1ère Chambre
ARRÊT N°154/2023
N° RG 20/04390 – N° Portalis DBVL-V-B7E-Q5LY
Mme [D] [E]
M. [P] [F]
C/
M. [A] [L]
Mme [N] [B] [T] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 31 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Patricia IBARA, lors des débats, et Madame Marie-Claude COURQUIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 11 octobre 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 31 mai 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 6 décembre 2022 à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [D] [E]
née le 20 Novembre 1968 à [Localité 6] (60)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Représentée par Me Laurent LIAUD de la SELARL GRUNBERG & ASSOCIES, avocat au barreau de VANNES
Monsieur [P] [F]
né le 09 Novembre 1967 à [Localité 11] (50)
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représenté par Me Laurent LIAUD de la SELARL GRUNBERG & ASSOCIES, avocat au barreau de VANNES
INTIMÉS :
Monsieur [A] [L]
né le 14 Février 1968 à [Localité 5] (56)
[Adresse 10]
[Localité 9]
Représenté par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Pascal DAVID de la SCP MORVANT DAVID MALLEBRERA BRET-DIBAT, Plaidant, avocat au barreau de VANNES
Madame [N] [B] [T] [J]
née le 05 Janvier 1968 à [Localité 7] (44)
[Adresse 10]
[Localité 9]
Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Pascal DAVID de la SCP MORVANT DAVID MALLEBRERA BRET-DIBAT, Plaidant, avocat au barreau de VANNES
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte reçu le 8 août 2013 par maître [V], notaire à [Localité 8], M. [F] et Mme [E] ont vendu à M. [L] et Mme [J] au prix de 255.000 € une propriété d’une superficie de 2 a 8 ca cadastrée section AY n°[Cadastre 2] édifiée d’une maison d’habitation sise à [Adresse 10] correspondant à la description suivante :
– au RDC : séjour, salle à manger, cuisine, WC,
– au 1er étage : 2 chambres, salle de bains, WC, salle d’eau, mezzanine, bureau,
– Au 2ème étage : 2 chambres, salle de jeux, terrain attenant.
L’immeuble vendu est une maison d’architecte à ossature bois édifiée en 2005 réalisée par Mme [E], architecte, construite en auto-construction pour le gros-oeuvre, l’ossature bois, dont le bardage Silverwood blanc, et les menuiseries extérieures, tandis que les bardages à claire voie ont été posés par la sarl DJM devenue Desbois Artisan Menuisier (ci-après la sarl DAM).
Elle a été récompensée en 2012 d’un premier prix des Maisons du Morbihan de moins de 150 m², relayé dans la presse, et a fait l’objet d’une sélection au salon du bois d'[Localité 4] le 26 octobre 2009.
En novembre 2017, M. [L] et Mme [J] ont constaté une infiltration d’eau dans la maison et ont fait intervenir la sarl Desbois qui a procédé à un démontage d’une partie du bardage pour rechercher une fuite et a remplacé une bavette en aluminium gris sur une des fenêtres de l’habitation.
La sarl DAM a établi un devis d’un montant de 4.794,90 € de réfection de 12 m² de bardage démonté, en mentionnant une condition préalable d’intervention consistant en une expertise de l’ensemble de la maison pour de possibles autres fuites et le passage d’un expert spécialisé dans le traitement des bois afin de s’assurer qu’il n’y ait pas d’insectes du bois dans la structure dus à l’humidité.
M. [L] et Mme [J] ont fait intervenir la clinique du bois le 22 janvier 2018 qui a constaté la présence de champignon lignivore de type ‘mérule’ sur les bois de structure de l’ossature de la maison, a relevé plusieurs défauts de construction après contrôle visuel des pignons de façade et a conseillé le passage d’un expert en construction de maison à ossature bois pour un relevé précis des défauts.
Sur assignation délivrée le 5 février 2018 à l’initiative de M. [L] et Mme [J], acquéreurs, le juge des référés du tribunal judiciaire de Vannes a, par ordonnance du 5 avril 2018, confié une expertise aux frais avancés des demandeurs à M. [Z], remplacé par M. [I] par ordonnance du 30 mai 2018.
Par ordonnance de référé du 22 novembre 2018, les opérations d’expertise ont été étendues à la sarl DAM et à M. [W] [R] ayant quant à lui réalisé en 2014, soit postérieurement à la vente, la terrasse en bois et remanié le terrain.
L’expert judiciaire M. [I] a déposé son rapport le 28 juin 2019.
Par ordonnance du 15 juillet 2019, M. [L] et Mme [J] ont été autorisés à faire assigner M. [F] et Mme [E] à jour fixe à une audience de plaidoirie le 14 janvier 2020 avec un calendrier de procédure, date à laquelle la demande de renvoi des défendeurs a été rejetée, l’affaire ayant été plaidée et mise en délibéré au 10 mars 2020.
Par jugement du 10 mars 2020, le tribunal judiciaire de Vannes a :
– dit n’y avoir lieu à statuer sur l’homologation du rapport d’expertise judiciaire et la subrogation dans les droits des demandeurs,
– dit que l’immeuble vendu est affecté d’un vice caché le rendant impropre à sa destination,
– déclaré inapplicable la clause d’exclusion des vices cachés compte tenu de la qualité de professionnels et d’auto-constructeurs des vendeurs,
– prononcé la résolution de la vente du bien immobilier et ordonné la remise des parties en l’état antérieur à la vente,
– condamné solidairement M. [F] et Mme [E] à payer à M. [L] et Mme [J] les sommes de :
– 255.000,00 € avec intérêt au taux légal à compter du 2 juin 2002 et dit qu’à compter du paiement, les acquéreurs devront restituer le bien aux vendeurs,
– 3.789,93 € au titre des frais notariés de la vente avec intérêt au taux légal à compter du 8 août 2013,
– 9.122,67 € au titre des impenses afférentes aux travaux réalisés sur le bien immobilier par les acquéreurs avec intérêt au taux légal à compter de l’assignation au fond devant le tribunal judiciaire de Vannes,
– rejeté le surplus des demandes en réparation,
– ordonné la capitalisation des intérêts,
– rejeté la demande d’exécution provisoire du jugement,
– condamné M. [F] et Mme [E] in solidum à payer à M. [L] et Mme [J] la somme de 6.500 € au titre des frais irrépétibles,
– condamné M. [F] et Mme [E] in solidum aux dépens comprenant les dépens afférents aux ordonnances de référé des 5 avril et 22 novembre 2018, les frais d’honoraires de l’expert judiciaire, les frais de publication au service de la publicité foncière de l’assignation et du jugement à intervenir et les frais afférents aux différentes inscriptions d’hypothèques judiciaires provisoires.
M. [F] et Mme [E] ont interjeté appel par déclaration du 16 septembre 2020.
Par requête du 15 octobre 2020, M. [L] et Mme [J] ont demandé une fixation prioritaire de l’affaire laquelle a, par ordonnance du 9 novembre 2020, été rejetée motif pris de ce qu’il ressortait de l’expertise (p. 35) que les travaux à envisager étaient des travaux de rénovation portant sur la façade sud-ouest et que l’expert n’avait pas remarqué d’infiltrations sur les trois autres façades, que les mesures de sécurité avaient été prises, que dans ce contexte, alors qu’il devait être statué sur la réparation intégrale du préjudice subi, il n’était pas établi que les droits des intimés étaient en péril au sens de l’article 917 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [F] et Mme [E] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 février 2021 auxquelles il est renvoyé.
Ils demandent à la cour de :
– les dire recevables et bien fondés en leur appel,
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit que le bien immobilier vendu était affecté d’un vice caché le rendant impropre à sa destination,
– déclaré inapplicable la clause d’exclusion des vices cachés à raison de la qualité des vendeurs de professionnels d’auto-constructeurs,
– prononcé la résolution de la vente et la remise en état antérieur,
– condamné solidairement les vendeurs à payer aux acquéreurs les sommes de :
– 255.000 € avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2002 et dit qu’à compter du paiement, les acquéreurs devront restituer le bien immobilier aux vendeurs,
– 3.789,93 € au titre des frais notariés de la vente avec intérêt au taux légal à compter du 8 août 2013,
– 9.122,67 € au titre des impenses afférentes aux travaux réalisés sur le bien immobilier par les acquéreurs avec intérêt au taux légal à compter de l’assignation au fond devant le tribunal judiciaire de Vannes,
– ordonné la capitalisation des intérêts,
– condamné les vendeurs à payer aux acquéreurs la somme de 6.500 € au titre des frais irrépétibles,
– condamné les vendeurs in solidum aux dépens comprenant les dépens afférents aux ordonnances de référé des 5 avril et 22 novembre 2018, les frais d’honoraires de l’expert judiciaire, les frais de publication au service de la publicité foncière de l’assignation et du jugement à intervenir ainsi que les frais des inscriptions d’hypothèques judiciaires provisoires,
– statuant à nouveau,
– dire M. [L] et Mme [J] mal fondés en leur action,
– en conséquence,
– les débouter de leurs demandes,
– en tous cas,
– les débouter de leur appel incident,
– confirmer le jugement ayant débouté Mme [J] et M. [L] de leur demande tendant à leur condamnation solidaire à payer une somme de 23.854,15 € au titre des impenses liées aux travaux réalisés sur le bien immobilier,
– les débouter de leurs demandes à ce titre,
– confirmer le jugement les ayant déboutés de leur demande tendant à leur condamnation solidaire à leur rembourser le coût de l’assurance immobilière,
– débouter Mme [J] et M. [L] de leurs demandes à ce titre,
– en toute hypothèse,
– condamner in solidum Mme [J] et M. [L] à leur payer la somme de 6.000 € au titre des frais irrépétibles,
– condamner in solidum Mme [J] et M. [L] aux dépens comprenant les dépens d’appel, de première instance, de référé, le coût de l’expertise judiciaire, les frais de publication au service de la publicité foncière et les frais des inscriptions d’hypothèques judiciaires provisoires.
Ils soutiennent qu’ils ne sont pas des vendeurs professionnels et que la clause d’exclusion de garantie des vices cachés doit recevoir application dès lors que Mme [E] n’a été inscrite à l’ordre des architectes qu’en 2007, soit postérieurement au chantier, et que M. [F] n’a jamais exercé la profession d’architecte, qu’un nombre important de travaux a été réalisé par des entreprises, dont la pose du bardage à claire-voie par la sarl DJM devenue DAM, incluant une intervention sur le pare-pluie qui devait être remplacé, qu’ils n’ont jamais eu à déplorer un quelconque désordre pendant les 8 années d’occupation, que la preuve n’est pas rapportée de ce que de quelconques désordres étaient existants à l’état de germe depuis la construction, que leur antériorité à la vente n’est donc pas caractérisée, qu’il résulte de l’analyse de M. [Y], mycologue, expert près la cour d’appel de Nancy, que la mérule a été identifiée à tort par l’expert judiciaire puisqu’il s’agit du Leucogyrophana pulverulenta qui n’est pas un champignon lignivore, qu’aucune atteinte à la structure ne peut dès lors être caractérisée, qu’en tout état de cause, les désordres ne sont pas évolutifs mais localisés en quelques points sur la façade sud-ouest sans aucune généralisation, que les acquéreurs ont fait réaliser des travaux de terrasse, de ravalement du bardage blanc et n’ont pas repositionné les bavettes, toutes causes qui ont pu contribuer aux désordres, qu’enfin, tout au plus, quelques infiltrations pourraient être reprochées. Sur l’appel incident quant au montant des impenses et aux cotisations d’assurance, ils concluent à la confirmation de leur rejet dès lors que les travaux n’étaient pas nécessaires et que le paiement d’une cotisation d’assurance est obligatoire quel que soit le logement occupé.
M. [L] et Mme [J] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 avril 2021 auxquelles il est renvoyé.
Ils demandent à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– prononcé la résolution de la vente,
– condamné solidairement et conjointement M. [F] et Mme [E] à leur payer les sommes de :
– 255.000 € correspondant au prix de vente majoré de l’intérêt au taux légal à compter du 8 août 2013 (et non du 2 juin 2002 comme retenu par erreur au jugement),
– 3.789,93 € au titre des frais notariés à l’exclusion des droits d’enregistrement avec intérêt au taux légal à compter du 8 août 2013,
– réformer le jugement sur les impenses et statuant à nouveau,
– condamner solidairement et conjointement M. [F] et Mme [E] à leur régler les sommes de :
– 23.854,15 € au titre des impenses afférentes aux travaux réalisés par eux sur le bien immobilier avec intérêt au taux légal à compter du 23 juillet 2019, date de l’assignation au fond devant le tribunal de grande instance de Vannes,
– 2.384,88 € au titre des assurances immobilières acquittées par eux, outre les frais d’assurance du bien immobilier à intervenir à compter de janvier 2022 jusqu’au jour où l’arrêt à intervenir sera passé en force de chose jugée, ladite somme étant majorée de l’intérêt au taux légal à compter du 23 juillet 2019, date de l’assignation au fond devant le tribunal de grande instance de Vannes,
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
– ordonné la capitalisation des intérêts,
– condamné M. [F] et Mme [E] à leur payer in solidum la somme de 6.500 € au titre des frais irrépétibles,
– y ajoutant,
– condamner solidairement M. [F] et Mme [E] à leur payer la somme de 8.000 € au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner solidairement M. [F] et Mme [E] aux dépens de première instance et d’appel comprenant le coût de la sommation interpellative délivrée à la sarl DAM le 22 février 2021, les dépens afférents aux ordonnances de référé des 5 avril et 22 novembre 2018, les frais d’honoraires de l’expert judiciaire, les frais de publication de l’assignation et de l’arrêt à intervenir au service de la publicité foncière et les frais afférents aux inscriptions d’hypothèques judiciaires provisoires et leurs frais de renouvellement.
Ils soutiennent que les vendeurs sont architectes de formation, que la clause de non-garantie des vices cachés leur est inopposable, que les désordres d’infiltration d’eau, d’humidité, et de petite mérule sont inhérents à la construction de la maison en 2005, la pose des menuiseries et du pare-pluie ayant été mal exécutée par les vendeurs, l’étanchéité à l’eau n’étant pas assurée. Ils soulignent le caractère caché et grave des vices, le champignon Leucogyrophana pulverulenta étant classé dans les cinq espèces de champignons lignivores les plus courantes et rappellent que l’expert judiciaire a conclu à l’atteinte à la stabilité de l’ouvrage et à son impropriété à sa destination, ayant relevé une altération de la résistance des pièces de bois qui menacent de s’effondrer. Eu égard au montant élevé des réparations, ils entendent exercer l’action rédhibitoire sur le prix de vente, outre le remboursement des frais de vente, des impenses, dont le coût de la terrasse, des cotisations d’assurance et des frais de l’ensemble des procédures et de publication.
M. [L] et Mme [J] n’ont pas interjeté appel incident du rejet de leur demande de remboursement des taxes foncières acquittées, le jugement ayant retenu, au visa de l’article 1961 du code général des impôts, que la demande de restitution de ces taxes devait être effectuée auprès du Trésor Public après que la résolution judiciaire soit passée en force de chose jugée. Ils n’ont pas non plus interjeté appel incident du rejet de leur demande d’homologation du rapport d’expertise ni de leur demande de subrogation de M. [F] et Mme [E] dans leurs droits du chef de l’aménagement d’une terrasse et des aménagements paysagers réalisés en 2014 par M. [R].
MOTIFS DE L’ARRÊT
À titre liminaire, il convient de rappeler que l’office de la cour d’appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de ‘constater’, ‘dire’ ou ‘dire et juger’ qui, hors les cas prévus par la loi, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile lorsqu’elles sont seulement la reprise des moyens censés les fonder.
1) Sur l’inapplicabilité de la clause de non-garantie des vices cachés en raison de la qualité des vendeurs
En application des articles 1641 et suivants du code civil, le vendeur professionnel ne peut ignorer les vices de la chose vendue et, tenu de les connaître, il ne peut se prévaloir d’une stipulation excluant, limitant ou aménageant à l’avance sa garantie pour vices cachés de sorte qu’assimilé à un vendeur de mauvaise foi présumé de manière irréfragable connaître les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix, à des dommages-intérêts au bénéfice de l’acheteur.
Il est de jurisprudence désormais ancienne et constante que la qualité de vendeur professionnel est étendue au vendeur occasionnel qui dispose d’une compétence particulière relativement au bien vendu même s’il n’a pas réalisé personnellement les travaux (Cass. 3ème civ., 26 avril 2006, n° 04-18.466) ou qui, dans la réalisation de travaux antérieurs à la vente, s’est comporté comme un maître d’oeuvre, a acheté les matériaux, conçu l’installation litigieuse et l’a en partie réalisée (Cass. 3ème civ. 9 févr. 2011, n° 09-71.498), ou encore qui a vendu un bien immobilier après l’avoir conçu ou construit (Cass. 3ème civ. 26 fév. 1980).
En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que Mme [E] et M. [F] sont architectes DPLG de formation, que Mme [E] a obtenu son diplôme le 4 février 1994 tandis que M. [F] l’a obtenu le 28 février 1995 et que Mme [E] a exercé ladite profession notamment au sein du cabinet d’architectes Ancrage [G] [C] de janvier 2004 à avril 2006, que sa profession a été mentionnée dans l’acte de vente, que l’absence d’inscription à l’ordre des architectes avant 2007 ou l’absence d’emploi au moment de la vente sont indifférentes aux qualifications professionnelles respectives de chacun.
De même, la maison à ossature bois a été construite suivant les plans établis par les soins de Mme [E] et la majeure partie des travaux a été réalisée par les appelants en auto construction, notamment le gros oeuvre, l’ossature bois et les menuiseries extérieures, ainsi que la pose d’un pare-pluie.
L’acte de vente rappelle en effet en page 16 que Mme [E] et M. [F] ont eux-mêmes effectué les travaux de ‘gros-oeuvre, charpente, menuiserie, cloison-isolation, sols, plomberie’.
Il résulte encore de ces mêmes pièces que Mme [E] et M. [F] ont assuré le suivi du chantier des autres lots, ce que leur permettaient leurs compétences professionnelles.
Ces circonstances de fait, couplées aux qualifications professionnelles de Mme [E] et de M. [F], qui sont antérieures à la vente, conduisent à retenir leur qualité de vendeurs professionnels et, par voie de conséquence, à écarter la clause d’exonération des vices cachés insérée à l’acte authentique de vente du 8 août 2013.
La cour d’appel souligne du reste que Mme [E] et M. [F] n’ont pas cru devoir attraire à la cause, hormis la sarl DAM ayant posé le bardage à claire-voie, un seul des autres entrepreneurs ayant réalisé des travaux sur le bien immobilier litigieux.
Le jugement, qui a retenu la qualité de vendeurs professionnels des appelants et a écarté la clause de non-garantie des vices cachés, sera donc confirmé sur ces points.
2) Sur l’existence des vices
2.1) Sur l’antériorité des vices par rapport à la vente
L’article 1641 du code civil dispose que ‘Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.’
La mise en oeuvre de cette garantie légale suppose l’existence, au jour de la vente, d’un vice apparu antérieurement à cette dernière, caché lors de la vente, inhérent à son objet, et rendant l’immeuble impropre à son usage.
En l’espèce, le rapport d’expertise judiciaire de M. [I] du 28 juin 2019 rend compte des constatations suivantes sur la maison à ossature bois litigieuse :
– existence d’infiltrations sur toutes les menuiseries extérieures et leur entourage,
– instabilité du plancher de la salle à manger, pourrissement du plancher dans la chambre parentale et désolidarisation du plancher dans l’autre chambre,
– mauvaise ventilation du bardage de la maison,
– présence d’humidité,
– présence de pourritures cubiques et molles qualifiées de mérule (p. 29).
L’expert judiciaire liste un ensemble de désordres :
* infiltration des ouvertures :
– constatation de taux d’humidité importants à saturation au niveau des ouvertures, sur les planchers et les doublages des chambres 1 et 2 et du dégagement du l’étage,
– infiltrations d’eau provoquant un pourrissement du plancher bois et l’apparition de pourritures molles,
– sur la façade, infiltrations d’eau provoquant un pourrissement de l’ossature bois et l’apparition de pourritures cubiques,
– les infiltrations sont la conséquence de la mauvaise pose des menuiseries et du pare pluie,
* infiltration de la baie ouest :
– les taches d’humidité entre le pare-pluie et l’ossature sont le résultat d’une mauvaise conception et réalisation du linteau bois,
– le capotage en zinc ne peut pas assurer l’étanchéité de l’ossature, l’eau ruisselle le long des montants,
– présence de trois couches de pare-pluie empêchant la respiration du mur bois,
* présence d’humidité et petite mérule :
– les sondages ont révélé la présence de petite mérule en façade sud-ouest au droit du linteau en lamellé collé de la fenêtre du séjour, le taux d’humidité est à saturation,
– la fenêtre du bureau de l’étage est posée en tunnel entre l’ossature sans rejingot,
– des joints silicone sont présents des deux côtés de la bavette aluminium,
– le linteau, le contreventement OSB et la structure bois sont pourris.
Ainsi, l’expert a-t-il conclu que la stabilité de l’ouvrage était affectée par le pourrissement, que les pourritures et les champignons en façade sud-ouest et les venues d’eau étaient de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination, que les désordres étaient le résultat d’une mauvaise réalisation de l’ossature bois et de la pose des menuiseries extérieures, que le pare-vapeur ne garantissait pas une perméance adéquate, que la présence de deux pare pluie, le premier bitumineux et le deuxième de type delta vent, provoquait une condensation du mur bois, que l’absence de rejingot et la pose défectueuse du pare-pluie provoquaient les infiltrations qui affectaient l’ouverture et l’ossature bois, que l’utilisation de matériaux et le double emploi de pare-vapeur pour le traitement de l’étanchéité à l’eau et de l’étanchéité à l’air, n’étaient pas conformes, qu’enfin, les recommandations du DTU 3 1.2 de 1993 n’étaient pas respectées.
Pour la première fois en cause d’appel, M. [F] et Mme [E] versent aux débats une note technique d’un expert mycologue, M. [Y], datée du 24 octobre 2019, exposant que les Leucogyrophana (petite mérule) sont incapables de pénétrer les maçonneries, nécessitent un traitement plus léger et moins onéreux que pour la mérule et ne nécessitent qu’un assèchement du milieu, une bonne ventilation et une pulvérisation de fongicide, et en aucun cas ne peuvent rendre un bien impropre à sa destination puisqu’il s’agit d’un champignon facilement éradicable.
Toutefois, outre que cette note n’a pas été soumise au contradictoire alors qu’elle est antérieure à la date de l’audience sur le fond du 14 janvier 2020 en première instance, M. [Y] n’est pas venu sur les lieux de l’immeuble, ne l’a pas examiné et n’a pas étudié les échantillons prélevés par l’expert judiciaire.
Par ailleurs, son propos porte sur des champignons susceptibles de dégrader des maçonneries et non une ossature en bois, qui est pourtant le cas d’espèce.
Enfin, les échantillons prélevés par M. [I] ont été quant à eux analysés en laboratoire par M. [X], sapiteur, du cabinet Abarco, qui a mis en évidence de la ‘petite mérule’ (leucogyrophana pulverulenta), basidiomycète lignivore provoquant de la pourriture cubique brune dans les bois infestés et qui, dans une note technique du 30 mars 2021, a confirmé que la leucogyrophana pulverulenta dite ‘petite mérule’ était bel et bien classée dans les cinq espèces de champignons lignivores les plus courantes.
Quoique l’ensemble de la maison n’a pas été mise à nue, la caractéristique lignivore du champignon identifié, se développant sur une ossature bois dans un milieu humide, associée aux défauts constructifs favorisant les infiltrations par l’ensemble des menuiseries de la maison et l’insuffisance de perméance du pare pluie, traduisent une situation d’infestation généralisée de la maison.
