Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 13 JUIN 2023
(n° / 2023 , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/05325 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDKQI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 mai 2019 -Tribunal de commerce de PARIS – RG n° 2017071037
APPELANT
Monsieur [L] [N]
Né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 9] (92)
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocate au barreau de PARIS, toque : B0515,
INTIMÉ
Monsieur [X] [I]
Né le [Date naissance 3] 1973 [Localité 8] (72)
Demeurant [Adresse 4]
[Localité 7]
Représenté par Me Anne-Marie MAUPAS-OUDINOT, avocate au barreau de PARIS, toque : B0653,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 juin 2022, en audience publique, devant la cour, composée de:
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre, chargée du rapport,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
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* *
FAITS ET PROCÉDURE:
Le 10 juillet 2007, M.[N] et M.[I] ont créé la SARL Inesmacha. Le 9 octobre 2007, la société a acquis un fonds de commerce de bar restauration exploité sous l’enseigne ‘le septième vin’, sis [Adresse 5].
Le 1er décembre 2010, la SARL Inesmacha a été transformée en SAS. M. [N], détenant 55% du capital social, a été désigné président de la société et M. [I], détenant 45% du capital, a été nommé directeur général.
M.[I] a démissionné pour raisons personnelles de ses fonctions de directeur général par lettre du 27 janvier 2017, avec effet au 31 janvier 2017.
Par jugement du 9 novembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Inesmacha et fixé la date de cessation des paiements au 31 mai 2017.
Le 27 juillet 2018, le tribunal a arrêté un plan de cession de la société Inesmacha au profit de la SNC Saint Cirgues, puis a prononcé la liquidation judiciaire le 31 juillet 2018.
Le 8 juillet 2020, le tribunal a prononcé la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.
M.[I] arguant avoir cédé à M. [N], en janvier 2017, les actions qu’il détenait dans la société Inesmacha moyennant le prix de 40.000 euros et n’avoir pas été payé du prix de cession, a, par acte du 23 novembre 2017, fait assigner M.[N] devant le tribunal de commerce de Paris, initialement pour obtenir l’annulation de cette cession, puis dans le dernier état de la procédure, le paiement du prix de cession.
Par jugement du 24 mai 2019 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a condamné M.[N] à verser à M.[I] la somme de 40.000 euros en paiement du prix de cession, ainsi qu’une indemnité de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes plus amples ou contraires et condamné M.[N] aux dépens,
M.[N] a interjeté appel de ce jugement le 19 mars 2021.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 15 décembre 2021, M.[N] demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter M.[I] de toutes ses demandes, fins et conclusions, statuant à nouveau, juger que les éléments constitutifs d’un contrat de cession d’actions ne sont pas réunis, rejeter les demandes de M.[I] et le condamner au paiement d’une indemnité de 4.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le
16 septembre 2021, M.[I] demande à la cour de déclarer M.[N] non fondé en son appel, le débouter en tout état de cause de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en conséquence, confirmer le jugement entrepris dans l’ensemble de ses dispositions sauf en ce qu’il l’a débouté sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros, statuant à nouveau de ce chef, condamner M.[N] à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, ordonner la capitalisation des intérêts et condamner M.[N] au paiement de 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui pourront être recouvrés avec le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
SUR CE
– Sur la demande en paiement du prix de cession
M.[N] conteste l’existence de la cession des actions invoquée par M.[I], arguant que si la cession a été envisagée, elle ne s’est jamais concrétisée. Il soutient que l’existence d’une cession implique de rapporter la preuve de la volonté des deux associés de céder des titres, laquelle suppose la rencontre d’une offre et d’une acceptation des conditions essentielles de la cession et que tel n’est pas le cas, aucun élément n’étant apporté sur le prix et les conditions contractuelles de la prétendue cession d’actions. Il ajoute que le prix de 40.000 euros invoqué est complètement fantaisiste, les capitaux propres de la société étant négatifs. Il fait valoir que les éléments relatifs à sa démission démontrent que M.[I] n’était pas dans l’impossibilité de se procurer un écrit pour justifier de la prétendue cession.
Il reproche au jugement de s’être appuyé sur un extrait tronqué du bilan économique et social établi par l’administrateur judiciaire pour reconnaître l’existence de la cession .
M.[I] soutient que la cession de ses actions est intervenue le 27 janvier 2017, date à laquelle M.[N] lui a enjoint de se rendre chez l’expert-comptable de la société, qui lui a expliqué que la société était criblée de dettes, notamment une dette Urssaf de 200.000 euros et qu’il devait de toute urgence, soit céder ses actions, soit vendre le fonds de commerce, soit réinvestir de l’argent dans la société, que sous cette pression, il a alors cédé toutes ses actions pour un montant de 40.000 euros sans qu’une copie de l’acte de cession d’actions ne lui soit remise. Il précise avoir en vain contacté ultérieurement Maître Beguin, avocat de M. [N], afin d’obtenir la copie de l’acte de cession qu’il lui avait fait signer.
Il fait valoir que M.[N] a usé de man’uvres frauduleuses et détient de nombreuses preuves de ladite cession et du prix fixé, qu’il a tiré profit des rapports d’amitié et de confiance existant entre les deux associés ainsi que de son absence d’expérience des affaires puisqu’il exerce la profession de serveur et qu’il est dans l’impossibilité matérielle et morale de produire un acte écrit de cession, compte tenu des circonstances de l’espèce.
Il incombe à M.[I], qui agit en paiement en exécution d’un acte de cession, de rapporter la preuve de l’existence de cette cession, M.[N] soutenant que les échanges à ce sujet n’ont pas dépassé le stade du projet.
Aucun acte de cession n’est produit et le registre des titres de la société Inesmacha n’a enregistré aucun mouvement concernant les actions détenues par M.[I]. M.[I] ne communique aucun écrit émanant de M.[N] et il est également constant qu’aucun paiement n’est intervenu au titre de la cession invoquée.
M.[I] verse aux débats diverses pièces, permettant selon lui de pallier l’absence de production d’un acte de cession, dont il convient d’examiner la pertinence et le caractère probatoire.
En pièces 6 et 7, M.[I] produit les lettres recommandées en date du 21 juillet 2017, qu’il a adressées à M.[N] et en copie à la SAS Inesmacha, dans lesquelles il fait état:
– d’un rendez-vous le 27 janvier 2017 chez Maître Beguin, avocat de M.[N], au cours duquel cet avocat lui a fait signer une cession des actions sur la base d’un prix de 40.000 euros et une lettre de démission de ses fonctions de directeur général, ce rendez-vous ayant été précédé d’une rencontre avec l’expert-comptable,
– du fait qu’il a signé en urgence des papiers dont il n’a pas reçu copie, qu’il n’a reçu aucun règlement, et en conséquence de ce qu’il conteste la cession ‘ que l’on m’a forcé à signer en m’invoquant l’urgence et en me faisant pression. Cette cession est nulle et au moins cette cession est à résilier pour absence de paiement./ J’annule la cession et je la résilie au pire.’ .
Si la lettre (pièce 5) par laquelle M.[I] informe M.[N] de sa démission de ses fonctions de directeur général, ‘pour des motifs d’ordre personnel’ est datée du
27 janvier 2017, date correspondant au rendez-vous invoqué par M.[I], elle ne mentionne à aucun moment la signature concomitante d’un acte de cession de ses actions, ni au demeurant d’un quelconque projet en ce sens. Il ne peut donc pas être tiré de cette lettre de démission, la preuve de la conclusion d’un accord des parties sur la cession des actions, quand bien même un projet ait pu être évoqué à cette occasion. Il sera à cet égard relevé que M.[I] qui invoque l’impossibilité matérielle de produire un écrit relatif à la cession, est cependant en mesure de produire la lettre de démission que, selon ses explications, l’avocat de M.[N] lui a demandé de signer concomitamment à l’acte de cession.
En pièce 11, M.[I] produit un courrier daté du 10 décembre 2018 ne comportant pas le nom du destinataire, l’avis d’accusé réception étant à cet égard totalement illisible, correspondant selon lui au courrier adressé à l’avocat de M.[N], dans lequel il réclame l’acte de vente de ses parts signé ‘à votre cabinet’. Outre le fait qu’il est impossible pour la cour de déterminer le destinataire de ce courrier, qui n’a pas donné lieu à réponse, il ne peut être attribué de caractère probatoire à cette lettre de réclamation émanant de M.[I] lui-même, intervenu près de deux ans après la signature du prétendu acte de ce cession,
M.[I] verse ensuite aux débats les témoignages de MM. [E], [U] et [W].
M.[H] [E], chauffeur de taxi sans lien de parenté ou de subordination avec les parties atteste ‘avoir eu connaissance courant 2017 d’un courrier adressé à Monsieur [X] [I] signé de Monsieur [N] [L] précisant que ce dernier s’engageait à verser vingt mille euros (20.000 euros) à Monsieur [I] [X] au titre d’un premier versement concernant la vente des parts de M.[I] sur le restaurant
» 7ème Vin « . Le courrier précisait que le solde devait être versé en deux fois pour un solde total de 40.000 euros (quarante mille euros) « .
M.[P] [U], artisan taxi sans lien de parenté ou de subordination avec les parties, déclare « avoir vu une lettre qui concernait la cession du Restaurant le 7e Vin; début février 2017 ou il était question que Monsieur [L] [N] s’engageait à verser à [X] [I] la somme de vingt mille euros dès le départ de celui-ci, mis à la disposition de celui-ci, puis ensuite la somme de vingt mille euros dans les 24 mois suivant! soit un total de 40.000 euros pour la session (sic) des parts du 7ème vin ! « .
Quant à M.[F] [W], responsable de salle, se disant sans lien de parenté ou de subordination avec les parties, il certifie » avoir été mis au courant de la dette de
M. [N] [L] de quarante mille euros pour le rachat des parts de M. [I] [X] de la société Inesmacha. M.[N] [L] m’as (sic) affirmé qu’il ne pouvait tenir c’est (sic) engagement en date de fermeture de l’établissement le 27 juillet 2018 au près de M. [I] [X].M.[I] [X] ne travaille plus au sein de l’établissement depuis début janvier 2017 « .
Si M.[E] et M.[U] déclarent avoir eu connaissance d’une lettre par laquelle M.[N] se serait engagé à payer 40.000 euros à M.[I] au titre de la cession de ses actions, il est étonnant que cette lettre, dont l’un des témoins précise qu’elle était adressée à M.[I] ne puisse être versée aux débats par ce dernier. Au demeurant, les circonstances dans lesquelles ces témoins ont eu connaissance d’un tel courrier ne sont pas connues. Ils n’ont en tout état de cause pas assisté au rendez-vous au cours duquel l’accord aurait été conclu et leurs déclarations ne sont pas suffisamment précises pour avoir l’assurance que les propos imputés à M.[N] dans la lettre en question avaient dépassé le stade du projet.
L’attestation de M.[W] ne suffit pas davantage à démontrer que le projet de cession a abouti à un accord sur le principe et les conditions de la vente, les propos que le témoin attribue à M.[N] pouvant aussi se comprendre d’une renonciation de M.[N] à un projet d’acquisition des actions, sachant qu’à compter de l’exercice 2015, les pertes réalisées ont entamé la valeur des capitaux propres (-29.000 euros) ( cf. le rapport de l’administrateur judiciaire).
Quant au bilan économique, social et environnemental, établi le 14 décembre 2017 dans le cadre de la procédure collective de la société Inesmacha, par Maître [Y] en sa qualité d’administrateur judiciaire, sur lequel les premiers juges se sont fondés, M.[N] soutient à juste titre que les propos de l’administrateur doivent être pris dans leur intégralité.
En effet, Maître [Y], après avoir rappelé qu’à la création de la société M.[N] détenait 275 actions et M.[I] 225 actions (valeur unitaire de l’action 10 euros) indique que ‘selon les informations données par Monsieur [N], ce dernier a acquis l’intégralité des actions détenues par Monsieur [I], au cours du premier semestre 2017.J’attends cependant que me soient communiqués(i) l’acte de cession des actions et (ii) les statuts mis à jour de cette opération capitalistique'(en gras et souligné dans le texte).
L’administrateur judiciaire n’a disposé d’aucun élément attestant de l’existence d’une telle cession. Quant aux propos attribués à M.[N] dans ce rapport, d’une part, ils n’évoquent pas le prix de cession, d’autre part, leur caractère indirect, en ce qu’ils procèdent de la transcription qui en a été faite par un tiers, ne permet pas d’en déduire avec une certitude suffisante l’existence d’un accord pour une cession au prix de 40.000 euros.
Il s’ensuit que, si des échanges sont manifestement intervenus entre les parties relativement à un projet de cession des actions détenues par M.[I], ce dernier manque toutefois à établir qu’un accord sur la cession a été conclu.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a condamné M.[N] au paiement du prix de cession des actions.
– Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale
M.[I] ayant été débouté de sa demande en paiement du prix de cession, faute d’établir l’existence de la cession, n’est pas fondé en sa demande de dommages et intérêts pour inexécution déloyale de la convention. A ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande de dommages et intérêts.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
M.[I], partie perdante, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel et ne peut en conséquence prétendre au versement d’une indemnité procédurale. Le jugement sera infirmé en en ce sens.
Par ailleurs, l’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 au profit de M.[N].
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement, sauf en ce qu’il a débouté M.[I] de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute M.[I] de sa demande en paiement au titre du prix de cession,
Déboute M.[I] et M.[N] de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne M.[I] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT