-63 prévoit qu’il est interdit d’utiliser les échelles, escabeaux et marchepieds comme poste de travail sauf en cas d’impossibilité technique de recourir à un équipement assurant la protection collective des travailleurs ou lorsque l’évaluation du risque a établi que ce risque est faible et qu’il s’agit de travaux de courte durée ne présentant pas un caractère effectif.
En l’espèce, il résulte de la déclaration d’accident du travail que M. [O] est tombé d’une échelle qui a glissé alors qu’il montait dessus ce dont il est résulté une fracture de la main.
M. [F] rapporte la preuve par des factures qu’il a acquis et loué des équipements individuels et collectifs de protection pour ses salariés et notamment des échafaudages mais ne verse aux débats aucun élément s’agissant de son obligation d’évaluation et de prévention des risques notamment au regard de l’interdiction d’utiliser une échelle qui était pourtant bien présente sur le chantier.
Le manquement à l’obligation de sécurité est par conséquent établi.
Il incombe donc à l’employeur de rapporter la preuve de ce que la survenance de l’accident a une cause totalement étrangère à ce manquement.
Or, le seul élément produit concernant les circonstances de l’accident est une attestation d’un apprenti selon laquelle M. [O] utilisait une échelle alors qu’il y avait deux échafaudages et qu’il est tombé de cette échelle, qu’il avait posé sur du tissus, car, pris de panique après qu’un ouvrier a dit « pour rigoler » que M. [F] arrivait, « il est monté sur l’échelle et il est tomber ».
Cette pièce ne suffit pas à établir une faute du salarié constituant une cause exclusive de l’accident permettant d’exonérer l’employeur de son obligation de sécurité.
Il y a lieu, par conséquent, infirmant en cela le jugement, de dire que le licenciement de M. [O], consécutif à son inaptitude d’origine professionnelle, est sans cause réelle et sérieuse.
L’entreprise occupant habituellement moins de onze salariés, M. [O] peut prétendre à une indemnisation de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, d’un montant compris entre 0,5 et 3,5 mois de salaire.
En l’absence d’élément sur la situation particulière du salarié et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer la réparation qui lui est due à la somme mentionnée au dispositif.
3/ Sur les demandes accessoires :
L’employeur ne conteste pas le montant du salaire de référence retenu par le salarié à savoir 1523,95 euros.
Il devra remettre au salarié les documents de fin de contrat conformes à la solution du présent arrêt sans que la nécessité d’assortir cette obligation d’une astreinte soit démontrée.
L’issue du procès conduit à infirmer le jugement s’agissant des dépens et des frais irrépétibles.
M. [F], qui perd le procès, doit en supporter les dépens et sera condamné à verser au salarié la somme indiquée au dispositif sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Fixe le salaire de référence de M. [O] à la somme de 1 523,95 euros,
Dit que le licenciement de M. [O] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne M. [B] [F] à verser à M. [Y] [O] les sommes de :
– 496,98 euros plus 49,69 euros au titre des congés payés afférents au titre des heures supplémentaires avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau d’orientation et de conciliation du conseil de prud’hommes,
– 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt,
Ordonne à M. [F] de remettre à M. [O] un bulletin de salaire et les documents de fin de contrat conformes à la solution du présent arrêt,
Rejette toute autre demande,
Condamne M. [F] aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne M. [B] [F] à payer à M. [Y] [O] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.