Ainsi, il a été clairement conclu à la présence de petite mérule dans le bien immobilier litigieux trouvant sa cause dans une mauvaise réalisation initiale de l’ossature bois et de son étanchéité ainsi que dans une pose défectueuse des menuiseries extérieures, conclusions qui ne sont pas remises en cause par la note technique de M. [Y].
M. [L] et Mme [J] ont d’ailleurs effectué la déclaration réglementaire de mérule en mairie de [Localité 9] le 5 décembre 2018.
L’absence de rejingot (appui de fenêtre réglementaire), le contre-sens des bavettes aluminium ont été des facteurs aggravants, de même que le défaut de tension du pare-pluie provoquant des retenues d’eau ou encore le déclipsage de certains appuis de fenêtres et la réalisation non conforme d’une terrasse en bois en 2014 par les acquéreurs. Ils n’en ont toutefois, ainsi que l’expert le conclut, pas été la cause originelle.
Il s’évince de l’ensemble de ces circonstances que les désordres sont en réalité contemporains de la construction de la maison qui présentait dès le départ des défauts constructifs structurels, soit dès 2005, ayant conduit à des infiltrations ayant débuté dès l’origine pour aboutir à une situation de pourrissement du bois dont le démontage du bardage sur 12 m² effectué en 2017 a permis de mesurer l’ampleur.
L’existence des vices de même que leur antériorité à la vente mais aussi leur gravité sont en conséquence parfaitement établies.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
3) Sur les préjudices
3.1) Sur la résolution de la vente et la restitution du prix de vente
L’article 1644 du code civil dispose que l’acquéreur a le choix entre l’action estimatoire et rédhibitoire. L’action rédhibitoire permet de faire prononcer la résolution du contrat, l’acheteur devant rendre la chose et le vendeur le prix. L’acheteur a alors droit à réparation intégrale du préjudice par la remise en l’état des parties et la réparation du préjudice de jouissance subi et les frais afférents à la vente.
En l’espèce, les acquéreurs demandent l’action rédhibitoire, soulignant que l’estimation du montant des travaux de remise en état est de 108.394,68 € TTC et représente 42,5 % du prix de vente, sans certitude que ces travaux soient suffisants pour éradiquer le champignon, les devis mentionnant des réserves quant à la profondeur exacte de la contamination du champignon dans le gros-oeuvre et quant à l’aggravation des désordres compte tenu du temps écoulé.
Le jugement, qui a fait droit à la demande de résolution de la vente et à la demande de restitution du prix de vente, sera confirmé sur ces deux points. A compter du paiement, les acquéreurs devront la restitution du bien aux vendeurs. L’intérêt au taux légal sera fixé à compter du 8 août 2013 ainsi que sollicité, ce point du jugement étant infirmé pour avoir retenu par une erreur de plume une date fixée au 2 juin 2002.
3.2) Sur les frais de la vente
L’article 1645 du code civil dispose que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur. Le vendeur professionnel est réputé les avoir connus en vertu d’une présomption irréfragable de responsabilité.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné solidairement M. [F] et Mme [E] à payer à M. [L] et Mme [J] la somme de 3.789,93 € correspondant aux frais notariés de la vente, majoré d’intérêts au taux légal à compter du 8 août 2013, ces frais ayant, du fait de la résolution de la vente, été vainement exposés.
3.3) Sur les impenses
En première instance, le tribunal judiciaire de Vannes a fait droit aux demandes des acquéreurs à concurrence de la somme de 9.122,67 € correspondant au travaux suivants :
– 4.843,14 € TTC : travaux de peinture sur la partie de bardage bois peint en blanc, avec lavage machine à basse pression et traitement anti-cryptogamique réalisés par la société Josselin Peinture,
– 1.617,98 € : travaux de parquet en 2013 (facture Le Mentec),
– 2.538,35 € : travaux de revêtement de sol (jonc) (facture Saint-Maclou),
– 123.20 € TTC : travaux de remplacement d’une bavette.
En revanche, la juridiction de première instance n’a pas fait droit à la demande de M. [L] et de Mme [J] de remboursement des travaux de terrasse et d’aménagement paysager réalisés par M. [R] pour le prix de 14.731,48 € TTC.
En effet, ainsi que l’a relevé l’expert judiciaire, la terrasse s’est avérée non conforme (lames trop serrées, placées sous et en contact avec le bardage bois, bardage trop près des lames de terrasses ne protégeant pas des remontées d’eau, ventilation sous terrasse insuffisante).
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté cette demande de remboursement, une terrasse non conforme ne remplissant pas les critères d’utilité attendus pour en permettre le remboursement au titre des impenses, étant relevé que le locateur d’ouvrage, M. [R], n’a pas été mis en cause.
De même, la preuve n’est pas rapportée de l’utilité des autres travaux confiés à M. [R] (dalles pour une allée, clôtures en panneaux flexibles en remplacement d’une précédente clôture en bois).
Le jugement sera en conséquence confirmé sur le point du montant des impenses retenues.
3.4) Sur la capitalisation des intérêts
En application des dispositions de l’article 1231-16 du code civil, les intérêts échus pour une année entière intégreront le capital et porteront eux-mêmes intérêts au taux légal.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
3.5) Sur l’assurance de l’immeuble litigieux
M. [L] et Mme [J] s’estiment fondés à solliciter le remboursement d’une somme réévaluée à 2.384,88 € correspondant aux cotisations d’assurance acquittées du 1er décembre 2013 au 31 décembre 2021, outre le remboursement des frais d’assurance de l’immeuble à échoir à compter du 1er janvier 2022 jusqu’au jour où l’arrêt à intervenir sera passé en force de chose jugée, cette dépense d’assurance ayant selon eux été engagée pour garantir ce qui se révèle au final être le bien d’autrui.
Toutefois, ils n’établissent pas plus en appel qu’en première instance qu’ils auraient payé un moindre coût d’assurance pour l’occupation d’un autre logement, étant précisé que l’assurance habitation est obligatoire non pas tant du fait de la propriété d’un bien mais de celui de son habitation, et qu’ils auraient donc été tenus d’en souscrire une s’ils avaient dû occuper un autre bien.
M. [L] et Mme [J], qui auraient dû supporter en tout état de cause le coût d’une assurance couvrant les risques de l’habitation d’un logement occupé, ne font pas la démonstration de leur préjudice.
Le jugement, qui a rejeté leur demande, sera confirmé sur ce point.
4) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant en leur appel à titre principal, M. [F] et Mme [E] supporteront les dépens d’appel comprenant les frais de publication du présent arrêt au service de la publicité foncière.
Le jugement sera confirmé s’agissant des dépens retenus en première instance.
Enfin, eu égard au fait que la procédure a nécessité deux procédures de référé, le suivi des opérations d’expertise et à l’issue, une procédure sur le fond à jour fixe, suivie d’une procédure devant la présente cour d’appel, il n’est pas inéquitable de condamner M. [F] et Mme [E] in solidum à payer à M. [L] et Mme [J] la somme de 8.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par eux en appel, comprenant le coût de la sommation interpellative délivrée à la sarl DAM le 22 février 2021, en plus de l’indemnité allouée par le tribunal.
Le jugement sera confirmé s’agissant des frais irrépétibles de première instance tandis que les demandes de M. [F] et Mme [J] de ce chef seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Vannes du 10 mars 2020 sauf s’agissant du point de départ de l’intérêt au taux légal courant sur la somme de 255.000 € fixé au 2 juin 2022 par suite d’une erreur matérielle,
Statuant à nouveau,
Fixe au 8 août 2013 le point de départ de l’intérêt au taux légal courant sur la somme de 255.000 € mise à la charge solidaire de M. [F] et Mme [E], et, en tant que de besoin, les y condamne,
Condamne M. [P] [F] et Mme [D] [E] in solidum aux dépens d’appel, comprenant les frais de publication du présent arrêt au service de la publicité foncière,
Condamne M. [P] [F] et Mme [D] [E] in solidum à payer à M. [A] [L] et Mme [N] [J] la somme de 8.000 € au titre des frais irrépétibles d’appel,
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE